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Citations de Baptiste Morizot (161)


La crise écologique qui est la nôtre est bien une crise des sociétés humaines : elle met en danger le sort des générations futures, les bases même de notre subsistance, et la qualité de nos existences dans des environnements souillés. C’est aussi une crise des vivants : sous la forme de la sixième extinction des espèces, de la défaunation, comme de la fragilisation des dynamiques écologiques et des potentiels d’évolution de la biosphère par le changement climatique. Mais c’est aussi une cris d’autre chose, de plus discret, et peut-être de plus fondamental. Ce point aveugle, j’en fais l’hypothèse, c’est que la crise écologique actuelle, plus qu’une crise des sociétés humaines d’un côté, ou des vivants de l’autre, est une crise de nos relations au vivant.
(page 15)
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Le mystère d’être un corps, un corps qui interprète et vit sa vie, est partagé par tout le vivant : c’est la condition vitale universelle, et c’est elle qui mérite d’appeler le sentiment d’appartenance le plus puissant.
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« Civilisé » signifie que les arrivants, ignorants de l’éthologie et de l’écologie des cohabitants non humains, peuvent y vivre sans la moindre vigilance et en toute innocence (c’est-à-dire ignorance plus qu’insouciance). […] Mais le « civilisé », lui, veut vivre en toute solitude cosmique, sans avoir à être vigilant à son environnement désormais vidé de présences. Sans avoir à le connaître et à négocier avec des puissances animales, végétales, écosystémiques, atmosphériques qu’il considère comme inférieures. (p. 150)
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Cet anthropocène appelle une autre relation aux communautés biotiques , aux assemblages écologiques d'espèces qui sont en marge des relations économiques dominantes de l'exploitation ou de la production, et donc peu codés en termes de ressource, auparavant appelées sauvages, ou nuisibles. Il s'agit aujourd'hui de les recoder comme des cohabitants, ou des convives, sachant que nous ne sommes pas l'hôte, mais aussi des convives. Nous sommes tous, nous et eux, hétérotrophes et autotrophes, invités à la table du soleil, puisqu'il fournit toute énergie ici-bas. Dévorer du soleil est le problème écologique originel de tout vivant. Mais lorsque l'éco-évolution a dispersé les flux génétiques en espèces infiniment variées, disposées à s'entre-manger, combinées dans des niches multiples mais superposées sur le même espace, le problème éco-évolutif est devenu de partager du soleil. De ce point de vue, les loups, les cerfs, les hêtraies, peut être même les systèmes écologiques, sont pris dans des relations constitutives : ils sont des partenaires diplomatiques qui cohabitent avec nous depuis leur géopolitique propre, dans cette entreprise immémoriale des vivants pris dans l'éco-évolution. (p88)
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Le pistage implique une concentration intense qui résulte de l'expérience subjective de projection de soi-même dans l'animal.
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P 114 – l’espace des possibilités d’existence ouvert par leurs puissances des corps permet de comprendre mieux, alors, la forme de vie particulière des loups.
Exercice d’ethnographie par les traces : ils se séparent le jour, s’isolent, vaquent à leurs démons personnels, jouissent des sensations, des odeurs, des enquêtes qu’ils mènent chacun de leur côté, et cultivent ainsi la joie de se retrouver le soir, en quelques hurlements, pour lancer la vie collective, sa discipline, -sa coopération, son attention concernée aux signes des autres, à leurs émotions, avec le respect des hiérarchies, l’étiquette de la vie collective, les rangs sociaux, les dominances à rejouer, à déjouer, à ruser, à mettre en cause, les relations complexes, les amitiés ambiguës, l’affection pour un cousin dont la sœur vous a dans le nez, tout ce qu’on peut imaginer comme drames infinitésimaux (mais définatoires pour chacun) de la vie d’une famille élargie.
Une famille qui travaille ensemble, collabore, qui agit tantôt comme une expédition d’explorateurs, tantôt comme une patrouille militaire aux frontières, comme un clan paléolithique de chasseurs de gros gibier, une école multigénérationnelle qui prend soin des petits, où chacun joue un rôle dans leur éducation, une file indienne de cartographes qui redessinent des frontières par l’odeur, déposant les blasons de la meute et les drapeaux du territoire sous forme de laissées, pour remplacer ceux que le mauvais temps a délavés…
Et puis arrive l’aurore aux crocs de rose, et chacun se sépare, fatigué de l’activité intense, de la hiérarchie, de l’attention à donner à tous et à chacun, lassé de faire passer le projet collectif devant le désir nomade intérieur, et cette odeur de fleur que je suis seul à sentir, et alors chacun va son chemin, qui vers la crête, qui le long de la rivière, qui au fond de la forêt.
Les plus amoureux ou amis, les plus timorés, restent ensemble, à deux, parfois à trois, un autre reste avec les bébés, le couple dominant se retire dans sa tente faite d’un bosquet surplombant le ruisseau.
