Citations de Alexis Ragougneau (269)
La pire des punitions n'est jamais la critique, même acerbe, mais l'oubli. Lorsque le musicien passe de mode. Son carnet de bal se vide.... tous, au niveau où nous sommes, nous affichons une technique en béton. La différence... dans notre capacité d'attirer l'attention.
Le chef gagnait son podium d'un pas pressé, comme s'il avait souhaité mettre la salle derrière lui le plus vite possible... pour ménager le mystère, son mystère. Le chef est un homme qui se tient dos au public. C'est une silhouette possédée par son art.
La vérité est que l’on perd à tous les coups. Se plier au jeu de l’image et de l’exposition médiatique, c’est se consumer dans la lumière, s’égarer, ne plus reconnaître son visage dans le miroir. Refuser les règles, c’est se condamner à la quête solitaire, à l’errance, à l’épuisement ; à force de s’en vouloir d’être passé à côté du succès, on finit par s’assécher, se ratatiner, vieillir avant l’heure. (p. 169)
Nous commençons par un silence.
Mais les minutes de silence, vous le savez bien, ne durent jamais soixante secondes pleines, y compris dans le recueillement d'une basilique Genèvoise, un jour de funérailles. L'impatience a vite fait de surgir, quoique l'assemblée se compose pour l'essentiel de musiciens de OSR , par définition respectueux du temps imposé par leur chef. Cette fois, Claessens n'est pas au pupitre. Il est couché dans le cercueil, couvé des yeux par un curé pénétré de sa mission célébrer l'artiste .....
C'était à vomir. Dans ces crus éventés macéraient quatre années de compromissions, de courbettes, de poignées de mains moites, de contorsions obscènes pour conquérir ou conserver sa place au soleil, avoir sa photo dans les journaux, recevoir sur scène, soir après soir, sa dose d'applaudissements et de bravos.
Résister, c'était d'abord désobéir. C'était en assumer les conséquences. Accepter l'exil , le vrai, celui qui faisait de vous un étranger dans votre propre pays. Renoncer à voir votre famille. Vos amis. Instaurer une curieuse familiarité avec la mort, changer sa proximité permanente en routine quotidienne.
Parmi ces vainqueurs, bon nombre se sont décidés à rejoindre le camp de la liberté sur le tard, parfois même en septembre 44, quand tout était terminé. Ce sont ces écrivains-là, mon cher, ceux qui ont célébré les barricades boulevard Saint-Michel sans jamais y participer, qui s'agitent aujourd'hui dans la lumière de l'actualité. Ce sont aussi, croyez-le ou non, les plus féroces épurateurs du petit monde de l'édition.
L’Opus 77. C’était le visage du Christ sur sa croix. Souffrance extrême. Extase totale. L’union intime avec la musique, joyeuse et douloureuse. Tu as creusé si profond en toi, grâce à cette partition, que tu as fini par la trouver, cette porte de sortie. Le centre de la terre, voilà par où tu es passé, le noyau de toutes choses, puis tu ressorti par l’autre côté, aux antipodes.
Tous nous fuyons quelque chose. Nous cherchons la porte de sortie. Nous pensons que c'est cela, l'existence.
Bien sûr, j'exagère. C'est en cela que consiste mon métier. Tout exagérer, rendre visible l'invisible...
Rebâtir ? ... La confiance, bien sûr. En musique comme dans la vie, on ne peut s'en passer. C'est comme jouer en sourdine. Sans confiance, comprenez-vous, impossible de se faire entendre.
"C'est un gouffre, cette vie de pianiste, un gouffre noir. Il faut l'aimer ; il faut l'aimer pour continuer à avancer, sinon le gouffre vous dévore...
Et puis les violonistes vivent et voyagent avec leur instrument ; il fait office de doudou dans les moments difficiles, les plages de dépression ; le violon est le meilleur ami du violoniste, sa boussole, sa part d'enfance, aussi, il ne s'en sépare pour ainsi dire jamais ; l'étui qui le protège est une véritable maison en miniature, il recèle tout un tas de souvenirs, de photos, de porte-bonheur qu'il fait bon regarder ou toucher à quelques minutes du concert, quand le stress est si fort qu'il donne envie de vomir.
Le pianiste, lui, n'a guère la possibilité de voyager avec le paquebot qui lui sert d'instrument. Chaque soir, il faut faire connaissance, se confier à un parfait inconnu, lui dire ses joies et ses souffrances. Qui s'étonnera encore des difficultés qu'ont certains d'entre nous à s'attacher ? Que voulez-vous, moi je papillonne, de piano en piano, et parfois d’homme en homme."
Prends garde, je t’en supplie, de ne pas tout égarer. Garde nos rires et caresses complices, nos fuites éperdues au milieu de l’orage. Conserve au fond de toi ces petits gestes de rien du tout que nous avions coutume de nous offrir pour résister. Un jour, je suis bop enue laper tes larmes, te souviens-tu ? A la manière d’un chiot, j’ai bu à la fontaine de ta tristesse.
Alors j’ai su que je ne jouerais pas Funérailles de Liszt, mais une pièce bien plus longue, en quatre mouvements, sans compter la cadence réservée au soliste. Une œuvre écrite pour violon et orchestre, dont je connaissais la transcription au piano par cœur pour l’avoir répétée mille fois avec mon frère. L’Opus 77.
Le paradoxe de l’interprétation est que la façon la plus directe de communiquer avec le public est d’oublier son existence.
C'est usant. C'est épuisant. Parce qu'il n'y a aucune garantie que le miracle se reproduise de concert en concert. Cent ans, vous dis-je, et non vingt-sept ans. je ne suis qu'une vieillarde en costume de princesse. J'ignore combien de temps j'arriverai à tenir. La corde se défait brin à brin et je ne sais plus si je peux m'y suspendre de tout mon poids.
Vous comprenez maintenant, n'est-ce pas ? Pourquoi je refuse obstinément de me soumettre au jugement des hommes. Jamais ils n'auront de droits sur moi. Je me façonne seule ; je prends sans jamais me laisser prendre ; je choisis sans jamais me laisser choisir. J'assemble mon personnage pièce à pièce. C'est mon oeuvre à moi, mon lent travail de compositrice, en dehors des modes, en dehors de toute influence. Je laisse à Miroslav le soin de régler les détails - les hôtels, les avions, les contrats. Mais lorsque je m'assois au clavier sous le feu assommant des lumières, personne - je dis bien, personne - ne me dicte ma façon d'être ou de jouer.
"La vérité n'existe pas, comprendre sans juger et quelqu'en soit le prix" .....
Mon père, nous ne sommes pas dans un confessionnal mais au palais de justice. Ici nous nous occupons des affaires criminelles. Nous ne nous demandons pas si une décision est morale mais si elle est légale. Le droit. Voilà notre évangile.
- Cette fois, tu pourrais bien pousser jusqu'en enfer, curé. Là-bas, elles ne te seront d'aucune utilité, tes belles prières. D'ailleurs tu ferais mieux d'enlever la croix que tu portes au revers. Là ou tu vas, elle ne servira qu'à te faire repérer, crois-moi.