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Critiques de Antonio Muñoz Molina (234)
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Beatus ille

Quelle lecture éprouvante ! Comme Muñoz Molina a malmené mon enthousiasme de lectrice avec ce livre, qui était sa première œuvre.

Au début, je ne comprenais rien, tout était confus et peut-être que plus attentif que moi, ami lecteur, tu comprendras à la moitié ou aux deux-tiers du livre, peut-être plus tôt encore, là où je n’ai perçu où Muñoz Molina m’avait emmenée que dans les vingt dernières pages.



Alors un seul conseil, allez jusqu’au bout, laissez vous prendre par l’intrigue qui, après les cents premières pages, est devenue plus envoûtante même si comme moi vous errez au début dans le brouillard. Et bien vous en prendra. C’est tout ce que je peux dire. Ou écrire.



Car tel une truffe au chocolat entourée d’une coquille rigide, le moelleux du cœur n’a pas fait oublier le croquant un peu abrupt ou plus fade de la circonférence. Et à nouveau avec cet auteur, ce livre n'aura pas su me faire oublier 'Dans la grande nuit des temps', qui est de loin très supérieur à ceci.

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Beatus ille

L'intrigue se situe en Espagne, sous Franco, en 1969. Minaya, jeune étudiant madrilène participe à une manifestation d'étudiants où il est repéré par la police et incarcéré. Pour se faire oublier à sa sortie de prison, Minaya demande l'hospitalité à son oncle Manuel qui demeure dans la ville de Magina, sous le prétexte d'écrire la biographie du poète communiste Jacinto Solana, grand ami de Don Manuel depuis l'enfance, et que ce dernier a hébergé à sa sortie de prison, assassiné par la police franquiste en 1947, et qui avait lui-même entrepris de rédiger ses mémoires sous le titre de « Beatus Ille ».



Toute la trame du récit s'articule autour du mystère de la mort par balle de la belle Mariana Rios au lendemain de ses noces avec Don Manuel et la découverte, par Minaya, de la valise de Jacintho Solana dans laquelle reposent des manuscrits et un petit cahier bleu accompagné d'une douille.



Que s'est-il passé en mai 1947 au cours de la dernière nuit vécue par Marianna, quels sont les évènements qui ont amené à retrouver le corps sans vie de cette jeune femme, abattue d'une balle au milieu du front. Nous sommes du côté des Républicains mais les oppositions avancent masquées. Est ce une balle perdue ou un acte délibéré?

La grande demeure de Don Manuel fait partie des personnages de ce récit. On imagine aisément l'atmosphère de cette majestueuse demeure aristocratique avec son patio, son grand escalier, sa bibliothèque et au dernier étage, les appartements de la mère de Don Manuel, Dona Elvira. Utrera, sculpteur, bénéficie aussi de l'hospitalité de Don Manuel. Cette belle demeure bourdonne de la présence du médecin de famille, Médina et de la visite d'Orlando, peintre, ami de tous.



La ville de Magina participe aussi à l'étrange ambiance du récit, elle qui fut témoin de tous ces évènements dont un lynchage sur la place du Général Orduna. Les pierres comme les fenêtres ont mémorisé les drames et les joies et elles se font, avec la vieille horloge, dépositaires de l'histoire de Magina avec toutes ses indiscrétions.



Hébergé sur les lieux du drame, Minaya, très curieux de ce passé, tente de reconstituer cette énigme en retrouvant et en sollicitant tous les protagonistes de l'époque et c'est là que dès le début de la lecture, les difficultés de compréhension pour le lecteur se font sentir. La période va de 1937 à 1969 et toute l'écriture se compose de conversations directes et indirectes, de rétrospectives, de changement d'interlocuteurs et du narrateur. Il faut une grande capacité de concentration pour les centaines de premières pages mais au fur et à mesure de la lecture, les situations et les enjeux s'éclairent.



Ce n'est pas une enquête ordinaire, c'est beaucoup plus que cela, c'est l'histoire d'un traumatisme jamais vraiment cicatrisé que cette guerre civile espagnole et c'est l'histoire du tragique de l'être humain, de ses passions amoureuses qui finissent mal. « Les histoires amours finissent mal en général » !



Certains passages sont terriblement évocateurs de la répression qui a régné pendant et après cette guerre, des exécutions sommaires et des lynchages.



Antonio Munoz Molina possède une écriture magnétique. C'est bien la première fois que je me retrouve fascinée devant un récit dont le sens m'échappe dès les premières pages. Je suis très sensible à l'esthétique et c'est ce qui a retenu toute mon attention. Ce sentiment de retrouver l'esthétique de Marcel Proust, de longues phrases à savourer, une lecture lente qui s'étire, des portraits, des situations décrites toutes en subtilité. A la différence de Proust qui possède, à mes yeux, une écriture limpide, Molina élabore un récit très complexe, un véritable puzzle, un enchevêtrement de destinées et de sentiments humains qui permet de parvenir à un dénouement inattendu.



Beatus Ille est le premier roman d'Antonio Munoz Molina que je découvre. A présent que je me suis familiarisée avec son écriture, que je me suis glissée dans son écriture, je vais continuer ma découverte de cet auteur peu ordinaire.

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Beatus ille

Antonio Munoz Molina m'avait enchantée (le mot est faible) avec Dans la grande nuit des temps, un roman qui restera à jamais parmi mes cinq livres préférés. J'ai donc voulu connaître un autre roman. Beatus Ille est son premier.

Comme dans la grande nuit des temps, il est question de guerre civile espagnole. Il faut dire que Molina est un spécialiste. Mais ce n'est pas le sujet principal et même si on n'y connaît rien, ça passe très bien, mieux que ça même.

