Luisa Carnes raconte ce moment de l'histoire de l'Espagne où le pays bascule vers l'inconnu et l'indicible, où la victoire de Franco emporte tout ce en quoi la République avait cru et tout ce pourquoi ses partisans s'étaient battus. L'Espoir n'est plus et l'ennemi s'impose, les obligeant à fuir, à quitter un pays dans lequel ils ne se reconnaissent plus.
En fuyant ils choisissent de tout abandonner, non seulement les choses matérielles, mais aussi les morts, les blessés, ceux avec lesquels ils avaient combattu et avec lesquels ils avaient partagé un rêve de liberté.
Reste l'exil en France, ce "pays ami" qui va parquer les arrivants dans des camps appelés pudiquement "camps de transit"
Sur le chemin, chacun rumine son malheur hésitant à le partager par crainte de réveiller le malheur enfoui des compagnons de route.
C'est le thème de
la femme à la valise, la nouvelle qui donne son titre au recueil, une femme muette qui cache à ses compagnes le contenu de sa valise et suscite ainsi leur méfiance.
Luisa Carnès nous montre comment le vainqueur poursuit les vaincus jusque dans leur intimité en instillant chez eux la méfiance des autres, préfiguration de la société de délation qu'il va imposer au pays.
Seule la nature reste rebelle. Insensible aux injonctions des franquistes, elle s'insurge contre l'envahisseur en faisant fleurir le souvenir de ces six soldats qui ont péri pour défendre une ville assiégée (Le Laurier)
Le doute s'installe pour ceux qui restent. Et si nous devenions comme eux ? Avec la même cruauté, la même indifférence pour l'être humain réduit à son rôle de délateur ou de conspirateur (La partie de Dominos).
"La menace pesant sur le quartier était sur le point de disparaître. C'était ce qu'ils pensaient mais aucun ne le ressentait au fond de lui. Ils continuaient à être obsédés par le délateur, soumis à sa terrible immobilité. (...) Son sacrifice servirait-il à quelque chose ?"
Oublier et vivre dans cette société où la punition des rebelles est un dogme que le pouvoir impose. Punir et empêcher de vivre (De retour) Stigmatiser ceux qui ont péché en les montrant du doigt, en faisant tout pour que ceux qu'ils ont connus autrefois, en les voyant maintenant leur tournent le dos, meurtris au fonds d'eux mêmes d'avoir à le faire, "Elle m'avait reconnue et elle se défendait face à moi, sans le vouloir, d'un danger qui la menaçait."
"Je suis libre ! L'idée qui m'avait obsédée pendant les dernières semaines est venue m'assaillir, seule idée que j'aurais aimé oublier : "Où pourrais-je aller ?"
La prisonnière en vient à penser "La prison avait été une protection face au monde terrible né de la trahison."
Les lieux n'ont plus la même saveur maintenant et c'est en vain qu'elle recherche des souvenirs à jamais disparus.
Les 11 nouvelles du recueil mettent en scène des femmes, seules, veuves, et des orphelins, livrés au malheur essayant de survivre dans la résistance, (La Fripouille) ou le renoncement (La femme et le chien).
"Et on avait la sensation qu'elle faisait référence à sa longue et infinie vie sans but ; sa vie grise de grain de poussière au milieu d'un renouveau de passions et d'héroïsme."
Dans prison pour mères, les femmes privées de leurs enfants avec la plus grande des cruautés, imposant des visites où peu à peu l'enfant nie les valeurs que sa mère a défendues et défend celles que sa nouvelle famille lui inculque.
"On lui a dit que sa mère est une criminelle qui ira en enfer et que lui doit me sauver avec ses prières. Et je crois qu'il porte un regard horrifié sur moi."
Luisa Carnès fait également écho aux mouvements sociaux de l'après guerre en Espagne, comme la grève des tramways à Barcelone en 1951 (Aixo va bé).
Un recueil de nouvelles qui éclaire la situation de l'Espagne après la guerre et donne de la dictature franquiste une image plus réaliste, loin de la légende du Caudillo unificateur de la nation.
Certaines nouvelles résonnent avec le roman d'
Almudena Grandes,
Les patients du docteur Garcia, sur la résistance clandestine au franquisme dans l'immédiat après-guerre.
Une auteure à découvrir.
Merci à Babelio et aux éditions de la Contre Allée pour cet envoi Masse Critique.