Citations de Anna Moï (50)
Devant la porte de l'autel des ancêtres, hormis quelques grains de riz accrochés aux tresses de bambou, la hotte est vide. Ni riz ni fruits ne l'embaument. Une odeur persiste, pourtant, si l'on ouvre le couvercle pour y plonger sa tête : l'odeur de l'enfance.
Si un jour je dois créer un parfum, il aura la douceur poudrée du riz Nang Huong, l’astringence de la carambole, la suavité de la goyave, l'amertume du pamplemousse.
Une autre étape obligatoire de nos croisières était Sadec, avec la visite de l’école où avait enseigné la mère de Marguerite D. Celle de la maison de l’Amant avait été convertie en commissariat de police puis monument historique classé.
Ce n’était pas la misère, et c’était pire que la misère. Mme Donnadieu vivait dans le désespoir – une étrangère parmi les siens, contrainte de travailler dans une ville où les femmes d’administrateurs et de planteurs étaient oisives. Elle était moins blanche que les autres blanches.
Les chiens se taisent et j'attends. Je ne sais pas si j'attends la suite de la nuit, le matin, ou la proclamation d'une sentence compréhensible ou logique. Quelque chose qui me disloquerait et me ferait grandir, sans peur et sans regrets du temps passé, sans nostalgie.
Les nuits de pleine lune, j'ai surpris, dans le clair-obscur du faisceau de lune encadré par le vasistas, l'étincelle vacillante de regards anonymes.
Les coups sourds, frappés l’un après l’autre avant que la nappe sonore ait fini de se propager, vibrent dans les rues, dans les maisons, dans les crânes, dans les coeurs, et jusqu’au bout des ongles de la main. Ceux qui ont la conscience tranquille ne l’ont plus. Ceux qui ne sont pas bouddhistes le deviennent. Ceux qui n’ont jamais manifesté se déversent dans les rues, aux côtés des bonzes.
Aucune autre maison de Roquefleur ne défie les vents d’ ouest : violents, ils écrasent les murets de pierre, dragonnent les pins vers le continent, en hérissent les écailles et font houbahouba dans la grande cheminée, les jours de tempête. En contrebas du pré, l’ océan cabré par les vents égratignait les carreaux.
Quand la forme d'une table est un prérequis à la paix, quand de jeunes hommes blancs venus des Etats-Unis font exploser des bébés, des enfants, des femmes et des vieillards, quand des jeunes soldats blancs et des jeunes soldats noirs de la même armée étrangère s'entre-tuent dans des affrontements raciaux, quand des combattants infiltrés du demi-pays du Nord tuent leurs frères et soeurs du demi-pays du Sud, il n'y a pas de réponses aux Pourquoi.
La seule réalité tangible est la mort.
Ils la défient tous. Chaque défi gagné les rend un peu plus invincibles.
Se précipiter sous les roues d'un semi-remorque, défier les règles de la cinétique, ce sont les variations de la roulette russe.
La guerre plonge les esprits dans des abus d'excitation.
L'idée de vivre à une époque où une simple éponge peut effacer la suie d'un dessous de marmite les émerveille.
Une époque où les plus sombres des crimes peuvent être absous par des décrets gouvernementaux et des victoires militaires.