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Critiques de Antonio Muñoz Molina (234)
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Dans la grande nuit des temps

A Madrid en 1936, Ignacio Abel, architecte socialiste, fils de maçon et fruit de l’ascension sociale républicaine, n’a connu de la vie conjugale que de ternes émois avec Adela, grande bourgeoise madrilène. Lorsqu’il rencontre Judith Biely, jeune américaine de passage à Madrid, sa perception du monde extérieur s’effiloche au point que la guerre inévitable lui semble une abstraction et que seule sa passion dévorante pour Judith donne sens à sa vie.

« Dans la grande nuit des temps », c’est une œuvre tentaculaire dans laquelle Antonio Muñoz Molina dissèque les errements de l’âme humaine et sur le plan passionnel comme sur le plan politique.

Avec un luxe inouï de détails, il analyse le comportement erratique d’un homme dans la tourmente de la guerre, aveuglé par une passion qui le paralyse dans ses actions et ses jugements ; s’il est socialiste, Ignacio a une famille qui penche plutôt de l’autre bord, et son beau-frère, lui, est phalangiste. L’auteur expose ainsi sans manichéisme la complexité de la situation espagnole en 1936, lorsque la République peine à réformer l’Espagne que les révolutionnaires impatients viennent se substituer aux socialistes, et que le fascisme gronde.

Dans ce contexte complexe et dangereux, Ignacio oublie tout ce qui n’est pas Judith et se noie sans état d’âme dans une passion coupable.

La structure du livre, complexe, multiplie les allers-retours dans le passé, l’écriture, absolument sublime, décrypte avec un talent incomparable la complexité de l’âme humaine, comme l’émerveillement amoureux, la pauvreté de Madrid ou la beauté des paysages américains.

Alors oui, c’est très gros, 750 pages denses, riches et puissantes que j’ai mis 3 semaines à lire ! Mais ce sont 750 pages certainement inoubliables !

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Dans la grande nuit des temps

Vaste fresque sur les heures qui ont précédées la prise de Madrid par les franquistes, cet impressionnant roman de 750 pages fouille avec honnêteté les tréfonds de l’âme humaine. Un monumental récit historique qui est aussi un travail fantastique sur le temps et son écoulement.



En 1936, la République espagnole naissante est déjà en proie aux convulsions annonciatrices de l’atroce guerre civile qui s’en suivra. Ignacio Abel, célèbre architecte socialiste, est marié depuis seize ans à Adela, issue d'une vieille famille catholique, qui lui a donné deux enfants. Le jour, où il fait la connaissance de Judith Biely, une jeune Juive américaine, il en tombe éperdument amoureux. Dans un Madrid bientôt assiégé par les franquistes, ces deux amants insouciants s’étreignent dans une intense passion qu’Ignacio découvre, sans jamais deviner qu'il vient de mettre le doigt dans un engrenage qui se risque fort de se révéler dramatique, à cette heure où les ténèbres s’apprêtent à assombrir l'Espagne.



Intimiste et charnel, ce roman plonge son protagoniste - entre politique et sentiments - au sein d’une infernale spirale qui le conduira à la perte à la fois de son amour, de son pays et de ses idéaux. Fin 1936, l’architecte progressiste et républicain montera les marches de la gare de Pennsylvanie, à New York, après un périple mouvementé depuis Madrid où la guerre civile a déjà éclaté. Il y cherche Judith, sa maîtresse américaine perdue, poursuivi par les lettres accusatrices de sa femme, Adela, et préoccupé par le devenir menacé de ses enfants, Miguel et Lita. Le narrateur observe, mais de loin seulement. S’il nous montre l’homme à la recherche de ce train qui le conduira dans une petite ville au bord de l'Hudson, c’est pour nous révéler aussi son impressionnant parcours sur les chemins sinueux de la mémoire.



En 750 pages de passion et de guerre, Antonio Muñoz Molina revisite les grands thèmes qui lui sont si chers : l’Histoire, la morale et la complexité des sentiments. A travers un éblouissant va et vient dans le temps, Ignacio Abel, le fils de maçon devenu architecte de renom à grande force de sacrifices, revisitera son ascension, son entrée dans une bourgeoisie madrilène conservatrice et catholique, entre passion amoureuse dévastatrice et violences politiques. Et c'est avec virtuosité que Molina glisse du présent au passé, fouillant dans les tourments de son héros, emportant le lecteur de sa prose élégante, riche et tortueuse - ses phrases sont longues, il faut s'y habituer - sur le chemin sinueux et difficile qui a mené son personnage là où le lecteur fait sa connaissance.



La structure de l’œuvre est complexe et sans sophistication inutile. Elle permet aussi à l’auteur de laisser leur place à de vives et passionnantes discussions politiques. Son architecture se construit avec une implacable logique et une remarquable efficacité, à la manière des mécaniques huilées et précises des horloges.



Entre les allers retours temporels et ceux, tout aussi rythmés, de la voix très en sourdine du narrateur et de son personnage, ce roman polyphonique captive, passionne. L’aptitude à la restitution des nuances de Molina intrigue. Son art de la psychologie, sa rigueur intellectuelle et morale, son engagement éthique, humaniste et progressiste, ainsi que sa capacité à fouiller jusqu’au plus profond des minuscules détails de l’existence éblouissent.



Dans la grande nuit des temps est un roman puissant et passionnant, un grand livre. Magnifique !!



Antonio Muñoz Molina vient de recevoir le Prix Méditerranée étranger 2012 pour ce roman. Un prix bien mérité !

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Dans la grande nuit des temps

Je m'attendais à une grande fresque historique et une traversée de la guerre d'Espagne, mais c'est d'abord un roman d'amour adultère, fiévreux et contrarié, le réveil d'un homme endormi dans la torpeur de l'habitude, du confort , noyé dans son travail d'architecte renommé. Grâce à une jeune femme américaine, Judith, vive et jeune qui le ramène à une sensualité oubliée, Ignacio, marié et père de deux enfants, revit, découvre sa ville, Madrid, à travers les yeux attentifs et émerveillés de la jeune femme enthousiaste. Emportés par leur amour neuf et vibrant, ils inventent un monde exalté dans une parenthèse insouciante de moments dérobés, inconscients de la blessure infligée à autrui.

