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sur 1761 notes

Critiques filtrées sur 3 étoiles  
Marie Darieussecq vient de proposer une nouvelle traduction de l'essai centenaire de Virginia Woolf. Pierre angulaire du féminisme, cet ouvrage doit-il être lu comme on visite les châteaux de la Loire, avec admiration mais en songeant qu'on n'y habiterait pour rien au monde, ou comme un vade-mecum à garder par-devers soi pour s'y référer encore et toujours?
La thèse est connue: on ne peut penser, ce qui s'appelle penser, et créer, sans être financièrement indépendant et suffisamment dégagé de l'emprise du monde. Or, quand Virginia Woolf écrit son texte, seul un homme peut espérer atteindre cet idéal. Flânant à « Oxbridge », elle se fait régulièrement rappeler à l'ordre: elle n'a même pas le droit d'entrer dans une bibliothèque sans un référent mâle -cela va de soi- pour l'y introduire. La première vertu de l'ouvrage est donc de nous rappeler d'où l'on vient et d'admirer le chemin parcouru en un siècle. Mais le plus surprenant est justement la capacité de la romancière à enjamber les années et à anticiper tranquillement les débats actuels. Et la voilà qui disserte avec brio sur le « male gaze », et qui étudie les ouvrages de son temps avec des critères qui annoncent furieusement le test de Bechdel, et qui analyse le concept de la charge mentale… N'en jetez plus! Elle semble avoir tout inventé des concepts féministes actuels.
Je suis plus circonspecte, en revanche, concernant ses analyses littéraires. Elle anticipe la révolution artistique qui découlera des oeuvres féminines montrant une façon de voir le monde encore jamais abordée. Euh.. oui, bon, peut-être. Les valeurs féminines, les valeurs masculines, la haute valeur de la création androgyne… Ça me gave. Je veux bien croire que c'est un peu plus compliqué que je ne l'affirme, mais j'ai la même incompréhension en entendant que les femmes et les hommes auraient des styles définis que si l'on m'affirmait possible de déduire la couleur des cheveux d'un écrivain à la lecture de ses textes, et pourquoi pas son pied d'appel pour le Fosbury pendant qu'on y est.
Mais même quand Virginia Woolf partait dans une analyse propre à me faire fuir, j'ai quand même souvent écarquillé d'aise mes orteils car la dame a un humour dévastateur, délicieusement frondeur. La voilà qui nous interpelle sur sa difficulté à lire un grand auteur parce que semble-t-il l'ombre d'un gigantesque J pour JE et MOI d'abord brouille l'arrière-plan de toutes ses oeuvres. Woolf s'amuse et nous amuse, avance à sauts et à gambades, telle une Montaigne anglo-saxonne.
Bref, j'ai admiré l'auteur mais je ne garderai pas l'ouvrage en poche, même s'il a les dimensions idéales pour ce faire. Je regrette que Darieussecq qui s'est beaucoup interrogée sur le choix du titre n'ait pas traduit le mot « room » par « bureau » parce que les femmes ont souvent eu un « lieu » à elles, la cuisine, qu'elles ont transformée en pièce qui leur était dévolue et que certaines ont même annexé toute la maison. La pièce à soi dont parle Virginia Woolf, c'est une pièce où penser sans être dérangé et longtemps ce fut le bureau, apanage masculin, la pièce où la femme de ménage était frappée d'ostracisme et dont les enfants devaient s'éloigner pour ne pas déranger par leurs cris. le bureau qui échappe à la vie domestique. Ou, encore mieux : la bibliothèque. La pièce, pas le meuble. Dont on ferme la porte avant de lire, rêver, écrire, et boire du thé.
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Il s'agit d'un essai sur la place des femmes dans la littérature et sur la condition des femmes auteures. C'est une féroce diatribe pleine de charme, et non dénuée d'humour. Ses réflexions sur les conditions nécessaires à l'apparition de plumes féminines sont riches et argumentées par des exemples tirés de la vie des premières romancières anglaises. J'ai beaucoup aimé ses réflexions sur l'évolution des genres littéraires, sur l'apparition des écrits autobiographiques, ainsi que sa vision de l'écriture féminine à venir. J'ai éprouvé quelques difficultés dues à ma méconnaissance de la littérature anglaise, mais la plume de Virginia Woolf rend cette lecture très fluide et agréable. Ce qui me gêne un peu plus c'est que je ne suis pas sûre que ce qu'elle affirme sur le rôle du roman dans l'accès des femmes à l'écriture (parce que, selon elle, ce serait un genre moins figé que le théâtre ou la poésie) soit très universel : que fait-elle des nombreuses poétesses françaises du XVème et du XVIème siècle ? Des très nombreuses poétesses russes du XIXème siècle et du début du XXème siècle, alors que dans le même temps il n'y eut qu'une seule romancière russe (publiant sous pseudo masculin) ? J'imagine qu'il y a bien d'autres pays où ce serait encore différent. A cette réserve près, qui ne remet en cause ni son analyse du patriarcat, ni ses conclusions (d'autant qu'il s'agit d'un bref essai, pas d'une thèse universitaire) c'est un ouvrage fort intéressant, dans lequel j'ai découvert une autrice engagée et d'humeur joyeuse malgré le sérieux de son sujet.
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Après le roman à l'eau de rose, Virginia Woolf invente l'essai à l'eau de rose.
Et elle n'oublie pas d'intégrer dans sa composition les épines de la rose : l'essai de critique littéraire s'avère être assez piquant.

