Citations de Cécile Coulon (1188)
La guitare avait remplacé le chien que ses parents lui avaient toujours refusé. Il lui arrivait même d'en jouer sans trop s'en rendre compte, comme il aurait gratouillé le ventre d'un animal. Il pensait à autre chose. Aux filles de sa classe à qui il n'osait pas adresser la parole... Et aux filles de sa classe à qui il n'osait pas adresser la parole. Evidemment, à cet âge-là, c'était sa seule préoccupation. Rien d'original.
Les grandes vacances, qui à cet âge tronçonnent les années en parcelles temporelles sans continuité, nous avaient rendus presque étrangers l'un à l'autre.
Un bon vieux rock bien de chez nous, ce serait pas mal. Un truc pour mettre de l'ambiance, pour faire chanter les gens. Le problème lorsqu'on joue dans la rue, c'est que tout le monde ne vient pas du même chez nous. Alors, un bon vieux rock d'accord, mais bien de chez nous, oublions.
Les Trois-Gueules étaient à l'oeuvre, enveloppant leurs habitants de brume et de chaleur. Ils oubliaient, doucement, comme on glisse dans un bain brûlant, ils oubliaient qu'il y avait un monde de l'autre côté, et qu'un jour ils avaient, eux aussi, fait partie de ce monde. Mais une fois passé les entrées des carrières où fumaient des fourmis blanches, une fois remonté jusqu'au plateau des Fontaines, cela n'avait plus d'importance. Tout changeait subitement, le temps se figeait, les lieux qu'ils avaient habités paraissaient si sombres, si étriqués. Les Trois-Gueules, secret bien gardé, secret gigantesque, écrasaient les vies d'avant.
D'ailleurs, je me demande parfois si le principe même de la course ce n'est pas d'essayer d'aller plus vite que sa douleur. D'être toujours un peu en avance sur elle. De la narguer, de lui faire comprendre qui commande, qui choisit, qui est fort.
Dans sa bouche, dans sa voix, dans ses yeux qu’elle ne voyait pas puisqu’il lui tournait le dos, c’était quelque chose d’indécent, il disait ‘ma sœur’ comme on dit ‘mon amour’ à sa maitresse, ‘ma chérie’ à sa femme.
"Les Hommes, pourtant, estiment pouvoir dominer la Nature, discipliner ses turbulences, ils pensent la connaître. Ils s'y engouffrent pour la combler de leur présence, en oubliant, dans un terrible excès d'orgueil, qu'elle était là avant, qu'elle ne leur appartient pas, mais qu'ils lui appartiennent."
Je n'ai rien vu venir. ça m'est tombé sur le coin de la figure; le succès. Newton avait sa pomme. Moi j'ai la vitesse. Je cours vite. Vraiment vite. Et je ne souffre pas. Quand je sens mes poumons brûler, j'ai envie d'accélérer. Je n'ai pas peur de mourir. Vous avez peur de me voir mourir, alors mon coach me demande de faire attention. Mes parents me veulent en sécurité, simplement pour se rassurer, pour se dire on a fait ce qu'il fallait, s'il arrive quelque chose à notre gosse, ce ne sera pas de notre faute. Tous les parents pensent de cette façon. Je cours vite. Ce n'est pas grâce à eux. Simplement, j'ai des jambes qui me portent. Et je suis léger, pire qu'une patte de poule. Je suis léger, et invisible....
Pendant que les autres fument leurs cigarettes derrière les containers, toi tu cours. Pendant que les autres embrassent des filles pleines d'acné, toi tu cours. Tu n'as pas le droit de fumer, pas le droit de boire ta première bière, pas le droit de te coucher tard, tu n'as pas le droit de regarder un film porno chez ton pote parce que tu dois te lever le lendemain..................Pendant que les autres vivent, tu survis, pour être le champion, pour voir ton visage sur grand écran, au-dessus d'une table de restaurant où tous ces autres se marrent à te regarder suer tes protéines sur une piste. Je n'ai rien vu venir.
Pour les enfants et les adolescents, les deux poumons d’un village sont le stade et l’école municipale s’il y en a une. Le terrain de football, la cour de récréation : premières rencontres, premiers émois, premières disputes. Apprendre à vivre en comptant le nombre de buts tirés dans la lucarne, le nombre de zéros sur un bulletin scolaire.
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Des hommes rouges accompagnés de femmes pâles. Des gens aux gilets et chemises trempés de sueur, aux sous-vêtements usés, aux fantasmes lointains. Leurs rêves consistaient à se retrouver devant les grillades achetées par lots de trente au supermarché. Ils rêvent de vivre dans une porcherie, pensait le père du jeune garçon, serrant des mains moites, embrassant des joues qui puaient le tabac, l’alcool fort et la nourriture froide.
Tu as minci, Anthime.
Il sourit. Avant de quitter la maison, il avait choisi des vêtements près du corps. Son bide avait fondu. Ses pectoraux, encore frêles, commençaient à pointer.
« En cycle secondaire, les livres d’Histoire mentionnent des individus opposés à la mise au pilon de millions d’exemplaires de romans classiques au profit d’ouvrages calibrés selon le type d’émotion attendue par le lecteur. »
« On payait les Agents pour qu’ils ne sachent jamais lire. C’était un cadeau du ciel. »
Le programme Nox créait des milliers d’emplois, engendrait une baisse des comportements addictifs illégaux. Même le taux de criminalité décroissait : Lucie avait trouvé un moyen de gérer les sensations des hommes, alors que ses confrères s’étaient toujours arrêtés au contexte social
Enfin venaient tous les gosses qui avaient grandi sans passer par la case alphabet ; des petites frappes rusées, rapides, prêtes à tuer pour se retrouver sur le parking d’un stade. La promesse d’un salaire, d’une reconnaissance sociale à la hauteur des humiliations vécues effaçait les douleurs à venir. Peu importait. Ils avaient tous entendu parler d’un type comme eux, promis à la chute, devenu riche à ne plus savoir quoi faire de l’argent, l’espace, le pouvoir qu’on lui avait octroyés en contrepartie de son ignorance.
Personne n’apprend à lire en dix jours.
Partir signifiait couper le seul lien qui les rattachait à la terre ferme : ils ne savaient ni lire, ni écrire. Rien ne pouvait les sortir du fond de leur cave humide où s’entassaient des bocaux de nourriture pour les périodes de vaches maigres. Ils en étaient conscients.
Assurer la sécurité lors d’une Manifestation À Haut Risque était le job le mieux payé pour des jeunes gens qui ne savaient pas à quoi ressemblait une salle de classe.
Après l’obtention du diplôme, j’ai travaillé six ans pour le Service National : ce furent mes plus belles années. Pour la première fois, surveillé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, je me suis senti libre. J’avais signé le contrat du bonheur, à une seule condition : interdiction formelle d’apprendre à lire.
J’étais le garde-fou de millions d’individus prêts au pire pour ouvrir un Livre, consommer les sensations promises par la couverture. Ils se méfiaient ; je n’en dévorais aucun lorsqu’une occasion se présentait. Mais ils savaient qu’à tout moment, s’ils cédaient à la panique inspirée par un Livre Terreur ou aux larmes d’un Livre Chagrin, je leur arracherais le précieux objet des mains, interdisant la lecture jusqu’à nouvel ordre.