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Critiques de Antonio Muñoz Molina (234)
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Dans la grande nuit des temps

Formidable évocation d'une passion amoureuse, surprenant à l'approche de la cinquantaine un homme sans histoires, comme une parfaite allégorie de la passion belliqueuse qui s'empare de l'Espagne au milieu des années 30 et que nous allons vivre par ses yeux, son coeur et son cerveau !

Ignacio est un architecte reconnu mais solitaire, un père aimant mais silencieux, un mari fidèle mais distant, un socialiste convaincu mais raisonnable, un gendre respectueux mais fuyant. La société espagnole, assoupie depuis si longtemps dans ses habitudes et ses injustices, se réveille depuis quelques années sous des influences étrangères. Certains rêvent des soviets de la révolution bolchevique tandis que les autres rêvent de l'ordre allemand ou italien. On s'agite, on découvre les joies d'aller voter, de défiler bruyamment et forcément, peu à peu, la joie cède la place à la peur alimentée par les premiers excès des extrémistes des deux camps.

En parallèle, voici Ignacio, lui aussi, qui s'embrase sous influence étrangère, en la personne d'une jeune et séduisante américaine dont il devient l'amant.

Son absence quand il est au foyer familial, son impatience, ses mensonges, ses hésitations avant d'annoncer qu'il doit s'absenter, tout est fort bien décrit, « Accoutumé à ne pas mentir, il était surpris par la facilité avec laquelle, pour la première fois depuis très longtemps, il cachait quelque chose (...) La vérité et le mensonge se disaient exactement avec les mêmes mots. Dire ces mots était si facile et la récompense si démesurée que cela lui provoquait par avance une sensation d'ivresse, presque de vertige, à l'heure du dîner, dans la léthargie de la salle à manger familiale, où le temps passait si lentement ». J'ai lu quelques commentaires déçus où certains le trouvent égoïste et aveugle. C'est tout à fait vrai, mais c'est précisément l'état dans lequel une passion amoureuse et adultérine vous plonge. Cet aspect du roman me semble une totale réussite par les sentiments décrits, ce profond tumulte dans lequel vous savez que vous êtes en train de causer autour de vous beaucoup de chagrin mais auquel rien ne peut vous faire renoncer. le comble de l'égoïsme sans doute, d'autant plus surprenant et choquant quand il frappe un individu irréprochable jusque là.

Le premier temps de la passion, celui des premiers mensonges faciles est aussi celui du plaisir, de la joie et de l'ivresse retrouvés comme celle de la république nouvelle de 1931. Puis l'orage qui gronde finit par éclater au printemps de 1936, le soulèvement militaire dans le sud va libérer dans Madrid toutes les lâchetés, les injustices et les cruautés, qui sommeillaient derrière les défilés et les banderoles. Chez Ignacio, c'est une clé oubliée un matin sur un tiroir qui va déclencher le drame. Les soupçons muets deviennent des certitudes, voici venu le temps des larmes, du chagrin, des remords et des renoncements.

Les trois personnages de cette passion amoureuse sont des « gens bien » et c'est ce qui fait l'intensité de cet aspect du roman. L'épouse délaissée qui, toujours amoureuse de son mari, fait preuve d'une douleur aussi muette que violente est d'une dignité admirable. La maîtresse qui, se rendant enfin compte de ce qu'ils ont provoqué, a le courage de rompre. le mari quant à lui, déchiré entre ses enfants, le chagrin de sa femme et la passion qui le dévore, ne saurait renoncer, pas plus que l'Espagne qui s'enfonce chaque jour davantage dans la folie meurtrière.

Ignacio est devenu un bourgeois mais ses sympathies sont toujours à gauche, c'est un républicain convaincu qui va découvrir que les assassinats en pleine rue, que la victime soit un monarchiste ou un républicain, se ressemblent tous. Lorsque la rébellion éclate, Madrid est livrée aux milices de tous poils (socialistes, communistes, anarchistes) et les exécutions sommaires sont bien souvent d'une iniquité sans nom (son ami le professeur Rossman, juif allemand ayant échappé à Hitler et à Staline n'échappera pas à une milice anonyme). On ne peut s'empêcher de penser à José Robles, l'ami de Dos Passos, exécuté après un simulacre de procès et qui causera la rupture avec Hemingway (lire à ce sujet l'excellent Adieu à l'Amitié de Stephen Koch). Il semble bien que dans cette querelle, Munoz Molina ait choisi Dos Passos.

Les pages concernant la guerre, les arrestations arbitraires et les exécutions nocturnes sont un puissant manifeste pacifiste dont je n'ai pas souvenir d'avoir déjà lu l'équivalant. Sa force réside dans le fait qu'il émane d'un membre du camp que l'Histoire a retenu comme le camp du Bien. On en est plus vraiment certain en refermant le livre car il est vraiment difficile de ne pas donner raison au héros déclarant à quelques pages de la fin :

« A la guerre, personne ne comprend rien. Ceux qui semblent y comprendre quelque chose sont les plus hypocrites de tous, les plus fous ou les plus dangereux…Quelqu'un te dénonce parce que ta tête ne lui revient pas ou qu'il croit un jour t'avoir vu sortir de la messe, et on t'emmène dans une voiture à la Casa de Campo et le lendemain matin les enfants s'amusent avec ton cadavre en te mettant une cigarette allumée entre les lèvres et en te traitant d'andouille. C'est ça la guerre ou la Révolution si le mot te semble plus approprié. Tout ce qu'on peut te raconter d'autre est mensonge. Tous ces défilés, qui font si bien dans les films et les journaux illustrés, les banderoles, les slogans, No pasaran ! Ceux qui sont courageux et respectés montent dans une vieille camionnette pour partir au front et ceux de l'autre camp les fauchent avec leurs mitrailleuses sans même leur laisser le temps de viser avec leurs fusils. Ceux qui paraissent les plus vaillants et les plus révolutionnaires restent à l'arrière et utilisent leur fusil et leur poing serré pour payer dans les cafés ou les bordels. A la guerre, dans les endroits où on est véritablement exposé à la mort, on ne trouve que ceux qui ne peuvent pas faire autrement parce qu'on les y mène de force, ou bien ceux qui ont cru la propagande et à qui on a monté la tête avec des drapeaux et des chants.»