Mais les têtes brulées, ceux qui souffrent le plus de la hiérarchie lupine, s’éloignent, vont explorer, enfin libres, loin des disciplines militaires et des obligations hiérarchiques, de nouveaux ciels, de nouvelles sources, manger en premier, sans suivre l’étiquette, dormir les pattes en l’air en regardant passer les nuages, courir où bon me semble, et ne pas poser la patte exactement dans la patte du coureur de devant, qui a mis sa patte exactement dans l’empreinte du leader, sentir, tout respirer, se rouler dans les choses, se rouler dans le cosmos tout entier, enivré des odeurs de musc et de menthe sauvage, et de l’odeur de défi d’un lynx qui a marqué lui aussi sur ce même tronc, et sur ce pont de bois regarder les truites pendant des heures (est-ce-que ça se mange ? il faudrait essayer), tout gouter, tout tenter, ne rien faire, flâner, s’ennuyer ferme, et puis le soleil tombe là-bas, et l’on sent monter dedans la petite solitude, l’envie d’un masque de loup à lécher, l’envie de l’excitation d’être ensemble, de l’odeur chaude des autres comme d’une fumée qui nous baigne, l’envie des autres, le désir de faire, c’est-à-dire de faire ensemble, d’être un seul corps, une pure rivière de crocs, filante et personne comme le vent, capable de capturer tout ce qui pourtant s’y refuse, résiste, se débat, de prendre la force de vie de tout ce qui vigoureusement veut vivre, et l’incorporer, la dérober sous forme de chair, un seul grand corps capable de mettre à terre des bêtes comme le ciel, des cerfs aux bois de foret, des sangliers-collines fumantes, être ensemble, la bande infernale, inarrêtable, les cadors, les caïds, les cousins, le rire partagé du cercle intérieur, qui donne chaud, le coup de langue que me donne un proche, juste en passant, comme un humain en passant pose sa main sur le dos d’un ami pour dire « je te vois », « tu existes fort », « je suis là ». (…) c’ets l’aube, nous paressons dans les duvets. Le ciel est encore sans nuages, il n’a même pas froid, nous avons dormi comme des bienheureux.
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Il n'y a pas deux espaces, profane et sacré, il n'y a qu'un monde, et qu'un style de pratiques soutenable à son égard : vivre du territoire avec égards.
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Le pistage enrichi est le versant sensible et pratique d'une approche philosophique inséparée du vivant, c'est un style d'attention. Une manière d'être sur le qui-vive : un qui-vive disponible à la prodigalité des signes du vivant épais de temps et tissé d'aliens familiers. Un qui-vive immergé, toujours dedans jamais devant.
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Dans mon carnet, j'écris : "Etre à chaque fois juste où le corps désire être, se caler sur une touffe, se coucher dans les herbes, n'importe où chez soi et toujours chez tant d'autres, un foyer inappropriable, partagé, enchevêtré. Etre aussi sale que la terre, la forêt, les prairies - c'est-à-dire aussi parfaitement propre qu'elles."
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On les voit (les loups) dans la pleine possession de leur existence, et on sent une légère tristesse pour ce qu'on a fait aux animaux qu'on a domestiqués. Domestiqués au point de les rendre affectivement et concrètement dépendant de nous, comme des amants toxiques qui produisent de la fragilité et de la dépendance chez l'autre pour se l'attacher plus fort, et ce faisant, ne les respectent plus. p224
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Baptiste Morizot
Mais surtout, le futur est ouvert. Dans les dix ans qui viennent, presque la moitié des éleveurs ovins partiront à la retraite du seul fait de leur âge. C'est environ la moitié du cheptel français qui est en jeu. Le nombre d'éleveurs qui s'installe est bien plus faible. Et surtout, c'est une autre génération qui arrive : les jeunes bergers qui arrivent sont formés dans leurs écoles aux enjeux écologiques. Ils sont sensibilisés comme citoyens à la crise du vivant. Ils choisissent ce métier parce qu'ils aiment la nature, et souvent toute la nature : animaux pas faciles à vivre y compris. Surtout, ces jeunes bergers s'installent dans des paysages où le loup est déjà là : ils pensent leur pratique et leur exploitation en incluant le loup dans l'équation, alors que les anciens, ceux qui élèvent du mouton depuis plus d'un demi-siècle, l'ont fait dans des alpages d'où les loups avaient disparu. Les nouvelles générations de bergers vont devoir se réinventer, produire de la viande plus cher peut-être, mais en circuit court, de qualité, qui pourrait valoriser sa capacité à cohabiter avec les animaux sauvages. Aujourd'hui, le monde pastoral semble avoir une idée bien arrêtée sur le loup : les contre, et moins audibles, les pour, et au milieu ceux qui essaient juste de faire avec et de continuer le métier. Le grand enjeu actuel, comme le métier va muter du fait de ses départs massifs à la retraite, est de faire attention à ce que les nouveaux bergers ne se radicalisent pas contre le loup dès le début, et pour cela, il faut des politiques économiques de soutien, qui arrêtent de valoriser absurdement la viande faite de l'autre côté de la terre. Et à notre niveau, manger de l'agneau français, de l'agneau fait avec des pratiques respectueuses de l'alpage et de ses vies sauvages, c'est la meilleure manière pour chacun de protéger le loup - et le berger.
