Citations de A. J. Cronin (116)
Tout en continuant, la jeune femme au piano tourna la tête et l'inspecta de la tête aux pieds. Elle devait avoir vingt-cinq ans. Ses yeux étaient sombres dans un visage pâle, mais ils avaient une expression triste et pleine de défi à la fois qui retenait l'attention. Sa gabardine bleu marine lui moulait les hanches. Ses orteils jouaient avec des sandales en cuir rouge et usé. Ses cheveux blonds étaient coiffés sans la moindre recherche.
Vers la fin d'un après-midi de 1938, le vieux curé Francis Chisholm gravissait, clopin-clopant, le raidillon qui mène de l'église Sainte-Colomba au presbytère, sur la colline. Malgré son infirmité, il préférait ce sentier à la pente plus douce de Mercat Wynd; arrivé à l'étroit portail de son jardin enclos de murs, il s'arrêta avec un air naïf de triomphe, pour reprendre haleine, tout en contemplant la vue qui lui avait toujours été chère.
Il se rendait compte, avec une cruelle perspicacité, que tous ses prétendus maux étaient dus à l’argent. Elle n’avait de sa vie travaillé un seul jour, elle se dorlotait, se soignait, se nourrissait trop bien. Si elle ne dormait pas, c’était parce qu’elle ne prenait aucun exercice... pas plus pour son cerveau que pour ses muscles. Elle n’avait rien à faire qu’à détacher les coupons de ses titres, à penser à ses dividendes, à secouer sa femme de chambre et à combiner des menus pour elle et son chouchou, un loulou de Poméranie. Si elle voulait bien sortir de son cabinet et faire quelque chose de sensé, renoncer à toutes les pilules, à tous les sédatifs, soporifiques, cholagogues et autres niaiseries... donner de son argent aux pauvres, aider les autres et ne plus penser uniquement à elle... Mais jamais, jamais elle n’y consentirait, ce n’était même pas la peine de le lui demander. Elle était moralement morte et lui aussi l’était, dieu lui pardonne.
" Mangez moins , les portes du paradis sont étroites."
mais l'ennui c'est que ces gelées cesseront forcément un jour, il faudra bien que la glace craque, le dégel viendra et plus il a gelé dur plus le dégel est mou. Un de ces jours, il y aura ici un grand changement dans la situation. Et il levait sur Brodie un regard ingénu.
Celui-ci comprenait parfaitement le double sens de ces mots mais il n'avait pas assez d'esprit pour répondre du tac au tac.
Catherine lui arracha le journal des mains, et un grand titre, en première page, lui apprit que Brandt avait trouvé la mort avec dix autres passagers dans un terrible accident d'avion.
" Mangez moins , les portes du paradis sont étroites."
Je me renfermai de plus en plus en moi-même, évitai le monde et fis une vertu de ma solitude. Lorsque Kate m'invitait, je trouvais toujours quelques bonnes excuses. Quand à Reid, je ne le voyais plus que rarement. Un jour, celui-ci me rencontra et me sourit de façon bizarre.
"Je fais ce que je peux pour vous être agréable, Shannon."
"Comment cela ?" demandai-je surpris.
"Et bien, je vous laisse seul."
page 51 [...] Malgré la douceur de la réconciliation, l'heureuse certitude que Nicolas lui était plus complètement attaché que jamais, le consul ne parvenait pas à oublier le rôle de José dans ce bref, ce pénible incident. Il avait été dans ses habitudes chaque matin, à sa sortie de chez lui, de répondre, de loin, au salut respectueux de son jardinier. Maintenant, il passait devant lui avec une indifférence affectée, les yeux fixés droit devant lui ou détournait la tête, pour ne pas voir. Il n'en sentait pas moins, non loin de lui, le jeune homme, prenait nette conscience de ce corps mince sous le coton léger, du mouvement vigoureux de ses bras sur le long manche de la bêche, de son chaud sourire. Un frisson désagréable le secouait tout entier ; une irritation l'envahissait et demeurait en lui longtemps après son arrivée aux bureau.
Cette émotion, il s'efforçait de s'en débarrasser. Etait-il admissible de se laisser ainsi troubler par un simple domestique, un vulgaire gamin des faubourgs ? N'était-il pas au-dessous de sa dignité de réagir ainsi pour un sujet qui, vu de haut, avait chaque jour moins d'importance [...]
