Citations de Christian Estèbe (182)
Travail de ses mains, travail purificateur qui l'empêche de trop penser, qui l'aide à vider de sa tête le trop plein de son coeur. (p.105)
Il n'est pas né à lui-même, voilà qu'il cherche encore son lieu de naissance, d'ouverture, il veut naître à un sens, naissance réelle au dedans du coeur. (p.109)
Personne ne repart à zéro, c'est seulement une addition de départs en départs. (p. 121)
Orme n'a plus mal. Il mange lentement en regardant par la fenêtre. Il observe aussi les moines et se demande comment les gens, ailleurs dans le monde, peuvent engloutir tant de nourriture avec tant de bavardages (et lui-même, lorsqu'il était bien portant) (p.48)
Un homme (mort aujourd'hui) et une femme (morte aujourd'hui) se sont couchés l'un sur l'autre, sont entrés (par quelles coïncidences) l'un dans l'autre, et il est venu...il est arrivé devant les montagnes, les lacs, les oeuvres d'art, les femmes, les épouses, les hommes de guerre ou de paix, les doux, les violents et les humbles, lui Julien Orme, n'importe qui, garçon de bibliothèque, malade de la vie, mais avide aujourd'hui de comprendre. (p.50)
Orme marche sur la route, main dans les poches. Il pense à l'orgueil, cataplasme des petites misères. Il faudrait qu'il ait la capacité de tout réapprendre, l'énergie de trier, savoir ce qui lui en subsiste, ce qu'il est devenu...(p;45)
Corps souffrant dans les linges souillés; la maladie qui épure, trie, sépare, rend seulement quelques mots essentiels, donne toute sa place au silence, à l'extrême...
Les heures ici ne servent à rien, sinon à se rapprocher ou à s'éloigner de soi-même. (p. 13)
Soudain, tout lui paraît neuf, tant de choses qu'il croyait avoir vues, tant de choses qu'il pensait connaître par coeur, et le voilà éberlué. (p.23)
Il attend une place dans une maison de repos qui voudra bien l'accueillir. Il lit des romans, des poèmes, des magazines. Tout cela a un goût nouveau pour lui. Il reste des jours à savourer sa vie, à attendre qu'une once de joie vienne frémir dans son corps dévasté. Avant, lorsqu'il était en bonne santé, il ne savait pas que c'était ça, vivre. Il croyait à des prouesses, imaginait des aventures, des bonnes fortunes. Il ne savait pas attendre, faire un geste, regarder un lézard vert sur un mur blanc, boire un café et voir lentement fondre le morceau de sucre. Il ne savait pas, il était normal.C'est-à-dire insensible à la précarité, à l'éblouissante précarité du monde. (p.27)
Il voudrait trouver un chemin neuf, ne plus vivre fragmenté, les mots de la vie pourront-ils monter en lui, remonter en lui ? (p.31)
Il avait cru (imaginé) que seuls quelques grands artistes avaient trouvé des souffrances à leur taille, tous embrasés qu''ils étaient par leur création. Il connaissait tel ou tel récit d'être humain totalement déchiré par une soudaine meurtrissure, un violent mal à l'âme, installé au plus profond, dans cette partie incernable entre chair et sentiment. Il sait désormais que la souffrance n'est l'apanage d'aucun; seule diffère notre façon de la porter, de la vivre. (p.30-31)
Garder intacte en soi une parcelle vierge pour le miracle quotidien d'exister encore un peu. (p.37)
J'ai lu ce livre avec peine au début. Je n'y voyais qu'un catalogue, plaisant certes, de livres et citations juxtaposées. Je me suis prise à ce jeu, entrant dans cette librairie par l'esprit torturé de Stève.
Il ne veut pas la revoir, il ne veut pas s'expliquer, la toucher, il sait que s'il l'approche ne serait-ce qu'un instant, ils se rueront l'un sur l'autre pour se mesurer à leur désir et toute une folie recommencera.
Elle ne savait pas, ne voulait pas savoir, que le mal qu'il lui avait fait, il se le faisait à lui-même. Jamais il n'avais voulu la blesser. Elle l'avait fait jouir au-delà du possible. Lui offrant sans retenue ce corps étonnant, ce sexe profond, odorant qui lui faisait croire qu'il pénétrait chaque fois dans un étrange jardin, ou dans livre d'heure, enluminé par leurs étreintes balisé par leurs serments d'amour.
Stève avait écrit un océan de mots pour tenter de se sauver du naufrage qu’était sa vie . (p.159)
« Pas mal ce qu’écrit Maurice Nadeau, le grand éditeur :
« Le roman, c’est le genre le plus englobant, le plus universel. (…)
Le roman même si le souvenir y a sa part ne peut pas être une reconstitution de la vie, il est la vie même, et en fin de compte une nouvelle vie, une leçon de vie nouvelle ».
Il aime son métier passionnant de passeur de textes. (p.39)
Le savoir est une Montagne magique à escalader. (p.63)
Ils ne demandent qu'un geste, les livres: qu'on les lise avec patience et tendresse, qu'on les respecte, et ils sont capables de donner des trésors. Comme l'a dit autrefois un éditeur, "la littérature, c'est un livre et un lecteur. Tout le reste n'est que propos d'épicier". (p.16)
On ne décide pas, on espère. On ne dispose pas, on prie. On ne vit pas, on croit.
tant que tu t'entends,
Tu dois attendre.
Tant que tu t'entends,
tu es vivant. (p.184-185)