Confinement oblige, j'ai dévoré cette intégrale. Et c'était un vrai régal !
Trois tomes en un, tous différents, donc je vais les traiter les uns après les autres.
Spin, tout d'abord : Tyler a douze ans le jour où les étoiles et la Lune s'éteignent dans le ciel. La Terre a été recouverte d'une membrane étrange au-delà de laquelle le temps s'écoule à une vitesse folle. Pour une seconde passée sur Terre, il passe 3,17 années dans l'espace… Ça pourrait bien ne pas changer la vie de monsieur et madame Toutlemonde (hormis les coupures d'Internet et de téléphone), sauf que le Soleil vieillit. Grosso modo, il reste une quarantaine d'années avant qu'il devienne une géante rouge et engloutisse notre planète. Qui a placé cette barrière et pourquoi ? À la connaissance des gouvernements, aucune équipe scientifique ne serait capable d'un tel exploit. Est-ce les extraterrestres ? Dieu en personne ? Un événement naturel inexplicable ?
Plus étrange encore : cette membrane, en plus de nous condamner à une mort certaine, a également un effet protecteur. Elle arrête les météorites, mais laisse passer les outils fabriqués, elle filtre la lumière du Soleil (qui serait devenue mortelle si on devait se prendre l'équivalent de 3,17 années de luminosité en une seconde), elle crée même un « faux soleil » qui se lève à l'est et se couche à l'ouest en respectant les saisons, elle régule la température… Mourir, oui, mais dans des conditions décentes, s'il vous plaît.
J'ai tout simplement dévoré ce premier opus. Tyler appartient à la dernière génération avant la fin du monde et vivra en direct l'angoisse et la folie des hommes quand ils sont confrontés à l'extinction de leur espèce – d'autant plus qu'il projette d'entrer en fac de médecine.
Mais Tyler n'a pas un destin exceptionnel. Au contraire de Jason Lawton, son meilleur ami.
Jason est un petit génie. Élevé – dressé – par son père pour devenir l'héritier avisé de sa société d'aérostats (remplaçants des satellites suite à la défection de ces derniers), puis pour intégrer Périhélie (nouvelle appellation de la NASA^^), il n'aura de cesse de trouver une solution au problème Spin et de découvrir qui sont les Hypothétiques (nom donné à ceux qui seraient la cause du Spin). À la pointe de la firme aérospatiale, au fait de tous les secrets, il ne les partage qu'avec Tyler – et donc avec nous, lecteurs chanceux que nous sommes. Les scientifiques (et Jason en particulier) sont prêts à tout pour résoudre ce problème et comprendre les Hypothétiques.
Et puis il y a Diane. La soeur jumelle de Jason, tout aussi intelligente que son frère, mais différemment. Une jeune fille sensible qui fascine Tyler sans qu'il parvienne à se l'avouer. Peut-être est-elle attirée par lui, mais difficile d'en être sûr : elle est insaisissable.
Il faut savoir que Diane vit dans un environnement familial des plus déplaisants :
E.D., son père voulait UN héritier. Pas une. Pas deux. Elle est donc de trop et il le lui fait bien comprendre. Mais ça aurait pu encore aller, si sa mère n'était pas alcoolique et démissionnaire. Alors, quand il s'avère que la fin du monde aura lieu de son vivant, que reste-t-il à Diane, si ce n'est une profonde foi religieuse ? Comme beaucoup de gens de sa génération, Diane va chercher le soulagement dans la religion – une religion extrême, qui exige un engagement absolu de ses participants.
Il y a des longueurs, le récit prend le temps de se poser, mais ce sont des longueurs qui mettent en place une ambiance lourde, pesante, cohérente avec cette fin du monde à quelques décennies de nous. Et c'est très bien écrit. Les relations entre les personnages sont complexes, tendues, entre désir, jalousie, intérêt personnel et bien commun, phobie de l'apocalypse et obsession de la vérité. Grandiose.
Axis ensuite (pour ceux qui ne veulent pas être spoilés, je vous conseille de vous arrêter là ;)) se passe trois décennies après la fin de Spin.
La Terre n'a pas été avalée par le Soleil. Jason et Tyler savent désormais que le Spin n'a été mis en place que dans un but protecteur, pour geler la société humaine afin de laisser aux Hypothétiques la possibilité de sauver leur monde sur le déclin. Preuve en est faite par un anneau gigantesque – l'Arc – qu'ils ont posé dans le Pacifique afin de créer un passage jusqu'à Équatoria, une planète compatible.
Très compatible.
Trop compatible…
Les Hypothétiques l'auraient-il façonnée pour nous ? Leurs traces sont partout. Pas de prédateurs, mais beaucoup de ressources… Et de l'autre côté de ce nouveau monde, un autre Arc, vers une autre planète… Mais pourquoi se donnent-t-ils tant de mal pour notre survie ?
