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sur 1763 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Virginia Woolf analyse avec ironie les causes du silence littéraire des femmes pendant de nombreuses décennies. Pour elle si les hommes jugent les femmes inférieures et les cantonnent dans des tâches subalternes c'est pour éviter de mettre en danger leur confiance en eux. Et comme les femmes qui n'ont pas accès aux études et ne sont pas autorisées à travailler sont dépendantes financièrement et intellectuellement, elles sont dans l'impossibilité de penser aux choses en elles-mêmes, donc d'écrire.

Heureusement au XIXe siècle des femmes ont bravé les interdits. Emily et Charlotte Brontë, George Eliot et surtout Jane Austen ont écrit, même si elles l'ont fait en cachette, sans chambre à elles pour s'isoler. Elles sont celles qui ont permis aux femmes d'accéder à la création littéraire. Des femmes qui par la suite ont acquis pour la plupart une indépendance financière grâce à leurs écrits.

Avec ce discours féministe Virginia Woolf montre les contraintes au développement de la littérature féminine dans une société patriarcale, mais aussi que " la littérature élisabéthaine aurait été très différente de ce qu'elle est si le féminisme avait pris naissance au XVIe siècle et non au XIXe."
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Un lieu à soi est la nouvelle traduction d'Une Chambre à soi par Marie Darrieussecq, qui a aussi rédigé une nouvelle préface. La notice et les notes sont de Christine Reynier, qui selon l'éditeur est : « l'une des meilleures spécialistes françaises de Woolf. » Son annotation permet d'élucider les nombreuses références de Woolf et retrace bien les différentes interprétations dont ce texte (fondé sur un ensemble de conférences sur les femmes et la littérature) a fait l'objet. 

Dans cette remarquable analyse féministe Virginia Woolf établit avec ironie les causes du silence littéraire des femmes pendant de nombreuses décennies. Pour elle si les hommes sous-estiment et cantonnent les femmes dans des tâches subalternes c'est pour éviter de remettre en cause leur confiance en eux. Et comme les femmes qui n'ont pas accès aux études et ne sont pas autorisées à travailler sont dépendantes financièrement et intellectuellement, elles sont dans l'impossibilité de penser aux choses en elles-mêmes, donc d'écrire.

Heureusement au XIXe siècle des femmes ont bravé les interdits. Emily et Charlotte Brontë, George Eliot et surtout Jane Austen ont écrit, même si elles l'ont fait en cachette, sans chambre à elles pour s'isoler. Elles sont celles qui ont permis aux femmes d'accéder à la création littéraire. Des femmes qui par la suite ont acquis pour la plupart une indépendance financière grâce à leurs écrits. Et si Virginia Woolf montre parfaitement les contraintes au développement de l'oeuvre de ces auteurs dans une société patriarcale, elle précise aussi que " la littérature élisabéthaine aurait été très différente de ce qu'elle est si le féminisme avait pris naissance au XVIe siècle et non au XIXe."
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Quelle bonne surprise que cet essai! Pour tout dire, je l'ai choisi pour l'auteur et le titre, après un bref coup d'oeil à la quatrième de couverture pour en garder le plaisir de découverte, et j'ai goûté chaque page qui se tournait avec délice.
On y suit la narratrice - Virginia Woolf? Mary Beton, Seton? - qu'importe dit-elle, une femme anglaise qui écrit dans les années 30, s'interroger sur ce qui peut unir la littérature et les femmes. Quand je dis "on y suit", je parle bien sûr littéralement: dans le parc de l'université, avant qu'elle ne soit refoulée à l'entrée de la bibliothèque universitaire en tant que femme non accompagnée, puis au dîner - car "on ne peut ni bien penser, ni bien aimer, ni bien dormir, si on n'a pas bien dîné" - et avec elle on observe ces passants par la fenêtre, prend un livre écrit par une femme sur les étagères, puis un autre, chaque nouvelle observation dirigeant le fil de la réflexion.. C'est ainsi que se déroule le récit, puisque la narratrice tient à nous expliquer le cheminement de sa pensée jusqu'à cette "chambre à soi".
Pourquoi y a-t 'il eu si peu, voire pas du tout, de femmes écrivains jusqu'au 18ème siècle? Virginia Woolf nomme bien sûr le peu de liberté accordée aux femmes jusqu'à il y a peu, leur dépendance financière, leur manque d'instruction, la nécessité de garder leur vertu, leur réclusion dans la maison, et les considérations masculines - disons plutôt leur manque de considération pour celles qui tentent d'être autre chose que des mères - tous ces aspects en défaveur des femmes créatrices, des femmes intellectuelles.
En vraie anglaise, Virginia Woolf aborde toutes ces discriminations qui ont enfermé ou rejeté les femmes avec humour et ironie, et la lecture de cet essai est un délice tout comme une source de réflexion sur la femme mais aussi la littérature de manière plus générale. On y découvre son admiration pour la liberté que s'autorisaient Shakespeare et Jane Austen, chassant négligemment contraintes et critiques pour écrire des oeuvres géniales. Et puis, en filigrane, se révèle ce qui incita V. Woolf à écrire Mrs Dalloway tel qu'elle l'a fait, ou à choisir un Orlando homme et femme.
Alors finalement, pourquoi ce titre, "une Chambre à soi"? Je vous laisse le plaisir de le découvrir!
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C'est LE policier de l'été.

