AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,83

sur 2304 notes
Je ne vais pas vous mentir, Mrs Dalloway n'est pas un roman particulièrement facile à lire ni accessible si vous n'y êtes pas un minimum disposé. Il faut y mettre une certaine dose de bonne volonté, notamment si vous affectionnez l'action, car c'est très psychologique, très intériorisé, tout le contraire du mouvement.

Mais lorsqu'on accepte les règles et de jouer le jeu, de faire l'effort de rentrer dans la tête des personnages et non d'être le témoin de leurs actions, c'est vraiment une expérience littéraire de grande beauté.

Virginia Woolf développe un style bien à elle, très féminin, très subtil, qui tranche singulièrement avec l'écriture masculine de cette époque-là, sauf peut-être de celle de D. H. Lawrence, avec de nombreuses épiphores, mais dans une mouture bien à elle.

Si je devais vous décrire ce roman, je vous dirais que c'est un peu le complémentaire d'un portrait réaliste lorsque vous êtes dans un musée. Face au tableau, vous avez accès à son image à un instant donné, mais seulement à son image. Ce qu'il y a dedans, derrière la façade du regard, derrière les atours du vêtement, vous n'y avez pas accès, vous ne pouvez que l'imaginer, le conjecturer.

Eh bien ici, c'est un peu comme si Virginia Woolf nous ouvrait les portes de ce mystère, comme si elle nous faisait la dissection psychologique de Mrs Dalloway, directement, certes, mais aussi en creux, par la médiation, par l'accès aux pensées d'un certain nombre de personnages qui gravitent autour d'elle.

Il est probablement temps de s'arrêter quelques instants sur le titre du roman et sur le nom du personnage principal. Mrs Dalloway, c'est-à-dire Madame Untel, sachant que le Untel est son mari, c'est-à-dire, dans l'esprit de Virginia Woolf, que le personnage, par cette appellation, est dépossédé, jusqu'à son identité même. Aux yeux de tous, elle n'est que Madame Richard Dalloway, et plus Clarissa comme elle aimait à s'entendre appeler.

Arrêtons-nous encore, si vous le voulez sur ce nom : Dalloway. Il suffit, pour s'en convaincre, de prendre une liste de patronymes anglo-saxons ou un vulgaire bottin pour s'apercevoir que malgré sa consonance très brittish, ce n'est pas un nom véritable, c'est une construction de l'auteure.

Dally en anglais évoque la notion de badinage ou de papillonnage. Way désigne soit le chemin, soit la manière de faire. Virginia Woolf connaissait suffisamment de français pour connaître la signification du mot dalle, comme les dalles d'un sentier tout tracé dans le parc d'une maison de campagne.

Ce titre, aussi anodin qu'il puisse paraître de prime abord, nous en apprend donc déjà beaucoup sur la perception qu'a l'auteure (et le personnage car on se rend vite compte que Clarginia Woolfoway ou Virgissa Dalloolf ne sont qu'un) sur son personnage : une femme enfermée dans une vie factice, faite d'apparences, où l'on se cache derrière un nom sans être jamais soi-même et où l'on suit des rails immuables, sans jamais pouvoir en dévier, comme lorsqu'on redoute de quitter les dalles d'un sentier de peur de se mouiller le pieds.

Finalement, la vraie vie de Clarissa, ça aura été les badinages de sa jeunesse d'où le "dally way ". Ensuite, l'incarcération dans le mariage. Mais au fait, Clarissa, dites-moi, ça ne vous évoque pas quelque chose ? Un classique de la littérature anglaise (complètement oublié de ce côté de la Manche, malheureusement. Mais oui, bien sûr, Clarissa de Samuel Richardson au XVIIIe siècle, Histoire de Clarisse Harlove dans la traduction qu'en a faite l'Abbé Prévost).

L'histoire de Clarissa (grosso modo parce que c'est un sacré pavé) raconte la résistance d'une jeune fille à un mariage d'intérêt que veut lui imposer sa famille, puis sa résistance à nouveau à accepter les avances du fourbe qui l'a enlevée pour échapper au mariage.

Clarissa Dalloway n'est donc pas, selon moi, un nom choisi au hasard, mais il est au contraire éminemment vecteur de sens, ce que l'on retrouve dans le prénom du mari : Richard comme Richardson. Si l'on ajoute à cela que le véritable mari de Virginia s'appelait Leonard, la ressemblance de consonances entre Clarissa et Richard Dalloway d'une part et Virginia et Leonard Woolf d'autre part est saisissante.