Tout au long de ce roman impressionnant de détails se répétant en d'infinies variations, Ignacio, qui fuit le pays, attendu aux Etats-Unis pour un projet de bibliothèque, mais aussi à la recherche de son amante perdue, dissèque le naufrage de sa vie bourgeoise et rangée, de son couple, ses relations avec ses enfants, l'ébranlement de ses certitudes mises à mal dans une Espagne entraînée dans le chaos des soulèvements populaires ou militaires, dans la confusion politique, la violence dans tous les camps, les assassinats, les incendies, les tirs aveugles, les exécutions arbitraires, les exactions commises au nom des grandes causes, l'argent de la nourriture des soldats détourné au profit des parades et défilés, les bombes incendiaires de Hitler et les fusils mitailleurs de Mussolini testés auparavant en Abyssinie.

Tout combat serait-il vain, un monde meilleur impossible et les révolutions irrémédiablement vouées au bain de sang ? A quoi sert le progrès et la belle façade des grandes villes si les gens meurent de faim, si on ne leur fournit pas le nécessaire vital et l'éducation ?

Le texte coule en une longue déclamation, une magnifique prose parfaite, mais les répétitions et la longueur peuvent rebuter ; l'histoire individuelle prend une part très importante dans le récit, trop peut-être.
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Dans la grande nuit des temps

Quelle superbe écriture ! Evidemment, il faut aimer les longues phrases qui n'en finissent pas à coup de virgules successives, avec une quasi-absence de dialogues. Mais c'est un véritable plaisir de lecture et, comme c'est souvent le cas pour la littérature espagnole, dans une très belle traduction.



L'auteur plonge sa narration, qui se résume à une histoire d'adultère, dans l'Espagne républicaine de 1936 lorsque la Phalange commence à prendre de l'ampleur et oblige le héros à quitter Madrid à la veille de sa prise par les Franquistes. Ce héros est un architecte issu des basses classes et qui s'est fait à la force du poignet et de son talent et grâce à sa belle-famille conservatrice et catholique, là où lui est laïc et socialiste. De quoi étoffer cette histoire d'adultère me direz-vous. Et le résultat est très réussi, de la toute grande littérature.
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Dans la grande nuit des temps

Ce roman a été publié en Espagne à Barcelone, aux éditions Seix Barral, en 2009 ; La première édition française date de 2012 au Seuil et je pense que l’on n’a pas suffisamment mis ce roman en valeur.

S’immerger dans l’univers de Muñoz Molina, c’est un acte de renoncement à ses propres repères. Sans ce renoncement, la lecture restera en surface, rugueuse et laborieuse, comme l’ascension interminable d’un escalier dont on ne gravit quelques marches que pour mieux les redescendre sans qu’il y ait, en apparence, le moindre obstacle à franchir. Ce qui produit cet effet insolite et déroutant, c’est le traitement du temps, car c’est bien « dans la grande nuit des temps » que le romancier espagnol nous fait subtilement mais impérativement entrer. Naïf, en entamant sa lecture avec gourmandise, le lecteur innocent n’y prend pas garde, et pourtant, tout est mis en place dans un fabuleux incipit, une magistrale ouverture qui pose avec soin et exactitude les principes qui procèdent de la construction du roman.

Ce n’est pas par hasard si le personnage principal, Ignacio Abel, est architecte, si son sempiternel cartable à Madrid, ou sa pauvre valise à Paris, à New-York, à Rhineberg, sont bourrés de dessins et de plans de bâtiments, ceux qui ont été bâtis, ceux qui sont abandonnés, ceux qui sont rêvés, ceux qui sont à venir… Ils préfigurent dans le roman l’ample et complexe architecture romanesque dont la pierre d’angle est le temps.

Le temps de la narration est d’emblée centré sur le personnage d’Ignacio Abel, perdu dans une gare immense, la gare de Pennsylvanie à New-York, effrayé, misérable, déserteur mais constant. Le temps de l’écriture apparaît dès la deuxième phrase : « je le vois d’abord de loin, parmi la foule de l’heure de pointe... » et à plusieurs reprises : « Je l’ai vu de plus en plus clairement, surgi de nulle part, arrivant du néant, né d’un éclair de mon imagination, sa valise à la main... » (…) « Avec la précision d’un rapport de police ou celle d’un rêve, je découvre les détails réels. Je les vois surgir devant moi et se cristalliser... ». Et ce « je » de l’écriture, de la conception du roman, très présent dans les premières pages, s’efface pour resurgir de temps à autre à des moments clés de la narration, et, bien sûr, dans les dernières lignes, pour poser un regard suspendu cette fois au personnage de Judith qui prend le relais du voyage, mais dans l’autre sens, de New-York à Madrid : « Je la vois de profil, plus nette à mesure que l’aube arrive (…) d’un demain proche qu’elle n’entrevoit pas et je suis incapable moi aussi d’imaginer son avenir ignoré et perdu dans la grande nuit des temps. » Ainsi le romancier se résout-il à renvoyer dans le néant ses personnages et met ainsi un point final à son écriture.

Le temps de la narration, qui doit supporter tous les obstacles et les tragédies du réel, est totalement soumis à l’errance d’Ignacio Abel. Son errance physique pose le cadre précis de son voyage hasardeux et difficile de Madrid, en pleine guerre civile, à Rhineberg au Campus du Burton College, et une temporalité courte : les dernières semaines d’octobre 1936 ; ou le cadre tout aussi précis de ce tragique été 36 à Madrid en quête de l’amante perdue, de l’ami allemand disparu, des papiers officiels nécessaires à son départ. Son errance amoureuse emporte avec elle les fulgurances d’une passion intense rehaussée par les aléas, les mensonges, les secrets d’une liaison adultère qui s’étale sur un peu plus de huit mois, d’octobre 35 à juillet 36, et qui met en miroir Adela, l’épouse délaissée et Judith, la maîtresse perdue, l’Espagne immobile et l’Amérique en perpétuel mouvement. Son errance morale s’étale sur une vie entière et conjugue les figures qui construisent l’épaisseur d’un homme : l’enfant orphelin, le jeune homme ambitieux, l’époux et le père ayant accédé à une réussite professionnelle inespérée, l’amant prêt à tout sacrifier mais qui ne sacrifie rien ; et cette errance charrie son lot d’amours sincères, de regrets, de remords, d’erreurs, de colères, de lâchetés, de culpabilités.