Une détective, une certaine Virginia Woolf, se lance dans l'une des plus difficiles enquêtes au monde : trouver la femme dans le vaste monde de la littérature occidentale … Et ce n'est pas une sinécure, car Mrs Woolf ne dispose que de peu d'indices.

Qu'à cela ne tienne, Mrs Woolf s'attaque à cette épineuse question de façon tout à fait méthodique : elle se rendra d'abord dans les collèges les plus huppés de sa royale Majesté, ces collèges qui accueillent la noblesse d'esprit et de coeur de l'empire dotée des attributs de la virilité, comme le King's College pour ne citer qu'un exemple. Après moult affronts et n'ayant trouvé aucune trace de la femme, la détective se rabat alors sur des écoles de seconde zone, moins opulentes, moins prestigieuses et surtout réservées aux femmes : Somerville College, où là elle note quelques traces de la place très limitée des femmes.

Alors elle se lance à l'assaut de la British Library – rien de moins – pour chercher dans un premier temps les oeuvres d'une auteure. Là encore, elle en sort bredouille et, en conséquence, elle restreindra son enquête à l'éventualité de l'existence d'une héroïne de fiction. Une vraie héroïne, libre et inspirante, qui défend ses opinions et convainc les plus réfractaires. Une héroïne debout et sûre d'elle …

Je ne vous révèle pas l'issue de cette enquête (mais je sais que votre esprit perspicace peut aisément la deviner), qui m'a tenue en haleine plusieurs soirées, entre les bains des petits, le linge à étendre et la soupe à surveiller.
Un livre très éclairant et très intelligent, que je ferai lire à mes petits, tiens, ça ne leur fera aucun tort, c'est tout le contraire.

(lu chez Folio dans la traduction de Marie Darrieussecq).
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La création littéraire a-t-elle été toujours accessible aux femmes ? Pour Virginia Woolf, invitée à donner une conférence sur ce thème en 1928 devant le public féminin du Newnham College, la réponse est non.

