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Citations de Chrystine Brouillet (454)


Gabrielle secoua la tête ; peut-être avait-elle eu tort de revenir à Québec. Mais à quoi toutes ces années de méditation auraient-elles servi si elle fuyait son passé au lieu de l’affronter ? Elle se revoyait en Inde, au centre de spiritualité, pleurant sa lâcheté, son silence coupable, prête à tout pour purifier son âme. Combien de thérapies avait-elle expérimentées avant de comprendre qu’elle devait accepter d’avoir été cette jeune femme qui avait abandonné un mort en pleine nuit au lieu de le veiller jusqu’à l’arrivée des secours? Elle devait croire qu’elle n’était pas totalement mauvaise puisqu’elle aidait beaucoup de femmes et d’hommes à être bien dans leur corps. À Vancouver, elle avait appris les techniques de massage. Et le yoga. Et le parapente. Et le trapèze. Elle avait toujours été sportive mais s’était découvert une vocation pour l’entraînement. Elle voyait avec bonheur des filles trop grosses s’épanouir dans ses cours d’aérobie, des garçons relever la tête, oser se regarder dans une glace en constatant que leurs épaules, leurs bras, leurs mollets se développaient.
Elle serait la meilleure des entraîneurs dès le lendemain ! Ne lui avait-on pas répété chez Best, à Vancouver, qu’on la regretterait et qu’elle pouvait revenir et retrouver son emploi à n’importe quel moment si elle ne se plaisait pas à Québec ? Son patron était sincère quand il affirmait qu’elle était son entraîneure préférée. Elle ferait tout pour être aussi appréciée au gym du Nouveau Quartier. Et elle se plairait à Québec. De toute manière, elle ne serait pas en permanence face à ses souvenirs, car elle habiterait à Saint-Roch où tout avait changé. Elle avait bien fait d’acheter la veille les deux derniers romans de Michel Tremblay. Retrouver le personnage de Nana la distrairait, la réconforterait, calmerait son anxiété. Pourquoi est-ce que tout ne se déroulerait pas à merveille demain ?
Elle se glissa sous les couvertures, saisit son roman et se demanda quelle allure pouvait avoir Montréal lorsque des tramways quadrillaient la ville.
***
Au Bistrot du Clocher penché, André Rouaix et Pierre-Ange Provencher sirotaient un Morgon en attendant leurs plats. Le partenaire de Graham et l’officier de la Sûreté du Québec avaient pris l’habitude de se retrouver, quand leur travail le leur permettait, les mercredis soir alors que l’épouse de Rouaix était à son cours d’aquarelle.
Quand Liette, la sommelière, déposa le boudin noir aux pommes caramélisées et la joue de bœuf braisée aux légumes racines, Rouaix sourit.
— Maud nous envierait si elle savait ce qu’on mange. — Elle ne doit pas faire pitié à Rome, tout de même !
—Non, j’ai reçu un courriel où elle me nargue en évoquant le meilleur carpaccio de sa vie, ses orgies d’artichauts frits et un somptueux Barolo Chinato qu’elle a dégusté avec Alain! Il est chanceux d’avoir été invité à ce colloque. Moi aussi, j’irai à Rome quand je serai à la retraite.
Il y eut un silence qui s’étira avant que Provencher avoue sa déception causée par la démission d’un de ses hommes, au lieu de demander à Rouaix s’il était certain de vouloir prendre sa retraite l’année suivante. C’était une décision si personnelle.
— Nous, on nous envoie une nouvelle, annonça Rouaix. Tiffany. C’est un nom bizarre. On n’a pas d’autres
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Combien de temps avait-elle marché ? Pourquoi n’avait-elle pas prévenu le conducteur du bus qu’elle avait pris pour rentrer chez elle ? Ou appelé elle-même les policiers ? Des années plus tard, elle se répétait qu’elle croyait que Denis allait revenir et qu’elle ne voulait plus le voir, mais n’était-ce pas plutôt parce qu’elle craignait d’être mêlée à cette mort absurde ? Elle était moins ivre que Denis, elle aurait dû l’empêcher de prendre le volant. Au lieu de ça, elle était montée à ses côtés, elle l’avait laissé lui caresser la cuisse et un gamin de dix-sept ans était mort.
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Janvier 2009

