De la forêt
Bibhouti Bhoushan Banerji
2020 (pour la traduction française)
Écrit entre 1937 et 1939
Fortement autobiographique, Banerji ayant vécu entre 1925 et 1930 en tant que régisseur dans un domaine situé à une centaine de kilomètres de Purnea.
J'ai des collègues de travail sympas (enfin ... pas tous). Lors de mon changement récent de poste, ils ont eu le merveilleuse idée de m'offrir un abonnement à Kube, ce qui fait que périodiquement, je reçois une petite boîte avec plein de livres choisis par des libraires indépendants, sur un thème bien précis : le dernier en date concernait l'Inde. J'ai par conséquent allumé une des petites baguettes d'encens (fournie dans la boîte) et mis en fond sonore le Best-of des meilleures chansons de Bollywood avant de me lancer dans la lecture de ce roman.
C'est donc dans une atmosphère embrumée de temple bouddhiste (voire de bar à chicha) que j'ai fait la rencontre de Satyacharan (Satya pour les intimes), un p'tit jeune de la ville (Calcutta en l'occurrence) qui, malgré une licence en poche, galère à trouver du taf. Cela ne l'empêche pas de sortir avec ses potes, restos, d'aller voir des concerts, des cinés et de manger plus ou moins à sa faim mais il faut bien avouer que les thunes, ça pousse pas sur les arbres et que le fait de ne recevoir que des réponses négatives à ses candidatures commence à devenir problématique.
Un beau jour, à une soirée, il rencontre Abinash, un ancien étudiant de sa promo, issu d'une famille pleine aux as, et avec qui il avait sympathisé dans le temps. Ils décident de se revoir le lendemain pour papoter un peu plus longuement. Un thé et quelques souvenirs potaches plus tard, il fallait bien que la question fatale arrive : "et toi tu fais quoi dans la vie ?"
Difficile pour Satya de cacher la vérité et Abinash lui dit que sa famille possède des forêts dans le district de Purnea, au Bihar. Le trou du cul du monde. Autour de 400 hectares à gérer, à répartir entre des métayers qui déboiseront et exploiteront ces forêts, mais qui exploiteront aussi des hommes, des femmes et des enfants, de castes inférieures. Il cherche un manager de confiance et propose à Satya d'en parler à son père. Ni d'une, ni de de deux, l'affaire est conclue et la lettre d'embauche est signée aussi vite que descendrait un naan au fromage de ma bouche à mon estomac.
Satya aurait évidemment préféré un boulot à Calcutta, c'est clair. La perspective de vivre dans la forêt entouré de bouseux rachitiques, de buffles et de tigres affamés lui faisait quand même moins briller les yeux que la vie palpitante de Calcutta. Cela dit, parfois, nécessité fait loi et hop, le voilà engagé comme manager de cette forêt dont il ne connaît ni les codes, ni les usages, ni même la langue.
Une fois arrivé sur place, il s'installe dans un campement nommé la Katcheri. " Les gens de la katcheri étaient pour moi comme autant de sauvages, ils ne comprenaient pas ce que je disais, et moi, je ne les comprenais pas non plus. [...] Je me disais que ce travail n'en valait pas la peine ; plutôt que dépérir ici il aurait mieux valu jeûner à Calcutta. Quelle erreur j'avais faite en venant dans cette jungle déserte à la demande d'Abinash ! Ce n'était pas une vie pour moi."
Mais c'était sans compter sur le pouvoir magique de la forêt. Un autre collègue de la katcheri lui dit un jour : "Vous aussi vous comprendrez. [...] La forêt vous possédera. Petit à petit, vous ne supporterez plus l'agitation ni la foule. J'ai fait la même expérience. Le mois dernier, je suis allé à Monghyr pour un procès. Je n'arrêtais pas de me demander quand je pourrai m'en aller et revenir ici."
Cela dit, il rajouta : "Gardez toujours un fusil à portée de main quand vous dormez. Ce lieu n'est pas sûr. [...] Et puis, au milieu de cette forêt, si on tue quelqu'un pour le voler, qui le saura ?"
Délicieux !