Oui, on lit beaucoup d'autobiographie cachée dans Mrs Dalloway. On y lit une volonté féministe farouche, à tout le moins, une volonté d'émancipation de la femme, enfermée dans l'étau du mariage et du qu'en dira-t-on. le contraste est d'ailleurs particulièrement saillant avec le personnage de Sally, l'amie de jeunesse de Clarissa, dont on a peine à retenir le nom de famille, qui est toujours Sally, qu'on connaît pour elle-même et non pour sa fonction, qui se moque des convenances sociales (par exemple, elle s'invite à la réception de Clarissa sans y avoir été conviée). Elle seule semble être un personnage féminin parfaitement épanoui et à l'aise dans son costume.

Il y a aussi la folie et le suicide, deux variables éminemment liées à la personnalité de l'auteure. Elles sont véhiculées dans l'ouvrage par le personnage de Septimus. Ceci permet au passage à l'auteure de régler un peu ses comptes avec les médecins psychiatres de l'époque et qu'elle a dû subir.

En somme, vous êtes conviés à vivre une journée de cette mondaine, de cette haute bourgeoise d'une cinquantaine d'années, tout affairée à la préparation d'une réception pour le soir même. Chemin faisant, par des flash-back ou des évocations, vous pénétrez dans son intimité, dans le fond et le détail de ce qu'elle ressent et du regard qu'elle pose sur elle-même et sur les gens.

Il y a une mélancolie certaine, un sentiment d'être passée à côté de quelque chose, notamment avec son grand amour de jeunesse Peter Walsh. Mais elle l'a refusé naguère, probablement parce qu'il ne présentait pas assez bien en société, probablement parce qu'il risquait de ne pas s'élever suffisamment socialement, probablement parce qu'elle voulait elle, s'élever et briller pour avoir le sentiment d'être quelqu'un...

Elle s'aperçoit de son snobisme et le confesse volontiers. Elle a eu ce qu'elle voulait, un nom et une étiquette prestigieuse auprès d'un mari brave mais ennuyeux comme la pluie. Elle vit dans les beaux quartiers de Londres et brille de mille feux. Mais à l'heure des rides et du bilan, peut-être s'aperçoit-elle qu'elle a tout simplement oublié de vivre, oublié de vivre pour elle-même comme son ancienne camarade Sally, qu'elle retrouve avec une joie mêlée d'un gros pincement au coeur, de même que Peter, qui, après avoir erré aux Indes, est resté constamment épris de Clarissa... ô, elle qui le savait...

Bref, un roman qui m'a vraiment touchée, une introspection subtile et forte qui ne laisse pas indifférents ceux qui se sont déjà colletés à ce genre de questionnements. En outre, ce n'est ici que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.

P. S. : Outre la filiation que j'ai mentionnée avec la littérature du XVIIIe, on peut aussi voir une très nette filiation, au moins de coeur si ce n'est de style, avec Jane Austen. On trouve, aux environs du premier tiers du roman le passage suivant :
« Car bien entendu c'était cet après-midi-là, cet après-midi précis que Dalloway était arrivé ; et Clarissa l'appelait " Wickham " ; tout avait commencé comme ça. Quelqu'un l'avait amené ; et Clarissa avait mal compris son nom. Elle le présentait à tout le monde comme Wickham. Il finit par dire : " Je m'appelle Dalloway ! " Ce fut la première vision qu'il eut de Richard — un jeune homme blond, plutôt emprunté, assis sur une chaise longue, qui laissait échapper : " Je m'appelle Dalloway ! " Sally s'en était emparée ; et par la suite elle l'appelait toujours " Je m'appelle Dalloway ! " »