J'en sors sous le choc, ravi d'avoir lu un grand livre, un de ceux qu'on garde longtemps en mémoire, jusqu'au bout, jusqu'à ce que La Grande Nuit des Temps nous engloutisse à notre tour.

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Dans la grande nuit des temps

New-York, 1936. Après des jours d'attente et d'incertitude, Ignacio Abel prend un train qui va le conduire à Rhineberg où un poste l'attend à l'université. Il a fui l'Espagne en guerre pour trouver refuge aux Etats-Unis où il espère bien retrouver la trace de Judith Biely, la femme qu'il aime et qui a été sa maîtresse à Madrid avant de disparaître.

Mais Ignacio n'est plus le même homme. L'architecte reconnu qui portait beau a cédé la place à un exilé aux chaussures élimées. L'époux respectable a laissé la place à un homme adultérin éperdu d'amour. Le père de famille a abandonné ses enfants dans un pays en guerre. Le démocrate, socialiste modéré a laissé tomber la guerre, les idéaux, ses amis, sa patrie pour chercher la sécurité des Etats-Unis.





Ignacio Abel, personnage central du roman, est un homme qui n'est jamais tout à fait à sa place. Enfant déjà, il était trop frêle physiquement et trop brillant intellectuellement pour suivre les traces de son père maçon. Plus tard, il se marie au-dessus de sa condition et doit composer avec une belle-famille dont il n'aime ni les idées ni les valeurs. Brillant architecte, il mène une vie bourgeoise en contradiction totale avec ses idées politiques et son milieu d'origine. Mais au-delà de cela, ce qui le caractérise vraiment, c'est son égoïsme abyssal et son aveuglement à tout ce qui l'entoure. Peu lui importent le désespoir d'une épouse folle d'amour, l'inquiétude d'un beau-père confiant, les craintes d'un fils bouleversé, peu lui importe même le chaos dans lequel son pays plonge peu à peu, Ignacio est tout à sa passion pour une jeune et belle américaine et sa seule obsession est de la voir encore et encore dans la miteuse maison de rendez-vous qui abrite leurs amours clandestines. Cette passion peut-elle excuser ses lâchetés, ses trahisons?

Quoi qu'il en soit, il est soit pathétique, soit énervant mais jamais attachant et j'ai vraiment eu du mal à suivre ses pensées tout au long du livre. J'ai peiné à le terminer, tant les 400 premières pages m'ont ennuyée. L'écriture d'Antonio MUÑOZ MOLINA n'y est pas étrangère d'ailleurs. Son souci du détail, même le plus infime, ses phrases longues comme un jour sans pain, ses descriptions cliniques de la passion amoureuse, ne facilitent pas la lecture. L'abandon rôdait mais j'ai bien fait de m'accrocher, les 350 dernières pages valent le détour. Et si Ignacio Abel reste un personnage peu sympathique, j'ai ressenti beaucoup d'empathie pour sa femme Adela et pour ses jeunes espagnols qui partent au front, idéalistes inconscients du danger, mal équipés et mal préparés face à l'armée de Franco prête à les décimer.

Bref, un avis en demi-teinte pour un livre assez difficile d'accès.
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Dans la grande nuit des temps

Trop de pensée présent ou passé, pas assez de dialogue.

On s'y perd .
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Dans la grande nuit des temps

Lire Dans la grande nuit des temps c’est comme entrer dans une bulle hors du temps à l’intérieur de laquelle on se laisse submerger par une sensation permanente d’irréalité vertigineuse ou encore de réalité lointaine qui laisse le temps en suspens. On est plongé dans une littérature de la lenteur, une lenteur accablante qui alimente un sentiment d’élégance glaciale ; c’est également une littérature de la rumeur, celle de la guerre civile espagnole qui résonne comme un écho et s’impose progressivement et irrémédiablement ; c’est enfin une littérature des fantômes du passé, ceux qui occupent de manière prégnante la mémoire d’un architecte espagnol, Ignacio Abel, qui quitte une Espagne sur le point de tomber entre les mains des franquistes pour Rhineberg, promesse de paix et de sérénité.



A bord du train qui le conduit de New York à cette cité inconnue où rien n’est associé à sa mémoire, le fils de maçon jusqu’à peu gagné par une lassitude bourgeoise se laisse emporter par un mouvement de flux et de reflux entre présent et passé pour scruter avec lucidité le tourbillon des évènements et les élans du cœur qui ont traversé sa vie et bouleversé son pays. Confronté à la solitude de l’exilé dans un trajet propice aux voyages intérieurs, Ignacio Abel prend conscience de son dépouillement, de la prégnance des absents sans pour autant éprouver la culpabilité du rescapé. Il ressuscite son passé comme pour y trouver refuge mais découvre en réalité la complexité humaine, les limites de sa résistance intime face à un monde vertigineux désormais capable de céder aux idées primitives et radicales et de s’abandonner aux luttes destructrices et sanguinaires.



Dans cette hystérie collective qui s’affirme de plus de plus, l’auteur s’attarde néanmoins à tisser le fil d’une passion amoureuse entre notre héros marié et une jeune américaine. C’est un fil tenu auquel Ignacio Abel tente de se raccrocher fermement : céder à l’étourdissement de l’amour pour échapper le temps de quelques heures en toute clandestinité à un mariage déliquescent, aux conflits sociaux qui s’amplifient, à une belle-famille méprisée, à un chantier ambitieux gangréné par les grèves et les difficultés… si bien qu’incessamment au fil de la lecture, on se dit vraisemblablement que l’architecte espagnol a fui l’Espagne pour rejoindre celle qui a empli son cœur d’une douce exaltation le rendant aveugle à la laideur du quotidien.





En fouillant la conscience d’un homme qui a déserté sa vie, sa famille, son pays, Muñoz Molina parvient à capter et retranscrire magistralement ce qui se dérobe à l’évidence : une vie en suspens, la fragilité de l’homme, les instants insaisissables où une vie bascule, où l’être humain apparaît dans sa nudité, sa vulnérabilité. Oui, le temps de guerre modifie tout : l’attitude, la pensée, les certitudes, la démarche assurée, le regard convaincu.