Satya va donc entreprendre de découvrir cette forêt, cette jungle qu'il va avoir à gérer pendant quelques années. Il rencontrera des gens pauvres au-delà de tout ce qu'il pouvait imaginer, des gens courageux. Il y rencontrera des vraies crevures mais aussi des gentlemen qu'on ne rencontre plus vraiment de nos jours.
"J'éprouvais soudain pour eux une grande sympathie qui me surprit moi-même. C'était leur pauvreté, leur simplicité, leur capacité de résistance dans un combat si dur."
Au fil des jours et des nuits, Satya va petit à petit tomber sous le charme et sous la fascination de cette forêt grâce aux rencontres qu'il fera et surtout à la beauté sauvage et mystique des lieux.
Que dire de cette femme aux cheveux longs qui se balade la nuit en bordure de forêt et de ce chien qui aboit toutes les nuits mais dont on ne retrouve jamais la trace la journée.
Que dire de Dharuriya, un gamin qui vit tant bien que mal de sa passion pour la danse mais qui ne connaîtra jamais Calcutta.
Ou encore de Dharampur qui n'avait comme seule occupation de disperser et semer des graines dans les bois. Malgré son extrême pauvreté, "ses efforts et sa passion étaient uniquement consacrés à enrichir la beauté de la forêt".
Et c'est sans oublier Maruknath (faut bien l'avouer, on galère un peu avec les prénoms Indiens...), qui s'est mis dans la tête d'ouvrir une école à la katchiri. "La voilà ton école ! Maintenant, à toi de trouver des élèves !"
La gestion de cette forêt devient de plus en plus compliquée au fur et à mesure qu'il tombe amoureux de ce lieu. Il doit distribuer les terres pour qu'elles soient exploitées mais chaque parcelle détruite devient un véritable crève-cœur.
"Des lettres me parvenaient de temps en temps du bureau central me demandant pourquoi je tardais tant à donner en fermage les environs de l'étang de Sarasvati. J'avais trouvé toutes sortes d'excuses, mais cela ne pouvait plus durer. L'avidité humaine était trop grande, et je savais bien qu'on n'hésiterait pas à détruire cette somptueuse forêt pour quelques kilos de maïs et de millet."
Ce livre de la fin des années 30 résonne avec une puissance qui ne peut laisser insensible dans le contexte actuel où l'écologie émerge à peine du bruit de fond médiatique ambiant.
J'avoue faire partie de ceux qui pensent (ou qui espèrent) que le progrès scientifique et technologique permettra toujours d'apporter plus de bénéfices que de contraintes à l'humanité. Mais quoi que l'on en pense, une des dernières phrases du livre résume parfaitement le dilemme auquel on est tous confrontés : "Que veulent vraiment les hommes? Le progrès ou le bonheur? A quoi bon le progrès si le bonheur est absent? J'en connais beaucoup qui ont progressé dans la vie, mais qui ont perdu le bonheur. A force de jouissance, l'acuité de leur désir et de leur facultés intellectuelles s'est émoussée, et il n'y a plus rien qui leur apporte la joie. La vie leur paraît monotone, une grisaille dépourvue de sens. Leur cœur devient dur comme de la pierre, l'émotion n'y pénètre pas."
Au-delà du fait que ce livre, qui date d'une petite centaine d'années, est considéré comme un de premiers livres écologistes, il me vient en tête une citations issue du poète Dany Boon dans son œuvre Bienvenue chez les Chtis : "Quand tu vas dans cette forêt, tu pleures deux fois. Une fois en arrivant et une fois en partant"
scob
Commenter  J’apprécie         40
Je suis partie en voyage dans un pays lointain, en un temps qui n’existe plus. J’ai vécu plusieurs années au cœur de la jungle, dans le nord-est de l’Inde, et c’est Bibhouti Bhoustan Banerji qui m’y a emmenée. Il a su me montrer la beauté de la nature et de ses habitants, il les a décrits sans altérer la réalité, sans en cacher les dangers. J’ai vécu sous le charme de cette forêt.
Et pourtant, ce monde perdu, c’est le narrateur lui-même qui a contribué à le détruire, malgré lui, comme nous, hypocrites lecteurs.