Virginia W. s'est vu confier la mission de traiter le sujet suivant : Les Femmes et le Roman. Je corrige : un personnage de roman intégré à un essai littéraire se voit confier cette mission ... mais Virginia Woolf ne se cache pas très loin derrière son personnage alors faisons comme si son personnage s'appelait non pas Mary mais Virginia.

Virginia se plonge dans les rayons de la bibliothèque du British Museum pour y puiser son inspiration et surtout pour établir sa bibliographie , et elle trouve quelques perles :

"La condition de la femme au Moyen Âge,
Coutumes féminines aux îles Fidji,
Femmes adorées comme déesses,
Faiblesse du sens moral chez les femmes,
L'idéalisme des femmes,
La conscience des femmes est supérieure à celle des hommes,
Les femmes des îles des mers du Sud,
Le charme des femmes,
Offert en sacrifice aux femmes,
Petit volume du cerveau féminin,
Le subconscient des femmes plus grand que ...
Moindre développement du système pileux féminin,
L'infériorité psychique, morale et physique de la femme,
L'amour des enfants chez la femme,
Longévité plus grande de la femme,
Faiblesse musculaire de la femme,
La force des affections chez la femme,
La vanité de la femme,
Les études supérieures chez les femmes,
L'opinion de Shakespeare sur les femmes,
L'opinion de lord Birkenhead sur les femmes,
L'opinion du doyen Inge sur les femmes,
L'opinion de la Bruyère sur les femmes,
L'opinion du Dr Johnson sur les femmes,
L'opinion de M.Oscar Browning sur les femmes...

Elle constate qu'une majorité écrasante de livres sur les femmes sont écrits par des hommes et elle constate que certains hommes aiment un peu trop les femmes, et que d'autres n'aiment pas du tout les femmes. Elle se moque de certains de ces hommes illustres les plus agressifs envers les femmes en faisant leur portrait : l'un est tellement affreux qu'il ne peut séduire les femmes, ce qui expliquerait sa rancoeur, un autre préfère les hommes aux femmes etc. Elle ne se prive pas de l'attaque ad hominem dans ces deux cas, après tout, la rose blessée qu'elle est se défend avec ses épines , mais la plupart du temps, elle garde la tête froide pour traiter le sujet avec sérieux.

Elle étudie donc conscienceusement son sujet mais Virginia Woolf, sans surprise pour celles et ceux qui la connaissent, laisse dériver son esprit sur un fleuve, elle déambule, se promène entre les rayons comme à l'extérieur du British Museum, elle marche et elle navigue jusqu'à des barrages, jusqu'à des portes fermées comme la porte de l'Université dont le libre accès est strictemement réservé aux hommes, alors elle rentre, en elle-même pour tenter de comprendre pourquoi les hommes et les femmes n'ont pas un traitement égal pour ce qui est d'accéder aux livres, à l'éducation, à la culture. Et elle mène sa barque jusqu'à démontrer que les femmes sont plus pauvres que les hommes parce qu'elles n'ont pas une chambre à elles, parce qu'elles ne pouvaient écrire au temps de Jane Austen que dans le salon commun, qu'elles n'avaient pas toujours le temps d'écrire, cantonnées qu'elles étaient aux tâches domestiques. Elle regrette qu'elles n'aient pas eu leur indépendance. Et ceci explique pourquoi selon elle les femmes de son temps à elle n'ont pas accédé au même statut social que les hommes. le sujet est donc aussi sociologique que littéraire.

En même temps, elle ne se prive pas de faire remarquer la pauvreté intellectuelle des femmes, de certaines poétesses par exemple, ou de celles qui écrivent des romans, mais à leur décharge, elle rappelle que c'est parce qu'elles n'ont pas accédé à la même éducation que les hommes. Et elle est moins sévère envers elles qu'envers les critiques masculins de la femme de sexe masculin.

