La pratique de la mer ne va pas sans accessoires. L’Océan fait grand usage de fils, de bouts, de cordages. Insaisissable, imprévisible, d’une mobilité incessante, il faut pour l’approcher disposer de liens, de pièges, nœuds de chaise et de cabestan. Et que les bouts soient toujours clairs, lovés, en bon ordre. Nous nous plions à ces astreintes qui contrent les ruses obstinées de l’océan.
Nous sommes aussi experts, c’est une urgence dans le montage des lignes et des hameçons. Dans les entrelacs du fil transparent, on fait un double huit, on glisse la hampe, on serre entre les doigts et les dents.
Plus importants sont le flegme et la nonchalance. Ne jamais laisser voir le labeur et l’affolement : la mer repère vite l’incompétence. On ne peut l’aborder qu’efficace et serein.
On trie parmi les pierres plates celles qui tiennent au creux de la main. C’est l’arme et c’est l’outil qu’on a choisi contre l’étendue verte qui vient fouir le sable avec des lapements de chien. Lapider la mer, c’est notre projet, mais d’une manière qu’on veut subtile. Les pierres doivent entamer le
reflet, rebondir sur la peau moite, écorcher par impacts, lacérer au plus loin sous la succession des ricochets.
On ne sait pas encore, on ne veut pas savoir, que la mer c’est le dessous de la surface. Comme le scribe, devant la page vierge, on ne connaît qu’un plan désert. On a les pieds sur le sable au plus près de la lame d’eau. Vit-on quelqu’un tenter des ricochets depuis le surplomb d’une digue, depuis le pont d’un bateau. Il s’agit de sonder l’océan dans l’infime épaisseur de sa peau ?on se plie, on cligne de l’œil, on cherche tout en bas l’horizon le plus proche .La main rase le sable en projetant le schiste aigu comme une lame de rabot. On voudrait de la mer faire gicler les copeaux, la désépaissir comme une planche sous la varlope. On verrait bien alors qu’en profondeur c’est la surface qui s’empile et se répète.
Mais au septième rebond, au dixième quand la main est parfaite, les ricochets s’arrêtent. La mer, à nouveau lisse, s’est refermée, vorace, sur le galet.
Mais je ne me sentais pas d' humeur à renouveler des consolations qui devenaient trop vite des toboggans vers l' intime.