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Citations de Albert Cossery (319)


Yéghen se réveilla en poussant un cri perçant. Un froid intense régnait dans la chambre. Il fit un geste pour ramener à lui l’édredon, mais à sa grande surprise il découvrit que celui-ci avait disparu. La stupéfaction lui coupa le souffle : il n’arrivait pas à comprendre ce qu’était devenu l’édredon. De toutes ses forces, il se mit à appeler l’hôtelier.
Un temps infini passa, mais personne ne répondit. Yéghen haletait, assis dans le lit, les bras croisés sur la poitrine pour se préserver du froid. Il allait appeler de nouveau, lorsque la porte s’ouvrit et que l’hôtelier apparut dans l’embrasure, tenant à la main une lampe à pétrole. Il s’avança d’un pas prudent, un doigt sur la bouche.
- Où est l’édredon ? s’écria Yéghen. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
- Ce n’est rien, chuchota l’hôtelier. Je suis en train d’endormir un client avec. Dès qu’il sera endormi, je te le rapporterai, sur mon honneur ! Seulement, je t’en conjure, ne fais pas de scandale.
Yéghen réalisa alors que c’était arrivé pendant son sommeil. L’hôtelier était venu dans sa chambre, l’avait débarrassé de l’édredon, pour le donner à un nouveau client. Il était complètement ahuri par ces procédés fantastiques.
- Vous n’avez qu’un seul édredon pour tout l’hôtel, demanda-t-il ?
- Oh non ! dit l’hôtelier toujours à voix basse. C’est un hôtel de premier ordre ; nous avons trois édredons. Mais nous avons aussi beaucoup de clients.
- Je comprends, dit Yéghen. Qu’allons-nous faire ? J’ai froid, moi. Et je tiens à dormir. Je veux l’édredon.
- C’est l’affaire d’un instant, dit l’hôtelier. Sur mon honneur, je te le rapporte tout de suite. Le client à qui je l’ai donné était très fatigué ; il dormait debout. Il doit être tout à fait endormi maintenant. Ne bouge pas ! Je vais voir. Et ne crie pas surtout.
L’hôtelier sortit sur la pointe des pieds, emportant la lampe. Yéghen demeura dans l’obscurité, grelottant de froid. Il entendit l’hôtelier ouvrir une porte à côté de la sienne ; c’était là sans doute la chambre du nouveau client. Yéghen se prit à murmurer : « Pourvu qu’il se soit endormi. Mon Dieu ! fais qu’il se soit endormi. »
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L'aube se leva sur un quartier régénéré qui n'acceptait plus la vie telle qu'elle était, mais voulait la dominer, la rendre plus hardie et plus belle.

(Excipit)
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Il détestait s'entourer d'objets ; les objets recelaient les germes latents de la misère, la pire de toutes, la misère inanimée ; celle qui engendre fatalement la mélancolie par sa présence sans issue.

(P7)
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-Tu m'aimes ?
Dans sa bouche de gamine, cette question banale prenait une signification poignante. Heykal en fut assombri; il refusait de se laisser engloutir dans ce marécage affligeant de l'amour. Ce qu'il ressentait pour elle n'avait rien en commun avec cette passion farouche qu'elle semblait exiger de lui. Elle confondait un médiocre élan sentimental, fait de platitudes et de routine, avec l'incomparable complicité qui les liait. Mais comment lui expliquer la différence ?
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— Je l’ai connu en prison. Ça peut te sembler incroyable, mais il y a beaucoup d’hommes cultivés qui croupissent en prison pour délit d’opinion. Ce sont des révolutionnaires qui veulent changer la société.
— Je me méfie de la plupart de ces révolutionnaires. Ils finissent toujours en politiciens assagis défendant cette même société qu’ils vilipendaient dans le passé.
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- Est-ce qu'un crime gratuit tombe sous le coup de la loi ? N'est-il pas de la même essence qu'un tremblement de terre, par exemple ?