Rien n’apparaît de manière massive, baroque, imposante. Là où l’auteur excelle, c’est dans le fait d’adopter dans le ton une distance intuitive mêlée à une lucidité incorruptible qui, à travers une langue mi-grave mi-apocalyptique capte aussi bien les présences que les absences. Si bien que de l’ombre des mots reflue une image précise du passé, les souvenirs apparaissent comme des reliques fragiles et précieuses dans un récit où dominent les sentiments d’abandon, de fuite, de clandestinité et de précarité.



La trame n’est pas simple mais elle se laisse portée par un courant lent et minutieux transformant ce qui est improbable en naturel.

J’ai découvert un texte porté par une inépuisable beauté littéraire qui cultive une élégance discrète et épurée, une esthétique lointaine. Les mots demeurent simples mais le style emprunte un raffinement instinctif, même lorsqu’ils « encourageaient le crime, à qui personne n’accordait de crédit parce qu’ils se répétaient avec monotonie et n’étaient rien de plus que des mots ».

J’ai rarement lu une œuvre aussi envoûtante.



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Dans la grande nuit des temps

Touchante histoire d'amour entre un architecte espagnol et une étudiante américaine dans le Madrid de la guerre en 1935-36. Le temps est le maître-d'oeuvre de ce texte qui multiplie les retours en arrière, décrit le passé et parle de l'avenir dans un présent très lent, avec un style à la fois ample et très détaillé, qui se passe en amérique, alors que le personnage principal a abandonné femme et enfants et échappé au chaos de la guerre civile pour répondre à l'invitation de celui qui lui a fait rencontré sa maîtresse, disparue. Leurs retrouvailles innattendues offre une fin sublime d'une grande psychologie amoureuse qui se déploie sur 1000 pages pour disparaître en douceur à l'aube, dans la grande nuit du temps...Un grand livre qui nous habite longtemps. Des pages impressionnantes sur la guerre et la république espagnole en pleine décomposition. Une précision des sentiments inouïe, des personnages attachants et ce rythme lent du temps qui les emporte inexorablement vers leurs destins. Un grand écrivain.
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Dans la grande nuit des temps

La littérature se nourrit plus que jamais de l'Histoire. Elle est, pour une part, une « lecture » de l'Histoire elle-même. Elle s'appuie, pour une autre part, sur le récit historique pour affirmer le souci irrépressible de l'humain.





Muñoz Molina reprend dans son roman les deux thèmes qui traversent toute son oeuvre : la mémoire des temps modernes et l'infinie complexité des êtres. Il signe avec « Dans la grande nuit des temps » l'un de ses plus beaux livres. Ils s'y mêlent, dans de magnifiques pages, les passions amoureuses d'un homme et l'horreur d'un Madrid miséreux, abandonné et en proie aux convulsions de la guerre civile.





Dans un train qui file à travers les États-Unis, Ignacio Abel, exilé, fils d'un maçon et d'une concierge, architecte espagnol réputé, progressiste et républicain, homme mûr et marié très bourgeoisement, père de deux enfants et époux infidèle, se souvient. Il se rappelle les quelques mois de sa passion dévorante pour une jeune américaine, Judith Biely, qui ont accompagnés l'entrée de l'Espagne dans la longue et sombre nuit de la dictature franquiste.





Avec un grand souci du détail, Antonio Muñoz Molina retrace les mois qui ont précédés l'entrée des hordes fascistes dans Madrid. le narrateur, dans les toutes premières pages du roman, décrit un Ignacio Abel fatigué montant l'escalier de la gare de Pennsylvanie à New York. le narrateur revêt ici les habits de l'auteur. Il examine la photo de l'architecte sur les marches de la gare. Il le regarde, s'interroge, le voit chercher le train qui va le conduire à l'université de Reinheberg au bord de l'Hudson. Cette introduction mêle avec un grand savoir-faire l'écrivain au travail et le récit en cours. Elle mêle également avec beaucoup de finesse et avec une lenteur délibérée le passé du personnage principal et le présent de son exil. Ignacio Abel entend des voix, cherche obsessionnellement un visage aimé. Pas moins de huit cent cinquante pages foisonnantes seront nécessaires pour relater, dans un époustouflant va et vient dans le temps, les histoires d'une capitale transformée en un immense charnier et - sur fond de violences, d'arrestations, d'exécutions ou d'attentats - les déambulations du héros. L'auteur traque chaque détail. Les nombreuses et scrupuleuses descriptions de bâtiments, de quartiers riches ou pauvres, de rues nauséeuses ou de banlieues sans pain brûlées par le soleil contribuent à la formidable densité du récit. Les personnages de fiction, nombreux et «consistants », unissent leurs destinées à celles des hommes politiques et des écrivains de l'époque. Ignacio Abel discute avec Negrin, l'une des figures historiques de l'Espagne, il rêve avec Bergamin ou Moreno Villa d'un pays qui vaincrait la misère et l'analphabétisme. Ni saints, ni salops, les êtres rencontrés sont pétris de contradictions. Loin des manichéismes simplistes qui opposent habituellement démocrate et réactionnaire, héros et lâche, mari et amant, bourgeois et prolétaire, ce roman noir et rouge - qui pourtant ne confond pas république et dictature - plonge profondément dans les vagues de la guerre civile en cours.





Les seconds rôles ont une part importante dans le récit, ils modulent les propos de l'auteur. La belle-famille d'Ignacio Abel n'est pas que bourgeoise, rétrograde et catholique. Certes le beau-frère, sans envergure, est pitoyable dans son uniforme de la phalange mais le beau-père, riche homme de droite, ne se réduit pas à cette caricature. le couple d'Ignacio et de Judith semble être le contrepoids nécessaire au kitch imbécile de la bourgeoisie madrilène et au catholicisme étouffant de la famille. Mais la longue lettre d'Adela, l'épouse, relue par intermittence, offre, en italique, un autre point de vue qui rend justice à la femme trompée. La place manque ici pour dire également toute la complexité de l'anti héros qui, confronté à la violence des groupes révolutionnaires et à la pusillanimité du gouvernement républicain, fuie sa famille et son pays. Il y a de très beaux moments où il est question du père, de l'amant, du militant, de l'artiste ... Ignacio Abel ne tente-t-il pas de sauver son vieux maître du Bauhaus ?