Le patriarcat, ses préjugés sur "l'infériorité physique morale, intellectuelle des femmes", leur absence d'indépendance matérielle et financière pendant des millénaires, leur confinement à un statut et à des travaux domestiques, l'impossibilité pour elles de poursuivre des études universitaires jusqu'au début du XXe siècle, ont rendu impossible, selon Virginia Woolf, l'épanouissement d'une créativité littéraire féminine, malgré quelques devancières isolées au XVIIe siècle, méprisées sous le sarcasme de "bas-bleus", avant l'émergence des grandes romancières du début du XIXe siècle, Jane Austen, les soeurs Brontë, George Eliot, qui pourtant, malgré leurs dons innés, avaient écrit en se cachant, en étant confinées dans un cadre oppressant, ou en subissant l'opprobre d'une vie à peine libérée du conformisme.

Telle est la thèse de V.Woolf, qu'elle illustre dans un premier chapitre plein d'humour par les interdictions successives qui lui sont faites, en tant que femme en 1928, dans un campus anonyme d'"Oxbridge" de marcher sur le gazon ou d'accéder à la bibliothèque. Elle note malicieusement les différences entre l'argent qui coule à flot à "Oxbridge" et permet de délicieuses chères, contrastant avec le malheureux ragoût suivi de pruneaux, seul menu que peut se permettre l'indigente faculté de jeunes filles de "Fernham". Quant à ses recherches à la bibliothèque du British Museum, elles ne peuvent qu'échouer, car il lui manque la méthode de travail que confèrent des études universitaires, que son sexe lui a interdites.

Peut-être ignore-t-elle justement, ou alors occulte-t-elle, que de grandes poétesses ou romancières, pour ne citer que Sappho, Marie de France, Louise Labbé, Mme de la Fayette, etc, ont devancé les débuts du roman anglais classique. Elle préfère imaginer, comme exemple emblématique de la discrimination des sexes en matière de création artistique, le triste destin qu'aurait eu une soeur géniale de Shakespeare, si elle avait tenté de suivre l'itinéraire du barde de Strawford : moquée, brutalisée, violentée, elle serait morte victime de la misère et des sévices.

L'ouvrage est féministe et veut inciter les femmes en ce début du XXe siècle à écrire en tant que femmes, à renverser les modes de pensées masculins, à ignorer les critiques et les jugements dépréciatifs et hostiles de leurs partenaires de l'autre sexe. Fort heureusement dans sa conclusion, Virginia Woolf se révèle surtout aussi bonne critique que grand écrivain : il serait erroné d'opposer un cerveau masculin et un autre féminin : tout créateur, selon Coleridge, est avant tout androgyne, "ce n'est que quand cette fusion a lieu, que l'esprit est pleinement fertilisé et peut faire usage de toutes ses facultés".

Une défense et illustration des droits des femmes à l'indépendance matérielle ("une pièce à soi") et financière (500 livres de rente), seules conditions de leur émancipation en tant qu'écrivains, tant de philosophie ou de science que de fiction, en plus d'une leçon de lecture critique des grands auteurs.
Passionné, convaincant, militant, mais aussi ironique ou parfois poétique, le texte manifeste force et habileté mais aussi révèle une grande prosatrice et un auteur aux multiples talents.
Lu en V.O.
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« Je sais, vous m'avez demandé de parler des femmes et du roman. »

Voilà le thème de cet essai. Je suis ravie de cette lecture, riche, percutante, fine et écrite dans un style romanesque, où la narratrice me donne ses pensées, ses avis tout en s'inscrivant dans le décor d'une vie réelle, décor qui alimente d'autant sa réflexion sur la femme au fil des siècles, à l'aune des ouvrages qu'elle regarde dans les bibliothèques, qu'elle touche et parcoure. Ces livres lui donnent l'image de la femme sous le double timbre : celle qu'elle a d'elle-même et celle que les hommes en ont. L'idée d'un esprit androgyne est très intéressante, tout comme le fait qu'elle précise l'idée que les livres se continuent, s'enrichissent les uns des autres et indiquent au travers de leur évolution celle qui est faite à la place des femmes ainsi que la vision féminine d'elle-même, sans perdre de vue que cette évolution se fait dans la tête des deux sexes (même si malheureusement la vue masculine est bien lente au changement… oui je sais…). C'est un livre intemporel, éclairant et brillant. Après cette lecture, inévitablement j'en ressors changée. Enfin, un peu au moins. J'espère… parce qu'il faut du temps (beaucoup, je me connais), une chambre à soi et cinq cents livres de rente. Ça aide !

