(...Suite...)
Quand le je devient jeu.
La philosophie de
Nietzsche dans l'oeuvre de Stefan Zweig.
La philosophie a ceci de confondant c'est qu'il suffit d'en lire quelques lignes pour que tout de suite on se dise : « Mon Dieu, mais comme c'est vrai !», et l'on pourrait très bien lire la thèse opposée pour que l'on se dise de la même façon : « Ah ben, il n'a pas tort non plus, celui là ! ». Enfin tout ça pour dire que je ne suis pas un spécialiste de la philosophie, loin de là, en réalité je m'en méfie beaucoup et même j'évite d'en lire car très vite on est troublé et on ne sait plus trop quoi penser quand ça ne nous laisse pas carrément vide… si bien sûr on ne s'est pas endormi avant !!!
Néanmoins, au risque de m'y perdre, je vais quand même m'essayer à en dégager quelques similitudes entre les thèmes décrits dans l'oeuvre de
Stefan Zweig et certaines théories développées par
Nietzsche, d'une façon non exhaustive et aux raccourcis sûrement un peu approximatifs.
Belle affaire quand même, quand on pense que déjà les plus grands spécialistes se déchirent sur l'oeuvre de ce philosophe… Enfin bref !!!
Stefan Zweig est né en Autriche en 1881 et est mort en 1942.
Friedrich Nietzsche, lui, est né en Allemagne en 1844 et est décédé en 1900. Ainsi Zweig, en homme ayant étudié la philosophie, devait avoir parfaitement connaissance des thèses développées par
Nietzsche.
Voici un texte de
Nietzsche qui, me semble-t-il, illustre parfaitement les thèmes récurrents développés dans l'oeuvre de Zweig :
Le besoin nous contraint au travail dont le produit apaise le besoin : le réveil toujours nouveau des besoins nous habitue au travail. Mais dans les pauses où les besoins sont apaisés et, pour ainsi dire, endormis, l'ennui vient nous surprendre. Qu'est-ce à dire ? C'est l'habitude du travail en général qui se fait à présent sentir comme un besoin nouveau, adventice ; il sera d'autant plus fort que l'on est plus fort habitué à travailler, peut-être même que l'on a souffert plus fort des besoins. Pour échapper à l'ennui, l'homme travaille au-delà de la mesure de ses autres besoins ou il invente le jeu, c'est-à-dire le travail qui ne doit apaiser aucun autre besoin que celui du travail en général. Celui qui est saoul du jeu et qui n'a point, par de nouveaux besoins, de raison de travailler, celui-là est pris parfois du désir d'un troisième état, qui serait au jeu ce que planer est à danser, ce que danser est à marcher, d'un mouvement bienheureux et paisible : c'est la vision du bonheur des artistes et des philosophes.
Extrait d'
Humain, trop humain publié en 1878, soit 3 ans avant la naissance de Stefan Zweig.
En lisant ce court extrait, j'ai vraiment l'impression de parcourir le synopsis décrivant la trame d'une des nouvelles de Stefan Zweig.
Pour résumer, ce texte nous explique que l'homme pour vivre doit contenter des besoins physiologiques comme manger, boire, dormir, …, sans lesquels toute vie serait impossible. Pour combler ces besoins il faut travailler pour produire ce dont nous avons besoin, ou, dans nos sociétés contemporaines, pour gagner de l'argent pour acheter ces produits. Mais quand vos besoins primaires sont comblés (vous avez mangé, vous avez bu, vous avez bien dormi, …) et quand le travail à effectuer pour couvrir ces besoins est terminé, vous vous retrouvez inactif et commencez à vous ennuyer.
Nietzsche nous explique alors que cet ennui est la résultante d'un nouveau besoin créé par l'acte de travailler lui-même. le travail est ce nouveau besoin, au même titre que les besoins physiologiques, qu'il vous faut désormais satisfaire.
Alors pour combler ce nouveau besoin, deux possibilités s'offrent à vous : soit vous vous remettez à travailler, pour produire encore plus, pour surproduire ; soit vous jouez.
Et c'est là que l'analogie avec les
oeuvres de
Stefan Zweig est la plus flagrante. Tous ses héros sont rentiers, ils n'ont pas besoin de travailler pour subvenir à leur besoin, alors ils s'ennuient et ça
Stefan Zweig le décrit très bien dans l'analyse psychologique qu'il en fait, tous sont plus ou moins désabusés, et c'est pourquoi ils trouvent un nouveau salut en engageant leur vie dans la sphère du jeu. Il en va de même pour les deux soeurs jumelles qui démarrent leur vie dans la misère mais très vite elles sauront se dégager de tous soucis matériels, l'une en courtisant des hommes très riche, l'autre en confiant à Dieu le soin de nourrir son corps à défaut de son âme.
Nietzsche poursuit alors en nous expliquant que quand vous êtes « saoul » du jeu et que tout vos besoins sont comblés vous aspirez alors à un troisième état qui serait une sorte de désir de transcendance ou de transfiguration, une sensation de plénitude, un état de grâce et de sérénité et il nous dit qu'il s'agit là de « la vision du bonheur des artistes et des philosophes ».