Le temps d’un voyage, le temps d’une passion, le temps d’une vie. Et ces trois temps se télescopent, s’interpellent, interfèrent, surgissent au gré de la conscience d’Ignacio Abel et de ses états d’âme en fonction des événements qu’il vit. Comme dans la réalité, où nos souvenirs, nos pensées, nos interrogations se mélangent et s’entrechoquent sans souci de la chronologie ni de la répétition, nous suivons le fil distendu et anarchique de la pensée du personnage qui bute sans cesse sur certains épisodes de sa vie. Et sa vie nous apparaît comme un puzzle à reconstruire, avec sans cesse la nécessité de revenir sur certaines articulations pour préciser, pour ajuster, pour mettre en contexte, pour éclairer le fragment de vie d’un sens nouveau en fonction d’autres pièces du puzzle qui n’étaient pas encore connues ; une architecture qui utilise tous les possibles de l’espace romanesque : la hauteur, la largeur, la profondeur, et la quatrième dimension, celle du temps. Et ce procédé fait éclater le troisième temps : le temps de l’Histoire. Passant sans cesse de l’arrière-plan au premier plan de la narration, l’Histoire s’impose comme un temps implacable qui scelle les destins, pulvérise tout sur son passage et contraint à accepter l’inacceptable. Sa logique échappe à ceux qui voudraient en être les instigateurs autant qu’à ceux qui souhaiteraient rester en marge. Et elle déroule son tragique parcours sans crainte d’être arrêtée puisque ses pires absurdités et ses pires cruautés s’enfoncent inexorablement dans la grande nuit des temps, garantissant ainsi la possibilité d’être sans cesse perpétrées dans un éternel recommencement.

Enfin, signalons la remarquable qualité de la traduction de Philippe Bataillon qui parvient à restituer l’épaisseur littéraire et humaine de ce très grand roman.
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Dans la grande nuit des temps

Un roman sublime et envoûtant.

Antonio Munoz Molina nous livre une vision à la fois intime et grandiose des prémices de la guerre d'Espagne où l'on voit le début des affrontements entre les forces républicaines, anarchistes, communistes d'un côté et les insurgés conservateurs et certains groupes fascistes aidés par l'Allemagne nazie et l'Italie mussolinienne.

Cette émergence de la violence brute et aveugle est vue par le prisme d'un amour adultère entre un architecte responsable de la construction de la Cité Universitaire, entre deux âges, Ignacio Abel et une jeune américaine découvrant l'Europe, Judith Biely.

Leur amour et séparation, leur quête d'absolu et le retour cruel de la réalité prennent souvent le pas sur les évènements qui les entourent mais renforce le caractère fragile de cette liaison tout en la rendant unique.

Un roman fleuve à ne pas manquer, un roman sur le Madrid d'un autre âge (il y a du Modiano dans certaines descriptions quand ce dernier décrit Paris).

Un roman aux thèmes inépuisables et à l'intensité remarquable.

Une mention spéciale au traducteur Philippe Bataillon pour sa traduction subtile et maîtrisée.

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Dans la grande nuit des temps

CHEF D'OEUVRE ABSOLU, D'UNE TOTALE MAÎTRISE, SUBLIMEMENT ÉCRIT

Ce livre magistral démarre en octobre 1936 quand Ignacio, architecte renommé socialement installé, fuit l'Espagne et la république qui se meurt sous les assauts des forces de la future dictature. Une désillusion qui est aussi celle d'un homme amoureux (dans le genre amour impossible). Ce livre nous propose "la petite histoire dans l'Histoire" de manière magistrale. C'est passionnant, addictif, incomparable. Et comme toujours chez Molina, outre un héros fragile et attachant, à la fois faible et courageux et des personnages secondaires pas secondaires justement, un contexte -les prémisses de la guerre d'Espagne immersif et remarquablement documenté-, il y a la plume de l'auteur. Des phrases longues et belles qui s'enroulent autour du lecteur pour le captiver et l'ensorceler. La poésie est toute proche. Respect au traducteur pour avoir su restituer cela. Que du bonheur !
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Dans la grande nuit des temps

J'ai vraiment adoré ce livre ,son travail sur la mémoire ,sur le passé ,la finesse de ses analyses psychologiques m'ont fait penser à Proust .Un très grand livre !
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Dans la grande nuit des temps

Ignacio Abel est un brillant architecte espagnol, enfin était, avant la guerre civile. le livre commence alors qu'il est presque au bout de son voyage (et de l'histoire) et débarque à New York pour un projet de bibliothèque et surtout pour essayer de retrouver son grand amour perdu, sa maîtresse américaine rencontrée à Madrid.

Antonio Munoz Molina commence son histoire par la fin et, par d'incessants et habiles allers-retours dans le temps, nous raconte ce qui s'est passé avant qu'Ignacio ne quitte son pays. Il nous raconte la rencontre juste avant la guerre civile d'Ignacio et de Judith Biely, cette jeune et belle américaine qui lui fera perdre la tête. Et il mêle la petite histoire, celle d'Ignacio, à la grande Histoire, celle de l'Espagne. Parfois c'est la petite qui prend le pas sur la grande, parfois c'est l'inverse. Souvent elles sont imbriquées.

Dans ses retours en arrière, l'auteur nous en dévoile un peu plus au fil du livre et nous raconte parfois les mêmes événements mais de différents points de vue. On pourrait avoir l'impression de tourner en rond, mais c'est toujours très bien amené et les différentes variations nous apportent des précisions supplémentaires. Il nous ramène à la jeunesse d'Ignacio, à sa réussite grâce à son travail, fils de maçon devenu architecte. A sa réussite grâce à son mariage avec une femme de la bourgeoisie catholique, lui qui est socialiste. Mais Ignacio n'est à sa place nulle part, ni dans son ancien monde, ni surtout dans son nouveau, la famille de sa femme.