- Un tremblement de terre ne se raisonne pas, dit Nour El Dine. C'est une fatalité.
- Mais l'homme est devenu une fatalité pour ses semblables, reprit Gohar. L'homme est devenu pire qu'un tremblement de terre. En tout cas, il fait plus de dégâts. Ne crois-tu pas, monsieur l'officier, que l'homme a depuis quelques temps dépassé en horreur les cataclysmes de la nature ?
- Je ne peux pas arrêter un tremblement de terre, dit Nour El Dine avec un entêtement comique.
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-- Salut sur toi! dit Souka. Que dis-tu de ça ?
Il désignait la maison au-dessus d'eux.
Bayoumi leva la tête, regarda et ne dit rien. Il semblait vivre dans un monde de sérénité morbide, situé au delà des frontières de la peur. Avec des gestes d'une solennité mystérieuse, il s'occupa à rassembler ses bêtes. Le singe taquinait la chèvre et voulait la chevaucher comme pour une séance publique.Bayoumi le tira par la laisse et le fit descendre par terre.
-- Il vous prend pour des clients, dit-il. Quelle tristesse! Les clients sont si rares à présent.
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Pourtant tout aurait dû le mettre en garde. Le moindre texte de l'histoire ancienne ou moderne, qu'il avait commenté pour la compréhension de ses élèves, regorgeait de mille mensonges. L'histoire ! Qu'on pût travestir l'histoire, passe encore. Mais la géographie ? Comment pouvait-on mentir au sujet de la géographie ? Eh bien, ils étaient parvenus à dénaturer l'harmonie du globe terrestre, en y traçant des frontières tellement fantastiques et arbitraires qu'elles changeaient d'une année à l'autre.
Page 137
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- Eh bien ! Cela s'est passé il y a quelques temps dans un petit village de Basse-Égypte, pendant les élections pour le maire. Quand les employés du gouvernement ouvrirent les ruines, ils s'aperçurent que la majorité des bulletins de vote portaient le nom de Barghout. Les employés du gouvernement ne connaissaient pas ce nom-là ; il n'était sur la liste d'aucun parti. Affolés, ils allèrent aux renseignements et furent sidérés d'apprendre que Barghout était le nom d'un âne très estimé pour sa sagesse dans tout le village. Presque tous les habitants avaient voté pour lui.
P. 13
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Tu connais cette chèvre?
_Je n'ai pas cet honneur! Elle m'a suivi tout à l'heure de sa propre initiative.J'ai eu du mal à m'en débarrasser.
_Mes compliments.
_Pourquoi?
_C'est la putain du quartier.Et tu as déjà fait sa conquête.Elle a dû être impressionnée par tes beaux habits.Fais attention qu'elle ne broute pas ton imperméable.Elle raffole des tissus étrangers.
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Le dénuement de cette chambre avait pour Gohar la beauté de l'insaisissable, il y respirait un air de liberté et d'optimisme. La plupart des meubles et des objets usuels outrageaient sa vue, car ils ne pouvaient offrir aucun aliment à son besoin de fantaisie humaine. Seuls les êtres dans leurs folies innombrables, avaient le don de le divertir.
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Aucune violence ne viendra à bout de ce monde bouffon, répondit Heykal. C'est justement ce que recherchent les tyrans: que tu les prennes au sérieux. Répondre à la violence par la violence, c'est leur montrer que tu les prends au sérieux. C'est croire en leur justice et en leur autorité, et ainsi tu contribues à leur prestige; tandis que moi je contribue à leur perte.
(...) En suivant les tyrans sur leur propre terrain; en devenant encore plus bouffon qu'eux. Jusqu'où iront-ils ? Et bien, j'irai toujours plus loin qu'eux. Je les obligerai à se dépasser dans la bouffonnerie. Pour ma plus grande joie.
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Cette scène de jalousie proclamait une indéniable vérité : la primauté du mâle.