“- Ah ! s’écria Sir Rumbold, alors vous aussi vous avez payé votre tribut”. Et en s’éclaircissant la voix et mettant son pince-nez sur l’organe dont il était richement pourvu, il attira l’attention de toute la table. Sir Rumbold était très à son aise en pareil cas : depuis des années déjà l’attention du grand public britannique se concentrait sur lui. C’était lui qui, il y avait un quart de siècle, avait stupéfait l’humanité en déclarant qu’une certaine portion de l’intestin était non seulement inutile, mais décidément nuisible. Dès centaines de gens s’étaient immédiatement précipités pour se faire enlever ce dangereux morceau et, bien que Sir Rumbold ne fût pas lui-même de ce nombre, le bruit que fit cette opération, appelée par les chirurgiens “l’excision Rumbold-Blanc” établit sa réputation de diététiste. Depuis lors, il s’était maintenu au premier rang, faisant adopter avec succès par ses compatriotes successivement le son comme aliment, le yogourt et le bacille de l’acide lactique. Il inventa ensuite la “mastication Rumbolt-Blanc” et à présent, sans compter son rôle actif dans nombre de conseils d’administration, il rédigeait les menus de la série des fameux restaurants Railey : “Venez, mesdames et messieurs, permettez à Sir Rumbold-Blanc, M.D., F.R.C.P. de vous aider à choisir vos calories”. Nombreux étaient les murmures et les protestations parmi les guérisseurs plus authentiques, déclarant qu’on aurait dû depuis des années rayer Sir Rumbold de la liste officielle des médecins... A quoi on répondait évidemment : “Que serait donc cette liste sans Sir Rumbold?”
C'était un petit homme replet , à la mine épanouie ; vêtu d'un costume de soie noire , il était coiffé d'un panama qui , tout comme ses chaussures , était de la plus belle qualité . Ses élégantes lunettes de soleil avaient ceci de commun avec celles d'Aristote Onassis , que leurs larges branches contribuaient à rendre les yeux invisibles , cependant que les mains aux ongles raffinés s'agitaient de très expressive façon .P. 31
« Tandis que j’étais ainsi en servitude, j’avais cherché avec une ardeur passionnée un sujet de réelle importance pour une recherche étendue, une thèse originale, si capitale qu’elle influencerait, ou même modifierait l’orientation de la médecine générale. » (p. 22)
C'est elle (Kate) qui puise pour moi dans sa propre bibliothèque de bons livres tels qu'Ivanhoé ou Quentin Durward. Et je sais aussi qu'il existe dans cette même bibliothèque, pour les avoir lus en cachette avec avidité, des romans où le héros, un beau ténébreux, tombe à genoux au dernier chapitre devant une pure jeune fille en robe de satin blanc qu'il avait jusque-là fort maltraitée.
618 - [Le Livre de Poche n°652, p. 94-95]
L'oeuvre de Cronin témoigne d'une extrême sensibilité aux misères les plus secrètes, qu'elles soient du corps, de l'âme ou du cœur. Mais jamais, sans doute, cette sensibilité ne s'est manifestée avec plus de diversité que dans ce recueil de douze nouvelles - qui sont pour la plupart des romans en miniature.
"Le porte bonheur", c'est Kitch, un touchant "poulbot" écossais qui deviendra la mascotte du plus vieil étudiant de Glasgow....Il y a aussi Susan ("L'infortunée") qui découvre le bonheur aux confins du désespoir. Et Joe dont la douloureuse plaie d'argent se cicatrise, enfin, lorsqu'une bombe lui enlève ceux qu'il aimait.
Et Olwen Davies, l'infirmière au dévouement que rien n'arrête jamais. Et encore, Martha la dure, à qui la mort brutale de son fils rouvrira le coeur (Le dégel de Martha Lang).
D'une nouvelle à l'autre, Cronin peint là une inoubliable galerie de personnages, pittoresques et attachants.
Histoires émouvantes, mais où le célèbre écrivain distille son humour, mélange d'ironie et de compassion. Un humour qui s'épanouit dans le portrait pour virer au noir avec l'affrontement de grand-mère Scott et de grand-père Clegg (En mal de dents).
Et ce livre rayonnant de chaleur humaine, qui réunit tous les grands thèmes d'un grand romancier, trouve son apothéose dans la sérénité de "L'auberge de la belle étoile", le plus beau de tous les Noëls.
(quatrième de couverture du volume paru aux éditions "Albin Michel" en 1975)
Dehors, dans le silence de l'avenue déserte, Amédée mena Stephen dans un petit café encore ouvert. Il y but plusieurs pernods tandis que son compagnon vidait un grand bol de bouillon épaissi de légumes et de bouts de boeuf bouilli. C'était son premier vrai repas depuis des jours et il se sentit mieux.
- Vous ne mangez pas? demanda-t-il.
- Cela me tient lieu de tout, dit Amédée avec un regard indifférent pour le liquide d'un vert opale que contenait le verre qu'il tenait entre ses doigts tachés de nicotine. C'est ainsi que je me nourris depuis quelque temps.
Assis dans le café désert aux lampes baissées, l'unique garçon sommeillant derrière le comptoir, son torchon sur la tête, Amédée parla de lui-même, de sa vie, en quelques phrases brèves et laconiques.