« Elle me fit sentir que loin d'être sérieuse et profonde et humaine, je pouvais – pensée moins séduisante – n'être que paresseuse d'esprit et conventionnelle par-dessus le marché. »
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Nous y voilà ! Enfin presque. En 1928 Virginia Woolf prédit que « dans cent ans les femmes auront cessé d'être un sexe protégé ». Protégé, à comprendre d'après ce que je viens de lire dans le sens de dominé. Je n'en suis guère étonné. Après Simone de Beauvoir, Benoîte Groult, je poursuis mon parcours de découverte du combat féministe. Dernière expression que j'ai envie de convertir en combat égalitaire. Tant celles précitées n'ont eu de cesse de vouloir gommer la différenciation sexuelle pour que la femme trouve dans la société la juste place qui lui est due. Abolir toute hiérarchie de genre et devenir des égales. Ni plus ni moins.

C'est donc un espoir que formule Virginia Woolf dans Une Chambre à soi. Un espoir qui se dévoile au creux de ce pamphlet, lequel délivre aussi son lot de ressentiments. Un espoir timide et fragile comme la flamme d'une bougie dans le vent. C'est tout naturellement en sa qualité de femme de lettre que Virginia Woolf se penche sur le sort de la femme au travers du prisme de la production littéraire. Au XIXème siècle les femmes commencent seulement à se faire connaître dans la littérature. Bien sûr il y a eu au cours des siècles précédents des Jane Austen, George Eliot, Anne Finch, et autres soeurs Brontë pour ce qui est de la littérature britannique, mais Virginia Woolf clame haut et fort que le talent qu'elles ont déployé eut été décuplé si ces dames avaient disposé d'une chambre à soi. Expression choisie pour décrire les difficultés qu'ont eu ces auteures à faire éclater leur génie, tant les conditions matérielles, de temps mais surtout de solitude indispensable pour accueillir le fluide pur de l'inspiration leur étaient comptées. Jane Austen écrivait dans la pièce commune et cachait ses manuscrits à la vue des importuns. Se faire éditer était une autre difficulté. À l'indifférence, au mépris se substituait cette fois l'hostilité de la gente masculine qui maîtrisait le monde de l'édition. Virginia Woolf propose de relire Jane Austen en scrutant ces pans de talent qui ont été contraints. Allant jusqu'à conclure « Que pouvait-elle faire d'autre que mourir jeune, déformée et contrariée. »

Ce qui lui fait extrapoler que, la moitié du genre humain ayant été décrétée inférieure par nature, la femme de classe moyenne n'existe pas dans l'histoire. Citant Périclès pérorant que « la gloire pour une femme est que l'on ne parle pas d'elle. » C'est donc à une acrimonie rétrospective à laquelle se livre Virginia Woolf, s'inscrivant à la liste de celle qui ont eu le cran de critiquer le sort qui leur était réservé, parfois au prix de leur vie. Olympe de Gouge : « si une femme peut monter à l'échafaud, elle doit avoir le droit de monter à la tribune. »

Une lueur d'espoir donc dans l'esprit de Virginia Woolf lorsqu'elle écrit Une chambre à soi en ce tout début de XXème siècle. Y sommes-nous donc en 2021 ? Sur les 94 ouvrages dont Babelio dresse la liste pour cette rentrée littéraire, j'en ai compté 40 qui sont l'oeuvre de femmes. 40 qui ont donc trouvé une chambre à soi pour s'isoler et donner libre cours à leur talent. Gageons qu'à la rentrée littéraire de 2029 on s'approche de la parité dans le domaine de l'édition. L'espoir de Virginia Woolf semble avoir été visionnaire en tout cas pour le temps nécessaire au rétablissement de l'équilibre. Quant aux domaines de la parité en politique, de l'égalité des salaires dans le milieu professionnel, de la répartition des tâches ménagères dans le couple, ce sont là d'autres sujets qu'il conviendra d'aborder après la rentrée littéraire de 2029. Une chose après l'autre. (Hum, hum...!)
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Ce que j'ai ressenti:

« Regardez, à la clarté du soleil printanier » cet essai de Virginia Woolf, Une chambre à soi, c'est méditer sur le ciel, les femmes et le roman, la littérature et la condition féminine, l'argent et les poètes…La création littéraire a-t-elle toujours été une affaire pour les hommes? Pourquoi les femmes sont aussi peu représentées dans ce domaine? Comment sortir du silence? Autant de questionnements et d'études qui permettent à Virginia Woolf de remonter et de pointer bien fort du doigt tous les mécanismes discriminants du patriarcat. Elle propose même quelques pistes et conseils éclairés pour les femmes qui voudraient se lancer dans l'écriture, tout en faisant l'éloge de ses femmes écrivains qui ont su braver les conventions sur leurs temps libres pour écrire des oeuvres brillantes qui ont traversé le temps…Il y a une certaine douceur et poésie quand elle écrit son cheminement mais son argumentation est aussi audacieuse qu'avisée.

Forte de sa propre expérience, elle réalise au fil de ses balades et autres repas mondains, que le génie artistique se révèle bien souvent dans Une Chambre à soi, et surtout lorsque l'esprit est délesté de toute charge mentale et dépendances multiples…

Toujours sous le soleil printanier, je médite et je pense « aux choses en elles-mêmes », à la créativité, à la pauvreté, à l'esprit rebelle, à l'étendue du ciel bleu, à la poésie, à toutes ces lectures qui m'ont influencé aussi. Et puis, à celle-ci. Une chambre à soi. Que je vais garder bien précieusement sur ma table de chevet pendant un long moment, tellement j'ai adoré. Je ne songe même pas à vous influencer. Non, je vous laisse découvrir ce livre par vous-même…

« Elle vit en vous et en moi, et en nombre d'autres femmes qui ne sont pas présentes ici ce soir, car elles sont en train de laver la vaisselle et de coucher leurs enfants. »


Ma note Plaisir de Lecture 10/10
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Je n'avais jamais lu Virginia Woolf ! C'est en voyant le beau portrait d'elle sur la couverture d' « Une chambre à soi » que je me suis décidé à l'acheter. Quelle photo magnifique ! Elle a tout juste 20 ans et le portrait réalisé en 1902 est signé d'un célèbre photographe britannique nommé George Charles Beresford.
Une nouvelle traduction de Marie Darrieussecq est parue en 2016, avec un style plus vif, sous le titre « Un lieu à soi ». Ayant comparé quelques passages, je trouve la traduction de Clara Malraux plus littéraire, mais les nouvelles traductions sont utiles, elles font vivre les textes, les régénèrent en quelque sorte.

Il s'agit d'un essai à partir de conférences données dans deux collèges réservés aux femmes. On lui a demandé de parler du thème de « la femme et le roman ».
Dans la première partie l'auteure pose longuement le sujet et part dans la rêverie, les digressions et quelques poèmes où la nature a toute sa place :
« Sur l'autre rive des saules, chevelure éparse, continuaient de se lamenter. La rivière reflétait ce qui lui plaisait du ciel et du pont et de l'arbre flamboyant. »
Ensuite, elle expose ses conclusions quant à la faible représentation des femmes dans la création en général et dans la production d'oeuvres de fiction en particulier. Il leur faut « une chambre à soi » et des moyens de subsistance en propre (elle dit : cinq cents livres de rente).
Le ton est très humoristique, voire caustique. Elle se moque avec finesse et délectation des hommes de son époque, de ses professeurs, exprimant des avis péremptoires – et ridicules, lus aujourd'hui – quant à l'incapacité des femmes à devenir des artistes à l'égal des hommes.

