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Gracq : Oeuvres complètes tome 1 sur 2

Bernhild Boie (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070111626
1446 pages
Gallimard (04/04/1989)
4.5/5   46 notes
Résumé :
Ce volume contient les oeuvres suivantes : Au château d'Argol - Un beau ténébreux - Liberté grande - Le Roi pêcheur - André Breton. Quelques aspects de l'écrivain - La Littérature à l'estomac - Le Rivage des Syrtes - Préférences. Appendices : Éclosion de la pierre - Un cauchemar - La Surréalisme et la Littérature contemporaine - Prose pour l'étrangère - Enquête sur la diction poétique - Kleist : «Penthésilée» - Entretien sur «Penthésilée» de H. von Kleist.
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
" [...] Tous les chemins peuvent être bons en littérature, à condition qu'ils soient bien les vôtres : croyez que personne ne s'en assurera à votre place." [extrait d'un long courrier-réponse de Julien Gracq, daté du 4 août 1996].

Une belle écriture ciselée, tel un portail majestueux grinçant sous la neige. Et notre nostalgie...

Ainsi relis-je souvent (et rapidement : elle fut brève) notre correspondance épisodique et ses seize pièces désormais pieusement conservées dans leurs enveloppes d'origine (1996 à 2007), désormais jaunies. Leur flamme d'oblitération du village de St-Florent-le-Vieil ["camping - pêche -musées - SITE HISTORIQUE et TOURISTIQUE sur la LOIRE"]. Comment décrire les couleurs de notre émotion à l'ouverture de cette toute première lettre... ?

J'essaye de me souvenir encore des bruits fins de grattement du coupe-papier tranchant les pages non massicotées de mon exemplaire rouge-sang d' "Au Château d'Argol"...

Puis combien les mots-matière des premières pages crépusculaires d' "Argol" semblaient vivre de leurs couleurs flamboyantes (rouge, jaune, vert émeraude, comme les voyelles chez Rimbaud)... Pourquoi ?

Quelque chose d'intemporel... Lueurs sourdes d'un ciel blanchâtre au-dessus d'un balcon sur la Loire, de l'Argol, de l'Amirauté-en-ses brumes...

Gracq est un inventeur d'univers. De couleurs, aussi. Un traceur de sentes dans les sous-bois de l'Ardenne, l'hiver. L'inventeur du froid de l'hiver. De sons mats et enchanteurs : "Moriarmé, "Maremma", ... Enfin, de ces silhouettes diaphanes et blondes que sont Vanessa, Mona...

Disons que Gracq était "un pur romantique" : assez exactement...

Mais un mystère, toujours : comment une telle force d'attraction (purement newtonienne mais pourquoi pas aussi de l'ordre des champs gravitationnels quantiques) contenue ainsi en son oeuvre restera sans doute perceptible à des années-lumière de son existence terrestre (1910-2007) ?

"Au château d'Argol" [1938] est une introduction ardue à son univers : le continent Gracq semble ici une masse sombre et sauvage, saturée d'adjectifs et de verbes, un rien emportée : le Massif Gracq est ici abordé par sa face la plus raide et dissuasive... Mais tout de même justement ses couleurs : jaune-feu, orange-crépuscule, bleu-roi de l'intérieur du Château blanc et glacé... Il s'agissait des premières pages de son manifeste romanesque... Ses trois protagonistes : Heide, Herminien, Albert... Une gorge tranchée apparaissant sous un éclair de foudre... Tout l'amour de l'Oeuvre de Balzac transparaissant dès les premières pages (où l'on songe à l'ambiance des bords du Rhin de "L'auberge Rouge"). On repense aussi au libraire José Corti "éditeur des Surréalistes" qui lui offrit de publier "à compte d'auteur" - c'est-à-dire avec participation financière de l'auteur) ce premier opus qui ravit André Breton, fin adepte des ombres satanistes du "Moine" de Matthew-Gregory Lewis)...

"Un beau Ténébreux" [1945], roman insaisissable de l'après-guerre...

"Le Roi Pêcheur" [1948] et sa noble Matière de Bretagne (Perceval, Kundry, etc.), son Graal qu'on devine mais dont la vision nous est interdite...

