Je n’ai su qu’hésiter...
Je n’ai su qu’hésiter ; il fallait accourir ;
Il fallait appeler ; je n’ai su que me taire.
J’ai suivi trop longtemps mon chemin solitaire ;
Je n’avais pas prévu que vous alliez mourir.
Je n’avais pas prévu que je verrais tarir
La source où l’on se lave et l’on se désaltère ;
Je n’avais pas compris qu’il existe sur terre
Des fruits amers et doux que la mort doit mûrir.
L’amour n’est plus qu’un nom ; l’être n’est plus qu’un nombre ;
Sur la route au soleil j’avais cherché votre ombre ;
Je heurte mes regrets aux angles d’un tombeau.
La mort moins hésitante a mieux su vous atteindre.
Si vous pensez à nous votre cœur doit nous plaindre.
Et l’on se croit aveugle à la mort d’un flambeau.
(Extrait du recueil Les Charités d’Alcippe)
Le miel inaltérable
Le miel inaltérable au fond de chaque chose
Est fait de nos douleurs, nos désirs, nos remords ;
L’alambic éternel où le temps recompose
Les larmes des vivants et la pitié des morts.
D’identiques effets regerment de leur cause ;
La même note vibre à travers mille accords ;
On ne sépare pas le parfum de la rose ;
Je ne sépare pas votre âme de son corps.
L’univers nous reprend le peu qui fut nous-mêmes.
Vous ne saurez jamais que mes larmes vous aiment ;
J’oublierai chaque jour combien je vous aimais.
Mais la mort nous attend pour nous bercer en elle ;
Comme une enfant blottie entre vos bras fermés,
J’entends battre le cœur de la vie éternelle
(Extrait de Sept poèmes pour une morte. Recueil Les Charités d’Alcippe )
Vous ne saurez jamais
Vous ne saurez jamais que votre âme voyage
Comme au fond de mon cœur un doux cœur adopté ;
Et que rien, ni le temps, d’autres amours, ni l’âge,
N’empêcheront jamais que vous ayez été.
Que la beauté du monde a pris votre visage,
Vit de votre douceur, luit de votre clarté,
Et que ce lac pensif au fond du paysage
Me redit seulement votre sérénité.
Vous ne saurez jamais que j’emporte votre âme
Comme une lampe d’or qui m’éclaire en marchant ;
Qu’un peu de votre voix a passé dans mon chant.
Doux flambeau, vos rayons, doux brasier, votre flamme,
M’instruisent des sentiers que vous avez suivis,
Et vous vivez un peu puisque je vous survis.
(Extrait de Sept poèmes pour une morte. Recueil Les Charités d’Alcippe )
En tous cas, j'étais trop jeune. Il est des livres qu'on ne doit pas oser avant d'avoir dépassé quarante ans. On risque, avant cet âge, de méconnaître l'existence des grandes frontières naturelles qui séparent, de personne à personne, de siècle à siècle, l'infinie variété des êtres, ou au contraire d'attacher trop d'importance aux simples divisions administratives, aux bureaux des douanes ou aux guérites des postes armés. Il m'a fallu ces années pour apprendre à calculer exactement les distances entre l'empereur et moi.
(Extrait de Carnets de notes de Mémoires d'Hadrien p. 521).
Ceux qui mettent le roman historique dans une catégorie à part oublient que le romancier ne fait jamais qu’interpréter, à l'aide de procédés de son temps, un certain nombre de faits passés, de souvenirs conscients ou non, personnels ou non, tissus de la même matière que l'histoire. Tout autant que La Guerre et la Paix, l'oeuvre de Proust est la reconstitution d'un passé perdu. [...]
(Extrait de Carnets de notes de Mémoires d'Hadrien p. 527).
*RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE* :
_La poudre de sourire : le témoignage de Marie Métrailler,_ recueilli par Marie-Magdeleine Brumagne, précédé de _lettres de Marguerite Yourcenar de l'Académie française à Marie-Magdeleine Brumagne,_ Lausanne, L'Âge d'Homme, 2014, pp. 179-180, « Poche suisse ».
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