Gabrielle Leland avait disposé les vêtements près de son lit puis était sortie de la chambre, satisfaite ; elle n’avait rien oublié. Elle se lèverait à six heures trente, mangerait une orange et une banane, prendrait une douche, mettrait un peu de cette nouvelle crème aux fruits de la passion et au chèvrefeuille et enfilerait le pantalon de jogging, le tee-shirt et les chaussettes en deux minutes. Elle avait acheté un ensemble rose et noir, pensant le porter pour sa première journée au gym, mais elle y avait renoncé. Elle devait être parfaitement à l’aise pour se concentrer sur sa tâche ; elle mettrait ses vêtements neufs plus tard, quand elle serait habituée à son lieu de travail. Elle était un peu nerveuse, mais ne savait pas encore si cette anxiété était liée à son nouvel emploi ou à son retour à Québec. Peut-être qu’elle aurait dû revenir un peu plus tôt avant de commencer à enseigner au gym ? Elle était arrivée de Vancouver l’avant-veille. Elle n’avait pas voulu trop réfléchir à son installation à Québec. Avait-elle fait le bon choix? Est-ce qu’assez de temps s’était écoulé entre le jour où elle avait quitté la capitale, persuadée de ne jamais y revenir, et maintenant ? Penserait-elle quotidiennement à ce qui l’avait poussée à partir ou se réapproprierait-elle sa ville natale ? Dix ans s’étaient écoulés depuis le drame. Il était temps de tourner la page. Elle n’aurait rien pu faire pour l’adolescent. Martin était déjà mort quand elle était sortie de la voiture. Mais elle revoyait son visage dans ses cauchemars.
Stop !
Il était inutile de ressasser le passé ! Pourtant, elle ne cessait de se remémorer l’événement. Ce soir-là, elle aurait parlé à n’importe qui pour oublier qu’elle avait vu Jeff embrasser une autre fille. Elle errait entre les voitures, dans le stationnement, sans savoir si elle devait retourner au bar et confronter le traître, appeler un taxi et rentrer chez elle, ou aller dans un autre bar et se soûler pour tout oublier. Puis elle avait croisé Denis et elle avait accepté son invitation à boire un verre chez lui, même si elle avait remarqué sa démarche hésitante. Parce qu’elle aussi avait bu et manquait de jugement, voilà la vérité. Quand elle avait conseillé à Denis de rouler prudemment, il lui avait répondu qu’il n’y avait pas un chat sur la route à cette heure-là.
Il s’était trompé. Il y avait un jeune de dix-sept ans qui rentrait chez lui à vélo. Denis l’avait heurté. Gabrielle avait hurlé en entendant le bruit du métal contre la carrosserie. Elle avait continué à crier pour forcer Denis à s’arrêter.
—Tu as frappé quelqu’un !
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Dans combien de temps la colocataire d’Amélie Richmond commencerait-elle à s’inquiéter de son absence? Ce soir ? Demain ? Elle penserait sûrement qu’Amélie avait rencontré un homme dans un des bars qu’elle fréquentait le vendredi soir et qu’elle traînait encore chez lui. Probablement que c’était ce qu’Amélie aurait aimé faire. Baiser avec le premier venu, recommencer à l’aube, boire un café en sa compagnie en se faisant croire qu’ils se plaisaient infiniment et que ce partenaire de parties de jambes en l’air avait très envie de la revoir. Elle minauderait en donnant son numéro de téléphone, comme elle l’avait fait avec lui.
Au fond, il avait rendu service à cet homme. Et à tous les autres qui auraient pu perdre leur temps avec cette folle. Car il fallait vraiment qu’elle n’ait pas toute sa tête pour le repousser.
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23 octobre 2004
Amélie Richmond avait flotté dans l’eau glacée durant quelques secondes puis elle avait été entraînée au fond du lac par le poids de ses vêtements trempés. Alexandre Mercier l’avait trouvée plus lourde qu’il ne l’avait imaginé quand il l’avait soulevée pour la jeter dans l’eau. Elle lui semblait légère quand ils faisaient l’amour. Elle ne devait pas peser plus de cinquante-deux, cinquante-trois kilos. Mais Alexandre avait déjà lu qu’un corps inerte pesait davantage qu’un corps animé.