Elle essaie de comprendre les relations entre l'homme et la femme et donne pour illustrer son propos l'exemple d'un jeune homme et d'une jeune femme qu'elle observe depuis sa fenêtre. Ils viennent chacun de deux endroits différents -car l'homme et la femme sont différents - et cheminent chacun de leur côté jusqu'à ce qu'ils se rejoignent et prennent ensemble un taxi, c'est ainsi qu'ils disparaissent de sa vue. Elle se dit qu'il est primordial que l'homme et la femme se complètent. La femme doit accepter l'homme y compris l'homme qui est en elle, et l'homme doit accepter la femme et sa propre part de féminité. Elle écrit qu'une femme doit écrire comme une femme, et plus loin, elle écrit qu'une femme ne doit plus tenir compte de son sexe ( elle se contredit par moments, comme moi sans doute, les questions de genre génèrent des questionnements alors on tatônne, forcément).

Elle réfléchit tout au long de cet essai romancé, elle chemine, progresse, recule par moments, parce qu'elle erre, c'est comme ça qu'elle avance. Par moments, elle arrive face à un obstacle (l'appariteur de l'Université qui lui interdit l'accès), elle évite quelques écueils, elle se promène sur l'herbe mais elle se retrouve à l'eau, sur une barque, et elle rame ou se laisse dériver au gré du courant ... Aussi n'est-elle pas à l'abri de retourner sa barque, mais elle remonte sur sa barque avec courage pour affronter le courant et à la fin, je crois qu'elle parvient à son but.
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J'ai poursuivi les lectures cursives fin avril avec "Une chambre à soi".
Je vous avoue que j'ai eu beaucoup de mal à rentrer dans le récit, à le comprendre et donc à m'y intéresser. Je m'attendais à ce que ce soit bien plus facile, mais en fait j'ai eu du mal ^^'. Je suppose que pour l'ado de seize ans que je suis, lire Gisèle Halimi était bien plus abordable que Virginia Woolf... Heureusement, l'ouvrage était court et s'est avéré rapide à lire. Je me doute que cet essai doit être en réalité riche et intéressant, mais peut-être devrais-je le relire plus tard, avec quelques années en plus...
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À travers cet essai, la narratrice décrit (le peu) de place qu'occupent les femmes en tant que auteures dans l'Histoire et notamment dans la littérature britannique.
Elle passe en revue les contraintes auxquelles sont confrontées les femmes dans la vie ordinaire, contraintes incompatibles la plupart du temps avec une activité d'écriture : éducation des enfants, le respect des moeurs qui interdit aux femmes de voyager seule, d'avoir accès aux bibliothèques universitaires, etc.
Elle évoque à la fois avec contrariété et admiration, les ruses de Jane Austen qui cachait ses manuscrits en s'interrompant à tout instant car son rôle dans la société ne lui permettait pas de s'isoler pour s'adonner à l'écriture. Et puisque les hommes considéraient qu'une femme n'a pas les capacités intellectuelles pour se livrer à un art quelconque, elle se protégeait ainsi des remarques sarcastiques de ceux qui auraient eu la curiosité de lire quelques unes de ses lignes.
Virginia Woolf prône ici les bases de l'indépendance des femmes : la liberté d'user de son argent et un endroit pour s'isoler. Ainsi, elles pourront donner libre court à leur talent dans des conditions propices. Il restera encore à convaincre les hommes de celui-ci.
Cet essai, resté dans les annales du militantisme féministe, d'un ton à la fois gracieux et féroce, est un modèle d'argumentaire dont la lecture, quoique laborieuse à mon goût, montre que presque un siècle après, beaucoup reste à faire.
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J'étais très curieuse de lire ce livre de Virginia Woolf, traiter moi d'inculte mais je ne connaissais pas vraiment Virginia Woolf jusqu'à ce que j'entende parler d'elle sur les réseaux sociaux, depuis je me suis dit, faut que je sache et que j'aille lire par moi-même. J'étais donc très contente d'avoir trouvé ce livre dans une boite à livre !
Je ne sais pas à quoi je m'attendais, mais pas du tout à un essai, je ne suis pas particulièrement fan de ce genre, mais bon je me suis dit tant pis, vas un peu en dehors de ce que tu as l'habitude de lire et sois ouverte à autre chose.
Malheureusement dès les premières pages, je me suis vraiment demandé ce que je faisais avec ce livre et ce que j'étais en train de lire. Soit, il est vrai que c'est intéressant de savoir que les femmes n'avaient, il y a peu, pas grand-chose à dire et que les hommes ont toujours dirigé ce monde, et heureusement les choses changent et c'est peut-être grâce à des femmes comme Virginia Woolf et autres… mais voilà que je me retrouve à lire un livre sur les femmes et le roman… euhhhh oui bon mais il n'y a pas de quoi écrire tout un livre, qui m'a paru interminable d'ailleurs… donc bon je sais que les fans ne seront pas d'accord, et qu'ils voudront me crucifier sur la place publique, mais moi je n'ai franchement pas aimé. Il y a pourtant des passages qui m'ont intéressé, mais d'autres m'ont complétement perdue et j'ai failli a plusieurs reprises l'abandonner, mais je ne suis pas quelqu'un qui abandonne donc j'ai persisté jusque la fin, mais voilà ce ne fut pas ma tasse de thé et j'irai le retourner à la boite à livre en espérant qu'il plaira à quelqu'un d'autre !
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Une chambre à soi est dans mon pense-bête depuis un long moment. J'ai fini par l'acheter et le lire, car au détour d'une allée chez un libraire, je suis tombée sur une magnifique édition de 10|18 Collector, à coup de doré sur bleu marine. Mon coeur de graphiste a fait fondre mon coeur de lectrice. Si seulement tous les livres pouvaient être si magnifiquement couverturés !