Ce passage ne peut que faire grandement penser à Orgueil Et Préjugés, où les personnages de Wickham et de Darcy seraient ici respectivement Dalloway et Walsh, mais, contrairement à l'héroïne de Jane Austen, Clarissa choisira " Wickham ", celui qui présente bien...
Commenter  J’apprécie          28024
Je reviens d'un voyage extraordinaire. Un voyage en Virginia. Il y a eu un avant Mrs Dalloway. Il y aura un après mais tout ce que je lirai désormais viendra se heurter à cet amour-là. Oui, à cet amour-là, car c 'est bien d'amour dont il s'agit et peut-on dire pourquoi l'on aime?
Ne cherchez pas d'histoire dans Mrs Dalloway car d'histoire il n'y en a pas! Je l'ai cherchée pourtant et le roman a bien failli me tomber des mains vers la page 50 tant j'étais déroutée qu'il ne s'y passe rien. Et puis, soudain, comme dans ces images qu'il faut fixer longtemps pour que nous apparaisse un monde en 3 D, j'ai plongé dans cet univers foisonnant et fascinant: le monde de Virginia! L'écriture est magnifique, d'une sensibilité et d'une poésie que je n'avais jamais rencontré jusque-là. Elle y décrit le souffle du vent dans les arbres et je sentais ce vent sur ma joue, je sentais les parfums de l'écorce. Mrs Dalloway fut pour moi avant tout un voyage sensoriel, je l'ai lu comme on rêve, l'esprit ouvert à toutes les sensations.
Mais plus encore ce livre est un merveilleux hymne à la féminité. Mrs Dalloway, c'est Virginia, c'est moi, c'est ma mère, c'est ma soeur, c'est toutes les femmes à la fois, c'est leur douleur et leur espoir qui est raconté là.
Je me souvenais de l'avoir lu pendant mes études. Il m'avait ennuyée et à présent je comprends pourquoi. Il y a un temps pour lire Mrs Dalloway. Il faut avoir senti la colère et le désir de vie gronder en soi. Et puis plus tard avoir senti, sur ses épaules, tout le poids des regrets. Il faut avoir aimé, il faut avoir pleuré, et trouvé enfin l'apaisement.
Ce livre, j'aurais aimé ne jamais le finir, et j'ai tout fait pour en prolonger la lecture, relisant plusieurs fois les mêmes passages et revenant sans cesse en arrière...
"Malgré tout, qu'à un jour succède un autre jour; mercredi, jeudi, vendredi, samedi. Qu'on se réveille le matin; qu'on voie le ciel; qu'on se promène dans le parc; qu'on rencontre Hugh Whitbread; puis que soudain débarque Peter; puis ces roses; cela suffisait. Après cela, la mort était inconcevable...l'idée que cela doive finir; et personne au monde ne saurait comme elle avait aimé tout cela; comment, à chaque instant..."
Oui, peut-on toujours dire pourquoi l'on aime? J'ai aimé Mrs Dalloway pour sa beauté et pour la grâce.


Commenter  J’apprécie          15932
J'ai enfin découvert l'oeuvre de Virginia Woolf, avec son roman le plus connu, Mrs. Dalloway !

Ce roman nous plonge, le temps d'une journée, dans la vie du personnage éponyme, Clarissa. Alors qu'elle prépare une réception pour le soir même, elle fait le point sur sa vie lorsque son ancien soupirant -et ami- Peter Walsh, revenu récemment des Indes, lui rend visite. Mrs. Dalloway est une héroïne commune, humaine, ce qui sans doute fait d'elle un personnage profondément attachant. le lecteur partage ses souvenirs, notamment le choix de se marier avec le député Richard Dalloway, mais aussi ses espérances pour sa soirée, et aussi pour son avenir...Bien évidemment, à travers Clarissa, nous devinons Virginia Woolf, elle-même, qui décrit avec une telle élégance les pensées de cette femme.

Parallèlement à la journée de Clarissa, le récit nous permet de rencontrer divers personnages qui évoluent dans la très grande ville de Londres, et parmi eux, Septimus Warren Smith, un jeune homme traumatisé par la guerre, qui sombre petit à petit dans la folie, malgré l'amour que lui porte sa femme, Lucrezia.

J'ai été extrêmement touchée par ces petits portraits d'hommes et de femmes, si différents, mais finalement liés par une même destinée, la mort.
Une très belle réflexion sur la condition humaine.