Lise est une jeune femme de 27 ans à la recherche de son père disparu. Lors de son enquête, elle fait la rencontre de Turk, un aviateur vivant sur Équatoria depuis une dizaine d'années. de fil en aiguille, elle finira par faire le lien entre la disparition de son père, survenu douze ans plus tôt, et une communauté de Quatrièmes qui élève Isaac, un enfant aux talents étranges âgé d'une douzaine d'années. Pourquoi est-il attiré par l'ouest ? Que se cache-t-il, dans ces grandes étendues désertiques pleines de pétrole ?
Et que signifient ces étranges chutes de cendres qui recouvrent Port Magellan ? Elles ne ressemblent à rien de connu : elles sont composées d'engrenages, d'outils simples et de matériel organique. Les Hypothétiques seraient-ils la cause d'un nouveau mystère ?
Axis est plus un thriller, une course-poursuite entre le Gouvernement provisoire (pour lequel travaille l'ex-mari de Lise) et les protagonistes, en quête de vérité. Que sont les Quatrièmes ? Quelle est la nature des Hypothétiques ? Peut-on communiquer avec eux ? Sont-ils Dieu ? J'ai apprécié ce volet, mais sans lui trouver le souffle grandiose, oppressant, passionnant de son prédécesseur.
Je me suis également beaucoup moins attachée à ces nouveaux personnages qui, hormis Isaac, qui est un enfant pas comme les autres, sont plus fades que le trio Tyler-Diane-Jason. Comme ils se connaissent depuis moins longtemps, ils ont des relations beaucoup moins développées, moins de non-dits ou d'évolution.
Mais l'histoire reste malgré tout prenante et on poursuit l'aventure avec l'espoir de comprendre enfin qui sont les Hypothétiques et pourquoi ils nous ont sauvés.
Et enfin, Vortex. Encore une fois, si vous n'avez pas lu ou pas fini Axis, arrêtez-vous ici, vous allez être spoilés !
Vortex est beaucoup plus confus que les deux tomes précédents et il est donc plus difficile à résumer (la raison pour laquelle j'ai mis tant de mois à publier cette chronique^^').
Pour faire simple, après avoir été absorbé par l'Arc temporel, Turk se réveille… 10 000 ans dans le futur. Il se fait recueillir par une communauté d'humains vouant un culte aux Hypothétiques. Turk, ayant été touché par leur technologie, est déifié et embarqué avec eux pour la Terre, leur destination finale. Car la communauté de Vox croit en une série de prophéties annonçant que leurs dieux auraient purifié le berceau corrompu de l'humanité et qu'ils attendraient les humains pour enfin les rencontrer.
En parallèle de cette histoire, la narration revient dans le passé, quelques années après que le Spin se soit levé.
Sandra Cole est médecin au State Care, un établissement fondé à la fin des années Spin pour offrir un toit et une aide psychologique à toute personne en détresse. Mais l'oeuvre bienfaitrice de cet hôpital psychiatrique s'est perdue : aujourd'hui, on emprisonne à vie les sans domiciles, les prostituées et les drogués afin qu'ils ne gênent plus le bon fonctionnement de la société. L'indifférence et l'administration sont les seules réponses que Sandra est en droit d'apporter à ses patients.
Un jour, elle remarque un officier de police qui vient déposer dans son établissement un jeune homme frêle qui vient d'être passé à tabac. Ce qui a attisé sa curiosité ? La bonté du policier, qui se soucie suffisamment de son petit protégé pour attendre d'avoir un verdict sur son état psychologique – quand tous ses collègues livrent leurs colis et repartent aussitôt.
Il s'avère que le cas d'Orrin Mather (le protégé en question) est quelque peu mystérieux : sa santé mentale est remise en question à cause de cahiers qu'il trimbale toujours avec lui, qu'il aurait écrits, qui racontent une histoire de science-fiction tout à fait rocambolesque et pour lesquels il est capable de faire couler le sang.
« Un écrivain en herbe qui tient à son oeuvre, et alors ? » se dit-on.
Mais Orrin affirme, un peu gêné, que ce sont des voix qui lui chuchotent cette histoire…
« Très bien : le jeune homme est fou et il a tout à fait sa place au State Care. »
Vous l'aurez compris, c'est l'histoire de Turk qu'Orrin retranscrit compulsivement. Les deux timelines sont imbriquées...
Et Sandra, se rendant compte que cette histoire sans queue ni tête intéresse des personnes haut placées, décide d'enquêter sur le jeune homme en question et d'en savoir plus sur ses écrits...
Un troisième volet beaucoup plus brouillon, donc ! La faute à un futur tellement lointain qu'il en est difficilement concevable beaucoup trop exotique pour moi. Bien moins prenant que ses prédécesseurs, ce tome a toutefois le mérite d'apporter un point final à la question des Hypothétiques.
