Allison Hoover Bartlett

En 1814, lorsque l'armée britannique incendia la bibliothèque du Congrès à Washington, Jefferson proposa de revendre sa collection personnelle riche de 6700 volumes. Les livres furent transportés par wagons entiers de Monticello à Washington et servirent de fonds initial à la bibliothèque actuelle. Il y avait probablement beaucoup trop de volumes pour se contenter de les ranger par taille, aussi il proposa un système de classement qu'il avait imaginé à partir de l'ouvrage de Francis Bacon "Du progrès et de la promotion des savoirs", dans lequel les livres sont classés en trois grandes catégories : mémoire, raison et imagination. Une division poétique que je serais curieuse de voir appliquée dans les librairies aujourd'hui. Cela prendrait peut-être plus de temps de trouver ce que l'on cherche, mais qui sait sur quoi l'on risquerait de tomber.

Elle avait écrit le mot suivant destiné à sa petite amie Helen Hope Rudolph : "Chère Helen, quelqu'un m'a dit un jour que ce livre avait l'air d'une boîte de chocolats. Alors, avec tout mon amour, voici une boîte de chocolats à 6 shillings, Gale."

Les objets sont chargés d'histoire et de sens, qu'il s'agisse de textes anciens ou de livres pour enfants. Lorsque je suis à la bibliothèque, cernée par les hautes étagères, j'ai comme le sentiment que le poids de l'étude est palpable, ce qui est une source à la fois d'humilité et d'inspiration. Cette magie ne fonctionne pas qu'avec les livres, mais aussi avec les lieux. On a des descriptions de l'Holocauste, de l'endroit où Emily Dickinson a écrit la Lettre au monde ou de la sépulture de Jim Morrison. Inutile de se déplacer, des photos sont disponibles en ligne. Et pourtant, des milliers de personnes se rendent tous les ans à Auschwitz, au Homestead et au Père-Lachaise. Je suppose que nous aimons être environnés de livres pour les mêmes raisons que nous allons sur ces lieux, ils nous relient à quelque chose qui nous dépasse, quelque chose de réel. C'est pourquoi je suis persuadée que les livres papier survivront, même lorsque les e-books seront devenus monnaie courante.

Parfois je me demande jusqu'où (...) n'importe quel collectionneur pourrait aller ?
C'est dans l'histoire que je trouvai une réponse à ma question, à travers l'exemple de don Vincente, un moine espagnol du XIXe siècle. Il commença par voler des livres dans la bibliothèque de son monastère cistercien, avant de disparaître pendant un certain temps, puis de refaire surface à Barcelone à la tête d'une librairie de livres anciens particulièrement bien fournie. Toutefois son magasin faisait toujours plus d'acquisitions que de ventes. et don Vincente ne vendait que les volumes les plus ordinaires, gardant pour lui les plus précieux. (p. 238)

En repensant au parcours de Gilkey et de Sanders, ainsi qu’à celui de nombreux voleurs et collectionneurs dont j’ai croisé la route, je les vois tous comme une collection, une vaste histoire qui témoigne de l’amour des livres : de leur contenu, de leurs histoires, de leur corps soyeux, vieilli, corné, tacheté, gaufré, marqué, fait de cuir et de papier. Je partage cette passion avec eux tous.

En 1644, John Milton écrivait : « Les livres ne sont pas des objets inertes, mais portent en eux autant de vie que l’âme qui les a fait naître, en effet ils conservent, comme dans une fiole, la puissance et l’essence de l’intellect qui leur a donné le jour.

Il me parla d’un livre qu’un libraire avait vendu à un autre pour 200dollars dans la matinée, et ce même libraire l’avait revendu à un prix de 3500 dollars l’après-midi même. Le second libraire avait su reconnaitre la valeur d’un livre, là où le premier n’avait rien vu.

On en apprend beaucoup sur une personne en regardant sa bibliothèque.

Chaque fois que je demandais à Gilkey de m'expliquer pourquoi les livres l'attiraient tant, il [...] finissait toujours par invoquer des considérations esthétiques : "à cause de l'effet qu'ils produisent quand je les regarde, tous alignés sur une étagère."

plus un collectionneur possède de livres, plus il en veut.
[...]
la collectionnite, c'est comme une fringale qu'aucun livre ne saurait rassasier.

