Ce soir au journal TV de 20 heures, parmi les images qui disent le désastre d'une guerre et la haine qui la porte, je découvre quelque chose qui y ressemble presque autant sur un autre territoire du monde et qui semble faire moins de bruit que des bombes. Une petite élève afghane pleure aux portes d'une école de Kaboul. Elle n'a plus le droit désormais d'y entrer. Les talibans en ont décidé autrement, malgré leurs belles promesses des premiers jours. Tout simplement parce qu'elle appartient à la gente féminine, celle qui n'a pas le droit, selon leurs lois infâmes, au savoir, à l'éducation, à l'émancipation... Ce droit à être l'égal des hommes.
Pourtant ils avaient promis, nous dit-on... À quoi reconnaît-on les barbares de ce monde ? À leur capacité de faire gober des couleuvres à nos gouvernants.
On ne fera pas tomber les dictatures par les armes.
Je te menace d'une colombe blanche est une manière de ne pas prendre les armes pour mener le combat de la liberté.
Mais à quoi reconnaît-on une poétesse syrienne ? À sa manière d'être femme et de l'affirmer dans un monde fait par les hommes et pour les hommes. C'est ainsi que
Maram Al-Masri m'est apparue pour la seconde fois que je la découvre et le charme opère toujours.
Le charme n'est peut-être pas le mot qui convient, bien que les mots soient envoûtants, sensuels, solaires ici...
Bien plus que cela,
Maram Al-Masri tient debout, se dresse debout devant la barbarie. Elle n'en parle pourtant jamais, de cette barbarie, ou alors il faut le deviner en filigrane.
Chaque vers est cependant une provocation à l'ordre établi.
« Je ne fais rien
sans toi
je ne fais rien
sauf jouir
de la simple
vie »
Écrire l'amour, le désir, les amours parfois multiples, les amours qui cheminent, qui s'égarent, les jalousies aussi, les blessures affectives, écrire cela paraît si anodin... Mais l'écrire en étant une femme syrienne, musulmane, l'écrire pour là-bas où son coeur est resté posé, écrire qu'elle choisit qui elle aime, est un acte subversif et beau.
Dans ce recueil de poèmes,
Maram Al-Masri vient à nous en habitante de la Terre. C'est une femme en exil, loin de sa terre natale, elle ne pourrait pas écrire cela là-bas et marcher dans la rue, libre, les cheveux aux vents. C'est une femme contrainte à l'exil.
Cependant c'est une femme qui écrit cela au sein d'une communauté musulmane, elle écrit cela en étant femme parmi d'autres femmes de sa communauté. Elle se dresse ainsi et crie ses mots que d'autres femmes peut-être liront, entendront.
Il y a dans ces vers le bonheur d'une femme à se réjouir d'une joie pure et presque enfantine, sourire, rire, embrasser le soleil au matin, le laisser glisser sur sa peau, s'autoriser à être triste aussi lorsque cela vient, mais toujours être à la citadelle de son existence, aimer, jouir à gorges déployées, attendre, une femme a le droit d'attendre, a le droit de dire non aussi. Elle dit non aussi. Elle dit non avec son coeur, elle dit non avec son corps. Et lorsqu'elle dit oui, c'est elle qui décide.
« Qu'est-ce qui te prend de rôder en silence
autour de ma maison
Tu m'empêches de serrer
les cordes de ma vie »
Maram Al-Masri dit cela avec une beauté infinie et simple à la fois, la beauté des mots.
Elle conjugue la féminité et le féminisme, ce n'est pas ce féminisme bobo et dépassé qu'on voit sur les réseaux sociaux. Être femme dans la communauté musulmane et le dire, le crier, c'est autrement féministe...
« L'amour s'en est allé
laissant mon coeur suspendu au mur
près de la cheminée
et malgré cela il est resté froid
à la tombée du jour
alors que le soleil avait disparu »
J'ai aimé cette voix singulière, fascinante et simple, transparente, aimante et aimée, innocente, une voix qui ressemble aux premiers commencements de nos vies, de nos histoires, une voix arrachée au silence d'une communauté qui musèle par sa loi la voix des femmes et leur désir.
Elle dit l'amour qui vient, l'amour qui ne vient pas, elle ose le dire, elle ose prendre le droit de le dire malgré les grillages de tissus qui enferment les femmes de sa communauté.
Sa voix est une musique qui refuse la réclusion. Ce qui est important ici ce n'est pas le désir mais la voix qui le crie. C'est la beauté même qui donne sens à tout ce texte qui sent l'odeur du printemps.
« La mer m'a invitée
à rêver d'elle
mais je suis arrivée en avance au rendez-vous
de peur que ses rêves ne commencent
sans moi
Les rêves de la mer
sont immenses et insondables
Toi mon rêve
qui les augmente
dans le bleu et le mystère »