C'est une histoire en 3 parties qui se déroule entre 1933 et 1969 et qui commence par la fin ou presque (comme dans l'autre roman). Un narrateur, dont on ne connaîtra le nom qu'à la fin, place les principaux personnages. Au début, on est un peu perdu parmi ces personnages et les époques évoquées, mais rapidement on va connaître les liens qui existent entre eux. L'auteur nous balade dans le temps et nous fait vivre l'histoire de plusieurs points de vue (comme dans l'autre roman). le puzzle prend forme au fil de la lecture.



C'est un livre magnifique, magnifiquement écrit et remarquablement construit, mélangeant sans cesse les époques. L'auteur est capable de parler du passé, du présent et du futur dans une même phrase. Souvent, on évoque ce que les personnages diront ou penseront plus tard de la situation qu'ils sont en train de vivre.

Il y a peu de dialogues, des phrases qui font souvent la moitié d'une page avec beaucoup d'adjectifs pour qualifier au maximum les choses décrites, les comparer à la nature, à des animaux. Les sentiments des personnages, leurs pensées, la ville de Magina, chaque pièce de la maison, les ambiances, les lumières, les arbres, le fleuve, la guerre … tout est parfaitement décrit et rendu.

Certains y verront surtout un livre sur la guerre civile. D'autres y verront plutôt un livre policier avec une enquête pour résoudre un meurtre. Pour moi, la guerre civile est secondaire, juste un « décor », même si elle intervient régulièrement.

C'est un livre sur l'amitié, l'amour, une réflexion sur l'écriture, sur la transmission de la mémoire, d'une histoire personnelle et collective.

Encore un grand livre de ce grand auteur. Peut-être un chouïa au-dessous de la grande nuit. 9 étoiles pour Beatus Ille et 10 pour la grande nuit, si c'était possible d'en mettre autant.

Au suivant !
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Beatus ille

Ils se sont connus sur les bancs de l’école, Manuel fils d’un riche propriétaire, Jacinto fils d’un paysan pauvre. Ils sont restés amis, même quand Jacinto est parti à la capitale et est devenu poète, même quand c’est Manuel qui épouse Mariana, que Jacinto lui avait présentée en 1933.

C’est chez Manuel que Jacinto se cache lors des évènements tragiques de la guerre d’Espagne.

C’est encore chez Manuel qu’il trouve refuge en sortant de prison, 10 ans plus tard.

Et c’est là que se trouvent ses derniers écrits.

Écrits que vient explorer Minaya, neveu de Manuel, à la fin des années 60, sous prétexte d’une thèse.

Mais il va découvrir beaucoup, beaucoup plus que des poèmes.

J’ai eu du mal à entrer dans ce roman ; dès les premières pages on sent que ça va être oppressant. L’écriture est dense, très dense. Et en effet, tout est oppressant dans ce récit, à commencer par la maison, personnage à part entière avec ses pièces innombrables, certaines condamnées, son patio, son pigeonnier maudit.

Tout ici est hanté : par les souvenirs, par les mensonges, par les secrets.

Tout est énigmatique.

Tout est pesant.

Et pourtant, quelle beauté dans ce roman, dans sa densité et sa pesanteur même, dans le tragique de ces destinées humaines brisées par la guerre et la dictature.

Traduction impeccable de Jean-Marie Saint-Lu.

Challenge Solidaire 2023

LC thématique avril 2023 : "Un roman historique"
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Beatus ille

Vous avez aimé Dans la Grande Nuit des Temps, vous apprécierez aussi Beatus Ille. On se dit que le style est le même avec des phrases qui n'en finissent plus, des personnages dont les noms Minaya, Mariana, Medina, Manuel, Magina se succèdent, s'enchaînent en sautant d'une époque à une autre (1937, 1947 et 1969) pour perdre en route le lecteur inattentif et négligent.

« Elle a tout doucement fermé la porte et elle est sortie sans faire de bruit, comme lorsqu'on quitte, à minuit, un malade qui vient de s'endormir. J'ai écouté ses pas s'éloigner lentement dans le couloir, redoutant ou désirant qu'elle revienne, au dernier moment, poser sa valise au pied de mon lit et s'y asseoir avec un air de renoncement ou de lassitude, comme si déjà elle rentrait de ce voyage qu'avant ce soir elle n'a jamais pu faire. Les volets ouverts laissent entrer un air de nuit d'été tout proche, une nuit déchirée, au loin, par le sifflet des express qui suivent la livide vallée du Guadalquivir avant de monter la pente qui mène à la gare de Magina où lui, Minaya, l'attend en ce moment, sans même oser espérer qu'(elle)… apparaisse à un bout du quai ».

Triangle amoureux ? Oui, mais pas comme on le croit à la lecture de ces toutes premières lignes dont vous n'aurez la clef qu'après avoir lu le dernier chapitre. Molina raconte tellement bien les amours malheureuses, les amoureux transis qui n'osent pas ou ceux qui osent tout pour finalement tout perdre, les amoureux heureux mais honteux du bonheur qu'ils ont dérobé à l'ami de toujours, qu'on peut penser que c'est le thème principal du roman au même titre que l'amitié...

« Elle m'avait pris par le bras et elle regarda l'objectif quand le photographe nous demanda de sourire, mais Solana était derrière lui…Ce fut exactement à ce moment-là que le photographe déclencha l'appareil. de quelque endroit du cabinet que tu la regardes, elle a l'air de sourire et de te regarder, mais c'est Jacinto Solana qu'elle regarde. »

Et si c'était une enquête policière ?

« Il pouvait les entendre et reconnaître la voix de chacun, parce qu'ils étaient tous dans le cabinet, de l'autre côté de la porte, mais également ici, dans le cahier bleu, dans les dernières pages qu'il commençait à lire, en se demandant lequel d'entre eux, lequel, parmi les vivants ou les morts, avait été, trente-deux ans plus tôt, un assassin. »

Sans avoir l'air d'y toucher, en arrière-plan, il y a bien un mystère enfoui dans le lointain passé qui va se dissiper peu à peu. Lorsque la vérité apparaît enfin, la surprise est totale et soudain tout s'explique. Pas mal pour un roman qui n'est pas un roman policier.