Commenter  J’apprécie         10
Calcutta - 1920, Satyacharan est un jeune diplômé mais sans le sou. Il accepte l’offre d’emploi d’un ami et part aux confins du Bihar, pour mettre en fermage une zone de forêt et de jungle.
Ce faisant, lui, le citadin va tomber sous le charme de la solitude et de la nature ambiante. Pourtant, son métier consiste à détruire cette beauté, cette nature dont il est tombé amoureux.
Ce roman, publié en 1930, est en partie tiré de l’expérience de l’auteur.
Fuyez si vous rechercher les rebondissements. Au contraire, ce roman est calme, contemplatif, il faut se laisser porter par les pages où l’on suit diverses rencontres du jeune homme avec les habitants de cette région pauvre.
Car les conditions de vie des gens de cette zone sont en complète opposition avec la beauté des paysages : la sécheresse, le choléra, la pauvreté faisant des ravages.
Certaines des personnes rencontrées ne sont là que pour quelques lignes, d’autres pour quelques pages mais ils révèlent attachants à l’image du danseur Dhaturiya, de Manchi ou Bhanumati.
Mais si notre narrateur noue des liens d’amitiés, c’est la nature qui est le personnage principal de ce récit.
Cette nature condamnée à disparaître au nom du profit.
Ce roman, considéré comme un des premiers romans écologistes, est une très belle occasion pour découvrir un monde à jamais perdu.
Commenter  J’apprécie         100
Une découverte et une vraie ! Bien que ce livre ait été écrit en 1937, ce n’est que récemment que la version française a été publiée.
Cet auteur bengali, nous propose un des premiers grands romans écologiques, qui bien que datant de près de 80 ans, est toujours d’une incroyable actualité aujourd’hui : La menace que fait planer sur une nature en équilibre, l’avancée de la modernité et du développement, y compris le tourisme. Un visionnaire en quelque sorte.
Mais rassurez-vous, ce livre n’a rien de triste en soi. Vous vous régalerez page après page des exubérantes descriptions des paysages de la jungle et des forêts, vous comprendrez la sagesse de ces populations qui bien que pour la plupart totalement démunies, n’aspirent pas à la richesse, vous aimerez les danseurs et les poètes qui tentent de vivre de leur art, vous comprendrez un peu mieux l’organisation des castes, découvrirez des rois déchus et des divinités protectrices incroyables.
Voici un livre fascinant, vraiment différent, qui m’a enchanté et que je recommande.
Commenter  J’apprécie         30
Satyacharan est un jeune homme tout juste diplômé à la recherche d’un emploi. Il se voit proposer un poste de régisseur bien loin de sa Calcutta natale, dans la forêt de Labatuliya. Son travail consistera à distribuer des terres aux paysans, des lopins de forêt qu’ils devront défricher pour s’y installer et entreprendre de cultiver la terre.
Très vite, la magie des lieux, de la forêt et des personnes qu’il rencontre vont opérer sur le jeune homme qui doit pourtant se rendre à l’évidence : le travail qu’il effectue signifie la disparition de cette forêt auquel il s’est attaché.
Ce livre est encore une fois une très belle découverte due aux Editions Zulma qui ont eu la formidable idée de publier ce livre de la littérature bengalie.
Écrit dans les années 1930 ce roman frappe par sa très grande modernité et ses préoccupations très actuelles autour de la disparition de la nature au profit d’activités humaines. La nature est le personnage principal de ce récit qui regorge de figures pittoresques et attachantes comme Yugalprasad, horticulteur amateur qui plante de nouvelles espèces au cœur de la forêt. Ou Bhanumati, jeune fille issue d’une famille royale déchue.
Pendant les sept années que Satyacharan va passer dans ces lieux, il aura maintes fois l’occasion de s’émerveiller de tout ce que la nature offre à celui qui sait la regarder. La faune et la flore jouent évidemment un rôle primordial mais aussi toutes les légendes qui sont attachées à cette immense forêt et qui disparaîtront probablement avec elle.
Ce roman dégage une atmosphère à la fois paisible et pleine de nostalgie. Paisible car les habitants vivent au rythme des saisons et nostalgique car inévitablement ce monde est amené à finir.