Une bonne partie de ce petit livre de 171 pages est consacrée à combattre l'infériorité supposée des femmes : « Il est absurde de blâmer une classe ou un sexe en leur totalité. Les grands groupes humains ne sont jamais responsables de ce qu'ils font. »
Ce thème est souvent mis en avant quand on entend parler du livre et j'ai été très surpris d'y trouver bien d'autres réflexions et critiques qui n'ont pas dû faire plaisir à la bonne société de Londres dont elle était issue. La critique de l'argent pour l'argent est terrible sous sa plume : « Regardez, à la clarté du soleil printanier, l'agent de change et le grand avocat entrer dans une maison afin de gagner de l'argent, et encore de l'argent, toujours de l'argent, alors que cinq cents livres par an vous permettent de vivre à la clarté du jour. »
Ou encore :
« N'est-t-il pas absurde pourtant, pensais-je, tournant la page du journal, qu'un homme avec tout le pouvoir qu'il a, se mette en colère ? Ou bien, me demandais-je avec curiosité, la colère ne serait-elle pas quelque chose comme le démon familier, le lutin qui vous suit au pouvoir ? Les riches, par exemple, sont souvent en colère, parce qu'ils soupçonnent les pauvres de vouloir s'emparer de leurs biens ? »

Cet essai est publié pour la première fois en 1929. Virginia Woolf insiste sur le contexte historique du mouvement féministe naissant. Elle s'inscrit dans la dynamique des progrès timides réalisés : deux collèges de femmes fonctionnent depuis 1866 ; les femmes mariées ont été autorisées à posséder des biens en propre depuis 1880 et elles ont acquis le droit de vote en 1919 (les dates sont celles de Virginia Woolf dans cet essai... Il semble en fait que ce soit en 1918). Elle évoque la lutte des suffragettes ayant permis d'obtenir, par des luttes très dures depuis le début du siècle, des résultats décisifs.
Elle donne un avis très ironique et plein de courage sur la poésie et le fascisme : « Il est à craindre que le poète fasciste ne soit un affreux petit avorton tel qu'on peut en voir dans les bocaux de verre des musées provinciaux. Cette sorte de monstre ne vit jamais très longtemps, dit-on ; on n'a jamais vu ce genre de prodige brouter l'herbe d'un champ. » Il vivra assez de temps pour faire beaucoup de mal à l'humanité et la bête immonde est toujours vivante mais c'était bien vu et bien dit.

Virginia Woolf me surprend totalement. J'en étais resté à la femme dépressive, effacée, voire folle telle qu'on l'a souvent dépeinte, une sorte de romantique éthérée et passée de mode. Autant dire que je ne me sentais pas du tout attiré pour la lire. Je découvre une femme engagée, à l'honnêteté totale, à la critique joyeuse, qui va remonter les troupes dans les collèges, elle qui demande aux jeunes filles venues écouter ses conférences « de diriger le monde vers des fins plus hautes. »

La Pléiade a édité, en 2012, l'intégralité de son oeuvre romanesque en 2 tomes, laissant curieusement de côté tous ses autres écrits, essais, articles, textes expérimentaux... Virginie Despentes s'était alarmée de l'absence de « La chambre à soi ». On voit bien pourtant le côté moderne de cet essai. On peut aussi s'étonner des images de dépressive et de folle qui lui ont collé à la peau très longtemps. Il n'est pourtant pas difficile de trouver bien des éléments dans sa vie qui ont dû peser lourd dans cette décision de 1941, de se suicider par noyade – elle a alors 59 ans. Elle a bataillé dur toute sa vie, tellement en avance et à contre-courant sur son milieu social et son époque. Les disparitions familiales ainsi qu'une reconnaissance partielle de son oeuvre ont dû jouer également, sans oublier son mari juif dans un contexte d'antisémitisme nazi et pas seulement... Nul doute que sa modernité, son exigence artistique, n'ont pas dû être faciles à assumer. Elle rejoint, en partie, Stéphan Zweig dans cette voie, dont on n'a jamais dit qu'il était fou. Peut-être est-ce une façon de discréditer une voix rebelle, une femme revendiquant sa liberté par rapport aux hommes, que de mettre en avant des troubles mentaux. Cela m'évoque Camille Claudel... et aussi l'hystérie dont on accusait bien des femmes, façon de disqualifier en refusant l'écoute.