Et c'est précisément cette sensation qui est l'enjeu véritable de tous les personnages de Zweig. Tous se jettent à corps perdus dans le jeu, tous recherchent la plénitude et un nouvel éclairage sur leur vie, une lucidité… l'illusion d'un bonheur.
Est-ce à dire alors que tous les héros de
Stefan Zweig seraient des artistes ou des philosophes ?
Stefan Zweig était le fils de Moritz Zweig, riche juif fabricant de tissu, et d'Ida (Brettauer) Zweig, fille d'un banquier italien. Il étudia la philosophie et l'histoire de la littérature. Autant dire alors qu'il était de par sa naissance dégagé du besoin, et il en profita d'ailleurs pour voyager beaucoup.
Je crois donc que tous les héros de
Stefan Zweig sont
Stefan Zweig. Et l'histoire qu'il nous raconte est l'histoire de sa propre vie.
Stefan Zweig en jeu sur l'échiquier… Echec et mat !
Stefan Zweig donc est un artiste sincère et authentique qui au travers de ces écrits nous livre sa conception de la vie, sa philosophie (probablement inspirée des théories de
Nietzsche… entre autres !!!). Mais au-delà de cela il me semble, et ce que je m'en vais vous raconter n'est qu'une intuition personnelle, que Zweig ne s'est pas contenté de nous transmettre une théorie illustrée par de belles histoires. En effet je crois qu'il a appliqué sur lui-même les propres principes de vie qu'il a développés dans ses livres. Je crois que
Stefan Zweig a joué et a misé sa propre vie.
A la différence des héros de ses histoires qui en sortent grandis, lui a perdu la partie. Et, le 23 février 1942,
Stefan Zweig se donne la mort en ingérant des médicaments (sa femme le suivra elle aussi dans la mort) après avoir écrit la lettre suivante :
« Avant de quitter la vie de ma propre volonté et avec ma lucidité, j'éprouve le besoin de remplir un dernier devoir : adresser de profonds remerciements au Brésil, ce merveilleux pays qui m'a procuré, ainsi qu'à mon travail, un repos si amical et si hospitalier. de jour en jour, j'ai appris à l'aimer davantage et nulle part ailleurs je n'aurais préféré édifier une nouvelle existence, maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l'Europe, s'est détruite elle-même.
Mais à soixante ans passés il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d'errance. Aussi, je pense qu'il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde. »
L'errance de
Stefan Zweig est due, à l'exception de ses
voyages de jeunesse, au contexte politique de l'époque. La fin du 19ème siècle et le début du 20ème est marqué par un antisémitisme grandissant nourrit par le nationalisme qui conduira dans les années 1930 à la montée du nazisme et à la seconde guerre mondiale. Comme nombre d'artistes et d'intellectuels juifs l'exil sera leur seule chance de salut. Les écrits et les livres du « juif »
Stefan Zweig étaient brûlés en autodafé si bien qu'il résolut de partir en 1934 pour l'Angleterre. Ce départ prématuré suscite nombre de polémiques chez ses biographes, certains affirment qu'il est parti en exil devant l'imminence de la guerre et la montée de l'antisémitisme, d'autres pensent qu'il est simplement parti approfondir sa recherche sur
Marie Stuart dont il écrivait la biographie. Il est à noter aussi que certaines thèses de
Nietzsche ont été récupérées et détournées frauduleusement de leur sens initial par les nazis. Personnellement, selon mon intuition, intuition qui n'est étayée par aucune thèse, je pense, et pour rester en cohérence avec tout ce qui a été énoncé précédemment, et tant pis si c'est un peu simpliste et réducteur, je pense donc que
Stefan Zweig s'est laissé porter par le hasard. le hasard, ce hasard qui est partie intégrante de tout jeu quel qu'il soit. Son errance était en accord avec ses principes philosophiques, l'errance conduit à la transcendance par le jeu sublimé. Tous les héros de
Stefan Zweig finissent un moment ou un autre par errer, remettant ainsi leur vie entre les mains du hasard.
Fuite, lâcheté, manque de courage, refus de l'engagement politique, désintérêt pour la cause des siens ? Oui ? Non ? Peut-être ? On s'en fout… Il me semble que la portée de son message philosophique outrepasse de beaucoup un simple engagement politique et une lutte militante. En même temps aujourd'hui il nous est facile de juger, mais n'oublions pas que nous n'y étions pas et que la vision que nous en retirons aujourd'hui est une vision « romantique ». Voir la mort en face et appréhender physiquement la finitude de ses congénères est autrement plus réalistes et justifie, me semble-t-il, toutes les lâchetés et tous les exils. Et même si ça ne les justifie pas, ça ne nous donne pour autant pas le droit de juger et encore moins de condamner.
Mais
Stefan Zweig ne cherchait-il pas encore à étayer jusqu'au bout les principes qui nourrissaient sa philosophie de vie ?
En tout cas l'issue tragique qu'il donna à sa vie le 23 février 1942 montre une chose : c'est qu'il n'avait pas peur de la mort.
Tentait-il par cet acte de se racheter une conduite et ainsi démentir toute supposée lâcheté ou souhaitait-il simplement rester en cohérence avec lui-même et ses principes de vie ?
…
Et vous ? Avez-vous le courage de miser, sans sourciller, votre vie pleine et entière?
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