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EAN : 9782844120359
112 pages
Joëlle Losfeld (22/02/2000)
4.12/5   76 notes
Résumé :
Les "hommes oubliés de Dieu" sont les victimes des grandes cités orientales qu'Albert Cossery, lui, ne peut effacer de son esprit.

Qu'il s'agisse de Zouba, le facteur qui, pour se venger des injures dont il est l'objet, s'autoproclame prophète, ou de Faiza, la jeune fille torturée par l'esprit malfaisant, qui ne trouve de repos que dans les bras de Mahmoud le hashache, chacune des cinq histoires de ce recueil est baignée d'une de ces clartés singuliè... >Voir plus
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Les livres d'Albert Cossery sont tous un peu les mêmes. Ils nous parlent des laissés pour compte du Caire.

Cette ville, dont on a arrêté de compter les habitants, comprend un centre-ville moderne et une ville "indigène" qui s'étend de façon anarchique. C'est là que Cossery nous fait découvrir toute une galerie de personnages plus ou moins loufoques. Ces héros sont toujours en marge de la société. On comprend vite qu'ils n'ont pas vraiment le choix tant la corruption règne en maître. L'homme "honnête" est souvent voué à la pauvreté et à l'inverse l'homme "parvenu" a dû se livrer à bien des compromissions.

Mais si la vie est difficile dans ces bidonvilles, leurs habitants ont développé un solide sens de l'humour pour y faire face. Cossery a l'art de décrire ses personnages dans des situations les plus cocasses à la limite du surréalisme.

Ainsi de cet homme, qui aspire à dormir toute la journée, et qui a chassé tous les bruits néfastes de sa rue afin de s'adonner à son seul plaisir : la sieste! L'infortuné est inopinément réveillé par un facteur (c'est à dire un fonctionnaire vendu au gouvernement) bouffi d'orgueil et qui se sent investi d'une mission civilisatrice à porter le courrier à des analphabètes. Leur dialogue vous fera pleurer de rire.

Ou bien encore deux mendiants qui ont chacun créé une école de mendicité, comme s'il s'agissait là d'une profession comme une autre, que l'on peut enseigner. L'un professant qu'il faut avoir l'air le plus misérable possible pour attirer la générosité du bon musulman, l'autre qu'il faut au contraire sauver les apparences pour ne pas effrayer le donneur potentiel...

Ou encore cet homme qui voit son fils revenir le jour de l'Aïd avec des herbes aromatiques en espérant qu'ils pourront manger du mouton. L'enfant demande naïvement à son père pourquoi tout le monde festoie alors qu'ils meurent de faim. le père prend alors conscience de sa pauvreté et n'a aucune explication rationnelle à donner à son fils si ce n'est qu'ils sont "oubliés de Dieu".

La force de cet auteur est de vous faire rire des choses les plus graves. Il nous fait découvrir la puissance de la dérision. Les "faibles", qui n'ont rien, l'emporteront toujours sur les riches qui ont tout à perdre. La seule chose que désirent nos gouvernants est qu'on les prenne au sérieux. Cossery nous montre combien ils deviennent risibles lorsqu'on les considère pour ce qu'ils sont : des pantins. Nous ne sommes pas loin de l'anarchisme car rien n'a d'importance pour Cossery.

Le plus étonnant est que l'auteur a vécu conformément aux préceptes qu'il défendait. Il a vécu pendant 50 ans dans un hôtel à Saint Germain des près sans jamais vraiment travailler. Il a écrit 8 livres en 50 ans ce qui est finalement assez peu. Il disait qu'il n'écrivait pas plus d'une phrase par jour et qu'il la peaufinait jusqu'à ce qu'elle soit parfaite. Il réussit parfaitement car ses 8 livres sont des bijoux de concision.

Si vous avez la chance de ne pas encore avoir lu Albert Cossery jetez-vous dessus. C'est selon moi un auteur majeur du XX ème siècle. J'aimerais parfois avoir le bonheur de le redécouvrir comme si c'était la première fois.
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"Mendiants et orgueilleux" est le titre qui m'a fait découvrir l'oeuvre de Cossery
J'ai apprécié le livre mais ce titre, d'abord ; cette association "intolérable" pour les 3/4 de l'humanité, je pense...
(Pour moi, c'est un oxymore sensé)

Que l'on soit pauvre, passe encore.. mais qu'on n'ait pas la décence de s'humilier sous cette pauvreté, ça ne sera jamais vu d'un bon oeil pour qui s'honore de travailler, de prospérer, enfin de vivre quoi !, selon l'étroite définition que s'en font les possédants.. (pas tous très riches, loin de là)