L'auteur est un expert de la guerre civile espagnole qui est un des personnages du roman à part entière. Sa reconstitution est incroyable et il se contente de décrire sans prendre position. Et même si on ne connaît rien à la guerre civile, ce n'est ni lourd, ni incompréhensible.

Ce pourrait être une banale histoire d'adultère. Ce pourrait être l'histoire d'un homme lâche, égoïste qui abandonne sa femme, follement amoureuse de lui, et ses enfants dans un pays en guerre pour aller chercher la sécurité en Amérique et essayer d'y retrouver sa maîtresse. Mais c'est plus complexe que cela.

Les premières pages sont un peu ardues. On met du temps à comprendre qui est le narrateur. On met un peu de temps à s'habituer au style, des phrases très longues, énormément de descriptions très détaillées, très peu de dialogues. Une fois que c'est fait, c'est parti pour mille pages d'émerveillement. On parle parfois de livres qui se méritent, celui-ci en est un.

Je ne connaissais pas Antonio Munoz Molina et j'ai pris ce livre complètement au hasard à la bibliothèque, pour découvrir un nouvel auteur, un peu inquiète de son épaisseur. Parfois, c'est une déception. Là, ce fut plus qu'une bonne pioche. Une immense découverte. C'est un livre époustouflant, magistral, une écriture exceptionnelle, de la très grande littérature. Si on pouvait mettre 6 ou 7 étoiles, je les aurais mises. Comme j'aimerais connaître l'espagnol pour pouvoir le lire dans sa version originale. Heureusement, il est remarquablement traduit. On ne rend pas assez hommage aux traducteurs. Un très grand bravo à Philippe Bataillon qui a su rendre l'écriture magnifique de Munoz Molina.

Ce livre restera à jamais parmi mes 5 livres préférés.

Je me suis empressée de lire un autre roman de cet auteur, Beatus Ille, remarquable aussi.
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Dans la grande nuit des temps

« Dans la grande nuit des temps » est une de ces oeuvres dont je repoussais depuis très longtemps la lecture, en raison de son nombre impressionnant de pages. Cela doit être une sorte de phobie, mais les pavés m'impressionnent. Et je peux vous garantir que celui-ci est très lourd et donne une très forte impression de densité lorsqu'on le feuillette.



Au final, comme bien souvent, je suis très contente de l'avoir lu et d'avoir repoussé mes appréhensions. A part quelques passages vers le milieu du roman où j'ai eu des difficultés à apprécier le personnage principal pour son manque de sincérité et d'engagement, ce livre est impressionnant de maîtrise littéraire : elle réside dans sa capacité à capturer l'atmosphère d'une époque, à dompter le temps du récit et de l'Histoire, à faire vivre des personnages qui appartiennent au passé.



« La nuit est un puits sans fond où tout semble se perdre mais où tout continue d'habiter et de persister, au moins durant un certain temps, aussi longtemps que la mémoire reste claire et lucide la conscience de celui qui gît les yeux ouverts, attentif aux bruits qui prennent forme dans ce qui semble être le silence, cherchant à deviner à la respiration de l'autre s'il est encore éveillé ou s'il s'est laissé emporter par la somnolence de la jouissance accomplie. »



*

L'histoire se déroule en 1936 à Madrid, dans le contexte des événements tragiques qui ont divisé l'Espagne, des affrontements qui ont conduit le pays à la guerre civile et à l'arrivée au pouvoir de Franco.



Le roman suit le destin d'un architecte espagnol notoire, Ignacio Abel, tombé amoureux d'une jeune américaine, Judith Biely. Cette liaison est intense, passionnée et l'homme en oublierait presque qu'il a une femme et deux enfants.

Dans le tumulte des affrontements du 17 et 18 juillet 1936, Ignacio perd la trace de sa maîtresse et décide de partir la retrouver aux Etats-Unis où un poste de professeur l'attend.



*

Le roman débute alors qu'Ignacio monte les marches de la gare de Pennsylvanie à New York.

Il semble perdu au milieu de la foule qui le croise, indifférente à son désarroi. Seul avec sa petite valise usée d'avoir tant voyagé, il apparaît comme un homme usé, brisé, inquiet, tourmenté par sa fuite hors de son pays où la guerre civile vient d'éclater.



Dans le train qui le conduit, il espère, vers elle, ses pensées se bousculent dans son esprit, s'éloignent du présent, s'enfoncent dans les zones d'ombre de son passé. En regardant le paysage défiler par la fenêtre du train qui l'emmène à Burton College, son esprit voyage sans aucune chronologie sur le fil du temps, ses souvenirs s'égarent dans les recoins les plus sombres et troublants de son passé, comme autant d'instantanés, de petits fragments de vie : son pays déchiré par la guerre, sa rencontre avec Judith, l'effleurement de sa main sur sa peau, cette double vie source de tourments et de honte, cet amour passionnel qui l'envahit et le tourmente, ses manques de père, l'incertitude du futur, l'espoir de revoir un jour ses enfants.



*

Oscillant entre politique et Histoire, amour et guerre, rêve éveillé et réalité, souvenirs et imagination, « Dans la grande nuit des temps » est un roman intimiste et sensuel dans lequel l'auteur sonde avec minutie et sensibilité les émotions de son personnage principal. Cette longue et triste histoire est teintée de nostalgie et de mélancolie, de rêves et de désirs, d'espoirs et de regrets, d'erreurs et de honte. L'amour et le désamour, la tristesse et la solitude, la peur et le temps qui passe se cristallisent au fil des pages pour former une oeuvre pleine de poésie, de finesse, de profondeur mais également de douleurs et de rancoeurs.



Le lecteur se fait voyeur, spectateur de scènes intimes. C'est une histoire d'amour passionnel, mais je ne l'ai pas trouvé magnifique, ni merveilleuse. C'est un amour entaché de honte et de remords, un amour qui fait souffrir, et en cela j'ai eu beaucoup de mal à m'attacher à Ignacio et à Judith.