Il resta quelques minutes à fixer l’endroit où Amélie avait coulé, puis il saisit les avirons de la chaloupe et rama jusqu’à la rive dans un mouvement régulier. Les battements de son cœur s’apaisaient et il songea qu’il aurait eu froid s’il n’avait fourni autant d’efforts. Les lacs seraient gelés d’ici peu. Amélie resterait prisonnière des glaces jusqu’au printemps. Et si son corps refaisait surface, il serait difficilement identifiable. On pratiquerait une autopsie, on réaliserait une empreinte de ses dents et on finirait peut-être par savoir qu’il s’agissait d’Amélie, mais personne ne pourrait se douter qu’elle avait fait une erreur en refusant de l’épouser et qu’il avait dû la tuer. Quand il avait demandé Amélie en mariage, elle avait répondu qu’elle était sidérée par sa proposition puisqu’ils s’étaient dit, lors de leurs premières rencontres, qu’ils souhaitaient tous deux une relation sensuelle, totalement libre, sans obligation. Elle le trouvait vraiment bel homme, aimait sa chevelure drue, ses traits réguliers, sa carrure, et ils passaient de bons moments au lit. Oui, mais… se marier ? Il n’avait jamais été question d’amour entre eux ! Et avait-il oublié qu’elle partait au Mexique pour un stage en horticulture ?
Alexandre avait été tellement abasourdi par la réaction d’Amélie qu’il l’avait quittée sur-le-champ. S’il était resté, il l’aurait tuée aussitôt et les ennuis auraient commencé. Trop de gens les avaient vus ensemble ; ses copines à qui elle racontait tout, sans oublier Élise qu’il avait eu la bêtise d’inviter à voler avec eux. Pourquoi s’était-il embarrassé de la meilleure amie d’Amélie le temps d’un aller-retour Québec-Montréal ? Il avait péché par orgueil, fier de piloter son nouveau Beaver.
Il avait dû attendre plusieurs mois pour régler son cas à Amélie qui, de toute manière, n’était revenue de Mexico qu’en janvier. Mais voilà, c’était fait. Enfin !
Il scruta le ciel lourd, d’un gris pâle annonciateur de chute de neige, et il claqua la portière de sa voiture. Il voulait être de retour à Montréal avant que la visibilité soit réduite. Il était hors de question d’avoir des ennuis sur la route, il observerait les limites de vitesse. Il n’avait jamais été interpellé sur l’autoroute, ce n’était pas aujourd’hui que cela changerait.
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Jean-Philippe ne méritait pas que je risque
ma vie pour lui plaire! Je désirais seulement
faire une fugue afin qu'il s'inquiète
de mon sort. Quand il apprendrait par
Nathalie et ensuite par les policiers que
j'avais disparu, il comprendrait ce que je
représentais pour lui.
Il n'y avait vraiment aucune autre solution
pour le faire réagir.
J'ai décidé de partir au moment du
congrès d'avocats de papa. Il irait à Québec
avec maman et y dormirait le jeudi et le
vendredi. Il avait convaincu maman que
Nicolas était assez grand pour veiller sur
moi. Après tout, il avait presque dix-sept
ans et nous n'étions plus des bébés.
En mettant les valises dans le coffre de
la voiture, papa m'a dit qu'il savait que je
serais bien sage. J'ai fait oui, oui en
hochant la tête. Pourtant, je me sentais
comme une traître! Et j'ai bien failli renoncer
à mon projet et tout lui raconter, mais
j'aimais trop Jean-Philippe!
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Détective privée? J'ai plutôt failli devenir
rien du tout ... Si j'avais pu deviner dans
quelle galère je m'embarquais quand j'ai
pris ma décision de quitter la maison, je
serais sûrement restée!
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On s'amuse ensemble seulement quand
on fait la cuisine. J'admets que ma mère est
très douée. Et que je suis très gourmande ...
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- Et si tu désirais, dans quelques années,
être avocate, comme moi?
J'ai secoué la tête. Non, je n'avais pas
envie de travailler à la cour, mais sur le terrain.
Je suis autant une fille d'action que de
réflexion! Je n'apprends pas le judo pour
rien. C'est pour savoir me défendre quand
j'aurai à me battre avec des criminels.
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Il y a quelques années, à
l'étranger, un homme (ou une femme?) a