A lire !!
Commenter  J’apprécie          1201
Eh bien, quelle étrange, et pourtant jolie, découverte que ce Mrs Dalloway, et je dois avouer qu'il y en a à dire sur lui.
Du point de vue de l'intrigue, il ne faut pas se mentir ni se voiler la face, alors non ! il ne se passe rien, ou quasiment rien ; certains passages semblent d'ailleurs bien longs et inutiles, mais en y regardant de plus près, c'est peut être eux qui donnent cette intensité, cette lumière, cette couleur si délicieuse et presque trop belle au reste du livre. Et puis, en dépit de cette évidente absence d'action, il faut avouer qu'émotionnellement parlant, Mrs Dalloway est un ouragan, un ouragan dévastateur et terriblement bouleversant.
On ne peut ressortir de cette lecture sans trouble ! Et on comprend qu'à travers cette Clarissa Dalloway, il y a surtout Virginia Woolf – il y a d'ailleurs beaucoup de similitudes entre la vie de ces deux héroïnes -, et puis à travers l'imperfection et la fragilité de cette femme, il y a toutes les femmes de l'époque mais aussi celles d'aujourd'hui, et inévitablement, elle nous renvoie à notre propre condition, notre propre personne, et l'on se voit nous et nos faiblesses. En tout cas, j'aime le pouvoir de la lutte féministe en littérature (peut être la seule qui me touche vraiment, et celle qui a le plus de sens à mes yeux), et à travers Mrs Dalloway (et c'était d'ailleurs pareil dans Une Chambre à Soi) les femmes sont vraiment remarquablement et subtilement mises à l'honneur, de quoi être vraiment fière d'être la paire de Virginia Woolf et de ses héroïnes.
Mais ce qui est fascinant avant tout, c'est la mise en scène de la folie (dont on lui attribuera les symptômes) et surtout son obsession pour l'eau qui est un élément très présent tout au long du récit (ce qui est assez troublant quand on sait qu'elle se suicidera - comme l'un des personnages qu'elle met en scène d'ailleurs, bien que différemment - en se laissant couler dans un fleuve…)
Un roman écrit avec grâce et à lire de toute son âme (mais pas l'aventurière, donc) et de tout son coeur.

