Bernardo Carvalho - Sympathie pour le démon
...ses yeux remplis de ce qu'il avait vu en parcourant le monde, la mort d'un voleur sous le fouet dans une ville en Arabie, la terreur d'un petit garçon opéré par son père, la confiance de ceux qui lui demandaient de les emmener avec lui où qu'il aille, comme s'ils attendaient qu'il les sauve. Il m'a dit que personne ne peut imaginer la tristesse et l'horreur d'être pris pour une planche de salut par quelqu'un qui préfère s'abandonner sans défense au premier venu, lequel est peut-être un prédateur, plutôt que de rester là où il est.
"Pourquoi il y a tant de gens qui s'aiment? "
"Pourquoi?" dit-il en souriant. je ne sais pas, parce que c'est bon, parce que ça fait du bien."
"C'est tout?"
"Tu trouves que c'est peu?"
Demandez aux Indiens.Posez-leur n'importe quelle question.La première qui vous traversera l'esprit.Et demain en vous réveillant,redemandez la même chose.Et recommencez aprés-demain.Posez toujours la même question.Et chaque jour vous recevrez une réponse différente.La vérité est perdue au milieu de toutes les contradictions et les incohérences.p.9
- Halte ! Désolé, mais il n'est pas permis de passer sur la page de droite.
- Mais... Mais pourquoi ? Il y a danger de mort ? Une invasion ? Il va y avoir une manif ?
"Alors, la mort ne meurt jamais?"
Le Dr Buell,a bu avec moi et m'a raconté qu'il cherchait parmi les Indiens les lois qui à la fois montreraient combien les nôtres sont insensées et lui permettraient d'accéder à un monde où il se sentirait enfin à l'abri?p.54
Les peuples qui se défendent le plus contre les pays prétendument malhonnêtes sont ceux qui connaissent le mieux la corruption et la malhonnêteté car ils les pratiquent ostensiblement ,ils les connaissent de près.p.34
Quand je l'ai raconté à ma mère, à mon retour (cela faisait un mois que les obsèques avaient eu lieu - on l'avait enterré alors, ce qu'elle était seule à savoir, qu'il souhaitait être incinéré et que ses cendres soient jetées dans la baie de Guanabara), elle n'a rien dit, elle a ouvert une armoire, et elle a passé une semaine entourée de boîtes, assise par terre dans sa chambre, à relire, une par une, toutes les lettres reçues de lui.
Nous faisons une escale à Tosontsengel,dans l'aimag de Zavkgar,a mi-chemin d'Ulanbaatar.Des Mongols vendent du poisson sur la piste de l'aéroport.Des taimens,les cousins sibériens des saumons, des poissons énormes qui peuvent peser jusqu'à cinquante kilos,connus sous le nom de "truites géantes é l'Asie",ou de "rois des rivières mongoles".Les passagers profitent de l'escale pour en acheter et ils les ramènent dans l'avion dans des sacs en plastique.L'odeur est pestilentielle.Il fait une chaleur épouvantable dans la cabine.Le premier passager à revenir de la piste avec son poisson sous le bras racle le sac percé sur tous les dossiers des fauteuils jusqu'à sa place.Il racle la tête du poisson contre la tête des passagers qui ne sont pas descendus.Nous sommes assis à l'arrière,moi dans le fauteuil côté couloir, et je suis la première victime quand l'homme au poisson monte dans l'avion.p.180
A la fin du récit,qui dure presque une demi-heure,elle me demande si je crois en quelque chose.Je suis épuisé,j'ai l'esprit ailleurs.Je mets plusieurs secondes à entendre ce qu'elle me demande,mais avant que je puisse répondre,elle me devance et déclare toujours en souriant:"Eh bien moi je crois en tout".Elle dit qu'elle adore croire.