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Citations de Cécile Ladjali (399)


Les mots des livres que je continuais à écrire m'avaient permis de placer sous mes pieds un pont de corde . Suspendue au-dessus du vide, je vacillais mais ne tombais pas. Le rapport presque magique que j'entretenais avec les mots allait contre les principes fondamentaux de ma vie: le vide, l'absence, le silence. La recherche effrénée de la parole en classe, le besoin compulsif d'écrire pour raconter des histoires palliaient un manque qui, s'il n'avait pas été comblé, eût été mortel. Les dialogues qui n'avaient pas eu lieu à l'origine, j'allais les inventer. Les explications qui n'avaient pas été données, je me les suggérerais. Je n'étais pas venue aux mots par hasard. C'est eux qui m'avaient fait naître une seconde fois. Par eux, avec eux et en eux, je m'étais mise au monde. Le jour de ma première naissance, je m'étais retrouvée expulsée dans un univers étrange dont on ne m'avait pas donné les clefs. Toutes portes seraient restées fermées, s'il n'y avait pas eu l'écriture. (p. 288-289)
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Léo avait parfois cette violence calamiteuse des êtres qui ont honte. (p. 42)
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Les limbes de la bibliothèque c’est aussi la nouvelle géographie qu’il a fallu que j’invente pour certains volumes que ne pouvait plus contenir la bibliothèque. Il s’agit d’espaces intermédiaires où les mots et les images flottent et semblent attendre. Ainsi j’ai rangé une partie des livres d’art dans une niche creusée à même le mur de l’escalier qui conduit au premier étage de l’appartement.
(...)
L’escalier me sert de bibliothèque provisoire. À l’endroit où les marches présentent la surface la plus large, je dépose les derniers livres achetés après m’être adonnée à un petit rituel. Toujours le même. Sur la page de garde j’écris mon nom, la date et le titre du texte que je suis en train d’écrire. (Dans les limbes tout est fragile et fluctuant, alors on se rassure comme on peut.) Et puis il est amusant, en rouvrant un roman des années après, de se souvenir dans quel état nerveux nous étions alors, quel était notre rapport au sens, au temps, au dire, puisque l’œuvre avait été choisie une première fois pour aider à la rédaction du texte en cours. Il n’est pas rare que je lise cinq volumes tout frais débarqués de la librairie en même temps, ce qui me conduit à leur trouver des correspondances légitimes, alors qu’aucun lien naturel ne m’y autorise en principe. Mais l’escalier-bibliothèque est le tronc d’un arbre généalogique. C’est lui qui diffuse la sève vers les branches-fouillis au bout desquelles fleurissent les familles d’écrivains que j’invente en lisant.
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"Manquer son père" est un drame véritable. Ne pas avoir eu le temps de parler avec lui, ni d'engager la discussion sur des thèmes nécessaires à la construction de soi, à l'avènement d'une conscience adulte, quand on est tout enfant et qu'on cherche un modèle, que l'on est à l'affût pour débusquer dans un regard, un geste, un timbre de voix, ce qui sera un principe absolue de conduite et de croyance, reste une tragédie totale.
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Mort-Homme, le 13 février 1916

(...)La sciure de mes souvenirs me pique les yeux. Comme je voudrais vous atteindre monsieur Cendre et vous donner la main ! Ai-je appris à lire pour mourir ? Les enfants vont-ils à l'école pour rougir l'eau des ruisseaux quand ils tombent ? Je ne peux pas me faire à l'idée. Un être qui sait écrire ne devrait jamais être happé. (p. 64)
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Notre-Dame -de-Lorette, le 15 décembre 1915

Maman,
Les choses ne pourront pas recommencer. Elles sont trop moches. On travaille à la dernière des guerres, j'en suis certain. On ne peut pas aller plus loin dans ce qui n'a pas de nom. (p. 27)
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Enfant, Bénédict était étrange. Et c’est son étrangeté qui nous émerveillait, son père et moi. (…) Quand nous regardions Bénédict lire sous les arbres, près du lac, nous songions aux jardins de Nichapour (…) et nous pensions que notre petit amour réalisait la synthèse sublime entre nos deux continents, gommant les frontières, pour ne paraître qu’un seul bloc ardent de tendresse et d’intelligence. Comme un défi lancé au monde.
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L'esprit qui compose épure. J'ai inventé une musique concrète capable de faire revenir ce qui était mort. Ma musique peut rendre neuves les choses anciennes. Inventer un carnaval de soleils mouillés derrière les larmes. Faire jaillir la poussière des partitions d'antan comme un pollen neuf.
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Froiseterre, le 22 novembre 1915

Monsieur Cendre, cher maître, (...)