Bibhouti Bhoushan Banerji nous emmène aussi à la rencontre d‘une population qui vit très loin de la modernité des villes et qui se bat chaque jour pour vivre, manger, élever ses enfants. Et pour laquelle Satyacharan ça se prendre d’une grande affection. Cela permet à l’auteur d’entrer dans le détail des relations entre les castes, entre les hommes et les femmes, entre les citadins et les paysans.
L’auteur nous rappelle, grâce à ce roman, l’extrême fragilité de la nature mais aussi de tous ceux qui restent au bord du chemin. Un roman absolument captivant sur l’Inde mais qui interroge plus largement sur la place de l’homme au milieu de la nature.
Commenter  J’apprécie         30
J'aurais pu passer à côté de cette histoire... Il n'a jamais été mis en avant chez les libraires, dans les critiques... C'est en le voyant dans une pile de livres dont mon ami Hugues se défaisait, que j'ai été attiré par lui! Sa couverture hyper colorée a attisé ma curiosité 😊. Pour le reste, j'avoue que le 4ème de couverture était assez neutre... Mon intuition allait il le porter chance et me permettre une belle découverte?... Je ne ferai pas durer le suspense... J'ai adoré à tous les niveaux! C'était le livre qu'il me fallait dans le contexte dans lequel l'actualité me mettait ( Je suis indépendante et tiens un commerce de jeux et jouets... Considéré comme non essentiel en Belgique, nous avons connu un mois le travail à distence et le mois de décembre ouvert avec des conditions drastiques à respecter )... Il me fallait m'évader le soir malgré la fatigue... Et j'ai fait plus que ça!
Bibhouti Bhousan Banerji qui est l'auteur De la Forêt, est dans son pays considéré comme un grand écrivain. Et je veux bien le croire! Son texte a été édité en 1938 et quel modernité tellement il arrive à toucher l'intemporel! Par ses mots j'ai été transportée dans un état de contemplation qui a nourrit au fil des pages mon Amour pour la Nature! Il a su nourrir un style et trouver les mots pour partager avec nous les merveilles de la nature, la jungle en particulier, sans tomber dans le mièvre, sans créer de temps morts... Tout au contraire! J'ai plongé dans cette nature, dans cette jungle et dans l'histoire de ses habitants qui ensemble m'ont fait toucher du doigts la grande Histoire de l'Inde avec ses coutumes!
On y suit Satyacharan et ses souvenirs où à une époque de sa vie où il était jeune diplômé de Calcutta, à la recherche d'un emploi et sans argent, il fit la rencontre lors d'une fête, d'un de ses anciens amis. Celui - ci ayant confiance, lui propose un emploi de régisseur pour les forêts du district de Purnea que sa famille possède. Satyacharan aura pour mission de créer des parcelles dans ces forêts et d'y installer des métayers pour les cultiver.
Arrivé sur les lieux, Satyacharan prend peur... Peur de ce monde coupé de toutes les distractions auxquels sa vie l'avait habituées! Peur de ne pas s'habituer à cette vie rythmée par la biodiversité de la jungle dont il avait la charge... Mais au fur et à mesure qu'il apprit à la connaître, à découvrir les trésors que celle - ci recèle en son sein, c'est tout le contraire qu'il vécut... Au point que son travail devint de plus en plus dur à assumer... Quitte à devoir le faire, quitte à devoir participer à la destruction de ce trésor, autant alors donner sa chance à ceux qui en ont besoin! C'est comme cela que nous rencontrons tout un ensemble d'hommes et de femmes qui vont marquer de leur empreinte Satyacharan et nous marquer par la même occasion! Nous marquer aussi à notre rapport au monde...
En refermant le livre, j'ai pleuré la fin de cette jungle... Comme si je perdais un être cher, une amie et avec elle, des proches! Pourtant je ne suis jamais allée en Inde... C'est vous dire comme Bibhouti Bhousan Banerji a su trouver les mots pour nous emmener là-bas, au coeur de sa jungle qui n'est plus.... Et en cela, je rejoins le 4ème de couverture, c'est un grand roman ecologique et paraît il le premier écrit!