La lecture a été plus laborieuse, vu que ce livre n'est pas une fiction mais un essai pamphlétaire (j'irai voir ce que ça veut dire plus tard). Aussi, j'ai mis quelques heures à lire ces malheureuses 160 pages.

L'auteur nous dresse le parcours de la Femme avec un grand F dans la littérature. Pourquoi les femmes n'écrivent pas avant une certaine période ? Pourquoi se manifestent-elles comme auteurs à un instant donné ? Elle nous livre son analyse ainsi que ses espoirs pour le futur (le sien évidemment concrétisé actuellement, du moins, en partie).

Très belle découverte même si j'attends de lire une de ses fictions avant de me décider quant à si j'aime son oeuvre ou pas.
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Essai de 1929, Une chambre à soi relate les rapports tourmentés des femmes avec le roman, sujet que l'auteure a abordé dans de nombreuses conférences données à l'université de Cambridge, l'année précédant la publication de ce pamphlet.
Elle y évoque les difficultés que rencontrent les femmes pour écrire des romans, celles-ci se trouvant vite limitées matériellement. Selon Virginia Woolf, posséder une chambre à soi est indispensable à la femme qui souhaite écrire, afin de ne pas être dérangée par la famille, les amis, et les divers soucis domestiques ( charge des enfants, tâches ménagères), une rente de 500 livres par an lui serait également nécessaire pour se libérer de ce quotidien qui l' accapare.
Du temps, de l'espace, de l'argent, voilà ce qu'il manque aux femmes de l'époque de Woolf. Cette dernière fait aussi allusion à la pauvreté d'ouverture d'esprit des femmes par manque de voyages, de flâneries, d'excursions culturelles. Elles étaient bien trop souvent confinées, isolées, par obligation morale, dans leurs intérieurs, lieux où elles se devaient d'être afin de s'occuper de leurs enfants et de leur mari.
Et quand bien même avaient-elles accès à l'écriture, elles se heurtaient sur-le-champ aux foudres et aux moqueries des hommes.
L'écriture de Woolf est enlevée, tantôt douce, ironique, emportée, mais elle conserve toute sa poésie, ce qui ferait presque de cet essai, un roman.

Lien : http://lesmotsdelafin.wordpr..
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Cet essai, si complet, semble avoir été écrit hier! Virginia Woolf semble si moderne pour son temps (ce qui veut dire aussi que beaucoup de choses n'ont pas changé, malheureusement...).
Virginia exprime sur un ton ironique et spontané le peu de reconnaissance des femmes dans L Histoire, à quel point elles ont été si peu mentionnées, autant parce qu'elles étaient considérées comme inférieures aux hommes, autant parce qu'on ne leur laissait ni la liberté ni l'espace (une chambre à soi) pour écrire et s'exprimer.