Son choix de vivre dans le confort d'une vie familiale tout en ayant des plaisirs avec une autre femme plus jeune, sa décision définitive d'abandonner sa famille dans un pays en guerre pour retrouver sa maîtresse m'ont plutôt attachée à la femme trahie, belle et respectable dans sa douleur silencieuse.



Ainsi, malgré l'écriture délicate et poétique, cette histoire d'amour entachée de d'erreurs et de peines ne m'a pas permise de me fondre dans les premières pages du roman. J'ai trouvé Ignacio vaniteux, faible, égocentrique.



C'est dans la deuxième moitié du roman que mes sentiments ont évolué et que j'ai pu être véritablement comblée. En effet, la relation amoureuse, relégué au second plan, s'estompe dans les méandres de l'Histoire et Ignacio apparaît dans ce contexte, seul, fragile, vulnérable, moins lâche et égoïste.



*

La relation adultérine est bien sûr au coeur du récit, mais le roman va beaucoup plus loin qu'une simple histoire d'amour. Il entremêle avec profondeur et foisonnement, la vie de son personnage en butte à ses sentiments et à la violence des événements politiques qui secouent l'Espagne.



Le roman comporte peu d'actions et de rebondissements, mais qu'importe, c'est avant tout une grande fresque historique sur les mois qui ont précédé le soulèvement nationaliste à l'origine de la guerre civile espagnole, puis de la dictature franquiste. L'ambiance est réaliste, immersive.



« À Madrid, il a vu les visages de personnes qu'il croyait connaître depuis toujours se modifier du jour au lendemain : devenir des visages de bourreaux, ou d'illuminés, ou d'animaux en fuite, ou de bêtes menées sans résistance au sacrifice ; visages occupés tout entiers par des bouches qui crient l'enthousiasme ou la panique ; visages de morts à demi familiers et à demi transformés en une bouillie rouge par l'impact d'une balle de fusil ; visages de cire qui décidaient de la vie ou de la mort derrière une table éclairée par le cône lumineux d'une lampe, tandis que des doigts très agiles tapaient à la machine des listes de noms. »







*

Ce récit en clair-obscur est dominé par des images, des paysages, des senteurs, des sonorités, des voix, des regards, des sensations, des émotions.

C'est un voyage sensoriel dans le Madrid des années 30 : le rythme lent des phrases renferme les parfums délicats du géranium, les odeurs de tabac et de brillantine. Puis le récit avançant, d'autres odeurs se substituent, métalliques, celles du sang et de la mort qui s'incrustent dans le tableau de ce pays meurtri.



*

Lauréat du Prix Méditerranée Étranger 2012, « Dans la grande nuit des temps » est accueilli comme un chef-d'oeuvre de la littérature contemporaine espagnole.



L'auteur domine parfaitement la narration, alternant l'histoire en marche, les pensées d'Ignacio et des extraits de lettres qu'Ignacio a dans la poche de son manteau. Narrateur de l'histoire, du moins je le suppose, il accompagne son personnage comme un observateur, promenant son regard en de brefs coups de projecteur.

Le roman est extrêmement bien écrit, l'écriture très belle, serties de phrases souvent très longues et ondulantes, d'une justesse infinie quant à l'expression des émotions et des sentiments. J'ai rarement vu un auteur s'appuyer avec autant d'aisance sur les temps des verbes et la ponctuation pour traduire la fuite du temps, les sentiments. L'auteur privilégie également le style indirect et la quasi-absence de dialogues, ce qui permet à mon sens de rendre plus intenses certaines émotions.



Ces choix d'écriture parfaitement assumés par l'auteur rendent le récit dense, complexe et son rythme lent. Pourtant, une fois entrée dans le récit, j'ai trouvé la lecture fluide et agréable à lire, le style élégant, délicat, sensoriel et addictif.

Cette houle m'a emportée dans un flot de mots qui tantôt lumineux, irradié de raies de lumière, tantôt soucieux et morose, se diluant dans les errances et les doutes de la vie.



Le sifflement et le roulement du train en bruit de fond sont là pour nous faire prendre conscience que le récit prend un chemin parallèle à la réalité.



La fin est magistrale.



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La construction du récit est habile. Antonio Muñoz Molina a un talent certain pour déambuler, tel un acrobate, sur la ligne du temps, insérant des personnages de la vie politique espagnole de l'époque, jonglant avec le destin de ses personnages de fiction, leurs rêves et leurs espoirs, leurs peurs et leurs désillusions.

Même si le temps fuit, s'écoule, inéluctable, on a souvent la sensation que l'auteur accélère, dilate, ou ralentit son cours jusqu'à le mettre en suspens pour quelques minutes. Il existe en effet plusieurs temps dans le récit, passé, présent et futur se chevauchent : celui de leur amour, L Histoire en marche, ou même celui du voyage.



« Il s'était trompé sur tout, mais plus que tout sur lui-même, sur sa place dans le temps. Passer toute sa vie à penser qu'il appartenait au présent et à l'avenir, et maintenant commencer à comprendre que s'il se sentait si décalé c'était parce que son pays était le passé. »



Le second aspect qui m'a fortement impressionnée, c'est cette façon de faire vivre les personnages à travers les souvenirs et le passé d'Ignacio. On ne les connaît que par son regard. Ils traversent le récit sans consistance, sans présence physique, comme des fantômes.

Avec subtilité, Antonio Muñoz Molina donne aux deux femmes du roman des traits très distincts : Judith illustre la modernité, le changement alors qu'Adela symbolise la tradition.



Le troisième aspect du livre qui m'a plu est la présence en arrière-plan de gares et de trains : lieux de croisement, de destinée, ils sont le carrefour de chemins de vie.



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C'est un roman profondément introspectif qui gagne à être lu lentement. Il offre une réflexion profonde sur l'humanité et la complexité des émotions humaines. Ainsi, il aborde des nombreuses réflexions sur la vie et la perte, la fugacité du temps, la mémoire et les souvenirs, l'amour et l'obsession, la solitude et la trahison, l'attente et le désir.

L'auteur offre également une réflexion autour de la guerre et de ses conséquences, de la violence et de la peur, de la conscience morale et de l'exil.