Né en Italie, il descendait d'une famille de banquiers juifs et avait étudié, en dépit d'interruptions provoquées par la maladie, à Florence et à l'Académie de Venise. Depuis sept ans, s'inspirant des primitifs et de l'art nègre, il travaillait à Paris, parfois avec son ami Picasso et, à l'occasion, avec Gris. Il n'avait à peu près rien vendu de ses oeuvres.
- Me voici, maintenant; conclut-il avec un sourire à la fois mélancolique et franc, me voici affaibli par la misère, l'alcool et la drogue. Seul, à l'exception d'une jeune fille qui a eu le malheur de s'intéresser à moi, un pauvre hère, un inconnu.
Vidant son verre, il se leva.
- Mais je me flatte, ajouta-t-il avec force, de ne jamais avoir avili mon art.
- Il lui appartiendra certainement si vous ne vous proposez pas ! Écoutez, Duncan (elle continua avec persuasion), vous êtes jeune, un peu novice encore ; mais vous êtes le seul homme dans la Fondation qui ait une valeur réelle. Le professeur Lee le sait. De plus, personne ne désire qu'Overton obtienne le poste, il ruinerait la Fondation.
- Pourquoi ne posez-vous pas votre candidature vous-même ?
- Vous savez bien qu'on ne donnera jamais le poste à une femme. (Elle élimina de sa voix tout sentiment de rancune et de dépit.) C'est pourquoi j'ai besoin de vous.
Angleterre 1914. La vie au quotidien des travailleurs a la mine. Des hommes courageux surexploités. Parmi eux, une personne jeune et ambitieuse ne supportant plus ces conditions désastreuses profitent d’un triste accident dans la mine (100 morts) pour lancer un avis de grève. Pris par l’engouement de cette grève et de son impact, le jeune homme franchit le cap e t se lance corps et âme pour la candidature des prochaines élections municipales… Corruption, abus de confiance mais aussi noble ambition et persévérance…
― Ne vous tourmentez pas. Je vois ce que vous pensez, mais nous saurons continuer votre œuvre. Jerry et moi projetons déjà de doubler le rendement de la mission Saint-André. Nous allons prendre une vingtaine de catéchistes bien payés ; nous organiserons une cuisine populaire dans la rue des Lanternes, juste en face de vos amis méthodistes. Nous allons leur en jeter plein la vue. Nous allons faire du vrai, honnête et solide prosélytisme catholique… […].
Le père Chisholm éclata de rire.
― Mes chers enfants, ne faites pas attention à moi ! Je suis un vieux grincheux. Vous ferez merveille ici, mais ne soyez pas trop sûrs de vous… soyez doux et tolérants, et n’essayez pas d’apprendre à tous les vieux Chinois ce qu’ils savent depuis plus longtemps que vous.
Il vit un jeune garçon qui gravissait la colline derrière son troupeau.
Il pouvait avoir dix-sept ans, était petit et nerveux comme ses moutons ; son visage, intelligeant et gai, exprimait l’étonnement. Il était vêtu de courtes culottes en peau de mouton et d’une cape de laine. […]. Il salua le jeune homme et s’enquit qu’il venait du village de Liu.
« Je viens du village chrétien. Je m’appelle Liu Ta. Mon père est le prêtre du village.
Le missionnaire crut préférable de ne pas questionner le jeune homme. Il se borna à dire : « Je viens de très loin. Moi aussi, je suis prêtre. Je te serait reconnaissant de m’amener chez toi. »
Le Christ […]. Il a établi certaines règles. Votre docteur Tulloch ne s’y conformait pas. Vous le savez. Et, à la fin, lorsqu’il n’était plus conscient, vous ne lui avez même pas administré l’extrême onction.
― C’est vrai, peut-être aurais-jr dû le faire…. Vous aviez aussi de l’affection pour lui n’est-ce pas ?
― Oui… Qui aurait pu faire autrement ?
― Alors ne nous disputons pas à ce sujet. Il y a une chose qu’il ne faut pas oublier. Le christ nous l’a enseignée. L’Eglise nous l’enseigne…. Si sa foi est sincère, nul n’est jamais perdu. Personne. Ni bouddhiste, ni mahométan, ni taoïste… même pas le plus noir des cannibales qui ait jamais dévoré un missionnaire… S’ils sont de bonne foi, ils seront sauvés. Telle est la charité immense de Dieu. Pourquoi, dès lors, ne se plairait-il pas à voir comparaître au jugement dernier un agnostique bon teint et à lui dire, avec un peu de malice : « Eh bien tu vois, me voici, malgré tout ce tu as pu croire. Pénètre dans ce Royaume, dont tu niais honnêtement l’existence.