Si une chose m'a frappée, dans cette trilogie, c'est la récurrence de certains thèmes :
- la religion est systématiquement traitée comme un aveuglement confinant au fanatisme :
Diane tourne le dos à ses proches pour rejoindre le mouvement NR (Nouveau Royaume), et on adopte principalement le point de vue des deux hommes les plus scientifiques du roman : Jason et Tyler, qui désapprouvent cette façon de penser. Puis, à la mort du mouvement, elle suit son mari Samuel au Tabernacle du Jourdain – ce qui manquera tout juste de provoquer sa mort, les croyants de cette Église étant contre toute sorte de médecine. Dans Axis, la communauté de Quatrième Âges qui élève Isaac commet un péché impardonnable en façonnant le corps du petit garçon de manière à ce qu'il soit capable de communiquer avec les Hypothétiques. Ils croient de manière quasi-religieuse que ce sont des êtres supérieurs bienveillants – des dieux, en quelque sorte – avec lesquels l'homme a tout intérêt à entrer en contact pour profiter de leurs connaissances et de leur sagesse. Et dans Vortex, la communauté limbique de Vox possède le même type de délire, mais poussé à son paroxysme : ses membres ne peuvent plus penser par eux-mêmes et leurs croyances reposent sur quelques prophéties qui annoncent que les hommes devront retourner sur la Terre pour entrer en contact avec les sages Hypothétiques. Leurs cerveaux, mis en réseau à l'aide d'implants dans la nuque, ont une empathie qui confine à la télépathie : ils sont à l'image d'un essaim d'abeilles, non plus des individus libres, mais des morceaux d'unité dépendants les uns des autres. le Coryphée est l'outil qui manipule leurs émotions et leurs fait croire de force à ces fariboles ;
- l'écriture est un thème de plus en plus récurrent et de plus en plus complexe, jusqu'à atteindre une certaine apogée dans Vortex :
la graphomanie de Tyler pendant sa transformation en Quatrième Âge est un prélude à ce qui nous attend dans le dernier tome, où la pulsion d'écriture d'Orrin Mather est au coeur de l'histoire (les récits de Tyler et d'Allison prennent quand même la moitié des chapitres). Et à l'intérieur de cette pulsion, nous est racontée la graphomanie de Treya/Allison, qui dérive de l'Allison originelle, ainsi que celle d'Isaac Dvali, qui, à la toute fin de sa vie, parvient à voir les limites de l'univers matériel et à deviner tous les univers possibles qui ne sont pas incarnés car moins probables. Et tandis qu'il voit ça, il éprouve l'envie de dissoudre sa conscience dans des mots et des images adressés à un nourrisson – Orrin lui-même. Afin de changer le passé de Turk et d'éviter le drame qui le ronge. C'est donc cet Orrin transformé qui est pris de graphomanie, envahi par cette énorme histoire séculaire que l'esprit d'un homme mort dans le futur a implanté en lui ;
- la recherche de Dieu (ou des Hypothétiques). On peut même dire qu'elle se distingue de la religion, car on peut scientifiquement rechercher Dieu/les Hypothétiques. C'est la quête de la connaissance, des origines ;
- la notion d'identité est complexe et paradoxale :
quand on se transforme en Quatrième, on change tout en étant la même personne. le corps est subtilement transformé de manière à dépasser la biologie, mais le mental est lui aussi modifié : une plus grande prédisposition à l'empathie et au calme, une absence de peur de la mort, etc. Pourtant, les Quatrièmes sont les mêmes personnes qu'au départ. Dans Vortex, les Rescapés ont été tués, puis mémorisés et recréés par les Hypothétiques via un mécanisme de sauvegarde automatique. Elles ont conservé tous leurs souvenirs et leur personnalité est intacte. Mais sont-ce les mêmes personnes qu'au départ ? Sont-ce les souvenirs qui font la personne, ou bien le matériel biologique ? On peut poser la même question pour Treya : la jeune femme est née sur Vox et a donc un noeud qui la relie au Réseau. Ses émotions et convictions sont profondément influencées par le Coryphée. le jour où les Fermiers le lui enlèvent, sa personnalité change drastiquement… et pourtant, elle est restée la même personne. Également (et cela m'attriste), on ne connaîtra jamais le véritable nom de Turk, bien qu'il soit le protagoniste de deux romans…
La trilogie Spin est une oeuvre riche, dense. Peut-être à ne pas mettre entre toutes les mains : certaines notions scientifiques sont abordées et peu vulgarisées. Quelques longueurs pourraient porter préjudice aux lecteurs néophytes. Mais si vous aimez la SF, foncez :) Ne manquez pas ce rendez-vous spatial !