Alors, c'est un roman sur la guerre civile espagnole ?

Elle ne sert que de décor et de prétexte à des événements extraordinaires mais sa condamnation qui met dans le même sac les assassins de gauche et de droite, la folie des discours enflammés enrobés de postures généreuses et la bassesse des foules déchaînées pour lyncher un homme seul est au coeur du roman et de la pensée de l'auteur. Elle y est traitée, de façon assez similaire à Dans la Grande Nuit des Temps, comme une formidable machine à détruire des vies, bien sûr, mais aussi à anéantir les rêves, les aspirations et les talents de tous ceux qui lui survivent. On y croise un héros qui n'en était pas un, qui ne voulait surtout pas en être, mais qui, pour exister et devenir quelqu'un, en prit toutes les apparences et tous les travers. La tentation du repli sur soi, du refus de prendre parti et de participer à la curée est symbolisée et magnifiée par l'homme portant le prénom de Justo (sans doute pas un hasard) dont le sort ressemble à celui du réfugié allemand de la Nuit des Temps. Quant au titre Beatus Ille, il suffit de se remémorer les premiers vers du poème d'Horace pour confirmer le jugement :

Qu'il est heureux (en latin Beatus ille), loin des affaires,

Comme les mortels des premiers âges,

Celui qui travaille les champs de ses pères, avec ses boeufs à lui, libre de tout prêt à usure.

On ne le réveille pas, soldat, au son terrible de la trompette,

Il ne connaît pas l'horreur de la mer démontée,

Et se tient à l'écart du forum et des seuils arrogants des citoyens puissants.



C'est un roman magnifique, déroutant par son style, captivant par son intrigue mystérieuse et sa construction habile et émouvant par les sentiments qu'il dépeint. C'est beaucoup, mais prenons un instant encore pour dire un mot du personnage que constitue la ville où se situe l'intrigue. Derrière Magina, il faut imaginer Ubeda, la petite ville d'Andalousie (classée avec sa voisine de Baeza au Patrimoine Mondial de l'Humanité) où Munoz Molina est né. Pour y avoir passé une journée ensoleillée de fin mai, je ne peux qu'encourager à y faire halte. Outre l'architecture Renaissance italienne à admirer à chaque coin de rue, vous y retrouverez, comme dans le roman, la place du Général-Orduna (dans la réalité la place d'Andalousie) et sa statue du général criblé de balles. Vous y chercherez, dans le centre historique, la maison de l'oncle Manuel où tout ou presque se déroule. Vous descendrez ensuite vers la plaine du Guadalquivir et ses innombrables oliviers pour vous imaginer dans la scène où les fugitifs tentent d'échapper à leurs poursuivants. Lisez ce roman époustouflant, puis, en allant vers Grenade ou en en remontant en direction de Madrid, arrêtez-vous savourer la beauté et le calme d'Ubeda. Vous n'oublierez ainsi ni le roman, ni la ville, ni le plus célèbre de ses écrivains.

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Beatus ille

Un livre que je referme en me disant que cet auteur est brillant. Non seulement la construction de ce roman est phénoménale mais Antonio Munoz Molina possède une plume qui me subjugue. Certes, j'ai souffert au début, mais cela n'était que pour me donner un plaisir grandissant au fil des pages. Il est tellement proche de la poésie dans sa forme d'écriture que j'y ai puisé un enivrement, aiguisé plus j'avançais, à m'accrocher pour absorber ce qu'il avait à dire de manière si sensible. Si je puis me permettre un conseil, ne lâcher pas prise après les cent premières pages. Cela en vaut vraiment la peine car on finit par se couler dans cette forme d'écriture très particulière et, sans vraiment comprendre de manière très raisonnée, on sent que l'arrangement interne du roman, sa structure déstabilisante au début, va se révéler et s'épanouir comme une fleur au soleil au fil de la lecture. Progressivement, on s'habitue et les non-dits ou juste suggérés, inconsciemment se mettent en place dans l'histoire que l'on découvre page après page.
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Beatus ille

Beatus Ille

Traduction : Jean-Marie Saint-Lu



Bien qu'il s'ouvre en l'an de grâce 1969, qu'un Gainsbourg, sous d'autres cieux, qualifiait à jamais d'"érotique", "Beatus Ille" est un roman sur la Guerre civile espagnole. Un de plus, soupireront certains, excédés et sûrs de découvrir un énième éloge manichéen de ce conflit particulièrement fratricide, avec les Bons - les Républicains - d'un côté, et les Méchants - les Franquistes - de l'autre. Eh ! bien, non ! Ce n'est pas seulement la construction du roman qui est complexe même si parfaitement maîtrisée : la réflexion qui la soutient l'est encore plus.



Né le 10 janvier 1956, Muñoz Molina n'a pas connu la guerre. Mais il connaît par coeur ses retombées, à savoir la dictature du Caudillo. Une atmosphère étouffante et cruelle contre laquelle se révolte le héros du roman, Minaya, jeune étudiant qui fuit, dès le premier chapitre, la police franquiste lancée à ses trousses car, comme tant de ses contemporains à l'époque mais avec beaucoup moins de chance que la majeure partie d'entre eux (n'est-ce pas, M. Cohn-Bendit ? )le jeune homme est atteint du virus de la contestation. La contestation sous Franco, d'extrême-gauche ou pas, c'est surtout dangereux pour celui qui la porte et Minaya préfère se faire oublier, tout au fond d'une petite ville andalouse où don Manuel, son oncle depuis longtemps perdu de vue, se fait un plaisir de l'accueillir dans sa vaste demeure.