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Pour conclure, avec ces mille pages, « Dans la grande nuit des temps » est un long monologue intérieur qui demande de se laisser porter. Mais en lâchant prise, en se détachant du monde qui nous entoure, Antonio Muñoz Molina nous entraîne dans une spirale où des visages anonymes sont aux prises avec leurs émotions et le cours de l'Histoire.

Absorbée par l'atmosphère d'une autre époque, c'est en refermant le livre que j'ai véritablement pris conscience qu'il y avait quelque chose de brillant dans ce roman.

A découvrir bien entendu si le nombre de pages ne vous fait pas peur.



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« Dans la grande nuit des temps » est un roman subtil fait pour une lecture commune où la multiplicité des regards ont toute leur place pour se croiser et s'enrichir. J'ai été heureuse de partager ce moment avec Delphine(@Mouche307) et Bernard (Berni_29).

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Dans la grande nuit des temps

Nous ne sommes pas dans « Guerre et Paix » ici, loin de là ! Sur fond de guerre espagnole, nous assistons à la passion dévorante d’Ignacio Abel pour une jeune américaine, Judith. Ignacio est marié à Adela et a deux enfants mais sa maîtresse lui a tourné les sens. Et sa disparition brutale n’a pas mis fin aux sentiments, bien au contraire. Aussi, lorsqu’on lui offre un poste de professeur aux États-Unis, Ignacio ne réfléchit pas longtemps, espérant retrouver sa belle.



Quelle puissance ! Quel style ! C’est le tout premier roman que je lis de cet auteur, grâce à Sylvaine qui m’en a fait cadeau et que je remercie encore. Je me suis régalée ! Sans cesse, le personnage sera partagé entre les horreurs que subit son pays et les affres sentimentaux. Une phrase, dans le roman, peut résumer sa vie : « Ce que l’on a gagné en une seule minute d’éblouissement, on le perd avec autant de facilité. »



Si vous aimez les romans historiques, n’hésitez pas !
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Dans la grande nuit des temps

On a tous fait ce rêve étrange et non merveilleux de ne pas pouvoir avancer, poursuivi par de vagues menaces. Comme si les pieds étaient chaussés de plomb ou si l’on tentait d’avancer dans de l’eau profonde ou plus exactement dans de la mélasse. C’est l’impression qui saisit assez vite le lecteur de ce pavé de plus de six cents pages densément écrite. A petite dose, le style n’est pas déplaisant, mais, mais… l’étalage de détails inutiles, de tartinages qui n’en finissent pas, de paragraphes sans fin, de bavardages et autres délayages lassent. Il y a des amateurs pour ce type d’écriture qui a même reçu des récompenses, tous les goûts sont dans la nature. L’histoire et la construction entrelacée des souvenirs sur fond de la tragique guerre civile espagnole et de l’actualité étaient une belle tentative si elle n’avait pas été noyée dans la ouate verbeuse. On pourrait baptiser ce style “style mélasseˮ. Nouveau titre “grand ennui des tantˮ.
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Dans la grande nuit des temps

Dans La grande nuit des temps, Antonio Muñoz Molina écrit l'hystérie de l'Espagne des années 30. Juste et implacable.
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Dans la grande nuit des temps

Dans la grande nuit des temps est une vaste fresque, un projet de lecture ambitieux. Il faut se le dire dès le début, ça frôle les 1000 pages et l’intrigue peut paraître complexe. Mais ça vaut le coup. Jamais l’idée d’abandonner ne m’est venue en tête. C’est que, dans ce roman, la petite histoire rencontre la grande Histoire. Quand l’une ralentit, l’autre prend le relais et vice-versa. En 1936, Ignacio Abel débarque à New York. Son arrivée dans la métropole américaine l’amène à penser à ce qui l’y a conduit et à ce qu’il laisse derrière lui. L’idée de satisfaire ses ambitions d’architecte et de retrouver sa maitresse Judith Biely l’enchante mais il culpabilise d’avoir abandonné sa femme Adèle et ses deux enfants dans une Espagne à feu et à sang, en pleine guerre civile. Dit ainsi, il a l’air d’un beau salaud mais c’est plus complexe. Et qui peut affirmer hors de tout doute comment il réagirait dans une situation semblable ? Tiraillé entre une profession pour laquelle il n’y a pas de débouchés à cause de la situation politique, une épouse devenue bourgeoise, une belle-famille qui le méprise, une maitresse devenue une âme sœur ? Les rêves et la réalité, quoi ! Dans tous les cas, Abel revit en pensée ces dernières années et ces retours en arrières expliquent ce qui l’a mené à cette nouvelle vie.



L’auteur espagnol Antonio Munoz Molina a reconstitué cette période troublée avec beaucoup de rigueur. Son protagoniste Abel se tient renseigné des développements politiques, lit les journaux, en parle avec ses amis et collègues. Ainsi, les noms de plusieurs personnalités publiques et organisations reviennent régulièrement. En ce sens, l’index des noms propres et abréviations, à la fin de la collection Points, est très utile. Mais cette Histoire peut parfois devenir lourde pour le lecteur. Munoz Molina lui a épargné les longs passages descriptifs mais son souci du détail peut en agacer plus d’un, surtout ceux qui ne sont pas familiers avec la guerre civile espagnole et qui n’en sont pas vraiment intéressés, cherchant plutôt une lecture plaisante. Heureusement, les événements historiques sont habituellement mis en perspective avec la trame d’Abel, lequel n’est pas lié directement aux conflits, il n’en est affecté indirectement quand l’État, le principal bâilleur de fonds des grands projets de construction, a d’autres chats à fouetter et que les dirigeants changent. Et bien sûr quand les combats se rapprochent et font rage dans la capitale espagnole. En fait, on passe constamment de la politique aux épisodes sentimentaux (la guerre et l’amour !) et c’est la grande force du roman, selon moi.
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Dans la grande nuit des temps

Lu en v.o. "La noche de los tiempos".



Un pave. Lourd a soulever. Mais une fois en main tu n'en sens plus le poids. C'est lui qui t'emporte et te fait partir pour une enivrante odyssee litteraire.