"La Littérature à l'estomac" [1949], froid diagnostic et pamphlet à la vision prophétique (ce règne assourdissant d'une non-littérature, désormais hégémonique sur tous les continents, la caste des "Intermédiaires" désormais crue sur parole...).

Les longs étés studieux et provinciaux d'un professeur agrégé de Géographie... Ces années entières pour la mise "au net" d'un gros manuscrit... Surgira ainsi la minéralité aventureuse, sans âge et heureuse de ce monument inattendu qu'est "Le Rivage des Syrtes" [1951]... Mais la suite est une autre Histoire...

" Notre Saint-Gracq qui êtes [désormais] aux Cieux, priez pour nous, pauvres lecteurs... Souriez avec nous aux mille lagunes mornes de NON-littérature... Rions ensemble à un avenir pour "la" Littérature... Surtout, lisons, relisons, découvrons votre Oeuvre... pour les siècles des siècles ? "...
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Et bien, et bien !
Finalement, je n'aurai pas lu que Balcon en Forêt (qui d'ailleurs est dans le tome II) des oeuvres complètes de Julien Gracq ! J'ai suivi l'ordre chronologique proposé par les éditions de la Pléiade pour ce grand auteur de la langue française. Je n'apprécie que très peu les auteurs contemporains, vivants en fait - ou plutôt devrais-je dire médiatisé - car j'ai toujours l'impression de subir un flux marketing, une influence journalistico-financière, un choix de maisons d'édition. Bref, Gracq c'est un peu ma limite haute, bien que je lise quelques auteur très récents et plébiscité (De Luca, Bobin, etc...), on n'est pas à une contradiction prêt !
Toujours est-il que lui, comme anti-moderne, on fait pas mieux (ou pire) avec ce que cela implique de qualités et de défauts (apparence de prétention, de hauteur, froideur).
Ce tome présente l'ensemble du travail publié par Julien Gracq, à la fois sur la littérature, et romanesque (ou théâtral, d'ailleurs). Ces deux aspects sont bien différents:
J'ai adoré l'ensemble des oeuvres romanesques, de fiction: il y a un souffle, une force d'écriture et de narration, une profondeur un peu mystique rare en littérature, et appréciable. Et ce même si le côté un peu désuet du romantisme à la Byron/Shelley/Stoker du Château d'Argol ne m'a pas emballé, je fuis en ce moment ces ambiances sombres et méphitiques. J'aime au contraire le Camus solaire de l'Été, par exemple.
Le Rivage des Syrtes et un chefs d'oeuvre, à n'en pas douter, proche d'un Jacques Abeille à mon goût, pour le côté chute d'une très vieille civilisation, initiation d'un jeune homme à la vie, aux intrigues politiques.
J'ai eu un peu plus de mal à lire ses essais et critiques, même si j'en partage les goûts et revendications.
Louis Poirier (Gacq) était un élève très brillant, que ce soit à son lycée nantais ou à Henri IV où il fait ses classes préparatoires, puis dans sa formation de géographe. On ressent son immense culture tout du long, ses goûts affirmés et son peu de sensibilité à la mode. Proche au début des surréaliste, il ne "s'en carte" pas chez eux ; il est tout de suite et pour toujours très distant avec les existentialistes et le nouveau roman. Camus reste pour lui un homme qui a fait à un moment une erreur d'interprétation même si ses mots ne sont pas aussi dur qu'envers Sartre...
Ces essais donc, sont un peu trop verbeux à mon goût, ou trop éloignés des littératures que je lis. En effet je crois n'avoir jamais ouvert un ouvrage surréaliste, je n'aime pas Sartre ni le nouveau roman et n'en est donc que très peu lu, comme tout le reste de la production littéraire de cette époque en fait...
Le style en est pointu, le propos direct, mais sûrement trop éloigné de mes lectures et appétences...