Comme prétexte à son arrivée impromptue après tant d'années, Minaya invoque une thèse qu'il serait en train de consacrer au poète républicain abattu par les Franquistes en 1947, Jacinto Solana. Don Manuel, qui fut l'ami d'enfance de Solana et l'hébergeait encore le jour de son assassinat, ne manque pas d'être sensible au projet et ouvre grand ses portes et ses archives au jeune homme. Derrière les portes, Minaya va découvrir quelques personnages que le passé continue à hanter, de même que les hante le fantôme de Mariana, l'épouse d'un jour de don Manuel, tuée d'une balle en plein front par un tireur inconnu au lendemain même de son mariage. Quant aux archives ... Son oncle les lui a-t-il bien toutes mises à disposition ? ...



Il ne saurait être question d'aller plus loin dans le résumé de l'histoire sous peine de révéler au lecteur la clef de ce drame baroque et pourtant feutré, admirablement mis en valeur par le style riche et poétique de l'auteur. Mais, au-delà du thème central - la résolution, en quelque sorte, d'un secret de famille - c'est l'image, ou plutôt le kaléidoscope d'images tour à tour flamboyantes et ténébreuses laissé derrière elle par la Guerre civile, qui constitue le sujet de "Beatus Ille." Le titre même du roman, emprunté au début d'une ode célèbre d'Horace ( "Heureux qui, loin du monde, étranger aux affaires, / Cultive avec ses boeufs, etc ...") est un clin d'oeil ironique, d'une amertume terrible, à ce monde de reflets qui entend exposer la Vérité seule et indivisible et qui, en réalité, ne montre que l'apparence des êtres et des choses quand il ne s'agit pas tout simplement de ce que l'on veut voir soi-même dans ces êtres et ces choses ...



Même si sa sympathie va sans fard aux Républicains, Muñoz Molina rompt ici délibérément avec l'angélisme manichéen qui est en général de rigueur lorsqu'on évoque la Guerre civile espagnole. S'il parle des horreurs commises par les Phalangistes, il évoque également les lynchages perpétrés par les Républicains : dans une guerre, à plus forte raison quand elle est civile, il n'y a plus d'hommes ni de femmes : il n'y a plus que des massacreurs en puissance. Dire qu'il renvoie les deux camps dos à dos serait cependant inexact : sa démonstration tend surtout à démontrer que rien n'était ni intégralement blanc, ni intégralement noir, que la Pitié n'habitait pas à demeure chez les Républicains pas plus que la Cruauté ne s'était installée définitivement chez les Franquistes. La seule chose qu'il ne parvient pas à pardonner à Franco - et que ne lui pardonnèrent pas non plus beaucoup même de ses partisans - c'est l'emploi des régiments arabo-musulmans contre le camp ennemi. En les lâchant sur les villes prises à l'ennemi, c'est l'Espagne tout entière, à nouveau fraternelle, que le Caudillo a trahie. Muñoz Molina le rappelle, avec simplicité mais fermeté.



Avec ses héros qui n'en furent jamais et ses lâches dont l'Enfer est devenu le compagnon journalier, "Beatus Ille" est un grand livre, une méditation à la fois poétique et réaliste mais surtout impartiale sur la Guerre civile espagnole - et c'est aussi un livre que vous ne regretterez pas d'avoir lu. ;o)
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Beatus ille

Les phrases de Munoz Molina! Difficile de savoir ou prennent elles leur source, d'ou jaillissent elles, d'ou provient cet ecoulement continu qui se taille son lit, avec une endurance tranquille, a travers monts collines et plaines, recevant apres quelques virgules et maints meandres des affluents qui amplifient son nerf et sa puissance, charriant le lecteur, le poncant, le limant, le lustrant, jusqu'a son echouage, essoufle mais ravi, a l'apaise estuaire du point.





Le long des pages, tout ce flux, toute cette eau ondoyante se fixe en chapitres, se solidifie, devient pierres, une s'appuyant sur l'autre pour edifier une batisse de pierres seches, qui fait fi de tout ciment bourratif et finit inscrite par l'Unesco au patrimoine de l'humanite.





Munoz Molina a, en plus d'une prose imagee, rutilante, le chic pour construire un recit qui feint d'egarer le lecteur pour mieux le rattraper au tournant. Ce livre, Beatus ille, se deguise en intrigue tant soit peu policiere pour mieux raconter une ville, une maison, une amitie, un amour, et surtout une epoque. Un roman polyphonique ou presque chaque personnage a le droit de donner son point de vue, de faire avancer l'action selon son bon vouloir. D'epaissir le scenario par ses aveux ou ses affabulations.





Tout commence par le retour d'un jeune etudiant dans sa ville natale (la Magina que Munoz Molina declinera dans plusieurs de ses livres et qui n'est autre que l'Ubeda ou il a grandi) a la recherche d'un poete mort et oublie. A partir de cela le lecteur a droit a une description detaillee de la ville et de ses environs, aux moeurs de ses differentes classes sociales, a leurs demarches, leurs affrontements pendant la guerre civile et la premiere decennie d'apres-guerre. Une terrifiante chronique de gens executes pas pour ce qu'ils avaient fait mais pour ce qu'ils pensaient, ou simplement pour ce que d'autres alleguaient qu'ils pensaient. Il aura droit a l'histoire d'un grand amour, non, de plusieurs grands amours; a l'histoire d'une grande amitie, pas equitablement reciproque mais minee par une certaine jalousie; a de belles circonvolutions sur le fosse des generations, incomprehension et blame d'un cote, revolte de l'autre; Il aura droit a ce que l'auteur, parlant de je ne sais plus quoi, definira comme "un laberinto sabio de figuras trenzadas en la desesperacion y el deseo", "un savant labyrinthe de figures tressees dans le desespoir et le desir".





