L'auteur présente son nouvel ouvrage paru en 2023 : le Chant des pierres (Albin Michel).
Apres une carriere de journaliste et de realisatrice pour la television, Bernadette Pecassou se consacre a l'ecriture. Elle a publie de nombreux romans, dont La Belle Chocolatiere, L'Imperatrice des Roses, La Passagere du France, La derniere Bagnarde, Sous le toit du monde, et le bucher des certitudes. Elle est originaire du Pays Basque et y habite.
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La vérité, ce n’est pas forcément ce que les gens attendaient au sortir de la guerre.
Comprendre une situation qui vous écrase, démonter ses ressorts, envisager dans tous ses détails une situation apparemment désespérée, c’est une puissante source de sang-froid, de sérénité et de force d’âme.
(Germaine Tillion)
« La vie gagne toujours », dit simplement Germaine [Tillion].
L'Espérance est une petite fille de rien du tout
Qui est venue au monde le jour de Noël.
C'est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes
Cette petite fille de rien du tout,
Elle seule, portant les autres, traversera les mondes révolus.
Charles Péguy, Le porche du mystère de la deuxième vertu.
Seuls les grands oiseaux qui volent dans le ciel pur savent que les hommes qui lèvent la tête vers eux n'ont pas tous le même regard.
David Sharp était un jeune grimpeur britannique de trente-quatre ans. Il n'avait pas les moyens de se payer les services d'une expédition de professionnels et il voulait atteindre le sommet de l'Everest. Il n'y parvint jamais. Il s'arrêta à quelques mètres et tomba d'épuisement. Plusieurs expéditions professionnelles étaient sur l'Everest. Aucune ne se sentit responsable de lui, il ne faisait pas partie de leurs groupes, il n'avait pas payé. Près de quarante personnes sont passées près de David Sharp ce jour-là et personne ne lui a porté secours. Seul un sherpa lui a donné de l'oxygène et a tenté de l'aider. Les autres l'ont abandonné à son sort. Ils ont poursuivi leur ascension.
Le temps des illusions est fini, Michel. Les jeunes ingénieurs d'aujourd'hui ne sont pas les naïfs d'hier. Ils ne sont plus les conquérants aveugles du " géant de la chimie reconverti dans la biogénétique et passé maître dans l'art du lobbying". Ils décident de leur vie et ils en ont le droit. (...). Les clichés archaïques, c'est toi qui en as la bouche pleine, pas eux ! Eux ils réinventent leur vie avec une vision nouvelle. Ils tirent les leçons. Pas toi.
Ashmi n'est déjà plus une fille de ces villages perdus dans la nuit des temps. Elle a pourtant marché allègrement sur cette même rue dans son enfance, et plus souvent pieds nus qu'avec des sandales, indifférente aux milliard de bactéries qui y pullulent et dont tout le monde ignore l'existence. Mais depuis qu'elle a pris l'habitude de rues goudronnées, elle répugne à l'idée de salir dans cette boue puante les beaux tennis chinois qu'elle vient de s'offrir.

Le bar Jean était un haut lieu de retrouvailles pour tous les Basques à Biarritz. Tapas, pimientos, piperade, anchoa, on n'y mangeait que de la cuisine du pays. Et de la très bonne. L'endroit ne désemplissait jamais. De longues tables de bois avec de solides bancs de chêne permettaient aux uns et aux autres de s'asseoir ensemble au fur et à mesure de leurs arrivées. On mangeait là comme en famille. Au plafond de longues guirlandes de piments rouges pendaient entre de lourds jambons que le patron décrochait d'un geste vigoureux. Il en taillait d'épaisses tranches qu'il posait ensuite sur de larges assiettes aux motifs rayés rouge et bleu. Sa femme cuisait les oeufs avec juste ce qu'il faut de piment, et elle posait le tout sur la table avec de gros morceaux de pain. Ici il fallait que le client en ait pour son compte. On ne plaisantait pas avec la nourriture et les garçons regardaient arriver les assiettes en se frottant les mains. L'endroit était chaleureux, soigné, rempli d'odeurs qui donnaient envie de se mettre à table et toujours envahi de chants que les uns et les autres entonnaient entre deux gorgées d'irouleguy. Le vin du pays. Les hommes avaient des voix profondes et émouvantes, ils chantaient des airs basques debout, à capella. Depuis leur toute petite enfance, ils baignaient dans cette culture du chant polyphonique et ils l'exerçaient avec le naturel et l'aisance que donne une longue pratique.
A Lourdes, des hommes croient au ciel et d'autres n'y croient pas.