Drôles de frères

Comme les dieux changent. Ou, pour s'exprimer avec plus d'exactitude, comme notre image de Dieu change. Il y a longtemps, les êtres humains se sont trouvés mal à l'aise face à ce sévère et impitoyable Dieu le Père, la foudre qui frappait de façon si violente et imprévisible. L'homme occidental l'a remplacé par le Christ, un Dieu plus humain, une sorte de Meilleur Ami surnaturel, un Copain qui paierait les pots cassé pour nous. (Le Saint Esprit a toujours été trop...spirituel, pour réunir beaucoup de fans. Quelle est sa personnalité; où est le truc du personnage, où est l'identification du fidèle ?)
Mais même le Chris porte avec Lui ce sens de l'austérité, cette implication de devoir et de risque, et l'éventualité d'une perte vraiment horrible. Alors voilà qu'arrive le joyeux Père Noël, un dieu si accommodant qu'il ne nous demande même pas de croire en lui. Avec ce ventre et ce nez, sûrement qu'il mange trop et qu'il boit trop, et aussi qu'il ne se gêne pas pour pincer les fesses de la serveuse. Mais ça n'a pas d'importance, tout ça c'est des jeux innocents, le gamin turbulent en chacun de nous. Petit à petit à travers les siècles nous avons humanisé Dieu jusqu'à ce que nous L'ayions enfin abaissé à notre niveau, et pas qu'un peu ; aujourd'hui, avec le Père Noël, nous pouvons non seulement adorer notre image mais aussi l'aspect le plus ridicule de notre image.

... je passai les quelques minutes suivantes à examiner les livres de Flattery. Le mur du fond, que l'on voyait le premier en entrant dans la pièce, était plein de Bons Livres manifestement achetés au mètre : une série de Dickens, une série de Twain, une série de dramaturges grecs, une autre série de Dickens, une série de Jales Branch Cabell, une série de lettres de Georges Washington, une autre série de Dickens, etc, etc; Le mur de droite était un véritable musée de romans actuels nuls, tous en édition de club de livres mais tous dépouillés de leur jaquette dans l'espoir évident que nus ils auraient l'air plus anciens et plus respectables. Le mur de gauche était le bastion raisonné d'un homme qui sait ce qu'il veut : des livres sur la comptabilité d'entreprise, les impôts, l'immobilier, les livres sur l'inflation, sur la dévaluation,sur la dépression, des livres sur la politique, sur l'économie, sur la sociologie - et une biographie de John Wayne.
J'inspectais le quatrième mur - religion, mécanique automobile, jardinage et forme physique - quand Madame Flattery revint...

- Le diable peut citer L'Ecriture pour ses fins.
Le Frère Oliver me lança un regard perplexe.
- Est-ce le Nouveau Testament ? Je ne le reconnais pas.
- Euh, non, répondis-je. C'est Shakespeare. "Le Marchand de Venise". Je m'éclaircis la gorge. Excusez-moi, dis-je.

Une charmante jeune fille derrière un comptoir d'information me donna une carte de l'ile, sur laquelle elle souligna au stabilo rouge l'itinéraire pour Loiza Aldea.
- Prendrez-vous une voiture de location, mon Père?
- Frère, corrigeai-je. Non, je serai à pied.
- Mais c'est à trente kilomètres !
- Rien ne presse. Merci pour la carte.

Je ne connais presque rien aux hommes riches, avoua le Frère Olivier, mais une des rares convictions que j'aie à leur sujet c'est qu'ils sont devenus riches parce qu'ils savent comment manquer à leurs promesses.