A voir aussi, le film The Hours (qui aurait pu être le titre de Mrs Dalloway ! Virginia Woolf a longtemps hésité entre les deux), servi par les trois magnifiques actrices que sont Julianne Moore, Meryl Streep et Nicole Kidman (cette dernière jouant le rôle de l'auteure et ayant reçu l'oscar pour cette performance vraiment admirable). L'ayant vu avant de lire le livre, et ayant ressenti le même malaise lors de l'arrivée du générique de fin, je dois dire qu'il est vraiment réussi et fidèle à l'essence même du livre.
Commenter  J’apprécie          11611
Il ne se passe rien dans ce livre.
C'est-à-dire, pour être honnête, qu'il ne s'y passe presque rien. C'est qu'en effet, on y prépare et on y participe à une vague soirée mondaine. Ce qui n'est pas rien, peut-être, mais on admettra tout de même que ce n'est pas trop loin de l'être.
Et pourtant, on s'en fou complètement de la vacuité de la trame romanesque de ce chef-d'oeuvre, car ce qui s'y passe de vraiment intéressant, c'est une véritable révolution littéraire!
C'est qu'il y a déjà eu un temps où les femmes n'avaient pas le droit d'écrire! Aussi fou que cela puisse paraître aujourd'hui, elles devaient alors se cacher pour leurs publications derrière le nom d'un homme quelconque ou prendre un pseudonyme. Et même lorsque l'inique interdiction disparût, l'écriture a continuée à être dominée par les tendances à la linéarité et à la logique propre au masculin.
Et voilà que soudainement, brusquement (du moins pour mon humble personne), on trouve ici l'écriture d'une femme qui se déploie telle qu'elle existe et pense réellement dans sa féminité. On tombe sur une pensée qui vous saute au visage, qui vous fait rêver, qui vous ennuie aussi parfois, mais toujours pour rebondir encore mieux et raviver d'avantage votre intérêt au passage suivant. Partout, les fils s'entrecroisent sans se perdre, ou enfin, peut-être qu'ils se perdent parfois, mais qui sait s'ils ne perdent rien pour attendre? Après tout, on ne suit Mrs Dalloway que quelques heures et on ne la suit que dans la mesure où on y parvient vraiment.
Le tout m'a complètement enchanté, amusé et séduit. Je me suis senti comme en conversation avec une jolie femme intelligente, piquante d'imagination, d'ironie et d'espièglerie qui ne me laisse pas le temps d'en placer une.
Oui! Je t'écoute ma chère! Oui! Je t'écoute!
Mes yeux, pétillants aux rythmes des charmants feux d'artifices de ton esprit ne te le prouvent-ils pas amplement?
Commenter  J’apprécie          941
Je vous avouerai que j'ai eu un peu de mal à entrer dans ce magnifique récit qu'est Mrs Dalloway, et autant vous le dire tout de suite, j'ai eu un mal terrible à le quitter.
Pourtant il ne se passe pas grand-chose dans cette histoire, presque rien, du moins sous l'angle de l'action. C'est l'histoire d'une femme qui sort de chez elle pour aller chercher des fleurs et qui pense à la soirée qu'elle donnera le soir-même.
Le roman nous raconte cette journée... En plus, elle est mondaine...! Dit comme cela, avouez que l'histoire paraît banale, anodine, superficielle presque.
Mais c'est ailleurs que les choses sont présentes...
Mrs Dalloway, c'est Clarissa Dalloway, une femme qui entre dans sa cinquante-deuxième année ; c'est jeune n'est-ce pas ? sauf qu'on est en 1923 et que Mrs Dalloway est une femme qui a blanchi prématurément à la suite d'une maladie. Elle est riche et mondaine, son mari est député conservateur à la Chambre des Communes. Nous sommes en juin 1923, c'est une période un peu étrange qui suit la première guerre mondiale, période autant emplie d'une joie de vivre frénétique que marquée encore par les traumatismes de la guerre, ceux qu'on voit et ceux qu'on ne voit pas. Nous la suivons sur le déploiement d'une journée à Londres, au rythme des frémissements de la rue et des cloches de Big Ben. Ah ! Big Ben, parlons-en... Je crois qu'il ne sonne plus actuellement, mais disons que c'est presque un personnage à part entière du roman, rythmant la déambulation de Mrs Dalloway, ses émois pour ne pas dire ses vibrations, tel un métronome.
Car Mrs Dalloway est un sublime roman du temps.
Au début, je me suis laissé happer par Clarissa Dalloway dans le mouvement de la ville, les klaxons des autobus, j'ai eu plaisir à déambuler avec elle, quoique les femmes mondaines... mais bon... Je me suis laissé prendre la main par sa joie, il y avait en elle une sensation de vivre. Dans cette promenade urbaine, j'ai aimé reconnaître des noms qui me disaient quelque chose : Piccadilly Circus, Regent Parc, Saint-Paul, Green Street, Bedfort Place qui m'a amené jusqu'à Russel Square... Soudain c'est le carrosse royal qui quitte Buckingham Palace. Tout près nous sommes déjà à Westminster. Dans le ciel londonien, un aéroplane s'amuse dans un vol étrange à chercher à écrire des messages parmi les nuages...
Clarissa est au coeur de ce roman, le narrateur qui nous raconte cette chronique d'une journée comme une autre, lui cède de temps en temps le pas, lui donnant la parole, sous forme de confidences, pour que nous entrions peu à peu dans sa pensée et ses sensations, par petites touches ; si Mrs Dalloway était une peinture, ce serait une peinture impressionniste.
Je suis entré peu à peu dans le paysage intérieur de Mrs Dalloway et c'est là que le vrai voyage a commencé...
Tandis que Mrs Dalloway est une femme heureuse et déambule sur cette seule et unique journée, des événements se terrent à l'affût en arrière-plan : les regrets, le malheur, la guerre, la souffrance, la folie...
Et voilà que surgissent des fantômes du passé qui seront là ce soir. Un amoureux transi du passé, Peter Walsh qui revient des Indes, se met à pleurer à gros sanglots et cette fameuse Sally Seton qui avait de l'audace quand elle était jeune, elle courait nue dans les couloirs, elle avait donné un baiser sur la bouche de Clarissa qui en était tombée aussitôt amoureuse. Car ce fut peut-être le plus beau baiser qu'elle reçut dans sa vie. À travers les yeux de Clarissa Dalloway, nous voyons la tragédie du mariage, son naufrage... Et comment ne pas être ému par le personnage de Septimus Warren Smith, emporté dans sa folie ou plutôt la folie des hommes puisqu'il n'est jamais vraiment revenu de la guerre ? J'ai toujours la gorge serrée quand je lis la description d'un personnage suicidaire imaginé par un écrivain qui a quitté la vie de la même manière...
Ainsi se mêlent le temps extérieur et le temps intérieur, - ce discours intérieur si chère à Virginia Woolf que l'on désigne par les flux de conscience, au rythme des cloches de Big Ben qui arrime et sépare le passé du présent, le temps intérieur des bruits de la vie extérieure.
Oui Clarissa Dalloway est heureuse, je vous l'assure, en ce jour de juin 1923, mais son âme est comme « une forêt encombrée de feuilles ». le bonheur de Mrs Dalloway est une angoisse voilée d'élégance.
Tout remonte à la surface de ce bonheur en ce jour de juin 1923 : les ombres, les souvenirs, les regrets, la peur de vieillir, celle de mourir aussi.
J'ai aimé ce roman d'une très grande délicatesse. J'ai vu dans la manière qu'a Virginia Woolf de nous raconter une histoire, une sensibilité à savoir capter les nuances changeantes des sentiments et à nous les restituer dans la grandeur de la vie malgré ses apparences ordinaires.
