De bons
romans pour vos
vacancesBernard PIVOT a invité plusieurs auteurs de
romans susceptibles d'agrémenter les
loisirs des vacanciers : les deux duettistes italiens
Carlo FRUTTERO et
Franco LUCENTINI présentent leur
roman policier "
La nuit du grand boss".
Geneviève DORMANN défend sa "Fleur de
pèché" avec une digression sur les femmes battues et contentes de l'être.
Louis GARDEL raconte son "
Fort saganne", histoire de...
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L’amour, parfois, c’est idiot : de la mécanique. Ils s’appliquent. Quand ils planent ensemble, ils ne le savent pas. Mais ils le savent tout de même. Un quart d’heure d’étreinte : mille fois le temps d’être sûr de tout et incertain de tout. Une aventure à épisodes, bouclée au poil, liée à la colle : sueur, salive, jus des sexes. Leurs ventres font des bruits de ventouse. Leurs lèvres sont plus discrètes mais plus sensibles : elles brodent leur petite histoire à elles à la surface de la grande. La fin leur échappe. Mais ils s’en foutent bien. (p.160)
Ils ne s’embrassent pas. Lorsqu’ils se quittent et lorsqu’ils se retrouvent, se produit chez l’un et l’autre une coagulation de tendresse mal située entre la poitrine et le front. Ça passe.
Il a tout de même attendu que son père gagne l’auvent de tuiles et sorte sa clé dans la lumière des phares. Le setter inscrivait, autour de son maître retrouvé, des cercles d’affection. Au fond de la cour, sur le perchoir, les poules, extraites de la nuit par le faisceau jaune, ont frissonné. Le coq s’est déployé, a lancé son cri de fier nigaud. Heureux les coqs ! Ils prennent les lanternes pour le soleil. Rendus à l’obscurité ils se rendorment, la tête sous l’aile.
Pour gagner ma vie, j'avais trouvé un poste d'assistant dans un institut de formation des cadres administratifs africains. On venait d'y créer une section pour les étudiants algériens.
Bien que vivant à Paris depuis plusieurs années, j'étais, je restais un pied-noir. On me prêtait les opinions et les préjugés de ma communauté d'origine. Pour les gens d'extrême-droite, nous étions, j'étais forcément de leur bord, pour les gens de gauche, des colonialistes qui méritions ce qui nous était arrivé. Etre ainsi catalogué et jugé a priori le peinait et m'exaspérait .
Un après-midi Nouréddine disparaît avec la Buick. Quand il rentre, la nuit est tombée. Il pousse la porte de la cuisine, dit, hilare :
― Y a une surprise.
Il s’efface. Marianne et Jérôme pénètrent dans la pièce, un peu intimidés. Quand la jeune femme se penche vers Manuel, il réussit à encercler sa taille d’un bras.
On inscrit Jérôme à l’école d’Othon-du-Perche, avec les enfants de Nouréddine. Il trace des rangées de bâtons et de cercles sur ses cahiers. Manuel aussi. Marianne leur tient la main.
Un matin, en s’éveillant, elle s’aperçoit que Manuel n’est plus couché dans le lit jumeau du sien. Il s’est traîné jusqu’à la salle de bains. Accroché au lavabo il se fait des grimaces dans la glace, comme s’il essayait son visage. Quand il se rend compte que Marianne est derrière lui, il prend le tube de rouge à lèvres sur la tablette et, se maintenant d’une main, souriant et suant d’effort, il écrit sur la glace, en grosses lettres enfantines : « Je recommence. »
Il avait atteint cet âge où le temps n'efface pas les peines. Elles s'accummulent. Les récentes entrent en résonnance avec les anciennes. C'est inguérissable.
Pour se distraire de la misère, il n’y a que deux activités : se battre et l’amour
Pour me réconforter ou, en tout cas, tenter d'arrêter mes larmes, je me dis que la géographie résiste à l'histoire.
Remi Lorédan est un grotesque grand format. À chaque moulinet de ses bras une pile de papiers chancelle, qu'il abat en la rattrapant. Une couperose tressée gros, que partage en deux un nez blanc comme un fromage, plaque haut les joues. Sa pétulance tient assise sur une barbe d'Assyrien, carrée, toute noire. Il parle comme un ver à soie dégoise son fil : sans arrêt, avec un mouvement latéral de la bouche pour suivre le suintement des mots. Par-dessous, sa lavallière montre des mouchetures de jaune d'oeuf qui ne sont pas du jour.
Le don d'orateur est le seul qu'un homme se découvre inopinément.
Au Sahara, on observera non seulement vos gestes, mais aussi les traces de vos pas. Ici, c'est le pays du « chouf », du guetteur. Pour se distraire de la misère, il n'y a que deux activités : se battre et l'amour. Alors, tous ceux qu'on rencontre, il faut bien les observer pour savoir s'ils vont sortir d'abord leur poignard ou leur sexe.