La force du roman de Muñoz Molina ne tient pas dans le classicisme du récit. L'écriture, très bien traduite, est d'une grande densité, d'une grande complexité. le livre est plein de modernité et d'originalité. Plein d'une originalité qui ne se laisse pas facilement voir, le contraire d'une littérature pour littérateurs. Si le roman joue sur les retours en arrière, c'est le plus souvent en oscillant, en changeant de point de vue et parfois même en s'arrêtant net. le narrateur, dans les toutes dernières pages, utilise le futur, et ainsi « Dans la grande nuit des temps » n'est pas, par la magie de l'écriture, une histoire d'amour et d'engagement qui simplement se terminerait ...
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Dans la grande nuit des temps

Je m'attendais à une grande fresque historique et une traversée de la guerre d'Espagne, mais c'est d'abord un roman d'amour adultère, fiévreux et contrarié, le réveil d'un homme endormi dans la torpeur de l'habitude, du confort , noyé dans son travail d'architecte renommé. Grâce à une jeune femme américaine, Judith, vive et jeune qui le ramène à une sensualité oubliée, Ignacio, marié et père de deux enfants, revit, découvre sa ville, Madrid, à travers les yeux attentifs et émerveillés de la jeune femme enthousiaste. Emportés par leur amour neuf et vibrant, ils inventent un monde exalté dans une parenthèse insouciante de moments dérobés, inconscients de la blessure infligée à autrui.

Tout au long de ce roman impressionnant de détails se répétant en d'infinies variations, Ignacio, qui fuit le pays, attendu aux Etats-Unis pour un projet de bibliothèque, mais aussi à la recherche de son amante perdue, dissèque le naufrage de sa vie bourgeoise et rangée, de son couple, ses relations avec ses enfants, l'ébranlement de ses certitudes mises à mal dans une Espagne entraînée dans le chaos des soulèvements populaires ou militaires, dans la confusion politique, la violence dans tous les camps, les assassinats, les incendies, les tirs aveugles, les exécutions arbitraires, les exactions commises au nom des grandes causes, l'argent de la nourriture des soldats détourné au profit des parades et défilés, les bombes incendiaires de Hitler et les fusils mitailleurs de Mussolini testés auparavant en Abyssinie.

Tout combat serait-il vain, un monde meilleur impossible et les révolutions irrémédiablement vouées au bain de sang ? A quoi sert le progrès et la belle façade des grandes villes si les gens meurent de faim, si on ne leur fournit pas le nécessaire vital et l'éducation ?

Le texte coule en une longue déclamation, une magnifique prose parfaite, mais les répétitions et la longueur peuvent rebuter ; l'histoire individuelle prend une part très importante dans le récit, trop peut-être.
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Dans la grande nuit des temps

C'est un roman historique réussi, en ce sens qu'il ne presente pas un personnage et son histoire personnelle plaqués sur de événements ou, pire, prétexte à raconter des événements auxquels ils seraient artificiellement associé.... Ici le destin et le vécu intime du héros se construisent, se mettent en place , et prennent tout leur sens à partir de l'univers social et politique dans lequel il est engagé , et à partir des déchirements que connaît son monde en ce début de guerre civile. Ensuite parce que ces terribles journées de l'été sanglant espagnol sont évoquées avec une force rare. Ce roman s'organise selon une construction romanesque, on pourrait dire hélicoïdale, qui joue sur l'imbrication des événements et des souvenirs, sur leur réfraction par bribes dans la conscience actuelle du héros, selon une technique excessivement complexe et admirablement maîtrisée .

Jusqu'a présent de cet ecrivain j'admirais surtout ses sortes d'essais/nouvelles, dans lesquelles il excelle,et dont la perfection culmine dans Sefarade . Mais ce roman me semble depasser en richesse toute son oeuvre antérieure !
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Dans la grande nuit des temps

A Madrid en 1936, Ignacio Abel, architecte socialiste, fils de maçon et fruit de l’ascension sociale républicaine, n’a connu de la vie conjugale que de ternes émois avec Adela, grande bourgeoise madrilène. Lorsqu’il rencontre Judith Biely, jeune américaine de passage à Madrid, sa perception du monde extérieur s’effiloche au point que la guerre inévitable lui semble une abstraction et que seule sa passion dévorante pour Judith donne sens à sa vie.

« Dans la grande nuit des temps », c’est une œuvre tentaculaire dans laquelle Antonio Muñoz Molina dissèque les errements de l’âme humaine et sur le plan passionnel comme sur le plan politique.

Avec un luxe inouï de détails, il analyse le comportement erratique d’un homme dans la tourmente de la guerre, aveuglé par une passion qui le paralyse dans ses actions et ses jugements ; s’il est socialiste, Ignacio a une famille qui penche plutôt de l’autre bord, et son beau-frère, lui, est phalangiste. L’auteur expose ainsi sans manichéisme la complexité de la situation espagnole en 1936, lorsque la République peine à réformer l’Espagne que les révolutionnaires impatients viennent se substituer aux socialistes, et que le fascisme gronde.

Dans ce contexte complexe et dangereux, Ignacio oublie tout ce qui n’est pas Judith et se noie sans état d’âme dans une passion coupable.

La structure du livre, complexe, multiplie les allers-retours dans le passé, l’écriture, absolument sublime, décrypte avec un talent incomparable la complexité de l’âme humaine, comme l’émerveillement amoureux, la pauvreté de Madrid ou la beauté des paysages américains.

Alors oui, c’est très gros, 750 pages denses, riches et puissantes que j’ai mis 3 semaines à lire ! Mais ce sont 750 pages certainement inoubliables !

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Dans la grande nuit des temps

Nous sommes en octobre 1936. Ignacio Abel a fui le chaos de la capitale espagnole pour les États-Unis d'Amérique. Cet architecte madrilène de renom y est attendu pour enseigner dans une université. Il est parti seul, dans l'urgence, laissant derrière lui sa femme Adela et leurs deux enfants. En Espagne, c'est la guerre civile. Les a-t-il abandonnés pour autant ? En rejoignant les États-Unis d'Amérique, il espère aussi retrouver Judith Biely, la jeune Américaine qu'il a aimée à Madrid et qui a rompu leur liaison parce que celle-ci devenait impossible. Mais tout, depuis un moment est devenu impossible dans une Espagne à feu et à sang.