Mrs Dalloway est ce roman à la fois bienfaisant et cruel qui peut nous donner le vertige de vouloir recommencer sa vie.
Lire Mrs Dalloway, C'est regarder le ciel, les nuages, l'herbe et les arbres, entendre le bruit d'une fontaine, le son d'un violon, se laisser distraire par le vol étrange d'un aéroplane...
C'est ouvrir de grandes fenêtres, contempler le ciel jusqu'au vertige et entrer dans un grand jardin, celui de nos vies intérieures.
J'y ai retrouvé la douce mélancolie d'un voyage ancien à Londres et puis une tout autre mélancolie, celle des paysages intérieurs pour lesquels Virginia Woolf sait nous entraîner comme au bord de l'abîme.
Commenter  J’apprécie          6822
La lecture de Mrs Dalloway mérite qu'une fois le livre refermé, on s'accorde un temps de repos, de réflexion, histoire de mettre un peu d'ordre dans ce feu d'artifice d'impressions, de sensations, de mieux percevoir les principaux personnages qui se détachent de ce théâtre d'ombre et de lumière. Personnages d'une grande complexité : Mrs Dalloway, membre de la haute-bourgeoisie londonienne, Peter Walsh, son ancien amoureux revenu des Indes, Septimus, rescapé de la Première guerre mondiale, en train de sombrer dans la folie. En arrière-fond, des personnages qui ne font que passer : Sally Selton, une amie ; l'époux de Mrs Dalloway, Richard ; sa fille Elisabeth et bien d'autres encore.
Mais derrière ce désordre apparent, se cache paradoxalement, un ordre rigoureux avec une unité de lieu : Londres ; une unité de temps, une journée, rythmée par les horloges de la ville, notamment Big Ben. Et l'auteure joue avec tout cela. Elle nous invite tour à tour à suivre les déambulations de ses personnages en nous donnant à voir le spectacle de la vie londonienne, à toutes les heures de la journée, tout en plongeant avec une fluidité d'écriture extraordinaire dans leurs pensées les plus intimes.
Ce qui m'a frappé dans cette longue balade londonienne, c'est la multiplicité des regards, celui de Clarissa et de Peter et bien d'autres encore, ce qui donne à chaque détail perçu une coloration différente. Autre élément remarquable, l'art de saisir l'instant dans sa richesse et sa diversité sur le plan sonore et visuel. le roman fourmille de ces petits tableaux impressionnistes qui permettent de voir, d'entendre, de sentir, le bruissement ou le foisonnement de la vie quotidienne dans ce qu'elle a à la fois de plus banal et en même temps de plus précieux. Saisir l'instant présent dans son étonnante diversité mais aussi suspendre le temps, le distordre, pour mieux s'attarder sur un spectacle éphémère est un autre aspect du talent de l'auteure. Cela donne lieu à de très beaux "arrêts sur images" comme lorsqu'elle évoque des nuages dans le ciel, un mystérieux carrosse près de Westminster ou un avion dans le ciel. de très belles évocations qui déclenchent l'imaginaire de tous ceux qui regardent et le nôtre.
Cet art quasiment cinématographique de la description laisse souvent la place à celui du monologue intérieur chez les trois principaux personnages. Je dois avouer que ce qui m'a le plus intéressée n'est pas la relation amoureuse qui a existé ou existe encore entre Peter et Clarissa. Ce n'est pas, à mes yeux du moins, la partie la plus réussie. Ce qui m'a passionnée c'est d'analyser quel rapport ces trois personnages entretenaient avec l'auteure dont on connaît la mort tragique.
Ce qui frappe chez Clarissa, c'est la fragmentation du moi : d'un côté la grande bourgeoise, très à l'aise dans son rôle social, de l'autre un moi intime beaucoup plus torturé, partagé entre la célébration du moment présent et le doute sur soi-même. Comment ne pas percevoir dans cette dichotomie l'écho des troubles bipolaires dont Virginia Woolf a souffert toute sa vie... Très intéressant également est le regard qu'elle porte sur Peter Walsh, un double très critique dont elle redoute le jugement. Ce qui, à mes yeux, fait ,également de ce dernier personnage un double littéraire de l'auteure. Celui de son personnage social surtout, car c'est lui qui porte un regard sarcastique impitoyable sur la gentry londonienne, société que connaît bien Virginia Woolf. La série de portraits délicieusement "méchants" qu'il brosse lors de la réception de Clarissa, est à ce titre un vrai régal !
Et quid du troisième personnage, Septimus ? J'avoue que c'est celui auquel j'ai le moins accroché, même si ses délires visuels et sonores étaient déjà ceux de Virginia Woolf. Et l'évocation de son suicide m'a paru plus relever d'une interrogation métaphysique que d'une angoisse existentielle. le souvenir que je garderai de Mrs Dalloway est donc celui d'un personnage plus tourmenté que tragique.
Je terminerai cette chronique en soulignant combien l'écriture de ce roman m'a séduite et permis de dépasser la complexité de sa construction.
Commenter  J’apprécie          642
A lire les différents avis ici ou ailleurs, il semble convenu qu'il n'y a pas d'histoire dans ce livre. Tout au plus celle d'une journée de Mrs Dalloway qui organise une réception dans sa demeure londonienne, au milieu de proches familiaux ou amicaux qui ont jalonné sa vie de leur présence. Et pourtant la lecture ne rime pas avec ennui (du moins la mienne). Car histoire il y a, quand même. Une histoire de vie au gré du flux de petites scènes du quotidien, des histoires de ressentis, d'analyses introspectives, de descriptions, de psychologies, de retours sur le passé, de contexte historique (on est au sortir de la guerre), .... Au final c'est un peu comme s'il y avait pléthore d'histoires en une, à l'image d'une journée classique dans n'importe quelle société humaine, où l'on passerait d'un personnage à l'autre, lirait dans ses pensées, où l'on serait témoin d'un événement anodin dans la rue, où l'on réfléchirait à la direction de sa vie, celle de ses proches. Non pas comme un puzzle aux pièces éparses que l'on reconstituerait, plutôt comme une caméra que l'on suivrait en continu. le fil conducteur en étant Mrs Dalloway et sa réception bien sûr.
A lire les avis ici ou ailleurs, il s'agit d'un chef d'oeuvre. Impossible pour moi de l'affirmer, sans connaître suffisamment le contexte littéraire, l'oeuvre de l'auteure (ça n'est que le troisième que je lis d'elle), ni sa biographie. Un livre étincelant par l'écriture et la maîtrise narrative, d'une densité et d'une richesse singulières, ça oui je peux le dire, malgré des tournures qui m'ont paru un peu vieillottes. Plus que plaisant, oui.
Bon sur ce, je m'en vais lire la préface de Bernard Brugière (édition Folio Classique 2017). J'aurais peut-être du commencer par là, pour y voir plus clair.
Commenter  J’apprécie          615
Une lecture exigeante... n'ayons pas peur des mots, parlons vrai, une lecture indigeste. D'autant plus frustrante que c'est la deuxième fois que je tente l'expérience Woolf. Il y a vingt ans déjà, j'avais ouvert "Mrs Dalloway" pour l'abandonner de mémoire après une cinquantaine de pages péniblement pourfendues. Ce terme belliqueux en surprendra peut-être plus d'un mais lire "Mrs Dalloway" s'apparente pour moi à une lutte de chaque page, presque de chaque phrase. Si on a le malheur de ne pas entrer dans le récit avec l'abandon du somnambule qui n'a d'autre choix que de se laisser guider par ses pas, si on conserve la conscience du monde qui nous entoure et des activités dont il bourdonne, c'est voué à l'échec.