Pour terminer sur cette critique, il faut lire ces livres, parcourir cette littérature des frontières, des confins, des décrépitudes, des états limites, de tension et d'explosion. le style est maîtrisé, à la fois sobre mais puissant, des phrases longues, emplies de propositions, d'un vocabulaire juste mais très variés, parfois un peu archaïsant (à dessein) sans que cela gène le lecteur qui a bâtit sa culture à l'image de l'auteur.
Gracq est intemporel est pourtant très ancré dans son époque, qu'il a su critiqué avec ferveur !
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Je n'ai lu, à ce jour, qu'un roman de Julien Gracq, le rivage des Syrtes, et il y a plusieurs années de cela. Il me souvient en avoir retiré un immense plaisir et ce, de façon curieuse. Car tout n'est qu'attente et l'on aurait pu penser, ennui. Or dans ce roman où il ne se passe presque rien, aucun bâillement n'est venu brouiller ma lecture. Sans doute était-ce dû à la magnificence d'une écriture qui m'avait transporté, alors.

J'y ai vu, à ce moment-là, l'un des grands romans européens du XXème siècle. Et je m'étais contenté de l'assimiler à une allégorie de la transgression qui conduit l'homme, de toute éternité, à faire reculer son horizon propre, en –deçà duquel tout le conduirait, pourtant, à demeurer, sa sécurité, la tradition, le conservatisme, la peur de l'inconnue, etc.

J'ai considéré que cette transgression était, au fond, le principal moteur de l'aventure humaine. En cherchant à connaître ce qu'il y a au-delà de son regard, à comprendre les choses mystérieuses, en bravant l'inconnue, l'homme (fatal) a accompli son destin.

Je n'ai pas cherché à déceler, dans ce roman, une allusion au contexte historique de l'époque, ni une philosophie particulière de l'Histoire, encore moins à identifier une cité-Etat à laquelle pourrait renvoyer Orsenna, quand d'autres l'ont rapprochée de la Vénitie, ni les plages de Libye baignées par la mer de Syrte, ou la ville de Syrte elle-même.

Comme beaucoup de lecteurs, peut-être, j'ai vérifié ma géographie méditerranéenne, pour me rendre compte, comme l'a si bien exprimé un commentateur (Antoine Blondin) que J. Gracq a écrit un magnifique « imprécis d'histoire et de géographie à l'usage des civilisations rêveuses. »

Rarement livre a donné lieu à autant d'analyses : renvoie- t-il à une conception particulière de l'Histoire ? D'aucuns ont tenté d'y déceler un Occident courant à sa perte, en raison de ce déclin dont on dit qu'il est amorcé depuis longtemps. D'autres y ont vu une allégorie de la transgression qui favorise le changement. Ou bien encore, l'ont rattaché au symbolisme, en ce qu'il transcenderait l'histoire phénoménale, la réalité identifiée dans le temps et l'espace, pour seulement en saisir « l'esprit ».

Le style et la langue ont été décortiqués, une langue magnifique pour les uns, trop « classique », pour les autres, déniant à la prose de Gracq, le qualificatif de poétique. Sa filiation avec d'autres auteurs a été recherchée, Junger, par exemple, a-t-il été une source d'inspiration ? Etc., etc.

J'ai simplement trouvé que c'est un très grand et très beau roman, magnifiquement écrit. Je l'ai aimé.