C'est une histoire d'amour. Enveloppee dans un roman historique. Une critique de la memoire collective de tout un peuple. Je dirais meme un traite de morale. Et malgre ses longueurs un page-turner dont on veut tourner les pages lentement pour mieux s'impregner de la psychologie des personnages, des changements insidieux qui faconneront leurs destins. Pour paraphraser un auteur celebre, les destins d'un amour en temps de cholera, en des temps alteres, malades d'une maladie collective.



C'est ecrit a la troisieme personne, par un narrateur omniscient, qui de loin en loin livre ses propres pensees. Il raconte l'histoire de l'amour d'un espagnol, Ignacio Abel, et d'une americaine, Judith Byela. Un amour cache, interdit. Parce qu'elle est jeune et libre mais lui est marie et pere de famille. Une histoire qui occupe relativement peu de pages. Beaucoup plus sont consacrees au souvenir de cette histoire. Aux pensees, aux divagations d'Ignacio quand cet amour prend la tangente. Il passe et repasse en tete les moments qu'il a passe avec elle, les missives qu'ils s'ecrivaient, et son attitude envers sa femme, envers ses enfants, quand il etait en famille, quand il ne les fuyait pas. Et Munoz Molina nous promene entre present et passe, dans les intentions d'Ignacio, ses elucubrations, ses reves, ses illusions, ses actions. Quand il se rememore son enfance pauvre, fils d'un macon et d'une concierge, et les etudes d'architecture qu'il a reussi a mener. Son mariage dans une famille bourgeoise, avec une femme plus agee que lui. Mariage d'amour ou de raison? Il ne sait pas. Il ne sait plus. Il n'a jamais su.



Le narrateur suit Ignacio pendant une courte periode, moins d'un an. le temps que tout chamboule. Sa vie familiale, bourgeoise, est balayee par sa rencontre avec cette jeune americaine, si libre, si differente des espagnoles qui l'entourent. Et son travail, la construction d'un nouveau campus universitaire, est carrement detruit. Parce que ce sont des temps de destruction, de destructions physiques inspirees par des reves de constructions politiques. Ce sont les mois d'anarchie d'avant la guerre civile, ponctues par une frenesie de violence, par les virees de tirailleurs de tous les camps qui assassinent sans discernement. Puis les mois qui suivent l'insurrection franquiste, quand les rues de Madrid sont “assurees” par les polices autoproclamees de differents partis. Un chaos que les elus et les fonctionnaires de la republique ne savent ni peuvent gerer. Une rage qui devient aveuglement, folie destructive, deraison. le narrateur, et derriere lui Munoz Molina, n'epargne aucun camp. La cruaute extreme des rebelles a son pendant dans celle des anarchistes et des communistes qui destabilise le gouvernement legitime. Un gouvernement transi, mine de l'interieur, qui tarde a s'organiser, qui envoie au front se faire tuer des recrues non entraines et mal armes.



Autour d'Ignacio foisonnent une multitude de personnages. La famille de sa femme, catholiques bien-pensants qui ont aide a la reussite de l'architecte tout en execrant ses idees de gauche. Un contremaitre de chantier devoue qui l'assiste et le protege. Des ouvriers chomeurs qui detruisent une oeuvre, esperant qu'on les embauchera pour la reconstruire. Des phalangistes qui s'embusquent pour tirer dans la foule. Un richissime americain essayant de pecher des affaires dans ces eaux glauques. Un juif allemand refugie qui finira assassine par des milices communistes. Et des personnages historiques. Cela se passant a Madrid, ce seront des personnages du camp republicain. Et rares sont ceux qui sortent agrandis sous la plume de Munoz Molina. Azana, le president quand la conflagration eclate, est aureole d'une tristesse fataliste. Par contraste, Negrin, ce scientifique qui devint le dernier president, est presente comme une force de la nature, bon vivant, le seul qui sache organiser quelque chose, le seul qui ne se laisse pas porter par des illusions, tout en restant actif et optimiste. Et comme Ignacio, professeur d'architecture, se meut dans des cercles academiques et culturels, il y a beaucoup d'ecrivains, de poetes. Garcia Lorca est imbu de lui-meme, condescendant envers ceux a qui il vole des idees, sinon des passages (envers Moreno Villa par exemple, un poete moins connu qui publia avant lui un recueil de poemes sur New-York), et peureux. La peur lui fait quitter Madrid des les premiers jours de l'insurrection pour se refugier dans son Sud. Sa peur lui coutera la vie. Juan Ramon Jimenez, le nobelise, diagnostique les evenements: “Une fete tragique et folle”. Rafael Alberti fait le clown devant des delegations etrangeres. Et Bergamin, ce fils de ministre sous la royaute, est depeint comme un enrage, un maigrichon qui s'affuble de bottes et vestes de cuir et affiche partout son pistolet a la ceinture, un intellectuel qui cautionne la violence et les meurtres: “la revolution est une chirurgie necessaire…”.



Tous ces politiques et ces intellectuels finiront par s'exiler, comme Ignacio Abel. Il acceptera in extremis l'offre d'une obscure universite americaine et, avec l'aide de Negrin, partira vers les Etats Unis. Il abandonnera sa famille, sans savoir ce qu'elle devient. Il fuit sa famille et son pays, se bercant de l'espoir, de l'illusion qu'il retrouvera Judith, que son tardif amour n'est pas lui aussi perdu. N'est-ce donc qu'une fuite ou est-ce aussi la perseverance d'accomplir son meilleur destin? L'amour avaliserait-il toutes les actions? Il nest pas sur lui-meme des fondements, des mobiles de sa fuite. Il a des pensees desenchantees: “on peut fuir le malheur et la peur aussi loin que possible, mais ou se cachera-t-on du remords?”.



Dans la grande nuit des temps est une tragedie. La tragedie d'un homme en des temps propices aux tragedies. A travers le parcours de cet homme, Munoz Molina ecrit la tragedie d'un pays, d'un peuple. Nombreux l'ont fait avant lui. Je crois quant a moi que c'est un de ceux qui l'ont fait le mieux. Sans atermoiements mais sans parti-pris. Comme il se doit pour une tragedie. Vers la fin du livre un republicain dira: “nous avons commis de telles barbaries que nous ne meritons pas de gagner”. J'ai eu l'impression que Munoz Molina pense que dans cette tragedie aucun des camps n'a “merite” de gagner. En mots pretes a Ignacio Abel, cet anti-heros: “La raison et la justice ne s'imposent pas en tuant”.