mis du poison dans des bouteilles contenant
des cachets de Tylenol. Puis les a replacées
sur les rayons des pharmacies.
Des tas de gens en ont acheté, ont avalé
les comprimés empoisonnés et sont morts.
Pourtant personne n'était directement visé!
Comment trouver un assassin qui n'a aucun
lien avec sa victime? Aucun motif
pour le meurtre? Il faut un minimum d'indices
pour découvrir une piste ...
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Le crime parfait, ça n'existe pas! Sauf si
l'assassin tue une personne qui lui est tout
à fait inconnue, bêtement, gratuitement et
surtout, anonymement.
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À cette époque, j'étais bien naïve! Je
croyais qu'à force de me rencontrer, JeanPhilippe
Bilodeau finirait par me découvrir
et m'apprécier car, bien entendu, j'étais super
aimable avec lui.
Je lui ai prêté des tonnes de disques en
septembre et en octobre. Et je l'ai même
invité à un concert de Pink Floyd. Hélas, il
avait déjà son billet.
J'ai fait couper mes cheveux aux épaules
et je me suis battue avec ma mère pour
avoir une mèche bleue. Elle n'a pas cédé.
En revanche, elle a accepté de m'acheter
un soutien-gorge rembourré, malgré le fait
qu'elle trouvait ça inutile. Peut-être pour
elle, elle est mariée depuis plus de quinze
ans. Pour moi, c'est vraiment différent!
Il fallait que je plaise à Jean-Philippe par
tous les moyens!
J'ai fait le régime de pamplemousses (on
ne mange que de ces horribles fruits pendant
des jours et des jours) jusqu'à ce que
ma mère s'en aperçoive et me l'interdise.
Mon père s'en est mêlé, lui aussi, et m'a
expliqué que j'étais en pleine croissance et
que je devais m'alimenter correctement. Je
ne pouvais pas lui dire que j'aurais voulu
engraisser des seins et maigrir des cuisses.
J'ai mis de l'huile solaire pour changer
mon teint pâle et j'ai fait rire de moi pendant
une semaine, car j'avais le visage
carotte.
J'ai même acheté des revues de motos
pour pouvoir parler des accélérateurs avec
Jean-Philippe.
J'ai tout fait, vraiment tout fait pour lui
plaire.
Résultat? RIEN! Nothing! Niet! Nada!
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C'est vraiment déprimant: je ne suis pas
blonde et je n'ai pas le beau teint mat des
brunes! Et quand je suis gênée, mes joues
s'enflamment! Je les sens qui brûlent!
Aussi, je me suis éclipsée en vitesse, avant
que quelqu'un fasse une réflexion.
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Si je préfère attendre, c'est que je suis
AMOUREUSE.
Amoureuse du plus beau gars de l'école,
Jean-Philippe Bilodeau. Il est dans la dernière
année du secondaire, mais je l'avais
déjà remarqué l'an passé. J'ai eu peur tout
l'été qu'il ne revienne pas en septembre!
Heureusement, je m'étais inquiétée pour
rien. Il était là, assis dans les marches de la
cafétéria à discuter de moto avec Louis, le
frère de Nathalie.
J'ai dit bonjour à Louis sans regarder
Jean-Philippe en espérant que ça ne paraissait
pas trop que je rougissais.
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J'ai toujours détesté Myriam Drolet, car
j'ai toujours eu de bonnes raisons pour ça.
Elle est blonde (pas teinte), ses yeux sont
vert émeraude (sans lentilles colorées), ses
ongles sont longs (pas faux), sa bouche est
framboise (sans rouge à lèvres) et elle a de
gros seins. Des vrais.
Elle porte des chandails moulants ou
décolletés. Même si la prof d'histoire lui a
déjà dit que l'école n'était pas une discothèque
et qu'elle exigeait une tenue plus décente
à ses cours. Les gars de la classe
l'ont huée quand elle a réprimandé Myriam.
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Une mauvaise surprise l’attendait : les trois amis avaient tendu une corde dans l’escalier. Le Caméléon déboula onze marches et atterrit dans un piteux état! Malgré la peur qu’ils avaient éprouvée, Cat, Stéphanie et Lôc rirent en voyant les grimaces de douleur du Caméléon. Avant qu’il ne réagisse, ils se ruèrent sur lui et l’attachèrent avec une grosse corde.
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Il m’aime. Il m’aime. Il m’aime», se répétait Marie en coupant des tiges d’ancolies roses.