Beatus ille est un roman complexe, non lineaire, bouleversant la chronologie, ou les multiples narrateurs compliquent chacun d'eux la trame selon son point de vue ou ses manigances, piegeant le lecteur, le malmenant par cercles concentriques en avant et en arriere, jusqu'a une fin qui eclaire le tout.





C'etait le premier roman de Munoz Molina. Pas un coup d'essai, mais tout de suite un coup de maitre. Beatus ille. Heureux celui qui a ce don d'ecriture. Beatus ille. Heureux celui qui le lit.



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Beltenebros

Le roman est constamment plongé dans une ambiance nocturne et mélancolique. Une ambiance triste aussi. Tous les personnages sont des solitaires, tous les décors sont tristes à pleurer. Des banlieues bétonnées et sordides, des boîtes de nuit sinistres, les anciens cinémas désaffectés... Loin des images cartes-postales de l'Espagne, on est ici dans la crasse du quotidien le plus terne.

Et c'est dans un tel décor que se déroule l'action, comme une tragédie. Car il y a un caractère implacable dans cette histoire. Quoi qu'il fasse, Darman ne peut pas échapper à sa mission. Et pourtant, il passe son temps à chercher des échappatoires, des solutions de repli. Mais n'arrive que ce qui doit arriver; Et Darman est comme prisonnier d'un destin qui le dégoûte.

Comme son titre l'indique, nous sommes donc dans un roman sombre, bien écrit en phrases généralement longues. La fin s'étire un peu et s'enfonce trop dans le glauque, mais l'ensemble, plutôt court (200 pages) se lit vite et avec intérêt.
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Beltenebros

« J’étais venu à Madrid pour tuer un homme que je n’avais jamais vu. » (p. 11) Le capitaine Darman est un tueur à gages à la solde d’un réseau antifranquiste qui continue d’agir 20 ans après la fin de la guerre. Envoyé un peu partout en Europe, Darman est un agent froid et efficace qui accomplit ses missions sans ciller, mais qui souhaiterait se retirer. « Je ne leur devais rien et n’avais aucune envie de leur réclamer quoi que ce soit, pas même le temps que j’avais gaspillé à servir leurs rêves délirants de conspiration et de retours vengeurs. » (p. 22) En outre, cette mission à Madrid réveille le souvenir d’un autre meurtre, 20 ans plus tôt, quand Darman avait dû exécuter un ami traître au réseau. Des années plus tard, le capitaine s’interroge : a-t-il eu raison ? Walter était-il vraiment coupable ? « J’ai exécuté ma part de cruauté et de destruction et j’ai mérité l’opprobre. Les effets de l’amour ou de la tendresse sont fugitifs, mais ceux de l’erreur, ceux d’une seule erreur, n’ont pas de fin, comme une maladie carnivore et incurable. » (p. 129) Ici, c’est Andrade que Darman doit exécuter, un nouveau traître à la cause. Dans la ville madrilène, Darman est pris au piège de ses souvenirs, des faux-semblants et du passé qui ne demande qu’à ressurgir. Et il plane l’ombre de Beltenebros, le traître qui a collaboré avec la police de Franco. Qui est-il ? Où se cache-t-il ? « Beltenebros, on ne peut le découvrir parce qu’il sait vivre dans l’obscurité. » (p. 220)



L’univers mis en scène par Molina est sombre, nocturne, mal famé, louche et tout à fait inquiétant. Avec le passé qui frappe à la porte de sa mémoire et qui ne demande qu’à entrer et tout recouvrir, Darman embarque dans une odyssée intérieure qui malmène ses certitudes. On assiste à un processus inéluctable : dans une progression macabre, l’intrigue se déploie jusqu’à étouffer le héros pour mieux lui ouvrir les yeux. Tous les éléments traditionnels du polar sont au rendez-vous : le héros fatigué et désabusé, la très belle femme énigmatique, la proie innocente ou non et l’organisation supérieure implacable. Mais le roman dépasse ces codes quand la manipulation que subit Darman vire au cauchemar. « On voulait que je refasse les mêmes pas, que j’entende exactement les mêmes sons qu’alors. » (p. 210) Antonio Munoz Molina insuffle à ses pages un petit air de David Lynch avec l’inquiétant glissement des choses et la perte de contrôle de son héros. « Après tant d’obscurité, chaque chose que je regardais devenait une incitation pressante à déchiffrer ce qui me crevait les yeux et m’imposait l’évidence hermétique de sa candeur. » (p. 85) Le traqueur devient traqué et le mystère s’épaissit avant l’ultime épiphanie, alors que les ruines de la mémoire et de la compréhension se redressent lentement pour dévoiler l’évidence et faire sortir Beltenebros de l’ombre.



Ce roman m’a été recommandé par un ami très cher. Il a bien fait, très bien fait. Moi qui ne suis pas vraiment sensible aux polars, j’ai été subjuguée par cette intrigue cauchemardesque. De plus, une lecture qui s’ouvre sous le haut patronage de Don Quichotte annonce à coup sûr un palimpseste de la littérature espagnole. Mais il serait bien réducteur de cantonner Beltenebros à cette définition. Ce roman est également un hommage au roman noir américain et au cinéma du même genre. Beltenebros, c’est comme un vieux film en noir et blanc avec un héros en pardessus et feutre mou, une femme fatale en talons aiguilles et rouge à lèvres carmin, mais avec en plus l’angoissante certitude que tout n’est qu’apparence et que le rideau va bientôt se déchirer.

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Beltenebros

L'écriture est intéressante et l'analyse psychologique assez poussée mais l'argument, tout comme l'intrigue, se révèlent trop faibles selon moi pour un rendu agréable à lire. (simple opinion)
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Beltenebros

C'est bien écrit....mais je me suis profondément ennuyée...



