AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Cécile Ladjali (399)


Qu'est-ce qui nous appartient vraiment dans notre vie ? Que retient-on ? Que reste-t-il de tout ce que l'on aura décidé à notre place ? La joie ? La douleur ? l'acharnement à vivre ? La tentation du lâcher prise ?
Commenter  J’apprécie          213
Page 84 – 85
Colère et tristesse furent d’ailleurs les deux legs, dont il hérita tôt. Tombé d’un échafaudage, son père handicapé devenu alcoolique le battait par désespoir. Sa mère, qui élevait la marmaille dans le bidonville de Noisy-le-Grand, eut le cran de se pendre au seul noyer qui s’était entêté à pousser au fond du terrain vague. C’est Bébel qui la trouva. L’ébriété perpétuelle du père le conduisit à la DDASS avec ses six frères. Grâce à l’action de l’abbé Joseph Wresinski, le petit garçon put fréquenter l’école primaire puis le collège, où il apprit les rudiments de lecture et d’écriture. Un matin d’hiver, il rencontra l’abbé. L’homme de Dieu dit à l’enfant d’être courageux et de bien s’appliquer en classe, lequel lui répondit que c’était difficile, en se retenant de pleurer. Il ne parvenait à oublier la vision du corps de sa mère pendue au noyer. Et puis il y avait ce professeur d’histoire au collège qui assenait de drôles de choses comme quoi la culture n’empêchait pas les hommes de devenirs des monstres, que l’Histoire avait fourni beaucoup d’exemples d’êtres abjects bien que très cultivés. Il insinuait qu’il fallait se méfier des livres et savoir rester humble. Et quand il disait ça, il avait des yeux tendres pour Bébel, son bon dernier de la classe. Le cancre devint alors une sorte de mascotte pour le prosélyte démagogue, la preuve incarnée que l’ignorance préservait sa pureté originelle à l’être humain, dès lors que celui-ci n’était pas manipulé par des propos ethnocentristes et dangereusement élitistes. Quand il évoque son enfance, Bébel explique à Léo qu’à l’époque il reçut de la part de son professeur une étrange caution à son état. Une sorte d’accord tacite fut passé entre eux. Le maître plastronnait en pourfendeur des classes dominantes, devenant ainsi le porte-parole des laissés-pour-compte. Le petit Bébel était la vivante affiche de ses idées : l’homme naissait bon et le restait si l’odieuse culture des bourgeois ne le contaminait pas. Outre que ce fonctionnaire de l’Etat devait se trouver dans une situation schizophrénique intenable du fait de ses positions, alors qu’il enseignait à l’école de la République et qu’il était lui-même le produit du système qu’il vomissait, ce dernier manifestait pour l’orphelin une tendresse malsaine. Il le savait sans affection et l’invita plus d’une fois chez lui pour des cours de soutien. Bébel n’a jamais avoué à Léo ce qui se passait lors de ces leçons du soir. Il s’est contenté de lui dire son soulagement quand à seize ans l’usine le priva pour toujours de la présence poisseuse de cet homme.
Commenter  J’apprécie          210
Mes personnages ne sont jamais que les enfants nés de mes lectures. Il m’est impossible d’écrire sans avoir lu, parce que la tâche de l’écrivain commence avec ce patient arpentage des œuvres, crayon en main, cornant les pages, lisant à voix haute bien souvent. Un écrivain est avant tout un grand lecteur. Mais un lecteur qui a du vice : il perturbe le cours calme et suave de la lecture, crée un estuaire, et précipite les mots arrachés aux livres dans l’océan de ses travaux. Le roman en train de s’écrire est ainsi continuellement abreuvé par les très riches heures passées à fréquenter les textes des autres. Si les images et les mots volés viennent à manquer, la mer se tarit puis meurt. Le sel a rongé sa faune, sa flore. La page, son intention même, est devenue sèche, râpeuse. On ne crée jamais rien. On se souvient.
Commenter  J’apprécie          210
Le ciel d’Ispahan était une écharpe de soie cobalt, irisée de franges orange où une main invisible avait brodé des rossignols. Sur la place royale, le ciel enflammait l’eau lisse du grand bassin en pierre noire.
Commenter  J’apprécie          200
Il n'y a que les mots qui peuvent tirer les hommes de l'obscurité. Les mots que l'on lit et que l'on grave sur l'écorce des chênes. Car ne faire que parler c'est peut-être rester dans les ténèbres. Parler a longtemps suffi à réchauffer Léo. (p. 147-148)
Commenter  J’apprécie          200
Il ne s'est jamais senti aussi vide que depuis qu'il a commencé à aimer Sybille. Vide de mots, de toutes ces choses essentielles à dire afin qu'elle sache. Il faut faire vite. Un autre garçon plus habile que lui prendra bientôt la main de cette fille et saura lui conter ce qu'elle veut entendre. Pire encore: il le lui écrira. Et comme les femmes aiment les lettres d'amour, elle se donnera au premier courrier. Il pense que le monde se compose de deux catégories d'individus: il y a ceux au clair avec les signes-sachant faire l'amour aussi- et ceux en dehors du langage et du cœur des femmes. (p. 161)
Commenter  J’apprécie          200
Ses fesses sont des quartiers de lunes impudiques soudées aux reins, dont la souplesse reptilienne révèle l'impertinent sourire de deux fossettes.
Commenter  J’apprécie          193
J'avais marché vingt-cinq ans à cloche-pied dans une cellule capitonnée où l'on avait éteint la lumière. (p. 149)
Commenter  J’apprécie          190
Je suis ton ombre. Celle à qui tu écris. Celle qui révèle ta part de feu, ta nuit, son ravage.
Commenter  J’apprécie          180
La musique pouvait elle aussi raconter des histoires tout en y superposant des couleurs et des nuances infinies.
Commenter  J’apprécie          180
Par l'écriture, Emily (Dickinson) rejoint l'autre, abolit l'absence, vit davantage: " J'aime être seule ici, occupée à t'écrire une lettre, et savoir si ta joie à la lire va être aussi grande, plus ou même moins grande que la mienne à la rédiger devient pour moi en cet instant un problème crucial" , confie-t-elle à Abiah Root en janvier 1852 (p.47)
Commenter  J’apprécie          181
La journée passe comme un dimanche, c'est-à-dire à la vitesse d'un gastéropode traversant une nationale.
Commenter  J’apprécie          171
Et enfin surgit un livre au beau titre rond: -Les Mots-. Le roman était divisé en deux parties, "Lire", Ecrire". Tout ça , c'était vraiment mieux que les équations inconnues. (p. 91)
Commenter  J’apprécie          170
Très tôt on m'expliqua que j'étais née dans une grande maison en Suisse. Qu'il y avait des enfants qui naissaient dans les ventres et d'autres dans les grandes maisons. Je tirai de cette vérité originelle une sorte d'orgueil tout aristocratique. [p. 9 / Babel- mars 2016]
Commenter  J’apprécie          170
En pleine guerre de Sécession, Emily (Dickinson) possède une arme redoutable : le langage. Les mots sauvent ou tuent. Il n'y a pas d'alternative. Sa capacité d'émerveillement liée à sa puissance lecture du monde, de ses énigmes, est une invite à adorer le livre de celle qui a écrit....