Dans ce roman donc, ainsi que dans ce recueil des "Hommes oubliés de Dieu" ; j'y ai trouvé cette charge (très précieuse), ce renversement des valeurs.. tout un arsenal prêt à dynamiter un monde de représentations
Mais l'on s'en tient là, avec l'auteur (quelque peu "radin" tout de même, il faut le dire..)
L'explosif, c'est toujours pour plus tard ; quand on aura fini de dormir, quand on aura fini de fumer, quand il n'y aura plus rien à voir
Dans sa philosophie à lui, il faudrait se tenir au bord du manque, pour ne pas cesser d'espérer (en toute lucidité) de "merveilleux" lendemains
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- La fête n'est pas pour nous, mon fils, dit-il. Nous sommes pauvres.
L'enfant pleura, pleura amèrement.
- Que m'importe, je veux un mouton
- Nous sommes pauvres, répéta Chaktour
- Et pourquoi sommes-nous pauvres ? demanda l'enfant.
L'homme réfléchit avant de répondre. Lui-même, après tant d'années d'indigence tenace, ne savait pas pourquoi ils étaient pauvres. Cela venait de très loin, de si loin que Chaktour ne pouvait pas se rappeler comment cela avait débuté. Il se disait que, sans doute, sa misère n'avait jamais eu de commencement. C'était une misère qui se prolongeait au-delà des hommes.
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J'avais hâte de lire Albert Cossery car j'avais lu de beaux avis sur ses livres qui m'avaient donné très envie et j'ai été déçue car j'ai eu du mal à venir à bout de ce petit recueil de nouvelles malgré une belle langue, parfois peut-être trop recherchée. J'ai en effet eu des difficultés à entrer dans les histoires, sûrement parce que j'ai eu du mal à m'identifier aux personnages, qui n'aspirent souvent qu'à dormir, n'ont pas d'empathie pour leur prochain et s'insultent à qui mieux mieux.

Albert Cossery dépeint un peuple vivant dans une misère crasse, abrutissante, même si jamais dévalorisante, avec aucun espoir d'en sortir et sans conscience de cette misère. Les nouvelles abordent toutes le thème d'une prise de conscience des conditions de vie et surtout d'un début de révolte contre cette misère séculaire (comme le ferblantier qui ne veut plus de cette vie pour son fils, le comédien qui veut offrir une vie en bonne santé à sa femme ou les éboueurs qui commencent des mouvements de protestation).

C'est la nouvelle “Danger de la fantaisie” qui m'a fait prendre conscience du message que l'auteur élabore dans ce recueil (et en général dans ses écrits si j'ai bien compris) avec cette révolte silencieuse des miséreux. Et c'est exprès qu'il nous montre des gens peu sympathiques car il veut “une matière humaine qui fut en mesure d'apitoyer les coeurs pourris et les consciences tarées de l'humanité repue”. Et si ses textes m'ont dérangé c'est que je fais partie de “ces êtres gras et rassasiés, installés dans leur abominable félicité” qui n'aiment pas “être dérangés dans leur vision optimiste du monde par l'étalage prémédité de trop affligeantes misères”. Belle mise en abîme que cette nouvelle qui donne les clés de lecture des autres et permet de se remettre en question!

Malgré des difficultés de lecture pour ce recueil, grâce à cette nouvelle du “Danger de la fantaisie”, je me suis dit que je retenterai un roman où j'aurais peut-être plus de place pour m'attacher aux personnages et dans lequel l'auteur aura plus la place de déployer sa pensée.
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Écrivain égyptien francophone, Albert Cossery situe les cinq nouvelles de son recueil dans les quartiers pauvres du Caire de la première moitié du XXe siècle. Bien qu'indépendantes les unes des autres, elles se combinent pour former un tableau de la misère qui régnait alors dans la population indigène de la capitale égyptienne alors que la zone européenne de cette dernière bénéficiait de tout le confort moderne. « La civilisation se fait sentir comme ça, aux lumières qu'elle prodigue autour d'elle pour aveugler les gens. » Toutes les histoires se déroulent dans les rues oubliées de la ville, à la périphérie de la civilisation, périphérie sombre avec sa vie traditionnelle à l'écart du progrès. Là, les gens ont faim, souffrent et se battent dans l'oppression et la servitude, sans présent ni avenir décents tandis que le désespoir prospère. C'est une galerie de portraits d'humbles et d'inadaptés qui chacun à sa manière résiste à la tragédie de la vie. Dans la nouvelle intitulée « Le coiffeur a tué sa femme », l'enfant du ferblantier qui ne peut que pleurer pour « se révolter contre l'injustice du monde » demande à son père pourquoi ils sont pauvres. Incapable de lui fournir d'explications, ce dernier n'a d'autre réponse que celle qui donne son titre au recueil. Dans « Le facteur se venge », des personnages oisifs et paresseux méprisant la civilisation moderne luttent contre l'oppression de la modernité occidentale et ses tentatives de rééducation. « Danger de la fantaisie » est une satire sociale dans laquelle le mentor d'une école de mendiants soupçonne qu'un de ses anciens disciples se prépare à créer une autre école de mendicité avec des idées plus fantaisistes qui vont « révolutionner l'art de demander l'aumône ». Travailleurs analphabètes, mendiants et toxicomanes sont les visages auxquels Albert Cossery donne une voix et une conscience sociale. Il décrit leur combat quotidien pour survivre et raconte les choses directement, sans embellir les situations, sans balayer la laideur ou la saleté sous le tapis. Il n'hésite pas à changer de style de langue pour s'adapter aux situations décrites, ne daigne pas l'utilisation d'un vocabulaire cru ou grossier comme de tournures plus poétiques, voire surréalistes. Il glisse même régulièrement des traits d'humour dans son récit réussissant à faire sourire le lecteur malgré la tristesse et la gravité du propos. Cet incroyable mélange des genres et des thèmes m'a rendu la lecture de ces nouvelles poignante et fascinante. D'autant plus que ses récits restent pertinents aujourd'hui dans un monde qui n'a guère changé et où beaucoup souffrent encore de faim et d'oppression en essayant de survivre dans les plus grandes villes du monde. Partout où l'injustice sociale prospère, les lumières de la civilisation et de la modernité nous aveuglent et tentent de nous faire oublier le sans-abri dormant dans la rue ou la mère célibataire bénéficiant de l'aide sociale.
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Citations et extraits (63) Voir plus Ajouter une citation
Il n'était pas gêné par sa misère. Elle était grande et large et il s'y promenait librement. Elle était comme une prison spacieuse ; il était libre d'aller d'un mur à l'autre de sa misère sans demander la permission à personne. Il était seulement gêné de la sentir si abondante. C'était une misère riche. Il ne savait comment la dépenser.
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Désormais, mon amour aura un sens et ma vie une raison. Vivre va signifier pour moi : combattre. Combattre dès maintenant et toujours les puissances barbares qui font que les enfants du peuple marchent pieds nus dans le ruisseau ; que les hommes de ce peuple mendient dans la rue, ou bien acceptent un travail d'esclaves qui ne leur assure même pas le pain de chaque jour.
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Nouvelle "Danger de la fantaisie"