L'idée est bonne, nous revenons sur les pas d'un tueur à gages, enfin presque ça, un tueur pour l'honneur d'une cause...Il est rangé, il est un héros pour ceux de sa cause, et reviens sur un assassinat ancien, pour en réaliser un autre quelques années plus tard.



J'aurais presque préféré le lire en espagnol, mais mon niveau est insuffisant.

Je suis passée à côté de ce roman, qui pourtant a du plaire à plein de gens...Pas moi, dommage.



C'est embrouillé, ça traine en longueur, beaucoup trop d'états d'âmes, heureusement c'était court !
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Beltenebros

Si je devais illustrer mon avis, j'ajouterais l'affiche d'une adaptation cinématographique trouvée sur la toile ( bien que je ne connaisse pas le film ) car je trouve qu'elle nous met dans l'ambiance du livre.

Lors de ma lecture, j'imaginais justement un film noir des années 50 , Humphrey Bogart, Rita Hayworth ... car il y a une femme fatale forcément !

J'ai beaucoup aimé ce roman , tout à fait d'accord avec l'expression " thriller au lyrisme flamboyant" indiqué sur la 4ème de couverture

J'aime la plume de Molina, son lyrisme, son mystère. On est dans un sombre roman d'espionnage, on se promène dans les bas fond de Madrid.

Le personnage principal se voit contraint de se rendre à Madrid pour éliminer un traitre... Vingt ans en arrière, une mission similaire l'avait déjà mené sur les lieux... Comme dans plusieurs de ses romans on alterne entre passé et présent jusqu'à ce que ce passé rejoigne le présent.



Je ne suis pas une grande adepte des romans d'espionnage ou policier mais celui-là de part son écriture, son lyrisme, son ambiance et sa tragédie est une petite merveille.



Je vous invite à lire mon avis et à visionner l'affiche du film sur le club des rats de bibliothèque ;-)


Lien : https://clubdesrats.1fr1.net..
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Beltenebros

Publié en 1989.

Madrid. Darman, membre d'un réseau antifranquiste constitué en Europe dès la fin de la guerre civil espagnole, vient à Madrid pour tuer un homme qu'il n'avait jamais vu. Il va faire une relecture de son propre passé.
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Beltenebros

Je suis tombée par hasard sur le film Beltenebros (1991) avec Terence Stamp, récompensé à de nombreuses reprises à Berlin et Espagne, et qui s'avère être une bonne adaptation du non moins excellent roman éponyme de Antonio Muñoz Molina. Je l'ai donc relu et le plaisir n'en est que plus grand. Quand on connaît déjà le dénouement on ne peut qu'en apprécier davantage la structure.

Placé sous l'égide de Don Quichotte et d'Amadis de Gaule (qui prit le nom de Beltenebros, Beau Ténébreux), le roman débute à manière de Pedro Páramo : « J'étais venu à Madrid pour tuer un homme que je n'avais jamais vu. »



Darman, qui a combattu dans les rangs républicains pendant la guerre civile, vit à Brighton. Ancien agent du S.I.M., et membre du Parti communiste en exil, il effectue toujours quelques missions. Droit, froid, méthodique, il est passé sous les radars, tel un fantôme. Cette fois-ci il revient à Madrid après une vingtaine d'années d'absence pour exécuter une taupe, Andrade. Les membres du réseau républicain qui poursuivent la lutte intérieure, tombent les uns après les autres, traqués par le mystérieux et insaisissable Commissaire Ugarte. Pour retrouver Andrade, Darman doit se mettre en contact avec Rebecca, une belle prostituée, dont la filiation le replonge dans les années de guerre. Mais a-t-il fait les bons choix? L'expression galvaudée « fantômes du passé » prend ici tout son sens, et le légendaire Capitaine Darman revoit les visages de l'autre Rebecca, de Walter, un traître qu'il a abattu, de Valdivia…



Beltenebros est un grand roman noir digne d'un Chandler ou d'un Hammett, un implacable thriller d'espionnage qui en plus d'une intrigue retorse, joue aussi sur la symbolique des noms et des identités, un roman de chevalerie, où les chevaliers errants parcourent les rues toujours sombres d'un Madrid sordide, gothique. Muñoz Molina insiste sur les jeux de lumière, les clair-oscur, les halos fugaces, le brouillard, pour nimber le héros et son ennemi le Prince des Ténèbres. Difficile dans cette purée de pois, de distinguer les amis des ennemis, le mensonge de la vérité...Ouvrage très riche qui offre plusieurs niveaux de lecture, le roman s'achève avec un face à face d'anthologie qui marque ce crépuscule des héros.
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Beltenebros

J'ai connu des thrillers plus faciles à lire... Non pas que l'intrigue soit complexe. Non, finalement, elle est plutôt simple. J'y reviendrai. Mais le style d'Antonio Munoz Molina est riche, très riche, et c'est parfois déstabilisant. Je dirai qu'il y a des moments propices pour un tel style. De longues phrases, à la ponctuation sans faille, où les adjectifs et les verbes ricochent et se complètent. On sent le désir de l'auteur de sélectionner le mot qu'il faut. Rien n'est laissé au hasard (et dans l'intrigue non plus). Cela dit, ce style cadre parfaitement (et c'est forcément intentionnel) avec l'ambiance qui se dégage du roman. Ce style participe à la mise en place de l'atmosphère oppressante qui s'abat comme une chappe de plomb sur le lecteur.



Si vous aimez les styles précis, pointus, réglés au cordeau.... ce roman est pour vous. Si vous aimez lire des romans offerts à l'achat de 2 boîtes de kleenex... passez votre chemin.



Atmosphère, atmosphère, donc. Le roman est principalement nocturne. Si je me repenche sur les événements du roman, je ne vois que du noir... et pour cause ! L'explication arrive à point nommé, mais chut...



