Citations de Ananda Devi (314)
Mais allons plus près, plus près : dans ces corps bariolés de jaune safran, d'orange cuivré, de vert limon s'est installée la plus parfaite obscurité. L'espoir s'y réfugie pour mourir.
Dès la naissance, la vie est une exploration de la perte.
Apprendre à perdre est la chose la plus difficile qui soit.
Si tu étais une lionne en cage, je suis une souris en liberté.
La résistance humaine est admirable, vois-tu. Et sa ténacité. La preuve: je suis là. Sans cette obstination de vivre à tout prix, même tétraplégique, même aveugle, même sans corps visible, nous aurions depuis longtemps été anéantis comme les dinosaures. Les comètes ne sont pas venues à bout de notre espèce. Et crois-moi, nous avons beau paraître fragiles et voués à l'extinction, il n'en sera rien. Nos gènes survivront et referont surface après l'apocalypse. Car ils ont la ténacité de l'égoïsme. Les individus des autres espèces se sacrifient pour la survie du plus grand nombre; nous, nous ferons tout pour survivre, au prix du plus grand nombre.
Je ne suis pas sujette au regret. C’est perdre le temps précieux de vivre. Mais la seule vraie question c’est : suis-je sujette à la vie ?
Les parents pensent, c’était une fille normale, sans histoires. C’est précieux, pour des parents, une fille sans histoire. Ils ne connaissent pas le verso de son visage, sur lequel était inscrite la plus belle histoire de toutes. Ils ne devinent rien du sourire qui inspirait sa bouche.
Qu’as-tu dit hier et que diras-tu
Demain
Qui n’a ps été dit aujourd’hui?
Ta présence mime un secret
Depuis bien longtemps révélé.
Noëlla, elle, était condamnée à l'immobilité. Elle était née sans jambes.
Le premier regard qu'elle a porté sur le monde était déjà une mise en demeure. Contre tout ce qui, dans cette île, dansait, ondulait, déambulait. Contre la légereté des feuilles et du vent, et la fuite souple de l'eau et des voiles. Contre l'éternelle dérobade des regards. La fureur de Noëlla était sans limites. Je passais mon temps à fuir ce petit bloc de haine.
Les hommes de ma lignée paternelle sont doux, secrets, artistes inexprimés.
C'est là d'où je viens.
Entre artiste et autiste, il n'y a qu'une lettre.
Lutter contre l'envie de se terrer pour échapper au monde.
Celui qu'on appelle monstre est un découvreur de l'âme humaine, celui quo'n appelle monstre est le seul à assumer le courage de son exploration et à le montrer au monde, celui qu'on appelle monstre a la force de sa solitude et de l'affranchissement de toute béquille morale, de tout prétexte à ses actes, de toute excuse qui l'éxonèrerait aux yeux du monde. Celui qu'on appelle monstre a donc les yeux du fauve quand il regarde l'autre...
Quelle merveilleuse sensation que de plier une créature à
sa volonté ! Le pouvoir est un flux brûlant qui inonde les
veines et accélère le cœur. Le pouvoir — le vrai, pas simplement le pouvoir politique qui est malgré tout soumis à d’autres pouvoirs, à d’autres volontés — n’appartient qu’à quelques-uns. Le vrai pouvoir exige de celui qui le construit
et le détient et le retient une force de caractère surhumaine,
puisque sans cesse la conscience tente d’en ébranler les fondations. Le vrai pouvoir appartient à celui qui sait que la conscience est traître, qu’elle est la compagne du doute, qu’ensemble ils sont les prémices de cette faiblesse qui fait partie de la nature humaine et qui départage les hommes plus sûrement que tout autre critère. L’être social moderne aura beau tout tenter pour nier cette évidence, il n’y parviendra
pas : celui qu’on appelle « monstre » ne fait que suivre la nature et lui rendre l’hommage qu’elle mérite. Il explore jusqu’au tréfonds de son corps et de son esprit les infinies possibilités du pouvoir et aidera un jour l’homme à mieux
se connaître. Celui qu’on appelle monstre est un découvreur de l’âme humaine, celui qu’on appelle monstre est le seul à assumer le courage de son exploration et à le montrer au monde, celui qu’on appelle monstre a la force de sa solitude et de l’affranchissement de toute béquille morale, de tout prétexte à ses actes, de toute excuse qui l’exonérerait aux yeux du monde, celui qu’on appelle monstre a donc
les yeux du fauve lorsqu’il regarde l’autre même si en apparence il est tout à fait pareil aux autres, et dans ses yeux on peut reconnaître l’obscurité et le magma, le défi et la morsure, et surtout, surtout, le noir flux du pouvoir.
p 180/181
Il n’y a pas de mort préférable à une autre. Toutes sont également
cruelles et arbitraires. Toutes contredisent la nécessité de
l’existence. Tant d’effort pour vivre, et aboutir à cette ultime
inutilité. L’accumulation de désirs, d’exigences, de passions,
de colères, de grandeur et, à la fin, ceci : une masse immonde
dans un lit qui devient le seul monde connu, le seul espace
reconnu, pas de géographie, pas d’histoire, pas de passé, pas
de futur, pas de certitude, pas de foi. Le grand inconnu.
P41
Ce pays a trop de tout : d'hommes de femmes,d'animaux ,d'insectes, de tristesses, de mémoire, d'histoire,d'illusions.
Lorsqu’une espèce oublie ses pareils, les tue et les massacre, c’est que le moment est venu d’en finir.
Chaque bidonville, chaque mendiant éclopé, chaque enfant paralysé me rappelle que, si dans l'écriture on peut refuser, par peur, d'aller jusqu'au bout de ses mutilations, dans ce monde-ci, cette confrontation est un jour ou l'autre obligatoire.
Je pense à Sad, pauvre petit couillon amoureux d'Eve.
Mais non, c'est pas un couillon. Si on n'aime pas à dix sept ans, quand est ce qu'on va pouvoir aimer ?
C'est ça mon problème, je crois. J'ai jamais aimé. J'ai rencontré personne. Peut être que j'ai pas essayé, que j'étais trop occupé à être en colère.
(Eve)
J'éprouvais une sorte de fierté à ne pas posséder. On pouvait être riche de ses riens.
Je marche vers la lune et je me dis que ma vie est sacrée. J'ai été un petit garçon timoré, je suis devenue une femme entière et forte. Je suis devenue moi.
Accepter cette faille où nous sommes logées, celle où tous les exilés finissent par se retrouver. Car il y a tant d'exils possibles. Celui-ci est le nôtre ! l'enfant auquel on refuse le droit de danser, le jeune homme que l'on frappe à cause de ses articulations fragiles et de ses yeux trop doux, l'homme mûr qui n'a jamais été un homme et qui ne cherche pas à se cacher sous ses habits féminins et son masque de maquillage mais qui, au contraire, se révèle ainsi au grand jour, tel qu'en lui-même. Seulement, pour parvenir à cela, il doit accepter d'exister dans cette faille, dans cet entre-deux, même si le monde lui devient alors inaccessible et étranger.
(p.48) Ce pays a trop de tout: d'hommes, de femmes, d'enfants, de pauvres, de faibles, d'animaux, d'insectes, de tristesses, de mémoires, d'histoires, d'illusions. Long fleuve de corps abandonnés, rendus inutiles par cet inconcevable excès: tout y existe et tout y est détruit. Tout y est donc dispensable. Les douleurs ont les mains fermées sur les chevilles et tirent, tirent encore, sachant qu'un jour elles lâcherons prise.