Simon ne l’avait pas oubliée. Il pensait à elle et reviendrait à Nantes. Elle l’avait toujours su. En fermant les yeux, elle l’imaginait, rieur, lui tendant les bras, beau comme un prince. Elle appuierait sa tête contre la casaque rêche, respirerait la poudre des combats dont le tissu était imprégné avant de percevoir l’odeur chaude de Simon, poivrée, piquante, musquée.

Il se pencherait sur elle, chercherait sa bouche avec avidité, elle sentirait les poils durs d’une barbe mal rasée râper ses joues, meurtrir son cou, et elle souhaiterait que ces rougeurs restent longtemps, preuves du désir de Simon.

Vorace, il la baiserait au front, aux yeux, lui croquerait l’oreille, se perdrait dans ses cheveux avant de s’emparer de ses lèvres, avant d’enfoncer une langue si agile quelle la forcerait à répondre à cet embrassement.

Elle suffoquerait délicieusement, son cœur s’emballerait, sa raison lui échapperait dans cet affolement voluptueux.

Le père Thomas avait beau fustiger ses ouailles et leur répéter que succomber à la chair mène droit à l’Enfer, Marie LaFlamme ne pouvait s’empêcher de rêver ainsi à Simon. Elle frissonnait à inventer cette scène de retrouvailles, se la remémorant cent fois l’heure, ajoutant des détails brûlants, précisant l’ardeur des baisers, l’audace d’une main. Elle taisait ses songes osés à tous, persuadée qu’on la condamnerait, que personne ne pouvait comprendre.

Est-ce qu’on avait jamais aimé autant qu’elle?

Non, sûrement non.
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Maud Graham éteignit le téléviseur d’un geste brusque, choquée par ce qu’elle venait d’apprendre. Un quinquagénaire promenait son chien quand il avait découvert un cadavre étrangement mutilé au parc du Mont-Royal. L’hiver avait conservé le corps et même si les policiers avaient demandé aux journalistes d’être discrets, la population savait maintenant qu’on avait amputé un pied, un sein et un poignet à la morte.

Un reporter n’avait pas manqué de rappeler la similitude entre ce crime et celui d’une touriste québécoise, Diane Péloquin, commis trois ans auparavant, dans le Maine. La femme avait été étranglée et mutilée. Le meurtrier lui avait coupé le sein droit et le pied gauche. Il ne fallait pas oublier non plus cette pénible affaire, à Miami, vingt mois plus tard, qui avait peut-être un lien avec ces deux crimes. On ne pouvait rien affirmer, car le cadavre était quasiment réduit à l’état de squelette, mais il manquait à ce macchabée le tibia, le péroné, le fémur, le tarse et le métatarse de la jambe gauche. On n’avait jamais pu identifier la victime et les journalistes l’avaient appelée Lucy, du nom d’une tornade qui avait ravagé la Floride la semaine précédente et ainsi déterré le squelette.

Personne n’avait alors parlé de tueur en série.

Jacques Mathieu y songerait avant la parution de son article, avant l’aube. Graham savait qu’elle lirait un éditorial alarmant sur les émules des assassins Jeffrey Dahmer et Ted Bundy, une colonne qui se terminerait par une question aux policiers : que feraient-ils pour démasquer le tueur et prévenir d’autres meurtres au Québec ? Le phénomène des serial killers était typiquement américain — même si les Anglo-Saxons avaient eu leur Jack l’Éventreur — et il devait le demeurer. Les touristes québécois redoutaient déjà la trop violente Floride, il était inconcevable que les monstres américains viennent les terroriser dans leur propre pays.

Graham plaignit ses collègues montréalais ; ils seraient critiqués et harcelés avant même d’avoir bougé. Louis Pelchat, le pro des relations publiques, devrait participer à vingt tribunes téléphoniques afin de calmer la population. Si la détective comprenait l’angoisse qu’une telle nouvelle pouvait susciter, si elle acceptait que les journalistes fassent leur métier et informent leurs lecteurs et leurs auditeurs, elle admettait mal qu’on saute aux conclusions avant même qu’une enquête ne soit commencée et qu’on condamne les policiers qui n’avaient pas découvert le cadavre juste après l’assassinat. Ils avaient en ce moment si peu d’indices qu’il faudrait un miracle pour trouver le coupable.

Maud Graham pensa au mari de cette victime, à ses amis, à ses parents qui pourraient enfin l’ensevelir. Ils n’exposeraient pas le corps, mais ils voudraient de vraies funérailles. Ils seraient furieux que les journalistes essaient d’y assister, même si leur présence et la photo de la tombe dans les journaux prouveraient que Muriel Danais était bien morte et bien enterrée. Elle les hanterait, mais ils n’erreraient plus. Ils sauraient. Ils ne regarderaient pas les lilas fleurir en se demandant si Muriel les voyait aussi, ou si elle avait été enlevée et emmenée loin de Montréal, forcée à se prostituer dans un pays où poussent des fleurs d’oranger, comment elle avait disparu — car tous rejetaient l’idée saugrenue qu’elle soit partie avec un autre homme —, si elle vivait toujours, où, comment et si elle reviendrait, si elle était devenue folle, si elle s’était enfuie, si elle mourrait du cancer, du sida, si on l’avait tuée, si on l’avait torturée avant de l’assassiner.

