Citations de André du Bouchet (176)
V
Je sors
dans la chambre
comme si j'étais dehors
parmi des meubles
immobiles
dans la chaleur qui tremble
toute seule
hors de son feu
il n'y a toujours
rien
le vent.
Il y a devant nous une montagne,
un morceau
d'air
formé par un fil.
LE RÉVOLU
extrait 4
Feu
pour brûler uniquement
donner flamme
fendue.
......................
Continuant, de l’autre côté de sa soif, sur une fraction
d’eau froide.
●
Comme à sa paroi le glacier entre eau
et eau, la gangue du glacier.
......................
Toi, dans la confusion des torrents, toi sans gangue.
Écrire lorsqu'on ne trouve devant soi que cette paroi muette qui ne répond pas. Écrire parce qu'on n'a plus rien à dire ; c'est à ce moment, de tous le plus mauvais, qu'il faut le dire.
Je me trouve encore devant moi : il faut passer.
C'est l'immensité qui m'arrête. Indicible sensation d'étouffement devant la réalité qui me fait repartir. Je recommence, je crie derrière cette muraille de mots qui s'écarte lentement et va se refermer derrière moi ; on voulait sortir : on est simplement passé dans une autre pièce.
Parti de nous-mêmes, chaque fois, le cerne de l’étendue, telle que d’instant en instant, nous supposons qu’elle nous entoure, revient sur un visage – inapparent, puisque nous l’occupons. Se révèle inachevé, ouvert, en suspens, comme le regard circulaire s’interrompt. Un pourtour, quand il touche au centre, presque – en avant, que nous ne verrons jamais, est brisé. Toute chose se délivre, en même temps que l’étendue dans laquelle, au regard inclusif, elle apparaît stationnaire, de son cerne. Se dénue. Non sur l’éclat mais le foyer.
... toute la nuit
comme
sur le point de mourir
sans
que ma mort appartienne
davantage
que la clarté
venue
de la nuit blanche
n'a
appartenu à la nuit.
cela
n'est pas peu aimer
comme
répondre
jusqu'à la poussière qui ne fractionne
pas
déborde
aimée du soleil.
Le jour
dont la main
me serre
je respire à sa place
dévidant
cette route froide
dehors
jusqu'à terre
ce n'est pas mon feu
c'est une autre chaleur
son ciel
où nous sommes enfermés.
Je vois la route – entre nous la route et la part de soi
dont sans se séparer on doit se détacher encore,
comme entre nous
plus loin la route sans paupière.
sur les pentes qu’elle départage,
à chaque coup d’œil,
le lacet de la route
lui-même fraction d’une route arrêtée dans la route,
et cette route, par intermittence,
elle aussi perdue.
… et les mots séparés – aussi loin qu’ils peuvent l’être les uns des autres sans que le fil distendu qui les relie soit perdu – ne se confondent pas moins que si jamais ils n’avaient été articulés… de cette articulation qui élève, aère, espace… élève, aère, de tout l’air surgi, pour commencer, dans les intervalles… air qui reprend globalement du dehors sans espacer.
Ce balbutiement blanc
Ce balbutiement blanc
cette bulle
la figure
encore criblée de pierres
à côté de chaque roue
dans la paille
qui craque
près de la lumière.
Ou le soleil
extrait 2
Comme, au-dessous de la figure
de l’air
épars, dans les terres sur elles retournées,
paille, elle, que le vent cherche, toujours.
S’arrache, comme j’avance – s’arrache à ses
lointains, le nouveau sol ajouré.
Jusqu’à ce sol habité sous le pas,
qui tarit – sous le pas seulement.
Comme le regard
de ce que je n’ai pas vu – et en avant.
Sous le pas, seulement, accueillant au jour.
La face d’eau des glaciers. La face de l’eau debout
dans le jour.
…
Ou le soleil
extrait 1
Où le soleil
– le disque froid de la terre, le disque noir et
piétiné, où le soleil a disparu – jusqu’à l’air, plus
haut, que nous n’habiterons pas.
Sombrant, comme le soleil,
que nous ayons disparu – le travail du soleil – ou
avancé encore.
Jusqu’à nous – chemin raboteux au front.
.
J’ai couru avec le soleil qui disparaît
Lumière, j’ai eu pied.
Jusqu’à l’air que nous ne respirons
pas – jusqu’à nous.
Demain – déjà comme un nœud
dans le jour. Le vent arrêté retentit.
…
J’ai négligé
J’ai négligé l’air blanc
qui s’abat autour de nous
sans un mot
jusqu’à la pluie sans reproche,
au cri des moellons
l’homme que j’ai traversé
et auquel je m’adosse
comme à un rocher
devant la
nature
aveugle .
«je détourne le langage de tout le
monde — ce sont vos mots et vous ne les reconnaissez pas — les
mêmes» .
… et la figure du jour
ravagé
criblé de pierres
… cette face
qu’on ne franchit pas, à laquelle
la mort met
la dernière main .
l’expression étrange
de la simplicité
elle n’est jamais simple
avant qu’on ne s’y soit absolument familiarisé —
qu’on soit corps et âme passé dedans .
Trop de simplicité fait peur. Quand les mots collent
de trop près à la réalité, ils font peur.
Je voudrais que les mots fassent peur
qu’ils deviennent un
gouffre .