Il n'est pas rare d'entendre les collectionneurs tenir des propos qui feraient passer le mot "manie" pour un euphémisme. "Trop peu de gens semblent avoir conscience que les livres ont des sentiments propres, écrit le collectionneur anglais Eugene Field, auteur de -The Love Affairs of a Bibliomaniac- [Les histoires d'amour d'un bibliomane ] en 1896. Mais s'il y a bien une chose que je peux avancer avec conviction, c'est que mes livres me connaissent et m'aiment. Le matin, lorsque je me réveille, j'embrasse ma chambre du regard pour voir comment mes petits trésors se portent et tandis que je leur crie d'un air joyeux : "Bonjour à vous, chers amis !", ils trônent au-dessus de moi et se réjouissent que mon sommeil n'ait point été troublé " (p. 99)

Dans un salon comme celui-ci, il est évident que n'importe quel livre est sensuel. Je regardais des collectionneurs se régaler les yeux, les mains et les narines. (p. 38)

(...) ils errent eux aussi certainement dans les allées espérant être surpris, car tel rêve de tout chasseur de trésor-dans le cas présent, il s'agirait de tomber sur un livre dont la rareté, la beauté, l'histoire ou la provenance sont encore plus séduisantes que l'histoire imprimée sous sa couverture. (p. 38)

Lorsqu’on les tourne, les pages émettent un craquement étouffé, qui n’est pas sans rappeler le bruit d’un drapeau par un après-midi venteux, et elles dégagent une odeur sèche et boisée, une combinaison de moût et de suavité qui me rappelle les livres de mes grands-parents. J’associe toujours l’odeur d’un vieux livre à l’époque à laquelle il a été écrit, comme si son parfum émanait directement du décor dans lequel se déroule l’histoire.

la plupart des collectionneurs [de livres] sont des hommes, généralement de plus de 40 ans. Ce sont des universitaires, de vieux hippies ou des bibliophiles chanceux dont l'héritage leur brûle les poches.

[Sanders] estimait que Gilkey faisait partie de ceux qui volent par amour des livres. Voilà une motivation que je pouvais comprendre.

Winston Churchill, un collectionneur de livres qui, lui, les achetait, exprime très bien cette relation à l'objet : " Qu'allez-vous faire de tous vos livres ?" Voilà une question que l'on me pose souvent. "Les lires?" me suggère t-on avec flegme. Si vous ne lisez pas vos livres,il faut au moins que vous les teniez entre vos mains et, pour ainsi dire, que vous les caressiez. Regardez à l'intérieur. Laissez-les s'entrouvrir là où ils le désirent. Lisez la première phrase qui arrête votre œil. Puis passez à une autre. Embarquez pour un voyage fait de découvertes, allez sonder des mers inexplorées. Reposez-les sur l'étagère à deux mains. Disposez-les selon une organisation qui vous est propre afin que, si vous en ignorez le contenu,vous sachiez au moins où ils se trouvent.

Gilkey avait un rêve qu'il ne pouvait pas s'offrir, et tous ceux qui l'empêchaient de le réaliser, les libraires, méritaient d'être punis. Je me demandais ce que l'on pouvait ressentir lorsqu'on avait cette vision du monde, lorsqu'on estimait qu'une chose nous revenait de bon droit jusqu'à se convaincre que tous les moyens étaient bons pour l'obtenir.

Gilkey ne sortit de prison qu'en octobre 1999. Il se sentait trahi et attendait des compensations. C'est un cycle qu'il allait vivre à plusieurs reprises: être persuadé de rester intouchable, se faire arrêter, purger sa peine, être relâché avec le sentiment que tout lui est dû et un désir de revanche qui le conduit à recommencer. Après avoir passé autant de temps derrière les barreaux, il avait l'impression de courir après la montre.

Les objets sont chargés d'histoire et de sens, qu'il s'agisse de textes anciens ou de livres pour enfants. Lorsque je suis à la bibliothèque, cernée par les hautes étagères, j'ai comme le sentiment que le poids de l'étude est palpable, ce qui est une source à la fois d'humilité et d'inspiration.
Cette magie ne fonctionne pas qu'avec les livres, mais aussi avec les lieux. On a des descriptions de l'Holocauste, de l'endroit où Emily Dickinson a écrit la lettre au monde ou de la sépulture de Jim Morrison. Inutile de se déplacer, des photos sont disponibles en ligne. Et pourtant, des milliers de personnes se rendent tous les ans à Auschwitz, au Homestead et au Père-Lachaise. Je suppose que nous aimons être environnés de livres pour les mêmes raisons que nous allons sur ces lieux, ils nous relient à quelque chose qui nous dépasse, quelque chose de réel.
C'est pourquoi je suis persuadée que les livres papier survivront, même lorsque les e-books seront devenus monnaie courante. Lorsque je marche dans la rue et que je vois tous ces gens isolés avec leurs iPod ou leur téléphone, je ne peux m'empêcher de penser que notre rapport au livre est toujours aussi important et tangible. Et c'est cette relation qui fait que les livres de mes grands-parents me sont si chers et que le Kräuterbuch est sublime.