L'écrivain brésilien
Bernardo Carvalho (né en 1960) semble adorer perdre son lecteur dans des récits gigognes labyrinthiques et l'amener à jouer au détective. le soleil se couche à Sao Paulo (2007) nous conduit du Brésil au Japon avant de retourner au Brésil.
Au début, l'action se déroule à Sao Paulo. « Une ville qui veut passer pour ce qu'elle n'est pas ». le narrateur est un rédacteur de slogans publicitaires d'origine japonaise au chômage. Sa femme vient de le quitter. Il revient au Seiyoken un restaurant obscur situé dans une rue mal famée du quartier de la Liberdade. Il le fréquentait jadis quand il était étudiant. Il s'y enivrait alors en rêvant de devenir écrivain. Mais son père qui avait réussi dans une entreprise de réclames en décida autrement. La patronne est une vieille japonaise discrète et élégante aux yeux gonflés comme sur les masques du théâtre Nô. Elle lui demande s'il est écrivain. Il se rend chez elle et entre dans un tout petit pavillon traditionnel, coincé entre deux gros immeubles. Elle lui offre du thé, lui dit de l'appeler Setsuko et lui raconte une histoire.
Dans sa jeunesse Setsuko était ouvrière dans une maison de poupées à Osaka. Elle fut la confidente d'une autre femme : Michiyo. Celle-ci au lendemain de la guerre dut épouser Jokichi un homme riche bien qu'elle fût toujours éprise, sans retour, de Masukichi un acteur de kyogen (une forme comique du théâtre japonais avec des masques) revenu traumatisé de la guerre et contraint de se produire dans des endroits misérables. Or Mishiyo apprit que le père de Jokishi avait payé un burakumin, un paria pour qu'il fût enrôlé à la guerre à sa place…
Ce n'est que le début d'une série de récits enchâssés où les mensonges, les simulacres et les changements d'identité s'accumuleront. Setsuko devient secrétaire d'un vieux romancier célèbre en train de traduire le Dit du Gengi en japonais moderne. le narrateur reconnaît
Junichirô Tanizaki. Celui-ci « qui ne s'intéresse qu'aux mensonges » écoute l' histoire de Setsuko et en conçoit un roman feuilleton inachevé. Chaque histoire en génère une autre jusqu' à la lettre finale. le lecteur est constamment surpris et trompé. le narrateur s'accroche à l' histoire de la vieille japonaise car elle lui permettra de devenir ce qu'il rêvait d'être. Mais n'est-ce pas aussi une illusion ? La vérité reste dans l'ombre.
Bernardo Carvalho s'est inspiré ouvertement de Tanizaki (1886-1965) dans ce roman (la Clé, Bruine de neige,
le Coupeur de roseaux, Éloge de l'ombre etc).Tanizaki a beaucoup utilisé le théâtre, les masques, les simulacres, les jeux d'identité. Il est aussi plein d'humour et d'autodérision. Ici je n'en vois pas. le narrateur est trop vide pour qu'on s'attache vraiment à lui, il est manipulé et manipulable comme une marionnette, il manque totalement d'ambiguïté et de profondeur. Certes les récits s'enchâssent avec une grande virtuosité. Et ils se répondent dans un habile jeu de miroirs. L'auteur aime faire participer le lecteur à sa création et l'amener à réfléchir sur l'identité. Mais les histoires sont de plus en plus rocambolesques et de moins en moins émouvantes. A la longue on s'ennuie un peu. Ce livre intelligent manque de magie.