Oui, n’aimerait pas répondre Graham à ceux qui aimaient Muriel Danais, oui, on lui avait coupé un sein, un poignet et un pied. Et l’enquêtrice devinait qu’on l’avait piquée, comme Diane Péloquin.

L’été dernier, Graham avait reparlé du meurtre de cette touriste avec Rouaix, mais elle n’avait pas dit que l’instrument avec lequel on avait piqué la victime avant sa mort lui rappelait l’outil dont on usait jadis pour déceler la marque diabolique chez une sorcière. Les inquisiteurs enfonçaient le long stylet plusieurs fois dans le corps de leur victime jusqu’à ce qu’ils trouvent ce qu’ils cherchaient. Ou non. Ça ne changeait rien ; la femme était exécutée. La Femme.

Est-ce que le tueur détestait les femmes autant que les inquisiteurs moyenâgeux ? Les torturait-il avec le même plaisir ?

Croyait-il, lui aussi, obéir à une loi divine ? Ou, mieux encore, être au-dessus des lois ?

Et voulait-il en tuer des dizaines, des centaines ?

Rouaix avait déclaré qu’un meurtre commis aux États-Unis ne les concernait pas, même s’il s’agissait d’une compatriote : on avait assez à faire au Québec. Graham avait acquiescé, mais elle ne pouvait chasser de son esprit l’image du corps meurtri, semblable à celui des milliers de sorcières condamnées sans procès.

Elle y repensait quand Léo miaula. Elle souleva son chat gris et le tint contre son épaule en lui grattant le cou. Lui au moins ne finirait pas au bûcher. Graham effleura les vibrisses en constatant qu’elles avaient pâli. Léo vieillissaitil ? Son poil avait légèrement bruni durant l’hiver. Un interminable hiver ; il n’était sorti qu’une douzaine de fois. Quand Graham partait travailler, il la regardait s’éloigner par la fenêtre en la plaignant sincèrement d’affronter des froids pareils.

— Je t’ai acheté des éperlans, mon beau Léo. Jure-moi de ne pas les cacher sous le tapis de la salle de bains ! Jure !

Le matou passa une patte derrière son oreille ; il pourrait toujours dire qu’il n’avait rien entendu.

— Les lilas seront en fleur dans deux mois, Léo. Te rends-tu compte ?
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Victor Duchesne venait de se réveiller et il regardait ses mains ; elles auraient dû être douloureuses mais il ne souffrait pas. Il ne savait pas si c’était l’effet de l’adrénaline ou parce qu’il avait fumé du bon stock après avoir donné une petite leçon à Fabien Marchand. Ou s’il avait rêvé. Non, il ne rêvait pas, il ne se souvenait pas de chaque seconde, tout s’était passé trop vite, mais il se rappelait parfaitement le son sourd de ses poings quand il frappait Marchand, ses cris, puis ses gémissements. Il avait savouré chaque instant, répétant à Marchand qu’il n’était qu’un trou du cul, que personne n’avait le droit de jouer dans ses plates-bandes. Si Frank Potvin n’était pas intervenu quand Marchand avait perdu conscience, il serait encore à le battre, tellement il avait aimé la sensation de puissance qu’il avait ressentie. À cause du bruit des os fracturés. Duchesne avait eu l’impression qu’il n’avait jamais entendu aussi distinctement ce son particulier.

Frank Potvin l’avait arraché à Marchand, l’avait entraîné, poussé vers sa moto avant de faire démarrer la sienne. Il ne servait plus à rien de traîner dans le coin. Ils devaient rouler, rentrer chez eux.