Le narrateur, omniscient tout au long du récit, perce la foule agglutinée sur le quai de la gare de Pennsylvanie à New-York. On imagine aisément la scène, le bruit, l'ambiance. Il nous invite à nous frayer un chemin dans cette cohue, jusqu'à rejoindre Ignacio Abel, le suivre dans ce voyage où l'architecte espagnol espère retrouver son ancienne amante, mais aussi l'épier dans ses gestes et dans les méandres de ses pensées, le souvenir de ce qui fut et qui l'amène aujourd'hui à monter dans un train dans cette ville de New-York.

J'ai reconnu ici l'obsession des trains qui partent et laissent au bord des quais des rêves fracassés, des amours en partance, l'exil, la violence des guerres qui continuent malgré nos pleurs, le malheur du monde incessant.

C'est une mémoire qui se dérobe sur le bord d'un quai de gare.

J'aime les gares et les trains pour cela, - ou plutôt non je ne les aime pas à cause de cela justement, sauf en littérature ou au cinéma, les trains et leur fuite éperdue traversant le temps et les paysages.

Ce livre de plus de mille pages pourraient se résumer juste en quelques battements de coeur au bord du quai de cette gare à New-York où l'émoi d'Ignacio Abel se fait sentir à chaque fois qu'il aperçoit une jeune femme dont la silhouette lui rappelle celle de Judith. Biely...

L'histoire en elle-même pourrait tenir en quelques pages, en quelques faits. Mais se souvenir est aussi un voyage. Ce sont les réminiscences du temps qui vont nous inviter à revenir en arrière, dans ce passé encore proche, où les cendres sont encore tièdes. Remettre ses pas dans les souvenirs confus et douloureux d'un homme, c'est parfois dégringoler dans un vide abyssal.

C'est alors un balancement, une oscillation incessante qui va se mettre en marche tout au long de la suite du récit, entre un présent incertain et un passé non encore clos où les fantômes s'en échappent et où les bonheurs n'ont pas terminé leur course effrénée. Ici le futur n'est pas encore imaginé.

Le temps ne cesse de s'inviter dans ces pages somptueuses comme s'il était le personnage principal de ce livre, où notre plus grande quête de lecteur est de venir fouiller la mémoire d'un homme fugitif.

C'est aussi un passé qui couture l'intime à l'universel.

L'intime, c'est le parcours de ce fils d'un maçon et d'une concierge, devenu un architecte reconnu et célébré par son talent immense. En dépit de ses fortes convictions de républicain engagé, sans doute cette ascension sociale lui a valu de rencontrer et d'épouser une femme de la bourgeoisie espagnole conservatrice et catholique.

Désormais, la République, qu'il appelait de ses voeux comme un idéal, se déchire dans la violence et la répression. Aujourd'hui il ne trouve pas réellement sa place, ni dans sa vie, ni dans sa maison, ni dans son pays. Sa rencontre avec Judith Biely va bouleverser son existence. Avant elle, il a le sentiment que rien n'était vivant, qu'il n'existait pas. le sens de la vie, n'est-ce pas dans les bras de cette jeune femme, qu'il lui a été révélé ?

« Bien qu'elle ne soit presque plus jamais visible dans ses rêves, Judith Biely y rôde telle une absence impérieuse, celle d'une personne qui, du fait de son départ, semblera plus présente encore dans la révélation du vide qu'elle a laissé, comme le tranchant d'une lame est révélé par la blessure ouverte, et un inconnu par les traces qu'il a laissées sur le sable humide. »

Dans la grande nuit des temps écrit par Antonio Muñoz Molina fut pour moi une lecture tout d'abord laborieuse durant les premières pages, jusqu'à ce que l'éblouissement vint. Et alors...

Et alors, je suis monté dans le train, j'ai été emporté par le texte autant par sa forme inouïe, vertigineuse, que par la toile de fond historique.

Ici, il y est question en effet d'exil et d'Espagne. de la guerre civile et des terres lointaines. du passé que l'on laisse et qui ne passe pas. Des engagements, des renoncements tristes. du courage, du silence. Et aussi de ce qu'aimer veut dire...

Antonio Muñoz Molina m'a entraîné dans un récit construit en réminiscences et en digressions, où la relation d'Ignacio Abel au monde, à ceux qui l'entourent, ceux qu'il aime et qui l'aiment, est ici lié à l'Histoire de l'Espagne en train de se faire dans le bruit et la fureur.

C'est un aller-retour entre une gare de New-York et Madrid par le truchement d'un narrateur qui continue de nous entraîner dans le dédale du temps.

Dans la grande nuit des temps est un roman au fantastique pouvoir d'envoûtement et d'incarnation grâce à l'entremise des mots et du temps, dans sa dilatation, dans la manière très proustienne qu'a l'auteur de scruter un instant très court et de le faire résonner dans la durée…

L'obsession d'un amour peut-il être plus fort que la tragédie d'une guerre civile ?

D'ailleurs, est-ce un roman d'amour avec en toile de fond une fresque historique ? Ou bien l'inverse ? Les deux dimensions se côtoient, s'épousent à merveille, mêlant l'intime d'une rencontre clandestine à celle de la grande Histoire.

La beauté fracassante de ce roman vertigineux tient sans doute pour ces raisons, portée par la respiration d'une écriture sublime qui fut pour moi un ravissement.

L'Espagne meurtrie est palpable à travers les sensations si incroyablement représentées par l'auteur. C'est un roman sensoriel autant dans le plaisir des gestes amoureux que dans l'horreur infinie de la guerre.

« Il se rappelle la peur primitive, la peur qui revient avec la nuit, obscurité plus profonde et plus chargée de dangers que dans les histoires qu'on lui racontait dans son enfance. Non seulement rentrer chez soi lorsqu'il faisait encore jour et fermer les portes, en tirant targettes et verrous ; mais aussi se pelotonner comme un enfant sous les couvertures, fermer les yeux en serrant les paupières et se boucher les oreilles pour ne pas entendre, comme s'il suffisait d'avoir vu ou entendu pour attirer le malheur. »

À travers le personnage d'architecte qu'est Ignacio Abel, j'ai aimé ici rencontrer une sorte de métaphore des édifices que l'on construit si longuement et que l'on met peu de temps à les faire s'écrouler comme des châteaux de sable. La vie ressemble si souvent à cela.

