L'avocat du diable/
Morris West
Cinquante après une première lecture, je redécouvre ce roman magnifique qui m'avait alors enthousiasmé.
Morris West : un très grand écrivain.
Né en 1916 à Melbourne il a connu une vie riche en diversité. Entré dans l'ordre sévère des Frères Chrétiens à l'âge de 15 ans, il y restera onze ans avant de renoncer à prononcer ses voeux. Il entre alors dans l'armée et participe à la guerre du Pacifique.
Producteur radio après la guerre, il se marie et devient un romancier célèbre.
Il est mort à Sydney en 1999.
Le thème du livre.
L'évêque Blaise Meredith apprend de son médecin qu'il est atteint d'une maladie incurable.
« C'était son métier de préparer les autres à la mort ; il fut bouleversé d'être si peu préparé à la sienne. » Ainsi commence ce bouleversant roman.
Au crépuscule de sa vie, Meredith à qui il reste douze mois à vivre, songe :
« Rien n'était aussi doux à l'homme que le vie ; rien n'était plus précieux que le temps, rien de plus rassurant que le contact de la terre et de l'herbe, le murmure de l'air en mouvement, le parfum des floraisons nouvelles, la rumeur des voix et de la circulation et des chants aigus des oiseaux. »
Alors une tâche ardue lui est encore réservée…
Le cardinal Eugenio Marotta, chef de la Congrégation des Rites au Vatican doit statuer sur l'opportunité de canoniser en béatification Giacomo Nerone, martyre exécuté par les communistes à la fin de Seconde Guerre Mondiale. Nerone, un homme dont la vie est entourée de mystère et de secrets, venu d'on ne sait où, en pleine guerre. Cet homme de nulle part prit femme, lui fit un enfant, puis se retira en ermite dans la montagne et commença de faire le bien autour de lui. Un homme perdu qui devint subitement un saint homme. Riche de gratitude, de compassion il se fit aimer pour ne pas dire vénérer. Mais le mystère de son origine et de sa motivation est demeuré total même après sa mort.
La béatification est basée sur la biographie du saint et l'historique des miracles.
Pour ce faire, Marotta doit désigner deux hommes de Dieu, sages et pieux, l'un en temps que postulateur de la Cause, pour diriger l'enquête et la faire avancer, l'autre comme promoteur de la Foi,
l'avocat du diable, pour soumettre le témoignage et les témoins à l'examen minutieux le plus sévère conformément au Droit canon.
D'emblée, on remarquera la qualité et la profondeur des dialogues empreints d'une grande spiritualité entre Meredith et Aurelio, l'évêque de Valenta en Calabre, le pays de Giacomo Nerone. Aurelio, un homme doué de compréhension et d'un rare talent pour attirer l'amitié, celle de Meredith en l'occurrence.
« Qu'est-ce que la foi ? Un saut aveugle dans les mains de Dieu. Nous avons notre rhétorique qui dit beaucoup et explique peu. Nous prêchons l'amour et la fidélité comme si c'était des histoires entre deux tasses de thé – et non des corps se mêlant sur un lit et des mots enflammés dans l'ombre, et des âmes tourmentées par la solitude et poussées vers la communion momentanée d'un baiser… »
Et l'aveu de Meredith au soir de sa vie : « J'ai passé toute ma vie dans la prêtrise et je pense …je pense que je l'ai gaspillée. »
On remarquera aussi une critique en règle de l'Église.
« L'Église imposait la pauvreté à ses prêtres et jouait cependant aux Bourses des valeurs internationales par l'entremise de la banque du Vatican. Elle prêchait le détachement du monde et accumulait pourtant les propriétés, comme n'importe quelle société publique… L'Église est une théocratie, gouvernée par une caste religieuse. »
Plusieurs personnages apparaissent au fil des pages, qui ont joué un rôle dans le destin de Nerone.
Et d'abord le docteur Aldo Meyer, juif exilé dans cette Calabre du bout du monde, qui « se promettait chaque jour de plier bagage le lendemain et de partir pour un endroit nouveau avec un avenir nouveau, en laissant cette tribu sans grâce à sa stupidité. Mais chaque nuit la résolution le fuyait et il s'asseyait pour s'enivrer dans son lit. L'inconfortable vérité était qu'il n'avait nul endroit où aller et aucun avenir à construire. le meilleur de lui-même était ici : foi, espoir et charité, prodigués jusqu'à épuisement et gaspillés sur une terre aride, foulés aux pieds par un peuple ingrat et ignorant. »
« le culte du principe mâle était profondément enraciné parmi ce peuple. Les jeunes gens étaient arrogants et avantageux comme de jeunes coqs, tandis que les jeunes filles se présentaient avec une virginité tout au moins supposée pour parader et se faire admirer. Lorsqu'ils se mariaient, ils engrossaient leurs femmes jusqu'à l'épuisement et gâtaient leurs fils jusqu'à leur précoce puberté, pendant qu'ils battaient leurs filles pour qu'elles demeurent chastes. »
Et puis Nicholas Black, le peintre anglais médiocre pour ne pas dire raté et athée, homosexuel, et son modèle Paolo Sanduzzi le fils de Nerone et de Nina devenue la servante de Meyer après la mort de Nerone.
Sans oublier le comtesse Anne Louise de Sanctis mécène de Black, ni le Père Anselmo, curé de Gemello Minore qui mène une vie pas très catholique !
Cette merveilleuse galerie de personnages est finement composée tant du point de vue psychologique que de la richesse de leurs sentiments et de leur discours.
Les traditions archaïques de cette région du Sud de l'Italie sont bien décrites et mettent les personnages dans des situations qui paraissent insolubles.
La scène du jugement et de l'exécution de Giacomo Nerone n'est pas sans rappeler la condamnation de Jésus. Nerone qui aura connu les mêmes doutes et ses écrits ressemble à une confession, un chapitre riche d'une haute spriritualité.
L'intrigue à laquelle participent tous ces personnages est parfaitement maîtrisée et on découvre en
Morris West une fois de plus un très brillant écrivain. Je dois dire que j'ai lu pratiquement tous ses livres. Et je m'en suis réjoui à chaque fois.
Un très beau roman paru en 1959, hélas quelque peu oublié aujourd'hui. Un trésor de réflexion sur la foi.
« L'homme qui fait le bien tout en étant dans le doute doit avoir tellement plus de mérite que celui qui le fait dans l'éclatante certitude de la croyance. »