Découvrez les autrices et auteurs de notre belle Rentrée littéraire 2024, dont les livres paraîtront en août !
Aucun respect, d'Emmanuelle Lambert
L'admiration, de Florent Marchet (@FlorentmarchetOfficiel )
Prescriptions, de Jean-Marc ParisisMalville, d'Emmanuel RubenUne femme a disparu, d'Anne-Sophie Stefaninile retour de Saturne, de Daphné Tamage
La nuis s'ajoute à la nuit, d'Ananda DeviHors-champ, de Cristina Comencini
le crématorium froid, de József Debreczeni
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Dès l’âge de dix ans, ils s’activent autour des bûchers. L’odeur imprègne leur peau, qui devient grise à force de vivre parmi les cendres. Ils manipulent tous les cadavres, jeunes, vieux, malades, amputés, en morceaux, décapités, ou si parfaits qu’on a du mal à croire qu’ils sont morts. Avec le temps, ils ne les voient plus. Enveloppés de leur suaire blanc, les défunts sont tous pareils, tous voués à la désintégration. Une fois les corps brûlés, les enfants sont chargés de retrouver ce que le feu n’a pas détruit. Ils marchent parmi les cendres à la recherche de bijoux, de pièces ou d’ustensiles, et pataugent dans la boue du Gange pour récupérer ce qui pourrait être vendu. Ils ramassent les morceaux de bois qui n’ont pas été brûlés pour les ramener à la maison, où ils seront utilisés pour cuisiner. Tout dans cette industrie est récupérable. Grande leçon, pour notre époque !
Les réseaux personnels, nourris, gonflés, enflés d’infos, ont remplacé les médias traditionnels : grâce à eux notre monde se rétrécit, tout comme nos interactions réelles et notre capacité de concentration. Des oisillons sautillant de branche en branche, picorant ici une miette de catastrophe, là une boulette de sauvagerie, encore ailleurs un petit ver de haine.
Donc les nouvelles vont plus vite, beaucoup plus vite, et ici, ce sont des images vraies de vraies, prises sur le vif, capturées en temps réel, qui voguent, qui voyagent, qui se vidangent sur les réseaux sociaux : en un rien de temps, le monde entier est au courant.
Mais si les images sont vraies, les interprétations, elles, seront des fictions.
Vous n'avez pas encore compris la futilité d'un tel acte. Vous qui portez la plume aux mots, la salive au désir, le ventre au cercueil, la ruine à l'orgueil, vous serez les prochaines épaves. On retrouvera sans doute un jour quelque minerai enfoui au fond de vos incertitudes, quelque cristal de démesure dont on ne saura plus décompter les facettes, on parlera d'écriture avec un mol regret comme on parle d'un objet cassé mis au rancart du souvenir, ou ce sera peut-être la lassitude énigmatique du chercheur devant ses hiéroglyphes, mais ce sera tout.
Hélas, je suis lucide à défaut d'être mince: je suis obèse, donc, aux yeux des autres, déficiente en neurones. (...) Personne n'admirera ma vivacité d'esprit alors que mon corps tout entier la contredit.
Alcool, cigarette, bouffe, drogue, sexe, ce sont les excès qui nous excitent, qui nous passionnent. Sans eux, nous sommes de pâles effigies faisant semblant de vivre. Sans eux, nous passerions de la naissance à la mort comme des ombres qui n'auraient jamais connu le bonheur des délices interdits. Nous sommes la contradiction vivante de nos idéaux de sainteté et de santé. Nous ne sommes pas faits pour le jeûne ou l'abstinence, sauf comme forme de punition et d'autoflagellation.
Ah, ces écrans ! Quel pouvoir !
En ce moment, au Caudan, où les grenades sont dégoupillées, les bouteilles emplies d’essence s’écrasent, les armes à feu crépitent avec un bruit étrangement pareil à celui des pétards éclatés en chaîne pour Divali ou le nouvel an (chinois ou autre) de sorte qu’il semble presque gai, et où des garçons qui se savent arrivés à un point de non-retour décident de tout anéantir, au beau milieu de ce qui ressemble au chaos, certains ont le réflexe absurde de lever leur smartphone et de saisir le drame avec leur caméra ultraperfectionnée, qui restituera les faits avec une précision aussi merveilleuses que cruelle.
Et ces images-là, prises en plein cœur de la dévastation, certaines éclaboussées du sang de celui qui tenait l’appareil, vont se répandre, en un seul clic, comme une pandémie fulgurante avant même que les médias aient eu vent de l’affaire.
Marche au milieu de ta sciure elle te collera aux pieds sans jamais te lâcher amie ennemie elle est la poussière de toi qui se perd à force de se rassembler.
Marche au milieu de ta haine elle a des droits sur toi pour être née femme et vide ce vide qui n'a de sens qui n'a de cesse que de se désemplir.
Ce que je cherche : une rime de plus. Mais cette syllabe n'existe pas. Elle est le vide dans le silence, et la mort dans l'absence. Elle est l'impossible et l'irrésolue équation.
J'avais oublié jusqu'au parfum de mes propres feuilles leurs veines les branchages d'où elles ont été cueillies la forme de mes membrures et la cassure de mes arêtes et les exigences de mon ciel et le nuage fervent des cimetières et le cœur de mes orages lourds tout cela oublié oublié alors que m'attendait une petite fille esseulée aux yeux plongés dans son propre regard.
A présent je la vois, je la revis et elle me tente. Je me souviens d'elle, non comme d'une innocente, mais comme une marée ténébreuse qui attendait de déferler. Aujourd'hui encore, cela ne s'est pas fait. Les chemins bifurqués m'ont entraînée bien loin vers de vieilles lunes. Elles ne se sont pas transformées en soleils. Ces chemins de soumission et de complaisance sont en vérité la plus grave des trahisons.
Je veux rejoindre mon étoile. Je veux la parcourir de vie et laisser des traînées de sang sur le miroir des sentiments parce que c'est pour cela que l'on est, par pour un sourire pâle d'aube déjà mourante à peine levée, pas pour un soupir crépusculaire que rien de plus sombre que le repas du soir ne tourmente, pas pour un avenir de pain rassis de rêves réduits de chair amortie d'enfants partis
un devenir d'ombre assaillie par ses propres moisissures.
Et si cela ressemble à de l'amertume, tant pis. Qu'elle soit un coup de fouet sur mon cœur endormi et que la cosse ainsi fendue fasse naître un fruit défendu tenu par une petite fille tragique tout près de sa poitrine, car elle sait, elle, que c'est ainsi que vient la vraie parole,
la seule qui compte.
A l'aube, tu descendras pieds nus
Boire à la rivière
Comme ces chats muets
Aux pattes cramoisies
Tu glisseras sur les pentes
Endormies de plaisir
Suivre la piste argentée
Des limaces écrasées
Tu iras au midi chercher l'évidence
Qu'un jour ici tu as vécu
Qu'il y avait des enfants, des amis,
Un amour, une constance
De tout cela demeurent
Que le ciel bas, les herbes grassent
L'eau violente,
Les ruches abandonnées
Tu tends l'oreille
Aux voix des absents
Jusqu'a ce que la nuit enfin
Consente à te parler.