Dans ce bouquin écorné sur une table de la bibliothèque provinciale, on avait inséré le flyer des cafés littéraires de l'année, dont le prochain, en août, a pour thème la littérature belge. Je ne connaissais pas ce titre ni cet auteur du Hainaut, Charles Bertin, dont l'existence achoppa à notre siècle : une œuvre importante, poésie, roman, théâtre, lit-on en quatrième de couverture. Les pages ébréchées et les tranches un peu noircies témoignent d'emprunts nombreux, de là une légère aversion, car j'incline vers le papier net et neuf, mais je n'allais pas regretter l'emprunt.
"La petite dame en son jardin de Bruges" est le récit des moments heureux de l'auteur petit garçon, en vacances auprès de sa grand-mère qui habitait Bruges. Une dame adorable et enthousiaste que la vie d'alors a tenue éloignée de la culture, fille sacrifiée au profit de l'avenir des frères qui ont droit aux études, il fallait travailler à la ferme au début du siècle. Mais Thérèse-Augustine a du répondant et elle tient à donner ce qu'elle n'a pas eu à son petit-fils. Et s'il faut consulter naïvement le petit dictionnaire Larousse illustré pour savoir qui sont ces gens que montrent les tableaux du guide de Bruges, ses musées et son histoire, on le fera même en vain, car cette bonne volonté tient à présenter au garçon les recoins culturels de la ville. Et puis cette balade à bicyclette de location vers la mer, souvenir cher pour le jeune Charles qui découvre enfin le rivage qu'il tenta un jour d'apercevoir de la lucarne du grenier... Attachant récit qui mêle émotions poétiques et reconnaissance infinie pour celle qui, au soir de sa vie, potasse des livres :
"Elle avait laissé la porte de la cuisine entrouverte, si bien que du palier, je pouvais l'apercevoir de profil, isolée au cœur de la pièce obscure sous le cône de lumière un peu rose que l'abat-jour festonné de faïence rabattait sur la table. D'instinct, elle avait retrouvé une posture d'écolière, le livre posé à plat devant elle entre ses coudes, les poings aux tempes, les pieds repliés sous la chaise. Une mèche échappée à l'ordonnance de sa coiffure pendait le long de sa joue, accentuant encore l'impression de jeunesse que dégageait son attitude. C'est à la lumière de souvenirs comme celui-là que je comprends aujourd'hui pourquoi je l'ai tant aimée".
Bien plus tard, l'auteur, en quête de l'ombre de son aïeule, retourne vers la côte belge : "j'étais en train de regagner le pays où je n'ai jamais cessé d'avoir huit ans", écrit-il. Quel(le) Belge n'a pas ce sentiment en retrouvant les arbres penchés, les dunes et les brises salées de la mer du Nord ?
On n'écrit plus guère comme Charles Bertin. C'est beaucoup de chance de tomber sur de telles pages où les subjonctifs affichent sans retenue leur distinction : "Il n'était jusqu'au ton plus vif que prenait la lumière devant l'approche étincelante des eaux qui n'achevât de me persuader que je ne pourrais résister bien longtemps à la tentation de me jeter à mon tour dans la fête urgente qui était en train de se dérouler sous mon regard.". Plongeons-y alors sans affectation ni peur du ridicule, la lecture est si bonne.
"J’ai toujours éprouvé le sentiment que le bonheur de vivre s’enrichissait d’une stimulation insolite sous son toit" : rien ne fut plus vrai que dans cette maison, quand à la fin du jour, ils goûtaient tous deux paisiblement le dernier soleil sur les fleurs, une bouteille de grenadine sur la table, lui sur un petit banc, la vieille dame avec un tricot dans une berceuse en bois de frêne dont elle aimait le balancement.
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