Commenter  J’apprécie         50
J'ai adoré ce roman qui fait la part belle à la nature sauvage.
L'histoire se passe en 1925, dans l'état du Bihar, en Inde. Un jeune étudiant sans travail accepte un poste de régisseur dans une zone de forêt tropicale. D'abord réticent, il va peu à peu tomber sous le charme de la végétation, des éléments naturels, des clairs de lune, des chevauchées, l'étang de Sarasvati et aussi de certains habitants autochtones.
De beaux portraits sont évoqués avec lyrisme et romantisme :
Dhaturiya : un jeune danseur
Kunta : une jeune femme très courageuse
Dhaotal Shahu : l'usurier
les castes humbles et démunies et ethnies indiennes
Le paradoxe est que l'état d'esprit qui peu à peu domine chez ce jeune homme ne correspond plus à la mission qui lui a été confiée. Il est là pour délimiter des parcelles et les vendre à des individus démunis qui les défricheront pour les cultiver.
Après 6 ans, alors qu'il ne reste plus rien de cette forêt, il retourne à Calcutta.
Une belle lecture, un hymne à la nature dans un style poétique !
Commenter  J’apprécie         20
Un texte d'une grande beauté…
« Vous voyez cette forêt , cette jungle, c'est un endroit merveilleux. Depuis si longtemps, les fleurs s'y épanouissent, les oiseaux y chantent et les divinités, mêlées au vent, viennent y poser le pied sur le sol de notre terre. Elles ne demeurent pas là où l'on échange de l'argent, où l'on emprunte et où l'on prête, car l'air y est empoisonné. «
Encore un MERCI à l'amie isanne… qui par ses lignes enthousiastes … a attiré mon attention sur cet auteur bengali et cet ouvrage précurseur, toujours d'une actualité à peine croyable !
Trésor écrit entre 1937 et 1939, un des tout premiers romans écologiques, avec une large part autobiographique, que les éditions Zulma ont eu la très belle idée de nous faire connaître !!
Heureusement que je fais des recherches dans plusieurs bibliothèques… ce qui me permet de palier très vite aux curiosités et élans les plus urgents ; ce qui fut le cas pour cet écrivain bengali, dont je vais chercher de suite sa « Complainte du sentier » , adapté au cinéma par le grand Satyajit Ray ; rien que cela, Mazette… ! Cette « Complainte » rééditée chez Gallimard, dans la collection de l' »Imaginaire »…
J'ai, de surcroît, une sympathie et estime particulière pour Zulma, maison d'édition d'une très grande qualité, par ses choix et son exigence autant pour les textes que l' esthétique de ses maquettes !
Notre narrateur,Satyacharan [ un reflet troublant de l'auteur ], dans les années 1930, à Calcutta , jeune diplômé,perd brutalement son père, se retrouve sans travail, accepte un poste de régisseur aux confins du Bihar, dans le nord-est de l'Inde. Quittant Calcutta, ses commerces, ses théâtres, ses musées, son animation, se retrouve dans la jungle dans une solitude absolue, assez déboussolé !
« Au début, quand j'arrivai de Calcutta, la terrible solitude et cette vie presque sauvage m'étaient intolérables ; par la suite, elles me semblèrent préférables à toute autre. La nature rude et barbare m'a initié au mantra de la liberté et de l'indépendance ; serais-je à nouveau capable de me laisser enfermer comme un oiseau sur son perchoir, dans la cage de la ville ? Je chevauchais librement, rapide comme le vent, sous le ciel éclairé par la lune à travers les forêts de sal et de flamboyants et les rochers de cet espace désert. Je n'aurais voulu échanger cette joie contre aucune richesse de ce monde. »
Ce citadin , par cette mission professionnelle peu aisée, va transformer cette expérience en un miracle d'authenticité et d'apprentissage du REGARD, une parenthèse de remise en question de la civilisation et de la société… !
