Anita Shreve

Le lendemain matin, à mon réveil, j’étais désorientée et sale. J’avais l’impression d’avoir glissé dans une fissure du temps, d’être prise entre la vie telle qu’elle avait été et la vie telle qu’elle serait. Je n’éprouvais pas le moindre enthousiasme pour l’avenir et je savais que mon père partageait ce sentiment.

But how do you ever know that you know a person?

"As-tu la moindre idée de ce que tu as fait ? poursuit Arthur. De ce que tu vas perdre ?"
Cela, Rob le sait. Il a pesé ses pertes au milligramme près. Les questions de son père sont purement rhétoriques, les soupapes à usage personnel.
"Brown, c'est foutu", insiste Arthur.
Aucune mention de la mineure agressée. Vous vous demandez si votre mari a compris la nature du délit.
"Alors, qu'est-ce que tu as à dire ?"
Rob n'a rien à dire. Il se tait.
Votre mari, furibond, se retourne vers vous, comme si vous étiez responsable. Vous l'êtes. Vous êtes responsable.
"Moi, ça me dégoûte de me trouver dans la même pièce que lui" lâche Arthur, comme si, de vous deux, c'était lui le plus offensé. Et peut-être l'est-il .

Il ne reparaît pas pour dîner ce soir-là. Qaund Olympia s'enquiert de lui, Catherine dit qu'il a été appelé au dispensaire. Pendant tout le repas, Olympia se force à manger. L'absence de Haskell l'affecte beaucoup plus qu'elle n'aurait pu s'y attendre. C'est la première de bien des soirées qu'elle passera où sa vie, qui paraissait complète la veille seulement, présente un vide crucial.

On ne fête jamais l'anniversaire d'un bébé d'un an pour lui faire plaisir.
Clara ne percevait ni les festivités , ni l'angoisse de la famille.
La fête était pour mes parents et pour moi.

Voilà ce que j'ai maintenant, songea Bridget : un mari, un fils et un avenir écourté, si bien que je dois vivre chaque heure comme si c'était la dernière.

Il y a eu tant de changements. Des attentats terroristes à Londres. Des bombardements quotidiens en Irak. Il faut faire un effort de volonté, se dit-elle parfois, pour regarder CNN tous les soirs et affronter les nouvelles de la journée - à peine croyables, trop crédibles.

La jeune femme a eu un bébé. Quelle impression ça fait ? ai-je envie de lui demander. Je sais d’où viennent les bébés, mais ça ne me dit pas ce que je meurs d’envie de savoir. Est-ce que ça fait mal ? Avait-elle peur ? Aimait-elle le père du bébé ? Attend-il sont retour, dissimulé en bas de la route ? La petite Doris, un prénom ridicule, est-elle le résultat d’une folle passion ? La jeune femme qui se trouve dans la salle de bain pleure-t-elle sur son amant et sur son enfant perdu ?

"Tu courtises le danger, dit-elle.
- Ce n'est pas normalement dans ma nature." Il appuie la main sur sa jambe. "Parfois je me dis que nous ne devons plus jamais nous revoir, et je suis très résolu..."
A cette déclaration, le coeur d'Olympia s'arrête.
" ... et en quelques secondes, je comprends que je n'en aurais jamais la force."

Chaque couple marié, selon elle, inventait son propre duo amoureux, qui se jouait soit dans la chambre conjugale, soit en public, silencieusement, ou encore au téléphone- et ce duo était souvent repris avec des paroles presque semblables, dans une mise en scène presque identique, les mêmes parties du corps servant de support à l'imagination.Mais si l'un des partenaires modifiait légèrement son rôle, ou tentait de supprimer certaines de ses répliques, le duo ne s'enchaînait plus aussi bien. L'autre, qui ignorait encore le changement, s'embrouillait dans les dialogues, ou en tronquait une partie, ou encore ne s'y retrouvait plus du tout dans le nouvel arrangement.

Une fois qu'on se met à mentir, à partir du moment où on ment pour le couvrir, on est dans le même bateau que lui, et on est perdue."
"Il ne m'a plus battue pendant plusieurs mois; mais il y a des façons d'abuser d'une femme qui ne sont pas d'ordre physique. Ces autres formes de violence étaient parfois pires que d'être battue.

Il songeait à Sheila comme à une drogue à laquelle il était devenu accro après une seule injection.

Rien de pire qu’une gamine soûle. Un gars, lui, ça peut être drôle. Mais il n’y a rien de drôle à voir une fille tomber à plat ventre et dégueuler ses tripes en se collant du vomi sur les cheveux.

Un livre extraordinaire. J'ai été fascinée page par page. J'aurais bien aimé écrire à Anita Shreve que j'admire son travail. Ecrire une histoire d'amour c'est une chose - la rendre palpitante jusqu'à la dernière page et la mettre si vivement dans un cadre historique ou un pays étranger (son livre "A change in altitude") n'est pas chose courante.

P45
-merci dit-elle, avant de tout gâcher. Il va falloir que je couche avec vous ?
Webster s'immobilisa.
- Vous avez une vision tordue de la nature humaine.
-parce que vous avez une vision particulièrement positive de la nature humaine ?
-la plupart des gens souffrent. S'ils arrivent à s'en sortir, ils sont plutôt contents.
- Vous avez de la chance.

P40
-j'habite à Chelsea. J'habitais. A côté de Boston. J'avais un Jules qui buvait tellement qu'il avait commencé à pisser au lit. Je l'ai flanqué dehors mais il est revenu. Il me collait aux fesses comme une crotte de nez qu'on ne peut pas détacher des doigts.

"Tu courtises le danger, dit-elle.
- Ce n'est pas normalement dans ma nature." Il appuie la main sur sa jambe. "Parfois je me dis que nous ne devons plus jamais nous revoir, et je suis très résolu..."
A cette déclaration, le coeur d'Olympia s'arrête.
" ... et en quelques secondes, je comprends que je n'en aurais jamais la force."

Je ne suis pas habituée à cette créature qui peut avoir le cœur brisé à un moment donné, et exploser de vie tout de suite après.

On ne peut rien regretter qui ait mené à ses enfants.

Le calme de la forêt surprend toujours, on dirait un public qui se tait avant un spectacle.