Pour apprécier "Mrs Dalloway", il faut accepter en effet de suivre le fil ténu d'une narration basée sur les pensées et les souvenirs d'un assez grand nombre de personnages qui donnent l'impression de déambuler à la fois dans leur vie, dans leur tête et dans un Londres pictural. Virginia Woolf fait se croiser les époques, passé et présent, et les moi de ses personnages ; elle dédouble ces derniers en les forçant à nous découvrir leur moi profond, au-delà de leur condition sociale. Le thème est superbe, rien à redire à cela ; on retrouve dans "Mrs Dalloway" la marque des grands romans. Mais à la lecture, quelle torture ! Je ne m'étonne pas qu'un grand nombre de lecteurs jette l'éponge en cours de route et si je me suis accrochée cette fois-ci, c'est bien pour remporter une bataille... au goût entêtant de défaite.

Je suis vraiment restée imperméable au style abscons de Virginia Woolf, lourd de parenthèses importunes et de brusques soubresauts en milieu de phrases. A défaut d'être dans la tête de l'auteur, j'ai eu le désagrément de retrouver le style d'une autre femme de lettres contemporaine, Elizabeth Bowen, dont les dialogues de sourds entre personnages m'avaient plus qu'exaspérée. Et j'ai eu beau essayer de me détendre, de lâcher prise - j'ai même privilégié les moments de lecture après mes séances de yoga -, rien n'y a fait, les choix de Clarissa Dalloway, tant passés que présents, m'ont terriblement ennuyée. Pousser l'introspection à ce niveau de profondeur peut être légitimement considéré comme un talent, il n'en demeure pas moins que pour ma part je ne me sens pas prête à replonger de sitôt dans l'univers torturant de Virginia Woolf.