L'ortie a triomphé partout
Les flâneurs ont épelé
L'orthographe solitaire
Des Morts Anciens
... pour se perdre sur l'ombreux sentier de sa grâce. (p.49)
Commenter  J’apprécie          170
Mme de Sévigné écrivait un jour à sa fille cette phrase inouïe : « J’aime à vous écrire, c’est donc un signe que j’aime votre absence. » Écrire une lettre plutôt que de compter sur le téléphone, le sms, le mail, c’est faire confiance au temps, à la distance, et considérer ces données comme sacrées, puisqu’en raison des empêchements qu’elles induisent, elles confèrent au papier un caractère précieux que les autres supports n’ont pas. À la différence du courrier électronique, la lettre privée préserve intactes notre intimité et toute la grâce d’un certain secret. Mais surtout elle nie l’absence. Rend présent. Incarne.
Commenter  J’apprécie          170
De plus, ces arguments autour du Souffle, de l’Esprit Saint, voire de la Colombe, me parurent très insatisfaisants. La narration du frère Jean était aussi plate que la fresque immonde de l’église où le gros oiseau blanc sans grâce volait au-dessus de Joseph, le charpentier, et de Marie, la Sainte Vierge, engrossée par l’oreille, et portant son fils comme un panier à salade.
Commenter  J’apprécie          160
Page 85 – 86
La narration de Bébel rend Léo malade chaque fois qu’il l’entend. Evidemment que la culture n’empêche pas de devenir un salaud, il y a cependant tout à parier sur elle. Léo explique à Bébel qu’il n’y avait pas de livres dans le mobile home, que sa grand-mère est analphabète, et qu’il ne se souvient pas de ses parents lui ayant fait une seule fois la lecture avant de s’endormir. Puis il ajoute que tout gosse il eut la chance de mettre la main sur ces cassettes audio, où étaient enregistrées des œuvres qu’il écoutait en boucle. Grâce aux enregistrements, la musique de la langue, les images accrochées à la portée, les rythmes induits par les images font désormais partie de lui. Il en connaît même certains passages par cœur. – Et tu sais ce que cela veut dire connaître par cœur ? – Sais pas. – C’est avoir dans le cœur. Les mots qui sont là, sous la peur, personne pourra les arracher. Quand je vais devant Winkler pour vous défendre, ce sont des phrases entières qui reviennent comme une vague immense qui me porte et me grandit.
Commenter  J’apprécie          160
La parole et le sens, la compréhension du monde étaient toujours venus des femmes. Le silence, le mutisme, la nuit, ce qu'on avait gardé pour soi par pudeur, par peur aussi, fut le lot des hommes. Cette conception bipartite de l'obscur et du clair, de la lucidité et de la cécité me faisait bailler lorsque j'y songeais, tant je la trouvais caricaturale. Pourtant je devinais dans la grossièreté de l'antithèse une vérité indiscutable. (p. 176)
Commenter  J’apprécie          160
Moi, je trouve que le spleen de mon ami iranien rend son français éblouissant. Jamais je n'ai entendu la langue de Molière chantée avec tant de justesse. Mon poète choisit les mots avec parcimonie et la précision du lexique s'intègre à une syntaxe aux contours inédits qui laissent deviner leur proximité d'une frontière avec la Perse ( il lui arrive d'oublier les articles définis qui n'existent pas dans sa langue et il se moque des genres, absents du farsi). Le français de Sadegh rapproche les mondes.
Telle est la magie de sa prose: son français-persan réconcilie. (p. 99)
Commenter  J’apprécie          150



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Cécile Ladjali (766)Voir plus

Quiz Voir plus

River

Comment s'appelle le personnage principal ?

River
Rose
Raven
Riva

10 questions
14 lecteurs ont répondu
Thème : River de Claire CastillonCréer un quiz sur cet auteur

{* *}