C'est un livre édifiant et une lecture passionnante, un beau texte en lien avec les luttes féministes toujours actuelles. J'ai eu le sentiment de lire une auteure majeure du 20ème siècle – les rééditions, les films, les émissions de radio dont celle d'Adèle van Reeth sur France Culture cette semaine, voire les chansons et musiques lui rendant hommage en témoignent, avec une influence sur la culture encore cent ans après, comme elle le prédit pour ces femmes conquérantes dont elle fait partie.
*****
Pour avoir les illustrations, ainsi que la musique "For Virginia" du jazzman Sébastien Lovato, visitez mon blog clesbibliofeel. A bientôt !
Lien : https://clesbibliofeel.blog
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Pourquoi les pièces de Shakespeare n'ont pas été écrites par une femme ? Quelles sont les conditions autant matérielles que morales pour écrire une oeuvre de fiction ? Quand les femmes ont-elles arrêté d'écrire pour se plaindre pour enfin faire oeuvre d'art ? Dans cette conférence de 1929 sur les femmes et le roman, Virginia Woolf nous entraîne dans une promenade à travers les siècles, de l'époque élisabéthaine au monde contemporain depuis le droit de vote accordé aux femmes, pour entreprendre une véritable généalogie des conditions favorables et défavorables de l'écriture féminine pour enfin s'interroger sur la différence des sexes et pour conseiller les futures femmes de lettres sur ce qui doit les guider dans l'écriture.

Même dans ses essais, on retrouve l'amour de Virginia Woolf pour la fiction que cela soit, avec sérieux pour son propos en discutant de la relation entre les femmes et la fiction ou dans sa propre écriture où chaque chapitre (comptez-en six) prend les airs d'une mise en scène littéraire qui nous fait suivre une narratrice, Mary, dans son voyage à travers les époques sur les traces des femmes écrivains.

dans la maison de sa tante pendant et après un repas où la digestion est propice à la réflexion sur les femmes mais aussi au coeur de ses recherches dans les rayonnages du British Museum où elle se met en colère contre l'affirmation selon laquelle "les femmes [seraient] intellectuellement, moralement et physiquement inférieurs aux hommes". le troisième chapitre se situe au coeur du XVIe siècle où face au génie de Shakespeare, sans égal, la narratrice retrace le destin de la soeur du dramaturge, Judith, vouée à l'oubli malgré les mêmes talents que son frère sans être permise à cause des circonstances d'écrire une seule ligne pour, tragiquement, se donner la mort se découvrant enceinte..

Le quatrième temps de son voyage est celui des pionnières sorties de l'anonymat avec Jane Austen et Charlotte Brontë, deux modèles opposés qui abordent l'écriture avec deux esprits différents, l'un avec confiance, l'autre avec rancune contre ces hommes qui lui ont empêché de visiter le vaste monde. C'est à ce moment-là que les femmes de lettres entrent vraiment dans L Histoire et, c'est au chapitre 5 et 6, que Virginia Woolf s'attaque au lourd débat sur la différence des sexes où, à la suite de Coleridge, elle adhère à l'idée que les grands écrivains sont ni des hommes, ni des femmes mais délibérément androgynes. Ce profil de l'écrivain androgyne, qui garde l'équilibre entre son coté masculin et son coté féminin , est proprement l'aspect le plus fictionnel dans Une chambre à soi et fait écho par exemple à la figure d'Orlando, ce génie androgyne et immortel.