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C’est la vision des couleurs de votre ancêtre frugivore à fourrure, en qui l’évolution a placé les ressources optiques pour déceler le mûrissement subtil des fruits de la jungle, avec ses teintes jaunes, orange puis carmin qui s’active en vous chaque fois que vous jouissez de la beauté d’un coucher de soleil (qui est d’abord, pour l’œil animal, le mûrissement d’un paysage). Pourquoi, sinon, le moindre pourpre serait-il plus attirant que tout vert ? […] Nous avons tous, nous, vivants, un corps épais de temps, fait de millions d’années, tissé d’aliens familiers et bruissant d’ancestralités disponibles. (p. 108)
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« Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie » [Blaise Pascal, Pensées, Le Livre de Poche, 2000, p. 58], dit Pascal, exprimant par-là l’archétype du sentiment de solitude cosmique des modernes – mais pourquoi toute l’ethnographie des peuples premiers qui vivent encore en cohabitants dans leur communauté écologique n’évoque-t-elle jamais cette angoisse du silence du monde et de la solitude cosmique qui est pour Pascal la condition humaine universelle ? (p. 158-159)
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Et puis l’anthropologue Philippe Descola est arrivé avec son livre Par-delà nature et culture [NRF, 2005] et il nous a appris que l’idée de nature, c’était une croyance étrange des Occidentaux, un fétiche de cette civilisation qui justement a un rapport problématique, conflictuel et destructeur à l’égard du monde vivant qu’ils appellent « nature ». (p. 19)
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Les dinosaures coureurs avaient des plumes des millions d'années avant qu'ils puissent voler. Elles leur servaient à réguler leur température et à la parade. Dira-t-on que la fonction des plumes est le vol ? Souvent en effet on se contente de noter quel usage dominant est rempli aujourd'hui sous nos yeux par l'organe, et on le projette dans le passé comme sa vérité.
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(...)la crise écologique actuelle, plus qu'une crise des sociétés humaines d'un côté, ou des vivants de l'autre, est une crise de nos relations au vivant.
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Le hurlement, comme toute voix animale, possède en partage avec la poésie l'usage inséparé des fonctions du langage [...] : l'expression sans détours d'un complexe d'émotions et de désirs ; la profération d'une manière de vivre inouïe et irrésistible.
- p.70 -
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Ce qu'il faut réinventer par là, c'est une cosmopolitesse: il s'agit de retrouver et d'inventer les égards ajustés envers les autres formes de vie qui font le monde, d'être enfin un peu cosmopoli.
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Dans la langue des signes amérindienne, le signe pour qualifier le loup consiste en un V avançant vers le ciel. Le même signe, rigoureusement le même signe, veut dire: humain, de la tribu pawnee.
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Laissez moi faire un petit aparté destiné aux parents. On peut se demander, nous adultes, pourquoi les enfants sont immunisés contre ce désenchantement. Pourquoi n'est-ce pas si difficile de leur rappeler que les animaux sont des créatures fantastiques ? Parce qu'en fait, on ne leur a pas encore enseigné l'idée de "Nature" : la nature au sens moderne. Cette idée produit un effet tout simple : si c'est naturel, c'est banal. La science l'a expliqué en terme de matière, de cause et d'effet, de forces physiques. C'est simple. Voilà la fable bizarre de la modernité : le surnaturel, ça n'existe pas, et le naturel c'est banal. C'est bête et méchant comme des atomes et des molécules assemblées en loups, en abeilles, en arbres et en dauphins. L'idée de nature occidentale portée par certaines sciences est une grande puissance de banalisation de l'existant. Alors que toutes ces formes de vie autour de nous, nous inclus, sont miraculeuses. Le corps humain fonctionne par la cohabitation quotidienne de millions de bactéries en symbiose, à la surface de la peau et dans l'intestin, c'est comme une forme d'immense communauté. Et comme communauté, il nous donne accès à l'émotion de la beauté devant chaque rivière, à l'attachement de l'amour vécu avec tout le corps, aux joies magiques et quotidiennes de l'eau fraîche, de l'effort, du projet, de l'amitié. Et pourtant nous parvenons quand même à le banaliser. C'est ce que certaines sciences naturelles, comme la Méduse des mythes, font à ce qu'elles touchent : elles le pétrifient en évidence sans prodige. Et c'est de cela qu'il faut libérer le vivant. Mais par les savoirs, un autre rapport aux savoirs.
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