Challenge Petit Bac 2017 - 2018
Challenge ABC 2017 - 2018
Challenge PLUMES FÉMININES 2017
Challenge 1914/1968 - 2017
Lecture commune Babelio sept 2017
Commenter  J’apprécie          5814
Le sommet du roman anglais, à la fois typique dans ses personnages et leurs préoccupations- réceptions, jeunes gens, mariage, lords, bourgeois, mésalliance, classes sociales, Inde, conversations politiques, sonnets de Shakespeare, tasses de thé- et les renvoyant tous dos à dos pour leur vanité. Par un thème abordé aussi souvent, la folie, celle du deuxième personnage principal, Septimus. Le personnage fou, comme dans Jane Eyre, non pas enfermé dans un château gothique, mais à l'air libre, se promenant dans Bond Street comme Clarissa Dolloway.
Deux personnages centraux, donc. Clarissa Dalloway, que nous suivons toute la journée, de onze heures du matin à tard dans la nuit, à la fin de la soirée qu'elle organise, et Septimus Smith, que la guerre a rendu fou. Profondément dépressif, il veut se tuer. Ses hallucinations le suivent partout dans ses errances dans Londres, les oiseaux lui parlent en grec (un délire que Virginia eut elle-même), tous les objets et les visages peuvent soudain se transformer en êtres terrifiants. Autour de nos deux protagonistes, qui se frôlent sans se toucher ni se connaître, déambulent leurs proches et connaissances, détenteurs de secrets et d'histoires sur leur jeunesse (Clarissa), leur vie d'avant (Septimus, qui est encore très jeune). Les personnages secondaires nous éclairent sur cette journée particulière, lui donnant la profondeur chaotique d'une vie entière. Tout semble se rejoindre en ces quelques heures de leurs vies (le roman faillit s'appeler The Hours, les heures). Virginia Woolf procède de façon non académique, lâchant le réalisme psychologique qui n'a rien de réel, pour suivre les méandres, les doutes, les sauts de conscience, les sensations envahissantes, les souvenirs et leurs difformités, pour peindre le portrait cubiste de cette petite foule. Rien n'est certain, tout est flou, tout s'échappe, tout se ment à soi-même et se cache des choses. Clarissa a-t-elle aimé Peter Walsh plus que son mari Richard Dalloway ? Est-elle froide, indifférente, charmante, mondaine, vaine, généreuse, charismatique ? Est-elle belle ? Est-elle capable d'un sentiment profond ? Est-elle le double de Septimus, mais ayant résisté aux forces morbides cachées en elle ? Est-ce le secret de son maintien, de son allure distinguée, droite ? Ne jamais lâcher prise ? Qu'en est-il de sa fille, Elizabeth ?
Le texte n'est que questions, doutes, éclairs de lumière suivis de lourdes ténèbres...La beauté de la vie traverse comme un rayon de soleil les esprits chaotiques et sombres des personnages. Aucune critique ne peut venir à bout de ce texte fabuleux. Un très haut moment de littérature.
Commenter  J’apprécie          573




Lecteurs (8296) Voir plus



Quiz Voir plus

Virginia Woolf

Virginia Woolf a grandi dans une famille que nous qualifierions de :

classique
monoparentale
recomposée

10 questions
196 lecteurs ont répondu
Thème : Virginia WoolfCréer un quiz sur ce livre

{* *}