J'ai trouvé aussi intéressant le fait qu'auparavant, un livre parlant de guerre était considéré comme plus important qu'un parlant d'amour. Cela me semble très actuel. Beaucoup jugent certains types de lectures, ce qui est bien sûr très dommage car chacun est libre de lire ce qu'il veut. Il n'y a pas de genres littéraires mieux que d'autres. C'est justement cette diversité qui fait la beauté de la lecture.
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Dans cet essai qui transpose des conférences données à un auditoire féminin, VW parle des femmes et du roman, et plus précisément de la sous-représentation des femmes comme auteures. On connaît la position dont elle joue avec trois alias (« Appelez-moi Mary Beton, Mary Seton, Mary Carmichael ou de tout autre nom qui vous plaira » [p 9]) : il faut à une femme pour écrire une chambre et de l'argent. Cette exigence est précisément datée : son alias Marie Beton, morte d'une chute de cheval le jour de l'accès des femmes au droit de vote, lui a légué une rente de 500 livres, rente qui est plus précieuse à l'auteure que son droit civique.

Sur quoi vient à l'esprit que plusieurs nécessiteux ont été de grands écrivains. Mais notre auteure ajoute un argument imparable : à la différence des hommes, les femmes ont été débordées par les tâches domestiques, et, désirant écrire, n'ont pas été préparées, puis, écrivant, ont été découragées, enfermées ou moquées. Fait avéré du temps de Shakespeare, dont VW imagine la soeur, fait moins certain au dix-neuvième siècle où elle cite sa trinité (Jane Austen, George Eliot, Emily Brontë), et fait douteux pour ses contemporaines. VW insiste sur son premier argument : neuf au moins des douze écrivains de son panthéon contemporain ont été universitaires et riches — l'écriture serait une spécialité académique en Angleterre où les enseignants seraient bien payés, mais elle n'a pas cette image en France. C'est oublier un troisième obstacle, la prise de risque, qui a été surmonté par des hommes et des femmes du dix-huitième au vingtième siècle. Citons en France Olympe de Gouges, George Sand à ses débuts, ou Alexandra David Neal qui mendiait au Tibet quand VW donnait ses conférences à Oxbridge.

Bref, VW, issue d'un milieu riche et brillant, n'est guère convaincante comme féministe et — disons — faible sur le plan politique. C'est pourquoi sans doute la quatrième de couverture décrit « Une chambre à soi » par un oxymore : « Un délicieux pamphlet ». La leçon à retenir par une auteure contemporaine — à supposer qu'elle en ait besoin — est celle de Mary Carmichael, l'alias numéro trois : tenir comme stérile le débat sur le passé et ne pas écrire en complément ni par opposition aux hommes, même si sa mise en garde confine au masochisme : « Le poids, la démarche, l'allure d'un esprit masculin, sont par trop différents du poids, de la démarche, de l'allure de l'esprit d'une femme pour qu'elle puisse y prendre quelque chose de substantiel. le singe, ici, est par trop éloigné de son modèle pour persévérer dans ses efforts » (p 113).

Il faut lire « Une chambre à soi » pour d'autres plaisirs. Pour la culture, l'intelligence et la finesse de l'auteure ; pour son humour et son sens de l'observation ; pour les surprises de son raisonnement et ses coqs à l'âne : « Considérons, tout d'abord, les faits. Il faut neuf mois avant que naisse un bébé. Puis il y a la naissance du bébé, puis trois ou quatre mois passés à nourrir le bébé. Après le sevrage on peut compter sur cinq années passées à jouer avec le bébé. Car il semble qu'on ne puisse pas laisser les enfants se débrouiller seul dans les rues » (p 34). « Il y avait ces affables personnages à qui les rues servent de club, qui saluent des hommes dans des charrettes et donnent des renseignements sans y être priés. Il y avait aussi des enterrements, devant lesquels les hommes, se souvenant soudain du provisoire de leur propre corps, se découvraient. Puis un monsieur, des plus distingués, descendit lentement les marches d'une maison et s'arrêta pour éviter d'entrer en collision avec une dame tumultueuse qui, d'une façon ou d'une autre, avait acquis un splendide manteau de fourrure et un bouquet de violettes de Parme ». Et enfin, pour la colère qu'elle laisse tout de même pointer : « Je pensais à ce vieux monsieur, mort maintenant, mais qui était, je crois, évêque : il déclarait qu'il était impossible qu'une femme ait eu dans le passé, ait dans le présent ou dans l'avenir le génie de Shakespeare. Il adressait aux journaux des articles sur ce sujet. C'est lui aussi qui déclara à une dame, qui s'était renseignée auprès de lui, qu'en vérité les chats n'allaient pas au ciel bien que, ajouta-t-il, ils aient une certaine forme d'âme. Quelle somme de réflexions ces vieux messieurs ont dépensée pour notre salut ? Comme les bornes de l'ignorance ont reculé à leur approche ! Les chats ne vont pas au ciel. Les femmes ne peuvent écrire les pièces de Shakespeare » (p 70).
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