Tout un chacun sait que
Stefan Zweig est un écrivain de génie, et j'ai eu l'occasion de le manifester au sujet de ses extraordinaires nouvelles.
Mais si ses romans, ses nouvelles sont hors du commun, ses biographies ne le sont pas moins, et celle-ci, dont j'ai lu tant de belles critiques enthousiastes sur Babelio, est un chef-d'oeuvre absolu.
La vie de
Marie-Antoinette y est racontée avec une volonté de vérité, dont Zweig s'explique si bien dans une Postface, une finesse psychologique confondante, et une clarté extraordinaire. Quand je compare cette biographie à celles qu'il m'a été données de lire, qui nous encombrent de détails sans intérêt et qui sont incapables de cerner ce qu'est la personnalité de celui ou celle dont ils parlent, j'ai envie de dire aux autrices et auteurs: « Lisez Zweig, voilà comment on doit écrire une biographie ».
Zweig résume magistralement son projet en ces mots:
« nous ne croyons plus…… que pour s'intéresser à un personnage historique il soit nécessaire de l'idéaliser à tout prix, d'en faire un héros sentimental ou autre, d'estomper des traits essentiels de son caractère et d'en exalter d'autres jusqu'au tragique. La loi suprême de toute psychologie créatrice n'est pas de diviniser, mais de rendre humainement compréhensible ; la tâche qui lui incombe n'est pas d'excuser avec des arguties, mais d'expliquer. Cette tâche a été tentée ici sur un être moyen qui ne doit son rayonnement en dehors du temps qu'à une destinée incomparable, sa grandeur intérieure qu'à l'excès de son malheur, et qui, je l'espère du moins, sans qu'il soit besoin de l'exalter, peut mériter, en raison même de son caractère terrestre, l'intérêt et la compréhension du présent. »
Et c'est le sentiment qui prime chez le lecteur.
Marie-Antoinette, comme son époux, Louis XVI sont des êtres ordinaires qui ont été plongés dans un destin qui n'était pas fait pour eux, ou plus précisément des êtres qui n'étaient pas armés pour leur destinée.
Marie-Antoinette, l'une des filles de la prestigieuse
Marie-Thérèse d'Autriche, va se trouver en 1770, pour des raisons politiques d'alliance franco-autrichienne, mariée à 14 ans à un adolescent timide et maladroit d'un an de plus qu'elle, le dauphin Louis.
Elle, c'est une enfant écervelée, qui ne lit pas, n'écrit que très peu, qui n'a pas de culture en aucun domaine. Et qui du fait de son caractère frivole, et d'un époux incapable de « l'honorer » pendant sept ans, va se jeter dans le tourbillon des fêtes jusqu'à une heure très avancée de la nuit, des jeux d'argent où elle dépense des sommes folles, et s'isoler dans son monde à elle au sein du Château du Trianon, qui devient sa demeure privée, où elle s'entoure de parasites qui l'étourdissent, lui font passer tous ses caprices, en échange d'obtenir charges et domaines rémunérateurs. Et au grand désespoir et courroux de sa mère
Marie-Thérèse dont Zweig nous cite abondamment les courriers de conseils et reproches qu'elle adresse à sa fille.
Lui, c'est un grand benêt, plus intéressé par la serrurerie, la chasse, la bonne chère, que par les affaires de l'Etat, timide, d'une indécision quasi-pathologique, qui le desservira toute sa vie.
Zweig nous décrit, de son style alerte et précis, ces premières années de vie jusqu'à l'accession au Trône en 1774, puis la volonté de réformes du Roi, mais sa difficulté à les concrétiser, du fait notamment de l'opposition des nobles et du clergé.
Aussi, l'isolement volontaire de la Cour versaillaise dans lequel se met
Marie-Antoinette, qui va entraîner son discrédit, et lui valoir beaucoup d'ennemi.e.s. Et un climat délétère s'installe , comme chaque fois qu'un personnage en haut de l'Etat ne s'efforce pas de parler « au peuple », rien n'a changé depuis. Et tout cela relayé par des campagnes de mensonges et de dénigrements (qui préfigurent celles qui fleurissent à notre époque sur les réseaux sociaux), des pamphlets qui viennent, dit-on, d'Angleterre, mais écrits en France, parfois par des nobles de la Cour, et même, a-on découvert, par la propre frère du Roi, l'ambitieux et sournois Comte de Provence, le futur Louis XVIII!.
Marie-Antoinette vivant dans son monde de frivolité et de folles dépenses, Louis, faible devant elle et devant ses conseillers et ministres, tous les ingrédients sont réunis pour que les malheurs arrivent. Ce sera notamment cette incroyable escroquerie du Collier de la Reine, montée de toutes pièces en 1784 par Madame de la Motte, une fausse noble, et son mari, avec la complicité passive de bijoutiers en difficulté financière, un piège dans lequel tombera à « pieds joints » le Cardinal de Rohan, qui croira acheter pour la Reine un collier de diamants que cette dernière désire, sauf qu'il n'en est rien et qu'il ne verra jamais ce collier. La Reine sera la victime collatérale de cette affaire, qui confortera dans l'opinion, son image de dépensière effrénée.
Et puis, viendra la Révolution française, dans laquelle Zweig nous décrit de façon très claire la part prise par
Marie-Antoinette, l'enchaînement inexorable des événements, dans lesquels la faiblesse et l'indécision de son mari le Roi seront des accélérateurs de la chute de la Maison Royale.
Et toutes les manipulations, les trahisons, les duplicités, les mensonges qui vont se produire alors.
L'attitude de
Marie-Antoinette va changer, et sa capacité de résistance va s'affirmer, d'abord par son refus de céder devant le « peuple », aussi par sa volonté d'impliquer les puissances étrangères, en apprenant les langages codés destinés à être utilisés pour ses courriers envoyés en Autriche, en Angleterre, notamment.
Zweig nous fait vivre de façon intense le cours fatal des événements.
La dernière partie est bouleversante.
Marie-Antoinette n'est plus la jeune femme un peu « fofolle » de sa jeunesse. Sa dignité, sa noblesse de caractère se manifestent durant cette ultime épreuve qui la séparera de ses enfants, qui la livrera à un procès inique. Au point qu'elle émeut toutes celles et ceux qui sont chargés de la garder.
Son dernier courrier à sa soeur, juste avant de partir pour l'échafaud est reproduit in extenso par Zweig. Les mots sont incroyablement justes et émouvants.
Dans tous ces malheurs, la Reine connaîtra quand même à partir de 1784,le bonheur d'aimer et d'être aimé par Axel de Fersen, un gentilhomme suédois, un homme généreux et attentif, qui lui sera entièrement dévoué et qui cherchera désespérément à la sauver lors de la Révolution.
Cette biographie est extraordinaire.
Car, je savais que venant d'un auteur comme Zweig cette biographie ne pourrait être que bien faite.
Mais, là, tout d'abord, je dois dire que, comme je suis un peu connaisseur de la période révolutionnaire, j'ai été bluffé par la clarté dont Zweig est capable de décrire les événements et d'y mêler la vie de
Marie-Antoinette.
Mais surtout, l'analyse psychologique de tous les protagonistes est d'une parfaite pertinence, d'une grande lucidité.
Zweig ne fait aucune concession, ni pour enjoliver, ni pour dénigrer une Reine prise dans un tourbillon d'événements qui la dépassent, mais, malgré cela ou plutôt à cause de son effort pour approcher la vérité psychologique, il nous bouleverse en nous faisant entrevoir un peu de la vraie vie humaine, et nous aide aussi, comme il l'écrit, « à la compréhension du présent ».