De bons
romans pour vos
vacancesBernard PIVOT a invité plusieurs auteurs de
romans susceptibles d'agrémenter les
loisirs des vacanciers : les deux duettistes italiens
Carlo FRUTTERO et
Franco LUCENTINI présentent leur
roman policier "
La nuit du grand boss".
Geneviève DORMANN défend sa "Fleur de
pèché" avec une digression sur les femmes battues et contentes de l'être.
Louis GARDEL raconte son "
Fort saganne", histoire de...
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Je le regardais avec un fier et tendre sentiment de possession, qu'un tremblement de flamme suffisait à mettre en question. Quelle possession ? Quelle compénétration ? De Mr Silvera, je continuais à ne savoir quasiment rien ; entre nous, tout pouvait être fini demain, après-demain, et nos pyramides n'étaient ni plus grandes ni plus éternelles qu'une goutte d'eau.
- Qu’est-ce que tu as ?
- Rien.
A femme nerveuse, homme obtus.

Le portier répond en écartant les bras juste ce qu’il faut pour indiquer la résignation. Mais il sait bien que, pour ces nouvelles générations, la résignation n’existe pas. Ou vainqueurs immédiats du trophée, ou abjects perdants. Ou le ricanement arrogant du triomphe, ou les pleurnicheries rageuses de la déception.
C’est à lui, Oreste Nava, qu’il incomberait d’expliquer que la résignation n’est pas une vieillerie à l’usage des curés et des bonnes femmes, mais l’art infiniment délicat de se mouvoir entre les rudes extrêmes du tout et du rien, le seul yoga capable de développer l’intelligence, le seul karaté permettant de mûrir, et donc de poursuivre au milieu des coups de bâton qui de toute façon vous pleuvront sur le dos le long du chemin. Et en outre de regarder le moment venu la mort, sans vraiment, de terreur, faire dans son pantalon.
Mais ce sont là des concepts complexes, ramifiés, qui, traduits en mots par Oreste Nava, auraient à ses propres oreilles un son bien peu persuasif : celui d’un sermon confus de vieux gâteux.
Murano...
Encore un flacon iridescent, une grande fleur bleu et noir, un cygne blanc aux ailes déployées, qui se forment comme par magie à l'extrémité du tube que le maître verrier retourne entre ses doigts, alternant le soufflage, les retouches et l'ajout d'autres gouttes en fusion, dans la rougeoyante pénombre de la fournaise. (...) Là, parmi des cristalleries de toutes sortes, une flore et une faune vitrifiées s'alignent sur le rayons des étagères, tandis que sous une forêt de lampadaires, dans de très longues tables formant vitrine, scintillent par milliers les bijoux de fantaisie
Le riche, disait Diogène, se nourrit quand il veut et de ce qu’il veut ; le cynique, quand il peut et de ce qu'il trouve.
Plus tard, après avoir ouvert deux robinets d’où semblaient jaillir des flots de larmes, après avoir dissous dans la baignoire le contenu ambré d’un sachet qui transformait les larmes en un soupir d’écume banche, après avoir longuement séjourné , plus comme gisante que comme baigneuse, dans cette tiédeur de lente hémorragie, la malheureuse pouvait, l’esprit enténébré , émerger de l’eau, davantage comme une noyée de la Seine que comme une Vénus Anadyomène (qui sort de l’eau), et faiblement, s’envelopper d’un suaire d’éponge, s’asseoir , engourdie, sur le bord en marbre pendant un temps incalculable, et se secouer enfin pour la véritablement ultime chose qui lui restât à accomplir.
Comment pouvait-on, à Venise, espérer se montrer jamais dans un rôle d'une quelconque importance existentielle? Prétendre dérouler ici son modeste peloton de Fatum ? A l'évidence, le Destin avait déjà employé toutes ses ressources pour donner à cette ville son incomparable Gemuth, son âme définitive. Il ne restait que des souvenirs, des Andeken de verre ou de dentelle à rapporter chez soi 57
Je projetai dans le futur ce grumeau d’irritation, cette cellule infinitésimale de querelle conjugale. Se multiplierait-elle monstrueusement jusqu’à nous rendre impossible la vie à deux ? Je m’efforçai de me figurer des repas hargneux, des dîners de monosyllabes, de petites toux. Et peut-être la chenille venimeuse de la rancœur qui remonte la mémoire par gibbeuse saccades reviendrait-elle jusqu’ici pour ensuite nous jeter au visage : déjà cette première fois, à Venise, j’aurais dû comprendre que tu es, que tu n’es pas, que tu as, que tu n’as pas… Et l’amour pulvérisé, une antique tombe pillée par les voleurs.
Je m’efforce de me rappeler ces inanités (auxquelles, confusément, je pris part), non point tant pour me mortifier que parce qu’elles me semblent contenir une série significative de coïncidences, une espèce d’avertissement, une morale : la morale de ces fables dans lesquelles l’imprudente héroïne ne prend pas au sérieux la petite vieille occupée à filer sur le seuil de sa chaumière, pour découvrir trop tard qu’il s’agissait d’une très puissante sorcière.
Tous les mots qui désignent l'adultère sont à vomir, à commencer par "adultère" lui-même. Tromperie, cocuage, trahison, infidélité, aventure et aventurette, bien sûr qu'on les a employés, prononcés d'un ton léger quand il s'agissait des autres. Mais quand il s'agit de soi-même, il n'y a plus de quoi rire ou sourire, la plaisanterie malicieuse s'éloigne à la vitesse de la lumière.