Ignacio Abel est typiquement le personnage romanesque que j'aime par-dessus tout car il est rempli de doutes et d'interstices, personnage plutôt détestable au premier abord...

Est-il une sorte de déserteur, celui qui se retourne de temps en temps pour contempler le monde qu'il a quitté ? Les siens, sa famille, ses amis, son pays, sa patrie, une vie tout entière...

Est-il lâche ? Peut-être tout simplement ne trouve-t-il plus sa place dans ce temps absurde et convulsif ? Dans cette vieille Europe agonisante ?

Ce roman parle des renoncements, des trahisons, des lâchetés qui semblent reposer ici sur un seul homme.

J'ai failli me perdre dans les ténèbres de ce roman et je me suis retrouvé à chacun instant dans la lumière des personnages et les chemins tortueux qui les révèlent.

La lumière, ce fut autant celle d'une chambre mercenaire où les heures se défont que la révolte de la rue où les républicains farouches ont défendu jusqu'au bout les valeurs qui les animaient.

Le roman est traversé d'une certaines irréalité, fracturée par la frontière incertaine qui sépare le réel de l'imaginaire.

Mais ce qui rend le roman magnifique, c'est le temps qui façonne et se livre en digressions, en éclats, en convulsions, en rhizome.

C'est le temps du flux et du reflux.

Le temps de l'attente.

Le temps de l'éblouissement.

Un temps illicite.

Celui de l'amour et de la guerre.

Le temps de l'exil.

Un temps de l'oubli.

Le temps qui s'écoule étranger à nous-mêmes.

Un temps de l'impatience aussi.

Le temps délicieux et fugitif de la jouissance.

Un temps qui est une fenêtre ouverte, battant dans le vent.

Les dernières pages du récit disent effroyablement le sang qui coule, l'urine de celui qui a peur et qui fait sur lui face à l'ennemi qui tend son arme devant sa tempe, les cris de ceux qu'on torture, qu'on fusille dans une clairière ou au coin d'une rue déserte. L'espoir aussi, peut-être après, longtemps après, qui sait...

Mais ce que je retiens de ce livre, c'est le sentiment de quelque chose de tragique et de beau à la fois.



« Et quand viendra le jour du dernier voyage,

Quand partira la nef qui jamais ne revient,

Vous me verrez à bord, et mon maigre bagage,

Quasiment nu, comme les enfants de la mer. »

Antonio Machado



Merci à mes deux compagnes de voyage avec lesquelles j'ai cheminé dans cette lecture commune, Delphine (Mouche307) et Sandrine (HundredDreams).

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Dans la grande nuit des temps

Vaste fresque sur les heures qui ont précédées la prise de Madrid par les franquistes, cet impressionnant roman de 750 pages fouille avec honnêteté les tréfonds de l’âme humaine. Un monumental récit historique qui est aussi un travail fantastique sur le temps et son écoulement.



En 1936, la République espagnole naissante est déjà en proie aux convulsions annonciatrices de l’atroce guerre civile qui s’en suivra. Ignacio Abel, célèbre architecte socialiste, est marié depuis seize ans à Adela, issue d'une vieille famille catholique, qui lui a donné deux enfants. Le jour, où il fait la connaissance de Judith Biely, une jeune Juive américaine, il en tombe éperdument amoureux. Dans un Madrid bientôt assiégé par les franquistes, ces deux amants insouciants s’étreignent dans une intense passion qu’Ignacio découvre, sans jamais deviner qu'il vient de mettre le doigt dans un engrenage qui se risque fort de se révéler dramatique, à cette heure où les ténèbres s’apprêtent à assombrir l'Espagne.



Intimiste et charnel, ce roman plonge son protagoniste - entre politique et sentiments - au sein d’une infernale spirale qui le conduira à la perte à la fois de son amour, de son pays et de ses idéaux. Fin 1936, l’architecte progressiste et républicain montera les marches de la gare de Pennsylvanie, à New York, après un périple mouvementé depuis Madrid où la guerre civile a déjà éclaté. Il y cherche Judith, sa maîtresse américaine perdue, poursuivi par les lettres accusatrices de sa femme, Adela, et préoccupé par le devenir menacé de ses enfants, Miguel et Lita. Le narrateur observe, mais de loin seulement. S’il nous montre l’homme à la recherche de ce train qui le conduira dans une petite ville au bord de l'Hudson, c’est pour nous révéler aussi son impressionnant parcours sur les chemins sinueux de la mémoire.



En 750 pages de passion et de guerre, Antonio Muñoz Molina revisite les grands thèmes qui lui sont si chers : l’Histoire, la morale et la complexité des sentiments. A travers un éblouissant va et vient dans le temps, Ignacio Abel, le fils de maçon devenu architecte de renom à grande force de sacrifices, revisitera son ascension, son entrée dans une bourgeoisie madrilène conservatrice et catholique, entre passion amoureuse dévastatrice et violences politiques. Et c'est avec virtuosité que Molina glisse du présent au passé, fouillant dans les tourments de son héros, emportant le lecteur de sa prose élégante, riche et tortueuse - ses phrases sont longues, il faut s'y habituer - sur le chemin sinueux et difficile qui a mené son personnage là où le lecteur fait sa connaissance.



La structure de l’œuvre est complexe et sans sophistication inutile. Elle permet aussi à l’auteur de laisser leur place à de vives et passionnantes discussions politiques. Son architecture se construit avec une implacable logique et une remarquable efficacité, à la manière des mécaniques huilées et précises des horloges.



Entre les allers retours temporels et ceux, tout aussi rythmés, de la voix très en sourdine du narrateur et de son personnage, ce roman polyphonique captive, passionne. L’aptitude à la restitution des nuances de Molina intrigue. Son art de la psychologie, sa rigueur intellectuelle et morale, son engagement éthique, humaniste et progressiste, ainsi que sa capacité à fouiller jusqu’au plus profond des minuscules détails de l’existence éblouissent.