Pat

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N°289– Janvier 2008
QUELQUES MOTS SUR JULIEN GRACQ [1910-2007].
Je ne veux pas ajouter aux compliments que la presse et des intellectuels ont formulés à l'occasion du décès de Julien Gracq.
C'était un homme secret qui fuyait volontiers micros et caméras, le contraire d'un homme moderne, exactement ce qu'il ne faut pas faire actuellement si on veut briller de ce halo pourtant blafard mais tant souhaité, dans cette société où tout n'est que superficialité et apparences! Ce que je retiens de lui, essentiellement à travers deux livres, « Le Rivage des Syrtes » et « Le Balcon en forêt », c'est d'abord une écriture fluide qui servait si bien notre belle langue française. Elle a bien besoin, et plus que jamais aujourd'hui, de ces chantres à la fois discrets et inspirés qui savent lui rendre l'hommage qu'elle mérite et créer, à travers les mots, un complicité avec le lecteur attentif. J'ai apprécié cette musique délicate distillée à travers le léger feulement des mots, la précision des descriptions, la richesse du vocabulaire, la délicatesse des décors qu'il suscitait. Il y a dans sa créativité littéraire quelque chose d'insaisissable, d'attachant, à l'image de l'aspirant Grange qui, au début de cette « drôle de guerre » garde une portion de territoire sans savoir exactement ce qu'il fait là, ou Aldo, affecté à la surveillance d'une côte ennemie, qui donne au lecteur une sorte de vertige du néant.
Il est vrai que cet écrivain discret avait été quelque peu oublié ces dernières années. Peut-être ne lui avait on jamais pardonné d'avoir refusé le Prix Goncourt obtenu pour « Le Rivage des Syrtes » en 1951, d'avoir aussi dénoncé toute sa vie la comédie littéraire que chaque auteur se doit probablement de jouer, cette sorte de suffisance intellectuelle, qu'il convient d'afficher quand on est un écrivain consacré, d'avoir été simplement, si je puis dire, un professeur de géographie, agrégé quand même, d'avoir fait une carrière modeste d'enseignant, de n'avoir jamais fréquenté les salons parisiens, leur préférant sa retraite de St Florent le Vieil, d'avoir choisi un éditeur peu connu, mais qui a su lui faire confiance au bon moment, au lieu des « éditeurs prestigieux » ou prétendus tels, dont l'un d'eux pourtant refusa la manuscrit du futur prix Goncourt, d'avoir suscité malgré lui la jalousie pour être, de son vivant, entré à « La Pléiade »? Allez savoir!
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Livre rare, d'une écriture très précise, élégante, trouée parois de fulgurances, avec la dimension, disons, métaphysique de cette attente qui n'en finit pas, signature de Gracq
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Quand j'étais petit, notre vieux serviteur allait se coucher dans le grenier sans lumière. Il était si habitué qu'il marchait dans le noir sans tâter, aussi vite qu'en plein jour. Eh bien ! que veux-tu, à la fin la tentation a été trop forte : il y avait une trappe sur son chemin, je l'ai ouverte…
Le vieillard sembla réfléchir avec difficulté.
- … Je pense que c'est énervant, les gens qui croient trop dur que les choses seront toujours comme elles sont.
Il ferma à demi les yeux, et se mit à hocher la tête, comme s'il allait s'endormir.
- … Et peut-être ce n'est pas une bonne chose, que les choses restent toujours comme elles sont.

LE RIVAGE DES SYRTES, Chapitre VIII : Noël.
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Lu ces jours-ci la Vie de Rancé de Chateaubriand, - poussé sans doute par cet instinct divinatoire qui me mène toujours en aveugle vers le livre le plus singulièrement assaisonné à mon humeur. Livre étonnant, abruptement griffonné, je veux dire tracé de l'ongle négligent, fabuleux, du griffon, du monstre au coup de patte d'éclair qu'est l'écrivain-né. Branchu, hirsute, bossu, avertisseur, il est comme l'arborisation calcinée de cendres grises que laisse après lui un coup de foudre. Il a le goût de la cendre du Mercredi, la vigueur astringente de ces matières froides, lucides, emportantes de septembre qui semblent démeubler tout à coup la planète – dans le bruit clair des greniers et des pressoirs en font l'appartement visité par les déménageurs, où les pas résonnent. Puis on croit traverser à bride abattue des garnis de fantômes, des greniers de rêve où frissonnent des robes à paillettes, des envols de crinolines, des dentelles jaunies, incomparables, des pourpoints, des aigrettes – dans le cliquetis léger d'un attelage d'ossements -, dans ce mouvement rapide de farandole spectrale qu'évoque de Don Juan de Molière. De temps en temps, une phrase âcre, revenue de tout, à goût de feuille morte longtemps recrachée dans une vigne dépouillée par la vendange, remâche l'amertume comme un vieux cheval.