Victor Duchesne agita ses mains, les pliant, les dépliant ; est-ce qu’elles enflaient ? Il regarda autour de lui. Où était-il ? Sûrement pas dans sa chambre à Stoneham. Il y avait une fenêtre dans sa chambre, une belle grande fenêtre qui donnait sur une cour immense. Il n’y avait pas de fenêtre là où il se trouvait. Il n’était pas couché non plus sur son lit. Où était-il ? Il sentit la bile remonter dans sa gorge alors qu’il prenait conscience de l’odeur d’urine de la cellule. Il était en cellule. Que faisait-il là ? Il n’y avait personne sur les berges de la Saint-Charles quand il avait battu Marchand. Ça, il s’en souvenait. Frank le couvrait. Où était Frank ? Que s’était-il passé ? Il tituba jusqu’à la porte, tambourina pour qu’on lui ouvre. Il voulait rentrer chez lui. Tout de suite.

Il y retourna dix heures plus tard. Entre-temps, il avait appris qu’on l’avait arrêté pour excès de vitesse sur le boulevard des Chutes, que son comportement avait paru suspect, erratique aux patrouilleurs qui l’avaient appréhendé et qui avaient trouvé deux joints dans les poches de son blouson de cuir. C’était René Lalonde, l’avocat de son père, qui le lui avait dit en venant le chercher. Il lui avait aussi dit que Louis Fournier était vraiment furieux d’avoir dû solliciter ses services. Et maintenant, après avoir tant souhaité rentrer à la maison, Victor redoutait la colère de Louis Fournier. Il ne pourrait pas lui expliquer pourquoi il roulait si vite sur le boulevard des Chutes, il n’en savait rien. Tout ce qu’il savait, c’est que son père l’engueulerait, hurlerait que s’il se plantait avec sa moto, il ne lui en achèterait certainement pas une autre. Ça ne lui avait pas suffi de bousiller une Harley, l’année précédente ? Sa mère s’en mêlerait, gémirait qu’il finirait par se tuer. Tout le monde crierait, alors que Victor n’aspirait qu’à une chose, fumer un joint pour se détendre et oublier cette nuit en cellule. Il regrettait de ne pas pouvoir révéler à son père qu’il avait corrigé Fabien Marchand. Il aurait dû être fier de lui, fier qu’ils se ressemblent, et le féliciter de ne pas s’être laissé marcher sur les pieds, mais Louis Fournier le frapperait s’il apprenait qu’il dealait. Il le frapperait en hurlant qu’il lui donnait assez d’argent pour qu’il n’ait pas besoin de se livrer à ce trafic imbécile. Pourquoi ne s’apercevait-il pas qu’il avait vieilli, qu’il n’était plus un gamin à qui on peut tout interdire ? Il ne saisissait pas encore que Victor pouvait être un fameux bras droit.

Repenser aux cris, aux supplications de Fabien Marchand, à l’image de son ennemi recroquevillé pour échapper à ses coups rasséréna Victor. Quand on saurait ce qui lui était arrivé, plus personne n’oserait empiéter sur le territoire de Vic Duchesne. Seul son père s’entêterait à ne pas comprendre qu’il veuille gagner de l’argent. Au lieu de ça, Fournier le forçait à étudier, il voulait qu’il se rende aux HEC. Alors que lui-même n’avait pas fini son cinquième secondaire.
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Thomas Lapointe a chaud sous sa perruque noire. Des gouttes de sueur coulent jusqu'au col de sa chemise, l'imprègnent. Thomas Lapointe n'aime pas suer. Il a mis de l'antisudorifique, ca il déteste les odeurs de transpiration. Il aimerait prendre un douche avant d'aller à la réunion d'Entraide. Il doit renoncer à cette idée. Il n'en aura pas le temps. Il essuie son front, regarde sa montre pour la troisième fois en dix minutes. Est-ce que René Asselin se décidera à partir chez lui? il ne peut pas modifier ses plans! 14h08. 14h11. Mais que fait donc Asselin? il doit boire un autre café. La porte du garage s'ouvre enfin. Lapointe voit la Chevrolet reculer, il reconnaît la tête grise d'Asselin. Il le laisse rouler quelques secondes puis le suit. Même s'il est certain qu'il se rend au terrain de golf pour l'après-midi. Asselin est un homme d'habitudes. Il prend congé le premier et le troisième jeudi du mois. Quand discute-t-il des détenus qui seront libérés avec les intervenants, les commissaires, les gardiens? Parle-t-il souvent avec Marie-Anne Lavoie? Se sont-ils interrogés à propos du meurtre de Jonathan Dubois? Ont-ils pensé, ne serait-ce qu'une seconde, que le criminel pouvait être un des types qu'ils avaient relâché? Non.
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