Citations de Arturo Pérez-Reverte (1137)
Manger chaud et avoir un abri pour l’hiver, avait dit Minaya.
Tout ne tenait qu’à ça, en réalité. Et, pardieu, ce n’était pas rien.
Deux cents féaux et deux cents vies.
Ce jour-là, pendant qu’avec trois cents cavaliers il baissait sa lance, serrait les dents et piquait sa monture en priant Dieu de le sortir de là vivant, il avait éprouvé pour la première fois, dans les innervations de ses cuisses et de son ventre, la sensation pareille à celle que produit le son d’une lame d’épée dont on avive le tranchant sur une pierre à aiguiser : le profond et subtil effroi, que les mots ne peuvent rendre, de la chair consciente de sa vulnérabilité quand se présente l’acier qui peut la percer, la trancher et la donner en pâture aux vers.
Tu seras mon porte-étendard, Ruy Díaz. Celui qui vieillira avec moi, couvert de cicatrices honorables, en portant mon enseigne dans les batailles. Celui qui boira à mon côté à table, tandis que nous évoquerons nos prouesses qu’écouteront les dames. Je le jure par le Dieu qui nous éclaire.
Et il remplit sa promesse.
C’est ainsi que certains ne se trahissent jamais, même si le monde s’effondre autour d’eux. Même au plus noir de la nuit, quand nul ne les voit… Il n’est de loyauté plus indéfectible.
- Commander n’est pas facile, Tello Luengo.
- Il n’est pas non plus toujours facile d’obéir, sire.
- Je sais… Voilà pourquoi commander des hommes comme toi est un honneur. Autre chose ?
Les yeux du prisonnier, réconforté par la fierté, brillaient.
- Souhaitez-moi de bien mourir.
- Adieu, soldat.
- Adieu, Sidi.
La vie, le hasard, le diable ou n’importe qui d’autre, conclut Ruy Díaz, peut-être même Dieu, avait un curieux sens de l’humour. Une façon retorse de jeter les dés.
Ruy Díaz observait les siens : visages tannés par le vent, le froid et le soleil, plissés autour des yeux, même chez les plus jeunes, mains calleuses à force d’empoigner leurs armes et de se battre. Cavaliers qui se signaient avant de se lancer dans le combat, vendaient leur vie et leur mort pour un salaire. Le commun des mortels de la frontière. Ce n’étaient pas de mauvais bougres, se dit-il. Et ils n’étaient pas non plus étrangers à la compassion. C’étaient seulement des êtres rudes d’un monde rude.
« Je te bannis pour un an », tel fut l’ordre dédaigneux qu’il adressa au sire de Vivar quand celui-ci parut devant lui à Burgos, avant de lui tourner le dos tandis que nobles et courtisans se donnaient des coups de coude. Et l’arrogante réponse que Ruy Díaz lui adressa d’une voix ferme, une main sur la poignée de son épée, ne fit qu’envenimer les choses : « Si vous, sire, me bannissez pour un an, de moi-même, je me bannis pour deux. »
« Sire, par pitié. »
Du haut de sa monture, Ruy Díaz avait contemplé la fillette pendant qu’un étrange picotement montait de sa poitrine à sa gorge. Elle lui rappelait ses filles. Il ne porta pas le regard sur ses hommes, mais il savait que tous attendaient qu’il se prononçât. Un mot de lui et la demeure serait réduite en cendres. Il ne dit pas un mot, mais deux. Rauques et secs.
« En marche. »
Et, sans une protestation ni un geste déplacé, disciplinés, derrière leur capitaine, quatre-vingt-sept hommes montèrent à cheval et poursuivirent lentement leur route.
L’endroit où se trouve la sépultures importe peu aux gens comme nous, tu ne crois pas ?
« Nous ne sommes pas différents, n'est-ce pas ?
Non, mon seigneur. Je crois que nous ne le sommes pas.
De religion différente, mais fils de la même épée et de la même terre. »
Nous ne sommes pas différents, n'est-ce pas ?
Non, mon seigneur. Je crois que nous ne le sommes pas.
De religion différente, mais fils de la même épée et de la même terre.
L’endroit où se trouve la sépultures importe peu aux gens comme nous, tu ne crois pas
Nous prions le même Dieu, qui est un, dit Ruy Diaz enlevant ses bottes. La Illahu Illa Allahu...Il n'y a d'autre dieu que Dieu, Mahomet est son messager et Jésus Christ son autre grand prophète...N'est-il pas vrai ?
Une bataille perdue, se rappela-t-il, n'était qu'une bataille que l'on croyait perdue.
- Je suis Rodrigo Díaz de Vivar! Rappelez-vous mon nom !... Je suis celui que l'on appelle Sidi Qambitur, et ceci est mon salut au roi d'Aragon !
Il remit ensuite l'épée dans son fourreau et, après avoir piqué sa monture, trotta doucement derrière ses hommes. Il remarqua que du sang gouttait de son coude à son poignet et à sa main droite, mouillant même son gant. Mais ce sang n'était pas le sien.
Dans un combat, ce n’est pas tant ce que l’on va faire qui compte, c’est de le faire avec audace et détermination.
La philosophie et la réflexion cultivent l’esprit.
Le secret, dans le métier des armes, c’est d’accepter l’idée que tu es déjà mort. De l’assumer avec flegme. Ainsi, tu vas au rendez-vous l’esprit et le bagage légers, avec moins d’inquiétudes et plus de chances que Dieu, qui aime tant traverser nos projets, le remette à plus tard.
Fuir ne sert qu’à mourir épuisé et sans honneur.