(un beau ténébreux)
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Quelque pas sur le sable, après le dîner. Plage noble, mélancolique et glorieuse, les vitres du front de mer toutes à la fois incendiées par le soleil couchant comme un paquebot qui s’illumine. Ce sable vide, encore chaud, tiède comme une plage de chair et qu’on voudrait fouler, couvrir, souiller naïvement comme elle. Et pourtant l’air est si chaste, si purement froid, si transparent, comme lavé sans cesse par d’invisibles averses. Un doux gargouillis dans une rigole de sable (la marée baisse) travaille à appareiller à la terre ce paysage de déluge, – bruit presque humain déjà des eaux canalisées, comme la hache du bûcheron qui défriche. J’ai respiré, ah ! quelle gorgée ! Le sable volait légèrement sur les dune, l’air claquait comme de grandes oriflammes, droites dans le fil du vent, avec ce fouettement félin de la queue. Et vers l’horizon l’affairement de ces vagues pressées, toujours ce branle-bas d’écumes, cette usine d’émeutes, ces embarras de nuages rayés de grains et de soleil, ce train hargneux des houles, cette hâte inépuisable de la mer à l’arrière-plan.
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« J'ai respiré ton air acide, je suis entré dans ta saison hasardeuse comme un voyageur qui reconnaît les routes à l'heure imprudente où tout craque encore dans la montagne d'avril tigrée de jacinthes et d'avalanches. Tu m'as giflé de ton printemps sans tiédeur, tu m'as ameubli de ton sourire enfondu de perce-neige, tu traverses ma prévoyance comme la fleur désastreuse épanouie aux doigts mêmes des saints de glace. J'aime ton visage qui brouille les repères du cœur et les saisons de la tendresse — ton visage en désarroi, plus frais, plus emmêlé, plus trouble que les chantiers bousculés du dégel, pareil à la mue du ciel de juin et à l'alpage qui boit sa neige — ton front buté de voleuse de cerises, et ta bouche court bridée de jeune épouse — ton rire qui secoue toute la neige des jardins de mai, et ta voix sombrée de parterre nocturne — et, comme un creux d'eau de glacier au bord d'une joue de prairie neuve, le bleu durci de tes yeux de pensionnaire qui saute le mur du couvent.»

[Julien GRACQ, "Oeuvres complètes", tome 1 : "période 1938 à 1957", éditions Gallimard (Paris), coll. "Bibliothèque de la Pléiade", 1.449 pages, 1989 — "Prose pour l'étrangère", 1952]
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J’évoque dans ces journées glissantes, fuyantes, de l’arrière-automne, avec une prédilection particulière les avenues de cette petite plage, dans le déclin de la saison soudain singulièrement envahies par le silence. Elle vit à peine, cette auberge du désœuvrement migrateur, où le flux des femmes en robe claire et d’enfants soudain conquérants avec les marées d’équinoxe va fuir et soudain découvrir comme les brisants marins de septembre ces grottes de brique et de béton, ces stalactites de rocaille, ces puériles et attirantes architectures, ces parterres trop secourus que le vent de mer va ravager comme des anémones à sec, et tout ce qui, d’être soudain laissé à son vacant tête-à-tête avec la mer, faute de frivolités trop rassurantes, va reprendre invinciblement son rang plus relevé de fantôme en plein jour. Sur le front de mer les terrasses vitrées, mortes, leurs ferronneries mangées de lèpres salines, angoissent comme des bijouteries mises au pillage — le bleu usé, lessivé, des volets clos sur des fenêtres aveugles recule soudain incroyablement dans le temps le reflux de vie responsable de cette décrépitude. Pourtant, sous le soleil aigrelet d’une matinée d’octobre, des bruits naissent, se décrochent bizarrement du silence comme du rêve le geste solennel d’un dormeur — la barrière blanche d’une clôture de bois craque, une sonnette se répercute longuement d’un bout à l’autre de la rue vide. Je rêve. Qui s’annonce ici avec une telle solennité ? Il n’y a personne ici. Il n’y a plus personne.

Julien Gracq
Un beau ténébreux (1945)
In : Œuvres complètes, I © 1989 Bibliothèque de la Pléïade / Gallimard, page 99
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Vidéo de Julien Gracq
À travers les différents ouvrages que l'auteur a écrit pendant et après ses voyages à travers le monde, la poésie a pris une place importante. Mais pas que ! Sylvain Tesson est venu sur le plateau de la grande librairie avec les livres ont fait de lui l'écrivain qu'il est aujourd'hui, au-delàs de ses voyages. "Ce sont les livres que je consulte tout le temps. Je les lis, je les relis et je les annote" raconte-il à François Busnel. Parmi eux, "Entretiens" de Julien Gracq, un professeur de géographie, "Sur les falaises de marbres" d'Ernst Jünger ou encore, "La Ferme africaine" de Karen Blixen. 
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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