Lutte des classes à Taiwan pourrait être le sous-titre de ce roman qui met en scène une jeune femme qui rêve d'une vie meilleure.
Dans cette société ultra-compétitive, Chen Yunxian avait misé sur les études pour échapper à la vie modeste de ses parents qui tenaient une petite cantine. Dès l'Université, elle perçoit le décalage entre elle et les autres étudiantes et s'inscrit dans un modèle de compétition comme mode d'interaction.
Puis sa rencontre avec Dingguo lui fait espérer une vie aisée dans un bel appartement du centre-ville. Elle envisage alors le mariage comme ascenseur social, mais son beau-père a fait faillite et la frustration est immense.
Elle va alors projeter sur son fils de huit ans, Peichen, ses rêves de richesse et de réussite sociale.
Dans ce roman satirique, l'argent est la mesure de toutes choses. Les sociétés élitistes associent l'argent au pouvoir, et le pouvoir s'exhibe. Appartements luxueux, vêtements griffés, bijoux prestigieux : cet étalage de richesses joue aussi la carte du bon goût.
" Des plantes au mobilier, tout semblait aller de soi, comme dans un magazine de déco."
Le sentiment d'évidence, du chaque chose à sa place, d'une harmonie maîtrisée devient non seulement un critère esthétique mais aussi un critère sociologique puisqu'il n'est accessible que pour les élites.
Pour exprimer la frustration de Chen Yunxian, l'autrice utilise le syndrome de l'imposteur. A de nombreuses reprises, l'héroïne exprime le sentiment de ne pas être à sa place, la peur d'être remarquée et adopte une posture de retrait par rapport aux autres femmes
Ce dénigrement se produit également en relation avec son rôle de mère lorsqu'elle entre en compétition avec les autres mères de l'école, surtout celles qui sont mères au foyer.
Prisonnière d'un terrible engrenage, mise sous pression par une concurrence intensive, elle abandonne son travail pour se consacrer aux études de son fils.
Si Yunxian est obnubilée par son intégration, l'autrice ne manque pas de rappeler, dans une tonalité sarcastique, la vacuité de l'existence de ces femmes richissimes.
" Il y a tellement de gens qui croient qu'on passe nos vies à bruncher, à enchaîner les opérations de chirurgie esthétique et à acheter des produits de luxe. Mais ce n'est que la façade. le reste du temps, il y a tout un tas de choses à gérer. Argent, pouvoir, réputation, relations : voilà les vraies questions. C'est une autre paire de manches que de devoir faire les courses et s'assurer que rien ne manque chez soi ! Chaque cadeau offert doit toucher son destinataire en plein coeur ; il faut l'observer et mémoriser ses préférences. La question des gens à inviter lors d'un repas officiel, ça aussi c'est un vrai casse-tête : qui choisir ? Xiao Liu,
Xiao Li, Xiao Sun ? Surtout n'oublier personne, sinon c'est le drame. Évidemment, il faut veiller à ce que tout se passe bien professionnellement pour le mari et dans la scolarité des enfants. Qui a dit qu'on ne travaillait pas ? Grosse erreur ! Les femmes de l'élite doivent relever un tas de défis, et ce à plein temps ! "
Le roman aborde également le système éducatif taïwanais et la pression exercée sur les enfants pour atteindre l'excellence et accéder aux grandes universités américaines. Les mères de cette élite bourgeoise ne reculent devant aucune manipulation pour parvenir à leurs fins. L'enjeu est d'autant plus considérable qu'il pèse déjà au niveau de la cellule familiale ( avec le pouvoir de la belle-mère) et qu'il débute dès la petite enfance.
Sous l'emprise de Jiaqi, et parce qu'elle a accepté une dépendance financière, Yunxian va devoir faire des compromis qui mettront son fils en danger.
Malgré l'absence de suspense sur l'issue du roman, celui-ci est d'une lecture intéressante. On y retrouve la redoutable opposition entre exploiteurs et exploités dans une société très hiérarchisée. Face à l'emprise de l'argent et à une société du paraître, ceux qui ne maîtrisent pas les codes ont peu de chances de s'en sortir indemnes.