Rencontre avec Camille Robcis autour de Désaliénation. Politique de la psychiatrie. Tosquelles, Fanon, Guattari, Foucault paru aux éditions du Seuil.
-- rencontre animée par Blandine Ponet.
Camille Robcis, spécialiste en histoire intellectuelle et politique française, enseigne à l'université de Columbia. Elle a déjà publié La Loi de la parenté. La famille, les experts et la République (Fahrenheit, 2016).
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12/03/2024 - Réalisation et mise en ondes Radio Radio, RR+, Radio TER
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On est tous à la merci de cette stupeur qui vous prend à la gorge et vous étouffe littéralement. On est tous alors semblables à Swann, à moitié fou après sa séparation d’avec Odette, et qui fuyait comme la peste tous les mots susceptibles d’évoquer, même indirectement, son existence. C’est pourquoi chacun reste cramponné à ses échafaudages sémiotiques; pour pouvoir continuer à marcher dans la rue, se lever, faire ce qu’on attend de lui. Sinon tout s’arrête, on a envie de se jeter la tête contre les murs. C’est pas évident d’avoir le goût de vivre, de s’engager, de s’oublier. Il y a une puissance extraordinaire de l’ « à quoi bon !» C’est bien plus fort que Louis XV et son «après moi le déluge»! Est-ce que ça vaut le coup de continuer tout ça, de reprendre le legs des générations antérieures, de faire tourner la machine, d’avoir des gosses, de faire de la science, de la littérature, de l’art? Pourquoi pas crever, laisser tout en plan? C’est une question ! C’est toujours à la limite de s’effondrer… La réponse, bien sûr, est à la fois personnelle et collective. On ne peut tenir dans la vie, que sur la vitesse acquise. La subjectivité a besoin de mouvements, de vecteurs porteurs, de rythmes.
Partout s'imposent des sortes de chapes neuroleptiques pour fuir précisément toute singularité intrusive. (...) Il risque de ne plus y avoir d'histoire humaine sans une radicale reprise en main de l'humanité par elle-même.
Les gens qui dans les systèmes thérapeutiques ou dans l’université, se considèrent comme de simples dépositaires ou canaux de transmission d’un savoir scientifique, ont déjà pris pour cette seule raison, une position réactionnaire. Quelle que soit leur innocence ou leur bonne volonté, ils occupent une position de renforcement des systèmes de production de la subjectivité dominante. Il ne s’agit pas d’un destin de leur profession.
La loi capitalistique, pour légitimer son entreprise de tutélarisation de l'ensemble des machines abstraites, se donne des allures de destin. (...) Toutes les lois, quelles qu'elles soient, tombent, pourraient tomber, ou devraient tomber, sous sa coupe exclusive.
En fait, ces énormes machineries concentrationnaires renforcent l'opacité des troubles, la solitude des malades, le non-sens de leur existence. Elles développent en réaction une sorte de pathoplastie sociale des maladies mentales qui les font s'endurcir et se refermer sur elles-mêmes. Aliénation sociale qui se superpose aux instances plus particulières d'une aliénation d'ordre psychopathologique.
A toutes les échelles individuelles et collectives, pour ce qui concerne la vie quotidienne aussi bien que la réinvention de la démocratie, (...), il s'agit, à chaque fois, de se pencher sur ce que pourraient être des dispositifs de production de subjectivité allant dans le sens d'une re-singularisation individuelle et / ou collective, plutôt que dans celui d'un usinage mass-médiatique synonyme de détresse et de désespoir. (...) Il ne saurait plus s'agir là de mots d'ordre stéréotypés, réductionnistes, expropriant d'autres problématiques plus singulières et impliquant la promotion de leaders charismatiques.
Un des problèmes analytiques clés que l'écologie sociale et l'écologie mentale devraient affronter, c'est l'introjection du pouvoir répressif de la part des opprimés.
Territorialité, détérritorialisation, reterritorialisation : la notion de territoire est entendue ici dans un sens très large, qui déborde de l'usage qu'en font l'éthologie et l'ethnologie. Le territoire peut être relatif à un espace vécu, aussi bien qu'à un système perçu au sein duquel un sujet se "sent chez lui". Le territoire est synonyme d'appropriation, de subjectivation fermée sur elle-même. Le territoire peut se déterritorialiser, c'est à dire s'ouvrir, s'engager dans des lignes de fuite, voire se déliter et se détruire. La reterritorialisation consistera en une tentative de recomposition d'un territoire engagé dans un processus déterritorialisant.
Le capitalisme est un bon exemple de système permanent de reterritorialisation : les classes capitalistes tentent constamment de "rattraper" les processus de déterritorialisation dans l'ordre de la production et des rapports sociaux. Il tente ainsi de maîtriser toutes les pulsions processuelles (ou phylum machinique) qui travaillent la société. (dans Glossaire de schizo-analyse)
…Sous des formes variées, un microfascisme prolifère dans les pores de nos sociétés, se manifestant à travers le racisme, la xénophobie, la remontée des fondamentalismes religieux, du militarisme, de l’oppression des femmes. L’histoire ne garantit aucun franchissement irréversible de “seuils progressistes”. Seules les pratiques humaines, un volontarisme collectif peuvent nous prémunir de retomber dans les pires barbaries. A cet égard, il serait tout à fait illusoire de s’en remettre aux impératifs formels de la défense des “droits de l’homme” ou du “droit des peuples”. Les droits ne sont pas garantis par une autorité divine ; ils reposent sur la vitalité des institutions et des formations de pouvoir qui en soutiennent l’existence….
On a l’inconscient qu’on mérite ! Et je dois avouer que celui des psychanalystes structuralistes me convient encore moins que celui des freudiens, des jungiens ou des reichiens ! L’inconscient, je le verrais plutôt comme quelque chose qui traînerait un peu partout autour de nous, aussi bien dans les gestes, les objets quotidiens, qu’à la télé, dans l’air du temps, et même, et peut-être surtout, dans les grands problèmes de l’heure. (Je pense, par exemple, à cette question du choix de société qui refait invariablement surface lors de chaque campagne électorale.) Donc un inconscient travaillant aussi bien à l’intérieur des individus, dans leur façon de percevoir le monde, de vivre leur corps, leur territoire, leur sexe, qu’à l’intérieur du couple, de la famine, de l’école, du quartier, des usines, des stades, des Universités… Autrement dit, pas un inconscient de spécialistes de l’inconscient, pas un inconscient cristallisé dans le passé, gélifié dans un discours institutionnalisé, mais au contraire, tourné vers l’avenir, un inconscient dont la trame ne serait autre que le possible lui-même, le possible à fleur de langage, mais aussi le possible à fleur de peau, à fleur de socius, à fleur de cosmos…