« Mes supérieurs m'écrivaient lettre sur lettre pour me presser de distribuer les terres à des fermiers. Je savais que c'était un des principaux devoirs de ma tâche, mais je ne me décidais pas à détruire la paix de ces bosquets secrets. Les métayers qui prendraient des terres en fermage ne le feraient pas pour conserver intacte la forêt, qu'ils défricheraient aussitôt pour y cultiver leurs récoltes, y construire des maisons où habiter. Cette belle étendue déserte, les forêts, l'étang, cette chaîne de collines, tout se transformerait en colonies humaines. « (p. 135)
Cela fait plus d'un mois que j'ai achevé cet ouvrage très étonnant, et j'ai beaucoup de mal à rédiger une chronique, tant ce texte est dense, et déploie de multiples problématiques, toujours d'une criante actualité !
Texte paru en 1938, et qui après tout ce temps ,continue à nous interpeller, à nous alerter, à nous questionner, sur notre planète que nous continuons à mettre à mal... !
Tout ce que je pourrais en dire ne ferait qu'affaiblir l'enthousiasme ressenti ; je laisse la parole à France Bhattacharya, qui a rédigé une postface très précieuse : « L'histoire que raconte le narrateur est celle de la transformation d'un chômeur pauvre, mais éduqué, de Calcutta en une sorte de seigneur qui rend la justice et distribue des terres à des individus démunis. Dans les premiers chapitres, le narrateur souffre de son isolement et regrette amèrement les amis, les distractions et les facilités de sa vie à Calcutta. Mais, peu à peu, il est comme envoûté par la beauté de cette immense forêt, vierge de presque toute présence humaine. Son roman prend des accents lyriques, et il insiste sur la nécessité de préserver cet élément naturel de toute mainmise humaine alors qu'il est payé pour la détruire .
Une autre question d'actualité que soulève Banerji est la place des peuples autochtones dans les sociétés dominantes. (…) L'auteur nous présente de très curieux et très attachants personnages qui viennent rendre visite à l'habitant solitaire de la forêt. le lyrisme de l'écrivain donne à son propos des accents romantiques. Ce roman est un hymne à la beauté d'une nature encore vierge, préservée des laideurs qu'y apportent bien souvent les humains.» (p. 299)
« Un jour viendrait, peut-être, où les hommes de notre pays ne pourraient plus voir de forêt. Il n'y aurait plus que des champs cultivés et des usines de jute. La fumée des usines textiles serait partout visible. Ils viendraient alors dans cette région reculée comme en pélérinage.Puissent ces forêts être préservées, inchangées, pour ces hommes du futur ! « (p. 288)
Un texte exceptionnel et un écrivain à découvrir , offrant une grande lumière et un sens profond de l'Humain…comme de cette belle Nature, dont nous sommes responsables, pour nous et les générations suivantes !
Commenter  J’apprécie         321
Je ne veux pas raconter ce roman, ni même le re-situer dans un contexte quelconque, je ne veux même pas en parler en réalité !
J'ai juste envie de dire ce que j'ai ressenti en le lisant. Ce qu'il a provoqué dans ma tête, et aussi dans mon corps, tout cela étant justement lié.
Immédiatement, je suis partie en Inde , emportée par la jolie langue de B.B.Banergie, et j'ai ressenti une profonde justesse dans tout ce qui est raconté et décrit.
Un sentiment de merveilleux, de calme, d'énergie et de douceur mais aussi un soupçon de colère, d'incompréhension et de révolte m'ont accompagnée durant toute ma lecture. J'étais complètement dans la peau de Satyacharan, et c'est comme si, avec lui, je découvrais ma véritable place, là au plus profond de la jungle, entourée de magnifiques forêts, d'animaux dangereux et libres, de paysans incultes mais au cœur si grand!
Un retour au Paradis, avant que l'homme ne se gâche et qu'il abime.
Un bien être, une sérénité..
Et cela même si tout n'est pas rose dans cette histoire, loin s'en faut ! la misère, bien présente, et même omniprésente, la faim, constante, la peur toujours proche, et les larmes qui me sont montées aux yeux souvent, cependant atténuées par la profonde et vraie humanité de presque tous les personnages, leur naïveté, si belle , si pure, leurs vieilles croyances qu'il est impossible de contredire, car il est des rêves qu'il ne faut pas casser.