Malgré ses mutilations, l'homme-tronc arrivait à inspirer la passion, à faire naître
le désir charnel, rien que par sa présence d'homme. Rien qu'un sexe.
Mais tout l'espoir du monde était contenu dans ce sexe.
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Mais tandis que se dévoyaient ces foules soumises aux normes d'une éthique barbare, ici, à Dofa, la pauvreté du pays avait laisser la vie s'écouler paresseusement et le peuple se consacrer sans effort dégradant à des activités bénéfiques, telles que la pêche, les cultures maraîchères, un artisanat façonné dans l'indolence et la dignité ; il avait surtout marqué sa résistance aux modes décadentes, en continuant à s'exprimer dans un langage humain. C'était ce langage humain qui enchantait Samantar ; ce langage auquel s'était substitué partout dans le monde un idiome bâtard - ramassé dans les poubelles du commerce et de la publicité - qui ne concernait plus l'homme et d'où toute notion d'émotion était exclue.
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Tous les pays avaient leur contingent complet d’imbéciles, de salopards et de putains. Il fallait être un débile mental pour croire qu’il se passait ailleurs des choses prépondérantes. La seule diversité était celle du langage ; c’étaient partout les mêmes imbéciles, les mêmes salopards et les mêmes putains qui s’exprimaient dans des langues différentes, voilà en quoi consistait toute la nouveauté.
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La vraie valeur se mesure à la quantité de joie contenue dans chaque être. Comment pourrait-on être intelligent et triste ?
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Il n’y a aucun avenir dans la vérité, tandis que le mensonge est porteur de vastes espérances.
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[...] vivre en mendiant, c’était suivre la voix de la sagesse. Une vie à l’état primitif, sans contrainte.
[...] pour craindre la police, il faut avoir quelque chose à perdre. Et ici personne ne possédait rien.

[...] certes, la misère marquait leurs vêtements composés de hardes innommables, inscrivait son empreinte indélébile sur les corps hâves et décharnés, elle n’ arrivait pas cependant à effacer de leurs visages la criante allégresse d’être encore vivants.
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- Maître, dit Yéghen, je veux te faire une confidence.
- J'écoute.
- Eh bien! Tel que tu me vois, je suis en pleine aventure sentimentale.
- Mes félicitations! Quelle est l'heureuse élue?
- C'est une fille qui n'est pas comme les autres.
- Je t'arrête là, dit Gohar. Qu'est-ce que c'est une fille qui n'est pas comme les autres? Mon cher Yéghen, je te connaissais plus de discernement.
- Je voulais dire que ce n'est pas une putain.
- C'est une bourgeoise?
- Oui, sans doute la fille d'un fonctionnaire.
- Oh! L'horrible chose! Tu es amoureux d'elle?
- Tu me prends pour El Kordi. Maître je ne suis pas un enfant.
- El Kordi non plus n'est pas un enfant, dit Gohar. Crois-moi, tu le méconnais. Il est simplement sous l'influence de toute une littérature européenne qui prétend faire de la femme le centre d'un mystère. El Kordi s'ingénie à croire que la femme est un être pensant; son besoin de justice le pousse à la défendre en tant qu'individu social. Mais au fond il n'y croit pas. Tout ce qu'il demande à la femme c'est de coucher avec lui. Et encore, la plupart du temps sans payer, parce qu'il est pauvre.
- Mais dans mon cas le but est différent. Je ne cherche pas à coucher avec elle.
- Un amour platonique! C'est encore plus grave.
(P91)
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Sa réputation de poète lui avait acquis un immense prestige parmi ses compagnons illettrés. C'était lui qui mariait -affreux simulacre- les détenus entre-eux. Il est vrai que sa laideur le préservait d'un danger réel: il aurait fallu être aveugle pour vouloir le sodomiser. Heureusement il n'y avait pas d'aveugle en prison.
(P42)
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