Il possédait, disait-il, sur la mentalité de ces êtres gras et rassasiés, installés dans leur abominable félicité, des connaissances étranges et fameuses. Par exemple, il avait compris combien ces êtres-là n’aimaient pas être dérangés dans leur vision optimiste du monde, par l’étalage prémédité de trop affligeante misères. D’après lui, cela éveillait en eux de vagues remords et les rendait d’une méchanceté incroyable. Dès qu’un petit mendiant déguenillé venait leur offrir le spectacle de la lèpre ou de sa cécité, ils devenaient complètement dégoûtés, prêt à l’insulte et à l’outrage. Bref, les conditions de la mendicité se trouvaient ainsi réduites à une lutte incessante et désespérée.

Mais le lettré Gad avait trouvé le moyen de remédier à cet état humiliant, qui faisait de la mendicité un travail agressif et barbare. Il avait tout simplement supprimé la pitié comme moyen tactique. Délaissant les bases anciennes et établissant des données nouvelles, il ne comptait plus sur l’apport des misères tangibles et fortement nuancées. la pitié était un sentiment mort et dont on ne pouvait plus attendre le moindre secours. Dorénavant les pauvres ne devront plus provoquer de la pitié, mais de la sympathie. La sympathie était un sentiment encore inexploité par la classe mendiante. Jusqu’alors la valeur d’un mendiant résidait dans sa misère crapuleuse, ses plaies suppurantes et son indicible saleté. Aussi cette race de pleurnicheurs incurables, aux douleurs criardes et à l’aspect mortel, devait disparaître et faire place à une foule de petites créatures habillés comme des poupées en sucre, et aux attitudes naïves et charmantes. Par leur maintien et leurs gestes pleins d’une grâce exotique, elles sauront établir chez le client un courant de sympathie, vite récompensé, car rien ne plaît à l’homme satisfait comme le spectacle qui l’émeut d’une manière agréable, sans le salir ni l’effaroucher. Il était certain que tous les idiots de la ville européenne seraient séduits par l’attrait irrésistible de ce pittoresque nouveau.
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Ils approchent de la ville. Les réverbères se font plus nombreux et plus éclatants.
La civilisation se fait sentir comme ça, aux lumières qu'elle prodigue autour d'elle pour aveugler les gens.
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Chaque fois que tu rencontreras sur ta route un enfant déguenillé qui a faim et froid et qu’à sa vue ton cœur frémira de révolte, je serai près de toi. L’enfant qui pleure parce qu’il a a faim et froid, ça sera moi. L’homme accablé de soucis et qui ne sait où aller, ça sera moi. Et la femme délaissée et les amours rompues toujours à cause de l’argent, et tous les désirs insatisfaits et les envies de manger ou simplement respirer, tout cela, ça sera encore moi, toujours moi.
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Vidéo de Albert Cossery
L'écrivain égyptien Albert Cossery a accepté de rencontrer le journaliste Pierre-Pascal Rossi à Saint-Germain-des-Prés, où il vit dans une modeste chambre d'hôtel, et de retourner au Caire, sa ville natale, pour un reportage exceptionnel diffusé dans Hôtel, le 30 mai 1991 sur la TSR.
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Albert Cossery, l'Egyptien de Saint-Germain des Prés

Il faisait terriblement chaud. Rue de la femme-Enceinte, le facteur s'arrêta, comme il le faisait chaque matin, devant la boutique de Hanafi le repasseur.

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