Une leçon de poésie, un baume pour mon être, un livre que j'ai reposé doucement près de moi après l'avoir terminé, pour le garder, encore, un peu...
Commenter  J’apprécie         100
Kube m'a fait découvrir ce livre vers lequel je ne serai pas forcément allée.
J'ai pris le temps afin d'apprécier l'ensemble des rencontres faites par l'auteur (puisque c'est une expérience personnelle de l'auteur). Ce n'est pas un livre qui se dévore mais se déguste. Je savais deux trois choses sur l'Inde mais là j'ai découvert la loi impitoyable des castres et du traitement des femmes. J'ai encore du mal à imaginer cette discrimination. Nos yeux d'européens ne peuvent sans doute pas comprendre
Outre, ceci les paysages décrits sont grandioses et j'ai eu envie de me perdre dans la contemplation du lac.
Bref, j'ai beaucoup aimé.
Commenter  J’apprécie         20
Ce roman autobiographique est une ode à la nature, à la forêt, aux paysages naturels mais aussi aux hommes. Les descriptions sont pleines de poésie et l'ensemble paraît vaporeux comme dans un rêve même si certains personnages sont gravés dans la mémoire par leur aspect symbolique plus que par leurs actions dans le roman.
Commenter  J’apprécie         10
La couverture est superbe et j'aime bien cet éditeur en général. Le propos pourrait est pour le moins original puisqu'on suit un étudiant indien en 1920 dans une grande exploitation agricole.
Les interactions avec les autres individus sont intéressantes, le rapport pourrait s'apparenter à celui d'un roman colonial, le personnage est traité avec déférence, mais il est aussi instrumentalisé car on attend de lui plus qu'il ne peut réellement apporter. Lui ne comprend pas tout ce qu'il vit et ce qui l'entoure mais éprouve une forte fascination pour son environnement naturel et humain.
Voilà pour le positif, le négatif étant pour moi tout le reste, des descriptions à n'en plus finir, ce qui n'est pas ma tasse de thé.
Commenter  J’apprécie         20
Dans les années 1920, un jeune diplômé du nom de Satyacharan se retrouve dans l'obligation d'accepter un poste d'administrateur d'un domaine forestier reculé. Il doit donc quitter la ville de Calcutta pour rejoindre le fin fond de la forêt du Bihar.
Bien que d'abord dérouté par la solitude, constamment confronté à la pauvreté et aux modes de vie qui vont avec, Satyacharan finira par tomber amoureux de cette nature encore sauvage et de son peuple.
Malheureusement, le principal objectif de son travail est de mettre en culture toutes ces terres et par conséquent, d'assassiner cette nature qui lui a tant apporté au cours de ces dernières années...
Cette autobiographie est non seulement un récit d'une grande beauté mais aussi, et avant tout, un puissant manifeste écologique. Une incroyable leçon de vie.
Avec des rencontres plus riches les unes que les autres, la description de nuits emplies d'une douce solitude ou encore la contemplation de paysages multiples et variés, tout est d'une richesse incroyable dans ce roman. Le lecteur est invité à voyager, à réfléchir sur le monde et les modes de vie modernes.
Un grand roman qui est, selon moi, trop peu représenté en librairie mais qui mérite pourtant l'attention de tous les lecteurs !
Commenter  J’apprécie         00
Que voilà une belle surprise. On m'a présenté et prêté un livre très original dont je n'avais jamais entendu parler. Pas plus que de l'auteur au nom de toute façon impossible à retenir. Un seul repère, le grand cinéaste indien Satyajit Ray a jadis adapté en un trilogie La complainte du sentier, dans les années cinquante. Bibhouti Bhoushan Banerji (1894-1950) est un auteur bengali, au nord-est de l'Inde, qui écrit en bengali. Issu d'un milieu très pauvre, ll passa son enfance dans un village du delta du Gange mais put faire néanmoins des études supérieures à Calcutta. Tantôt enseignant en milieu rural, tantôt exploitant forestier, il partagea sa vie entre Calcutta et sa région et l’État voisin du Bihar.