Ce que j'ai trouvé passionnant dans cet essai, c'est l'hommage que Virginia Woolf rend à toutes ces femmes de lettres oubliées et qui, pourtant, sont des pionnières qu'il s'agit de faire revivre. J'ai aimé rencontrer certaines figures comme Christina Rossetti, la soeur du peintre préraphaélite Dante Gabriel Rossetti, ou Aphra Behn, cette dramaturge de la Restauration, ou encore la figure fictive de la soeur de Shakespeare qui est une invention prodigieusement géniale et très inspirante. D'ailleurs, la soeur de Shakespeare est en quelque sorte l'âme de toute écrivain féminine en puissance, comme un modèle à suivre et à faire survivre ce qui me touche d'autant plus, moi qui aime tant écrire.

J'ai aimé aussi retrouvé la figure de Jane Austen qui est un tel pivot dans cette histoire de la condition des femmes de lettres. Elle n'écrit pas comme les autres, elle qui fait partie de ces femmes qui font "se mettre à faire usage de l'écriture comme d'un art et non plus comme d'un moyen pour s'exprimer elles-mêmes." Même en n'ayant pas eu une chambre à elle, on la voit écrire dans cette pièce commune, ce petit théâtre d'observation des moeurs d'alors, interrompue de ci delà par telle ou telle tâche domestique et surtout cachant ses romans sous une feuille de buvard dès qu'un étranger entre dans la pièce. Comme cette jeune femme a réussi à égaler Shakespeare dans cette pièce commune, ça reste un mystère...

Une chambre à soi est bien sûr traversé par le féminisme tout particulier de son auteur mais pourtant, il échappe aux travers de l'exaltation de la femme et de ses qualités ou du mépris de la gente masculine pour aborder le sujet de la condition matérielle nécessaire à l'écriture d'un roman par une femme d'un point de vue presque neutre, suivant un esprit critique des plus honnêtes. Virginia Woolf rejette dos à dos d'un coté la supériorité masculine sur les femmes mais tout simplement la différence entre les sexes en dénonçant ce système comme enfantin comme s'il y avait deux camps adverses dans une cour de récréation.

C'est cette exigence de ne pas vouloir choisir entre l'homme te la femme qui l'amène à défendre la cause de l'androgyne qui est une sorte de variante littéraire du genre qui met en relation l'homme et la femme non pas à des fins sociales mais bien d'écriture littéraire. Virginia Woolf cite de nombreux auteurs androgynes : Shakespeare étant le premier, Keats, Coleridge et Proust qui, quant à lui, chose rare chez un homme favorise son coté féminin. Cette posture de l'androgyne l'amène non seulement à citer les conditions matérielles qui favorisent l'écriture, c'est-à-dire l'indépendance financière et un espace consacré à la seule écriture.

Mais, cette posture androgyne doit aborder l'écriture dans un certain esprit : on n'écrit pas en cherchant la gloire, ni en se projetant dans l'avenir pour savoir quelle postérité aura nos oeuvres mais bien avec "la liberté de penser les choses en elles-mêmes" conçue comme une vraie délivrance. L'écriture ne sert pas à convaincre, à persuader ou à faire effet sur qui que ce soit mais elle vaut en elle-même sa propre valeur. L'écriture, c'est tout simplement se faire plaisir et faire de ce plaisir sa philosophie de vie et ne jamais se laisser décourager dans sa tâche.

Après avoir lu Une chambre à soi, on a envie de relever le défi que Virginia Woolf nous lance et de commencer tout de suite à écrire, ou de continuer, pour ne jamais, jamais s'arrêter dans notre chambre à soi fermée à double tours.
Lien : http://la-bouteille-a-la-mer..
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