Darman est un commerçant en manuscrit et documents anciens. Il vit en Angleterre, mais il est Espagnol. Il était, il est toujours, capitaine dans l'armé républicaine. Antifranquiste convaincu, il est auréolé d'une aura de héros. Tueur à gages pour le réseau, lors d'escales multiples entre Londres, Florence, Milan... il est mandaté pour tuer un homme qu'il n'a jamais vu. Il doit se rendre à Madrid pour rencontrer Andrade et le tuer en lui faisant croire qu'il a des faux papiers pour lui. Le réseau est convaincu qu'Andrade est le traître, il vient de s'échapper trop facilement lors d'un transfert de prisonniers.



Madrid évoque pour Darman un lointain passé, où il a tué Walter, un compagnon d'armes qui avait changé de camp, où il avait rencontré Rebeca Osorio qui écrivait des romans de gare dans lesquels elle distillait -à la demande de Walter- des indications pour le réseau. Rebeca était la maîtresse de Walter et de Valdivia, un autre compagnon abattu.



Une fois à Madrid, les fantômes du passé vont s'immiscer dans la mémoire de Darman. Il va retrouver des lieux, des sensations, des ambiances qui le ramèneront 20 ans en arrière. La mémoire est un thème récurrent chez Munoz Molina. Darman va alors évoluer entre culpabilité et désir charnel. D'autant plus facilement qu'il croisera une Rebeca Osorio âgée de 20 ans, qui ressemble à celle qu'il a connue du temps de Walter.



Le récit est raconté par Darman. Dès lors, habilement Munoz Molina va instiller chez le lecteur l'idée que Darman sombre dans une certaine folie, et que ce que le lecteur lit n'est pas la réalité, mais le fruit d'un filtre que Darman surimpose au récit.



On pense à Chandler, évidemment. Ces faux-semblants, ces pièges, ces confrontations entre ennemis qui se croisent et se jaugent... On pense aussi à Kafka ou Lem, à Brazil, et même à toute la veine de fantastique espagnol, de Borges à Bunuel. Mais au final, on a bien un polar noir entre les mains.



En ce qui me concerne, il y a toujours un moment charnière où la lecture devient plus fluide, rapide, tendue, nerveuse, quand j'ai passé le cap du style de l'auteur... Le roman s'emballe pour moi vers la page 170 (sur 233...) quand on distingue le dénouement final (plus ou moins) et qu'on sait que l'on a un polar entre les doigts.



A maintes reprises, j'ai relu des phrases, pour en ressentir les effets. Pour plonger, m'immerger dans la froide et gluante épaisseur des mots, pour en ressentir les vapeurs méphitiques et malsaines. Par exemple...



"L'excitation et la honte se consommaient devant moi, au rythme fébrile du bongo qui paraissait frapper la jeune fille comme un boxeur épuisé, la disloquer, la jeter à genoux par terre, lui imposer méthodiquement les mouvements syncopés d'une danse où elle se dénudait comme si elle s'arrachait des lambeaux d'elle-même, des gants interminables, l'un après l'autre, les bretelles de la robe, le satin noir qui descendit jusqu'à sa taille avant de tomber à ses pieds comme une matière liquide et luisante, comme une flaque de mercure d'où elle émergea, nue, le visage baissé et dissimulé sous ses cheveux, les mains croisées sur son ventre, haletante de rancoeur plus que de fatigue, s'évanouissant l'instant d'après dans les ténèbres et le silence comme un éclair fulgurant. (p.99)
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Beltenebros

J'avais aime L'hiver a Lisbonne, qui etait un hommage au film noir et au jazz. Dans Beltenebros Munoz Molina continue cette veine, la poursuit jusqu'a ses recoins les plus profonds, les plus caches, la creuse jusqu'au dela de l’imitation, jusqu'au dela de la parodie, jusqu'a la caricature, une caricature a faire grincer des dents, a faire blemir le lecteur qui s'approche de cet abime de noirceur. Ce n'est pas le Carre noir sur fond blanc de Malevich, c'est un carre noir desoriente qui s'estompe dans un fond noir douteux, indecis. Et pour mieux piper les des le jazz s'est transforme en boleros douceatres et vulgaires. Au secours! Haro! Socorro!



Darman, un ancien capitaine de l'armee republicaine, exile en Angleterre, revient a Madrid, envoye par une organisation communiste clandestine, pour executer un traitre qu’il ne connait pas, qu'il n'a jamais vu.



Derriere un Madrid (celui des annees soixante?) qui semble reel se profile un Madrid sordide, des entrepots obscurs, un cinema decrepit, un hopital abandonne, batisses murees ou toutes ouvertures condamnees, lieux mysterieux cachant des histoires et des vies secretes, dans une atmosphere de tenebres opaques et de brouillards equivoques, en parallele avec l'opacite et l'obscurantisme que presuppose le franquisme regnant.



Darman, a la recherche et a la poursuite de son traitre, se rememore et revit en fait une autre execution qu’il avait mene a bien (a mal?) une vingtaine d'annees plus tot, dans les memes decors sinistres. Un destin qui parait se repeter en des temps paralleles. Il debat avec sa memoire, se questionnant sur les motifs de ses actes, qui semblent eux aussi repetitifs, eprouvant des sentiments et des emotions contradictoires qui le jettent de la serenite a l'impatience, de l’angoisse a l'euphorie, du calme a la rage, de la peur a la temerite, en des allers-retours incessants. C'est un heros solitaire, desoriente par une fascinante galerie de miroirs ou se refletent le passe et le present, la realite et la fiction, la certitude et le desespoir, le devoir et sa decharge, l'amour et la haine en fin de compte. C'est le crepuscule d'un heros tachete d'ambiguite morale.