Monsieur Cendre, votre salle de classe me manque tout comme vos yeux sévères. Les heures de retenue, le laboratoire de chimie et son affreuse odeur de soufre, les grenouilles disséquées, la cacaphonie du réfectoire, les grands chênes dans la cour me somment de me souvenir de la vie. (p. 17)
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Ce sont les lecteurs qui arrachent les oeuvres à la damnation, aux flammes de l'oubli, à la poussière des heures qui transforment encre et papier en sable. (...)
La conscience du lecteur est une digue entre un sens qui se perd et l'histoire qui danse devant ses yeux pour être recomposée par sa lecture. Privé de son lecteur, l'auteur n'est rien. Il n'est que le signataire d'un néant, d'une lettre muette, sourde et aveugle.
C'est tout le sang du lecteur qui irrigue la carcasse sèche des livres. (p. 150)
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Il en allait de même pour l'oeuvre à faire. A eux [Les hommes ], la chose était permise. Mais pour une femme, l'histoire était toute autre. Me concernant, le simple fait d'être inscrite en thèse faisait jaser. Le simple fait qu'une petite bonne femme sans le sou, enfant d'une fille-mère compagne improbable d'un ébéniste immigré alcoolique, ait la prétention des mots et du pouvoir qu'ils pouvaient conférer à ceux qui en avaient la pleine maîtrise apparaissait aux yeux de de mes contemporains comme un scandale. Et je n'en pouvais plus de ce scandale. (p. 160)
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Léo, l'autre soir j'étais bourré. Pas pu répondre à ta question sur l'importance des mots.
J'aurais voulu te parler de la violence liée à leur absence. Les mots qui se débinent c'est une vraie saloperie. Ne savoir ni lire ni écrire ça rend dingue. j'ai été abandonné puis adopté par une famille d'accueil. Je n'étais pas un bon élève, j'ai quitté l'école très jeune.
j'ai eu la chance d'avoir une caméra 16 mm dans les mains à seize ans. C'est à cette époque que j'ai commencé à filmer et j'ai décidé de ma vie de cette manière. Elle était flanquée sur la pellicule, ma vie. Imprimée sur le triacétate de cellulose. Indélébile. Et je la maîtrisais. Le cinéma est un langage comme un autre et il est fait pour toi. (p. 197)
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plus que sa grande taille et l’évidente beauté de son corps (corps dont il ne sait que faire quand celui-ci est secoué de tocs), ce qui sidère chez lui est sa démarche. Sa silhouette est frappée par une sorte de légèreté surnaturelle, si bien que le garçon paraît ne pas toucher le sol quand il se déplace. (Cette évanescence des contours rendant plus manifeste encore la propagation des tocs.) Toute l’harmonie des mouvements, qu’arrête la pudeur mais que renforce l’érotisme intrinsèque de celui qui ignore qu’il est beau, est sublimée par la douce ondulation brune des boucles qui encadrent le visage. (Il peut arriver à la jolie tête cependant d’être déformée par un rictus de la bouche, lequel se prolonge jusqu’à l’œil gauche clignant d’angoisse pour rentrer dans la boîte crânienne ployant sur le cou, vissé aux épaules voûtées par le vacarme aveugle d’un mauvais rêve.) Mais quand rien ne l’inquiète, son regard sans voile oblige les hommes à baisser les yeux et leur inspire le sentiment d’une défaite. Le hasard y a peint deux pupilles vertes qui aimantent les filles, lesquelles, au moment où elles y plongent, pensent à l’évidence à des choses dont lui-même n’a pas idée. Sa grâce est manifeste, mais il ne la soupçonne pas. Il reste persuadé qu’il est ridicule de ne savoir ni lire ni écrire et que les femmes ne peuvent pas s’intéresser à un garçon aussi simple que lui. Or ce dont il ne se doute pas c’est que la gent féminine ne décèle rien de cela en lui et que, outre son incontestable beauté, elle devine sa pureté, sa bonté, qu’aucun principe ni individu ne semble avoir jamais souillées. Il y a quelque chose en lui qui participe du miracle quand on le contemple, même s’il reste persuadé de demeurer une espèce de calamité vivante.
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On s'habitue aux fins du monde quand soi-même on considère la vie comme un purgatoire.
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Marre, le 1er mars 1916

Marcel, (...)

Les feux de cheminée. les châtaignes qui craquent. Les braises qui durent toute la nuit. Le savon noir et son odeur partout dans la maison. Les tricots de maman dans l'osier des malles. La soupe qui parfume l'espace et se mélange à l'air savonneux. La vie me manque tellement . Envoie-moi de la vie, c'est urgent.

Louis, affamé
(p. 70)
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Ma musique est une sorte d'anomalie. J'en ai conscience. Un jour, le maître évoqua "le triton", en fait une quarte de trois tons aux sonorités un peu dures. C'est pour cette raison qu'au moyen-âge elle fut associée au diable et, de fait, interdite. Or j'avais déjà eu l'intuition de cette monstruosité musicale avant même que le maître ne nous en parle.
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Dans le boyau qui entaille le ventre de la cité, se cachent toutes les âmes perdues de la région : joueurs d'échecs, musiciens, marchands de thé ambulants, chiromanciennes, petits vendeurs de poules afghans, maîtres de trictrac. J'aurais bien pris un quart d'heure pour acheter un morceau d'ambre ou du tabac turc. J'adore traîner au bazar parmi ces fantômes qui semblent plus au fait de l'existence que les vivants.
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Il suit les appelés jusqu'à la baraque aménagée pour la composition. (...)
L'épreuve dure une heure. Il observe le spectacle navrant d'une danse macabre. Celle des signes morts qui forment une ronde cruelle comme celle qu'inventent les enfants méchants dans les cours d'école pour humilier un camarade. Les mots chenapans sont pleins d'acrimonie acide. Ils brûlent les pupilles de Léo qui se retient de pleurer. (p. 64)
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Il y avait d'autres enfants que le mien dans ma vie. Ceux des classes au lycée de Drancy. C'étaient des élèves difficiles. Alors je choisis de leur faire écrire de la poésie pour les mater.- Madame, à quoi ça sert la poésie ? -A rien, c'est pour cela que c'est beau et c'est pour cela qu'on en écrit. J'avais deviné que la provocation de l'exigence était terriblement pédagogique. (p. 154)
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Nulufar m’a dit que le petit avait les yeux de « celui qui espère la pluie ». (Ici, quand on dit que quelqu’un « espère la pluie », cela signifie qu’il est fou, parce qu’il croit au miracle. Mais à Nadezhda, on est très respectueux des fous qui espèrent.) Moi aussi je l’attends souvent, la pluie.

(Babel, p.279)
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