Jeune diplômé sans le sou, Satyacharan, mainfestement un double de l'auteur, trouve un emploi de régisseur au fin fond du Bihar. Il a pour tache entre autres d'administrer ces territoires ruraux éloignés de tout, et de distribuer des terres raisonnablement au nom du gouvernement de New Delhi, là-bas loin vers l'Ouest, ce qui n'est pas une mince affaire. Calcutta lui manque puis assez vite Satya (faisons court avec les noms indiens) tombe sous le charme, sous les charmes de ce pays et de ces habitants dénués d'à peu près tout. Ce n'est pas pour cela un monde angélique, les castes étant ce qu'elles ont toujours été, les haines et les rancoeurs n'épargnent pas ces paysans, ces éleveurs, ces chasseurs, ces laissés pour compte du gigantesque sous-continent. Ecrit dans les années trente mais l'Inde, devenue le pays le plus peuplé du monde, est encore loin d'avoir exorcisé tous ses démons, de l'ignorance, de la grande pauvreté.
On parle au sujet de De la forêt de Thoreau bien évidemment, et comme d'un premier roman écologique. Je ne prise guère cette appellation. Mais ce roman nous dépayse considérablement, offrant des perspectives d'une richesse incomparable. Il faudrait citer des paragraphes entiers.
Une minute plus tard le faon s'approcha comme pour mieux me regarder. Son regardétait curieux et vif comme celui d'un enfant. Il serait peut-être venu encore plus près mais mon cheval tapa du pied et s'ébroua brusquement. Surpris, le faon disparut dans les fourrés pour porter la nouvelle à sa mère.
Je restai un long moment assis sous les ombrages. Entre les branches j'apercevais l'eau de l'étang qui s'étendait en demi-lune jusqu'au pied des montagnes. Le ciel était d'un bleu sans nuage. Le peuple des oiseaux aquatiques était engagé en de longues disputes bruyantes. Une aigrette, sérieuse et avisée, postée sur une hauteur au bord de l'eau, manifestait son agacement par quelques cris soudains. Au sommet des arbres sur le rivage, des hérons ressemblaient de loin à des bousquets de fleurs blanches.
Peu à peu, le ciel de montagne se teinta de rouge.
En face, la chaîne de montagnes prenait des teintes cuivrées. Les hérons s'envolèrent, toutes ailes déployées. La lumière se réfléchissait sur les plus hautes branches.
Les piaillements et pépiements augmentèrent, le parfum des fleurs sauvages se ft plus entêtant. Une senteur plus épaisse, plus sucrée. D'un peu plus loin, une mangouste, tête dressée, m'observait.
Quelle paix secrète! Quelle extraordinaire solitude! Cela faisait plus de trois heures que j'étais là, je n'avais rien entendu d'autre que le ramage des oiseaux, le léger crépitement des brindilles sous leurs pattes, le froissement d'une feuille sèche ou le craquement d'un rameau qui tombe.
Ce livre est une merveille pour qui veut ainsi quelques heures d'une escapade contemplative et rêveuse. L'auteur sait si bien saisir un frémissement animal, une fragrance exotique, une couleur indéfinissable. Mais Banerji fait preuve aussi d'une belle empathie pour le genre humain. Tous ces humbles parmi les humbles, un roi miséreux héritier d'une longue lignée devenu berger, un jardinier imaginatif qui amplifie ces décors fabuleux, un danseur facétieux qui vit de son art et qui demande si peu. La violence est bien là, sous-jacente, le tigre mangeur d'hommes n'est pas une légende, les buffles sauvages sont souvent très dangereux, le riz, bien cher, est hors de leur portée. Les chemins chevauchés sont parfois semés de rencontres douteuses.Quant à l'éducation et à la santé, les écoles sont bien rares et les hôpitaux bien loin.
Seule lacune à ce bien beau récit-roman, l'absence d'un lexique zoologique et botanique. Hartit, hariyal, kullo, gurguri sont des oiseaux. Bakain, piyal, arjuna, saptaparna des arbres ou des fleurs grimpantes. J'aurais aimé voir des images. Après avoir lu De la forêt j'ai blogtrotté un peu été surpris par le nombre apparemment assez important de lecteurs. Un peu d'espoir.
Commenter  J’apprécie         133