C'est tres noir. L'auteur multiplie, en plus de l'ambiance et des couleurs, les cliches de films noirs. Rita Hayworth est expressement nommee, et quelques pages plus loin une scene ou la femme desiree (la femme fatale? Comme souvent, comme toujours, fatale pour elle-meme comme pour les autres) chante dans un cabaret et effectue un effeuillage cite en fait le film Gilda de Charles Vidor ou la Hayworth enleve erotiquement ses gants apres avoir chante Put the blame on mame. Vers la fin du roman, Darman poursuit le vrai traitre dans les combles d'une boite et d'un cinema, dans ce qui semble encore une citation, du Fantome de l'opera cette fois-ci. Le roman devient, plus qu'un hommage, une anthologie, pour cerner la quintessence du genre noir.



Comme toujours, j’ai aime l'ecriture de Munoz Molina, ses longues phrases pour traduire l'illusion de lumiere dans les penombres, l’ambiguite de la traitrise, les clairs-obscurs de l'ame, les tromperies du temps, les fables de la memoire, l'interchangeabilite des bourreaux et des victimes, des chasseurs et des proies, tous des fous, tous des heros, tous des perdants. Tous des Quichottes, si l'on croit la citation de Cervantes que l'auteur a mis en exergue: “Quelquefois ils fuyaient sans savoir qui, et d’autres fois ils s’arrêtaient sans savoir qui ils attendaient.” Des Quichottes dans l'obscurite, tous poursuivant un inaccessible, tous fuyant quelque chose, qui les fantomes de son passe, qui les chimeres de son avenir.



Un livre pas facile, un beau livre, bien que pas un des meilleurs de son auteur, un livre a l'image de son titre, un beau tenebreux.

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Carlota Fainberg

Carlota Fainberg est une lecture qui m'a tenu en haleine cette semaine. L'auteur nous présente deux protagonistes, deux espagnols qui se retrouvent bloqués dans un aéroport au États-Unis. Notre narrateur se rend a Buenos Aires tandis que l'autre apprenant ça, lui raconte une histoire qui lui est arrivé la-bas. Son job consiste a racheter des hôtels qui sont en faillite pour les remettre sur pied, il en découvre un en plein cœur de la ville et voit déjà la belle affaire. Seulement, il fait la connaissance d'une femme charmante, qui va le séduire. Je ne vous en dis pas plus, juste que cette femme a bien des secrets....

L'intrigue m'a beaucoup plu, le suspense et la et l'on veut connaître la fin, qui ne m'a pas déçu. Par contre, l'histoire de Claudio en arrière plan, ne m'a pas passionné.



L'écriture d'Antonio Munoz Molina est captivante, par contre, le fait qu'il utilise des termes anglais quasiment dans chaque phrase est assez horripilant. Heureusement l'intrigue est bonne et les personnages sont attachants. "Dans la vie, les grandes explosions de joie ou de malheur sont beaucoup moins fréquentes que ne le suggèrent les romans ou le cinéma. D'après mon expérience (pas trop vaste je m'empresse de le préciser), dans la vie de tout a chacun, beaucoup plus importants sont les petits disapointments qui gâchent la possibilité de satisfactions assez peu spectaculaires, vraiment très modestes et cependant très solides, qui se présentent a presque chacun d'entre nous. A l'aéroport de Pittsburgh, quand je me suis vu presque traîné par un compatriote importun pour aller prendre un café, "ou un peu plus" comme il l'a dit, vers un oak bar suspect ou se trouvaient déjà installes, incrustes comme on dit aujourd'hui en Espagne, deux gros bonshommes tristes et ostensiblement redneck qui buvaient de la bière, j'ai pris conscience de tout le plaisir que je m'attendais a éprouver dans la lecture ou dans la simple attente du voyage pendant les heures qui me séparaient du départ de mon avion, et du manque d'égards avec lequel cet homme m'avait arraché un morceau de temps qui m'appartenait et qui jamais ne me serait rendu." Ils sont assez caricaturaux, il y a d'un coté, le gros macho par excellence, tandis que de l'autre, l'homme cultivé : "[...] Entendre parler des femmes en termes physiques était quelques chose que je ressentais comme aussi vieilli que le manteau posé sur les épaules de mon père, ou que ces cigarettes brunes sans filtre qui avaient déjà commencer a le tuer sans qu'il ne le soupçonne." C'est une rencontre assez improbable qui au final plaira aux lecteurs.



Je suis heureuse d'avoir enfin découvert un roman de l'auteur. J'avais envie de le lire depuis longtemps et je ne suis pas déçue.
Lien : http://missmolko1.blogspot.i..
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Carlota Fainberg

Un livre à lire uniquement pour le plaisir. Cette histoire qui s'avérait intrigante m'a finalement déçue...
Lien : http://lectures-givrees.over..
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Carlota Fainberg

Claudio est coincé dans l’aéroport de Pittsburgh en raison d’une tempête de neige. Il doit se rendre à Buenos Aires pour un congrès. Abordé par Marcelo, qui reconnait qu’il est espagnol grâce au journal dans sa poche, Claudio se voir obligé d’écouter pourquoi Marcelo n’ira plus jamais à Buenos Aires. À cause d’une femme, Carlota, qu’il a rencontré dans un hôtel en ruine et avec qui il a eu une relation torride de deux jours. La tempête se calme, les deux hommes se séparent. Claudio arrive à Buenos Aires, suit son congrès plus ou moins assidûment, se promène dans la ville et tombe sur l’hôtel dont Marcelo lui a parlé. Il y entre, l’hôtel est encore plus décrépi, ferme à jamais le lendemain. Claudio croit y voir Carlota, puis elle disparaît, et tout doucement la réalité se confond avec le rêve. Un peu agaçant parfois de lire un livre où se mêlent trois langues, français, anglais, espagnol, mais une belle histoire.
Lien : https://redheadwithabrain.ch..
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