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Dans la grande nuit des temps

Je me sens "indigne" d'émettre une critique de ce monument qu'est "Dans la grande nuit des temps", car Antonio Munoz Molina est très grand et je suis toute petite. Mais je souhaite néanmoins encourager un maximum de lecteurs à le découvrir, alors voici : Munoz Molina nous entraine dans la folie de la guerre d'Espagne, à la suite de son protagoniste, Ignacio Abel, architecte respecté qui, bien que marié et père de famille, tombe amoureux pour la première fois de sa vie et, émerveillé, ne songe plus qu'à vivre sa passion malgré le tumulte ambiant. C'est un roman fou sur l'amour et la guerre, traversé de personnages (réels ou fictifs) très finement analysés mais jamais jugés. Munoz Molina réussit même à rendre attachants les moins sympathiques d'entre eux en dévoilant leur humanité cachée. Les événements qui précèdent la guerre civile et ses débuts sont décrits sans romantisme et en toute objectivité, et mon point de vue (exalté) sur la Guerre d'Espagne et ses milices républicaines s'en est trouvé quelque peu modifié. L'écriture est exigeante, mais Munoz Molina parvient à happer le lecteur par la fluidité avec laquelle il mélange la petite histoire à la grande Histoire.

Son livre est un concentré de réflexions sur la guerre, les idéaux, la folie des hommes, mais aussi sur notre propension à croire à l'amour, et à l'espoir et aux dilemmes qu'il fait naître. C'est un pur chef d'oeuvre d'intelligence, d'érudition et de rigueur, qui m'a laissée complètement sonnée. Je le recommande chaleureusement à tous ceux qui aiment la vie, malgré toute son absurdité.
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Dans la grande nuit des temps

Dans la grande nuit des temps est un roman au fantastique pouvoir d'incarnation. S'y retrouve une société où les protagonistes portent chacun, sans caricature, avec leurs origines, un reflet de l'époque.
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Dans la grande nuit des temps

Une fresque impressionnante où se mêle la vie personnelle d'Ignacio Abel et l'histoire d'une Espagne déchirée et ensanglantée. Une intrigue qui commence un an avant l'éclatement de la guerre civile et où l'on voit peu à peu les événements se précipiter vers une fin que l'on sait douloureuse. Tout comme cette relation adultère. Un roman qui parle aussi de l'homme face à des situations qui le révèlent, dans sa grandeur ou sa bassesse ou tout simplement dans sa volonté de continuer à vivre, coûte que coûte.
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Dans la grande nuit des temps

Le roman débute en 1936 à New York. Mais c’est l’Espagne qui est au centre du récit. L’Espagne, que le personnage principal du roman, Ignacio Abel, architecte de son métier a fuit. Il a certes fuit la guerre, les atrocités qu’elle engendre, une machine folle qui s’est emballée et qui dévore tout le monde et n’importe qui. Et surtout les raisonnables, ou les tièdes selon l’angle de vue que l’on adopte, ceux qui comme Abel ont ardemment voulu la République, mais qui en même temps, sont installés de manière confortable, et qui souhaitent des réformes progressives, pensées et préparées, en évitant les excès.



Mais Abel est aussi parti aux USA à cause d’un grand amour, Judith, une jeune Américaine, avec qui il a vécu une passion torride durant quelques mois, qui lui a donné la sensation d’être enfin en train de vivre véritablement. Mais Abel est marié, et sa liaison avec Judith devait être dissimulée, se passer pendant des instants volés, toujours trop brefs. Puis, évidemment, elle laissait des traces, au point que sa femme, Adela, a tenté de se suicider. Judith a décidé de rompre, de partir, et Abel ne peut s’empêcher de nourrir un espoir, ou plutôt une attente, de pouvoir la retrouver, malgré tout.



C’est une grande fresque romanesque, qui aborde énormément de thématiques, de questionnements. La passion, avec ses joies et souffrances, les choix que l’on fait dans une existence, et qui s’avèrent juste ou non lorsqu’il n’est plus temps de revenir en arrière. Les stratifications sociales, une organisation dans laquelle il y les forts et les faibles, les gagnants et perdants, ceux qui ont trop et ceux qui ont trop peu, ce qui à un moment où un autre provoque les haines et la violence. Ignacio Abel  est entre les deux, issu d’un milieu défavorisé, il s’est fait tout seul en partie, mais son métier et sa réussite, ainsi que son mariage, l’ont fait basculé dans une autre classe sociale. Il y a aussi la terrible mécanique de la violence engendrée par les rapides changements politiques, tout le potentiel de destruction que portent en eux les êtres humains lorsqu’ils détiennent la force, et que les règles habituelles sont abolies, que tout semble possible.



Le roman suit tour à tour plusieurs personnages du roman, nous laissant la possibilité d’appréhender différents points de vue, différentes visions. Cela donne un texte très long, qui prend le temps de poser, de décrire, de faire ressentir. Par moments le rythme s’emballe, mais il y a une forme de lenteur dans une bonne partie du livre, la volonté de cerner par des petites touches, d’exprimer différentes sensibilités. Il y a de allers retours dans le temps, Ignacio Abel  se souvient pendant son voyage aux USA, qui doit le mener dans une université américaine où il doit prendre un poste d’enseignant et construire une bibliothèque, les événements qui l’ont mené là il en est. Parfois en désordre, le lecteur doit progressivement reconstituer son itinéraire.



Il faut rentrer dans ce roman, accepter de suivre ses méandres, prendre le rythme. Mais si le lecteur y arrive, c’est un voyage marquant, d’une grande densité, à la fois sensible et touchant, mais aussi source de réflexions, donnant une vision complexe et non univoque des événements et des êtres.
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Dans la grande nuit des temps

Je suis restée sur ce quai de gare sur lequel Molina fait entrer en scène son personnage.

Je suis probablement passé à côté, à renouveller plus tard.
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