Dans la grande nuit des temps est un roman puissant et passionnant, un grand livre. Magnifique !!



Antonio Muñoz Molina vient de recevoir le Prix Méditerranée étranger 2012 pour ce roman. Un prix bien mérité !

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Dans la grande nuit des temps

Dès le commencement l’atmosphère de ce livre est comme suspendue, aérienne, Antonio Munoz Molina a opté pour les détails en masse, la répétition des situations afin que ce huit-clos de pensée intègre notre esprit faisant d’Abel un être sans la moindre parcelle d’ombre. L’Histoire se tisse lentement, très lentement rapportant les faits d’une guerre civile mêlés à une fuite, aux mouvements d’une rencontre amoureuse qui dès les prémices nous parait déjà contrariée à l’instar d’une époque.



Pour autant, ce choix narratif m’a paru justifié, mieux, il s’apprivoise. Rien n’est survolé , chaque phrase , chaque situation , chaque raisonnement nous mène en 1936 , en plein cœur de l’Espagne meurtrie et investi notre esprit tel le mitraillage d’un avion de chasse .Chaque minute est un recueillement dans lequel le silence berce les mots , nous pousse vers une progression , page après page , la flamme commence à poindre au milieu des tensions embrasées tout comme l’étincelle d’une passion prend vie sous nos yeux.



L’auteur pointe du doigt entre autres le fascisme d’un mouvement politique existant en 1936 , mais Munoz Molina y allie la chaîne d’une dictature toute autre , la passion , qu'elle soit amoureuse ou idéologique , menant à la destruction d’autrui , à cette autorité mensongère qui en efface jusqu’à la moindre parcelle de discernement , recouvrant l’honnêteté d’un voile de lâcheté , le déni , le mensonge. Ne reste que la jouissance d’une propre politique personnelle, considérant tout ce qui en est extérieur, famille y compris comme "mineur".



La grande phrase du fascisme "« Tout par l'État, rien hors de l'État, rien contre l'État ! » pourrait être " tout pour ma passion, rien en dehors de ma passion, rien contre ma passion !"



La déchéance, la destruction, voilà ce que Munoz Molina aborde, et ce par tous les fronts et avec un talent qui n’est plus à prouver.

Des faits politiques , une tension , une guerre ,une fuite, quitter un pays, le nôtre avec les remords de ne pas se battre pour lui, la nostalgie de ce qu’il était, d’une famille, des lieux, un amour .Des pensées altérées par l’horreur , des odeurs nauséabondes, des cadavres, des visages et le tout retranscrit aux travers des lignes admirables et d’une justesse remarquable de Munoz Molina.



Un très grand livre.
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Dans la grande nuit des temps

J'ai vraiment adoré ce livre ,son travail sur la mémoire ,sur le passé ,la finesse de ses analyses psychologiques m'ont fait penser à Proust .Un très grand livre !
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Dans la grande nuit des temps

A l'ouverture du livre, c'est d'abord sa densité qui surprend. Pas seulement parce que c'est un pavé, cela se voyait déjà à l’œil nu, mais bien par la longueur des phrases, les très rares alinéas et la quasi absence de dialogues. On plonge donc dans La grande nuit des temps un peu comme en apnée, à la rencontre d'Ignacio Abel et de son histoire d'amour avec Judith Biely, sa jeune maîtresse américaine dans le Madrid de 1935. Puis très vite, le souffle et la respiration s'adaptent, le rythme est pris, et la lecture se fait fluide, prenante.

La liaison d'Ignacio Abel et Judith Biely et le contexte historique semblent indissociables, comme si l'une était le reflet miniature de l'autre, avec ses lâchetés, ses mensonges, sa cruauté involontaire et ses souffrances inutiles.

Malgré l'épaisseur du volume et la narration par retours en arrière, il est facile de s'y retrouver, tant la langue nous porte par son rythme, lent et précis, et certainement aussi grâce au travail du traducteur. C'est la fluidité de ces phrases à la lenteur imposée, dans lesquelles toute interruption est fatale et oblige à revenir en arrière, qui rend cependant aisé de tourner les pages. La mise en évidence, puis en relation, des personnages permet de les connaître de très près ; la fréquentation de personnages historiques les ancre davantage encore dans cette guerre civile espagnole qui n'en porte pas le nom. La difficulté vient, parfois, lorsqu'il s'agit de distinguer un camp de l'autre tant la frontière peut être fluctuante, surtout si cette partie de l'histoire est peu connue.

C'est pour moi une belle expérience de lecture que ce roman, conseillé par un ami, qui m'attendait depuis plusieurs années. Plaisir encore plus grand car partagé lors d'une lecture commune avec Sandrine (HundredDreams) et Bernard (Berni29).
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Dans la grande nuit des temps

Quelle superbe écriture ! Evidemment, il faut aimer les longues phrases qui n'en finissent pas à coup de virgules successives, avec une quasi-absence de dialogues. Mais c'est un véritable plaisir de lecture et, comme c'est souvent le cas pour la littérature espagnole, dans une très belle traduction.



L'auteur plonge sa narration, qui se résume à une histoire d'adultère, dans l'Espagne républicaine de 1936 lorsque la Phalange commence à prendre de l'ampleur et oblige le héros à quitter Madrid à la veille de sa prise par les Franquistes. Ce héros est un architecte issu des basses classes et qui s'est fait à la force du poignet et de son talent et grâce à sa belle-famille conservatrice et catholique, là où lui est laïc et socialiste. De quoi étoffer cette histoire d'adultère me direz-vous. Et le résultat est très réussi, de la toute grande littérature.
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Dans la grande nuit des temps

Un roman sublime et envoûtant.

Antonio Munoz Molina nous livre une vision à la fois intime et grandiose des prémices de la guerre d'Espagne où l'on voit le début des affrontements entre les forces républicaines, anarchistes, communistes d'un côté et les insurgés conservateurs et certains groupes fascistes aidés par l'Allemagne nazie et l'Italie mussolinienne.

Cette émergence de la violence brute et aveugle est vue par le prisme d'un amour adultère entre un architecte responsable de la construction de la Cité Universitaire, entre deux âges, Ignacio Abel et une jeune américaine découvrant l'Europe, Judith Biely.

Leur amour et séparation, leur quête d'absolu et le retour cruel de la réalité prennent souvent le pas sur les évènements qui les entourent mais renforce le caractère fragile de cette liaison tout en la rendant unique.

Un roman fleuve à ne pas manquer, un roman sur le Madrid d'un autre âge (il y a du Modiano dans certaines descriptions quand ce dernier décrit Paris).

Un roman aux thèmes inépuisables et à l'intensité remarquable.

Une mention spéciale au traducteur Philippe Bataillon pour sa traduction subtile et maîtrisée.

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Dans la grande nuit des temps

Dans la grande nuit des temps est une vaste fresque, un projet de lecture ambitieux. Il faut se le dire dès le début, ça frôle les 1000 pages et l’intrigue peut paraître complexe. Mais ça vaut le coup. Jamais l’idée d’abandonner ne m’est venue en tête. C’est que, dans ce roman, la petite histoire rencontre la grande Histoire. Quand l’une ralentit, l’autre prend le relais et vice-versa. En 1936, Ignacio Abel débarque à New York. Son arrivée dans la métropole américaine l’amène à penser à ce qui l’y a conduit et à ce qu’il laisse derrière lui. L’idée de satisfaire ses ambitions d’architecte et de retrouver sa maitresse Judith Biely l’enchante mais il culpabilise d’avoir abandonné sa femme Adèle et ses deux enfants dans une Espagne à feu et à sang, en pleine guerre civile. Dit ainsi, il a l’air d’un beau salaud mais c’est plus complexe. Et qui peut affirmer hors de tout doute comment il réagirait dans une situation semblable ? Tiraillé entre une profession pour laquelle il n’y a pas de débouchés à cause de la situation politique, une épouse devenue bourgeoise, une belle-famille qui le méprise, une maitresse devenue une âme sœur ? Les rêves et la réalité, quoi ! Dans tous les cas, Abel revit en pensée ces dernières années et ces retours en arrières expliquent ce qui l’a mené à cette nouvelle vie.



L’auteur espagnol Antonio Munoz Molina a reconstitué cette période troublée avec beaucoup de rigueur. Son protagoniste Abel se tient renseigné des développements politiques, lit les journaux, en parle avec ses amis et collègues. Ainsi, les noms de plusieurs personnalités publiques et organisations reviennent régulièrement. En ce sens, l’index des noms propres et abréviations, à la fin de la collection Points, est très utile. Mais cette Histoire peut parfois devenir lourde pour le lecteur. Munoz Molina lui a épargné les longs passages descriptifs mais son souci du détail peut en agacer plus d’un, surtout ceux qui ne sont pas familiers avec la guerre civile espagnole et qui n’en sont pas vraiment intéressés, cherchant plutôt une lecture plaisante. Heureusement, les événements historiques sont habituellement mis en perspective avec la trame d’Abel, lequel n’est pas lié directement aux conflits, il n’en est affecté indirectement quand l’État, le principal bâilleur de fonds des grands projets de construction, a d’autres chats à fouetter et que les dirigeants changent. Et bien sûr quand les combats se rapprochent et font rage dans la capitale espagnole. En fait, on passe constamment de la politique aux épisodes sentimentaux (la guerre et l’amour !) et c’est la grande force du roman, selon moi.
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Dans la grande nuit des temps

Je me sens "indigne" d'émettre une critique de ce monument qu'est "Dans la grande nuit des temps", car Antonio Munoz Molina est très grand et je suis toute petite. Mais je souhaite néanmoins encourager un maximum de lecteurs à le découvrir, alors voici : Munoz Molina nous entraine dans la folie de la guerre d'Espagne, à la suite de son protagoniste, Ignacio Abel, architecte respecté qui, bien que marié et père de famille, tombe amoureux pour la première fois de sa vie et, émerveillé, ne songe plus qu'à vivre sa passion malgré le tumulte ambiant. C'est un roman fou sur l'amour et la guerre, traversé de personnages (réels ou fictifs) très finement analysés mais jamais jugés. Munoz Molina réussit même à rendre attachants les moins sympathiques d'entre eux en dévoilant leur humanité cachée. Les événements qui précèdent la guerre civile et ses débuts sont décrits sans romantisme et en toute objectivité, et mon point de vue (exalté) sur la Guerre d'Espagne et ses milices républicaines s'en est trouvé quelque peu modifié. L'écriture est exigeante, mais Munoz Molina parvient à happer le lecteur par la fluidité avec laquelle il mélange la petite histoire à la grande Histoire.

Son livre est un concentré de réflexions sur la guerre, les idéaux, la folie des hommes, mais aussi sur notre propension à croire à l'amour, et à l'espoir et aux dilemmes qu'il fait naître. C'est un pur chef d'oeuvre d'intelligence, d'érudition et de rigueur, qui m'a laissée complètement sonnée. Je le recommande chaleureusement à tous ceux qui aiment la vie, malgré toute son absurdité.
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Dans la grande nuit des temps

Nous ne sommes pas dans « Guerre et Paix » ici, loin de là ! Sur fond de guerre espagnole, nous assistons à la passion dévorante d’Ignacio Abel pour une jeune américaine, Judith. Ignacio est marié à Adela et a deux enfants mais sa maîtresse lui a tourné les sens. Et sa disparition brutale n’a pas mis fin aux sentiments, bien au contraire. Aussi, lorsqu’on lui offre un poste de professeur aux États-Unis, Ignacio ne réfléchit pas longtemps, espérant retrouver sa belle.



Quelle puissance ! Quel style ! C’est le tout premier roman que je lis de cet auteur, grâce à Sylvaine qui m’en a fait cadeau et que je remercie encore. Je me suis régalée ! Sans cesse, le personnage sera partagé entre les horreurs que subit son pays et les affres sentimentaux. Une phrase, dans le roman, peut résumer sa vie : « Ce que l’on a gagné en une seule minute d’éblouissement, on le perd avec autant de facilité. »



Si vous aimez les romans historiques, n’hésitez pas !
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Dans la grande nuit des temps

Dans La grande nuit des temps, Antonio Muñoz Molina écrit l'hystérie de l'Espagne des années 30. Juste et implacable.
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