Citations de Chrystine Brouillet (454)
Martin et elle s’entendaient bien malgré quelques petites dissensions comme en avaient tous les couples. Ils se connaissaient depuis tellement longtemps que ces prises de bec ne duraient jamais.
Que la plénitude de la maternité lui manquait ! Elle aurait voulu pouvoir être toujours enceinte sans jamais accoucher. (Laure)
[…] n’était-ce pas une erreur de vouloir lui éviter d’en commettre ? Ne faisaient-elles pas partie du processus d’apprentissage ?
Québec, septembre 2014
Se calmer. Se calmer. Se calmer. Il connaissait cette personne puisqu'elle le connaissait. Elle lui souriait. Faire défiler mentalement l'alphabet, trouver par quelle lettre commence son nom. A, B, C. Non. D, E, F, non. Ça ne fonctionnait pas. Elle continuait à lui sourire, un sourire à peine esquissé, semblable à celui de Berthe Morissot au balcon de l'avenue de l'Opéra. Les gens font la queue pour voir celui de la Joconde, mais Karl Lemay préférait celui qui flottait sur les lèvres de cette femme. Il aimait tant ce tableau de Manet. G, H, I?... Est-ce que l'inconnue s'apercevait qu'il cherchait à se rappeler son nom? Il sentait des pulsations à ses tempes, son cœur battait plus vite. Il fallait qu'il se calme sinon il ne devinerait jamais son nom. J, K. Non, K, c'était lui. Karl. Est-ce qu'on pouvait oublier son propre nom? L. M. N. Non. La femme posait sa main sur son poignet.
- C'est pour demain, dit Stephen Dean. Tout le monde devrait être là.
- On ne sera pas dérangés, la ferme est isolée, dit Simpson.
- Le feu se verra de loin, fit Walt Spencer.
- Mais on a le chef des pompiers avec nous, rappela Simpson en éclatant de rire. Personne ne nous embêtera.
- Et le shérif?
- Il sait très bien quand c'est le temps de se mêler de ses affaires, affirma Dean. Penses-tu qu'il va se déranger pour des nègres? S'il veut être réélu l'an prochain...
- Il fait mieux de comprendre qu'on ne veut pas de nègres, de chinetoques, de juifs ni de communistes dans notre région, déclara Spencer. Ce n'est pas une petite loi qui va nous empêcher de faire notre boulot pour garder notre pays propre. La vermine doit rester à sa place. Hitler avait raison.
Québec, août 2010
C’est la bière, se dit Karl Lemay en ajoutant une touche d’huile vermillon à la couleur de base plus claire dont il devrait enduire les toiles achetées la veille. C’était la bière, il n’aurait jamais dû boire une autre bière après le départ de Ludger. Mais il faisait tellement chaud, hier ! Et toute la nuit. Il détestait la chaleur. Il avait toujours haï la chaleur. Il tenait ça de sa mère. La chaleur lui ramollissait le cerveau. Il dormait mal. C’était pour cette raison qu’il avait oublié d’éteindre le fer à repasser. Pas parce qu’on per-dait la tête dans la famille de son père. Pas parce qu’il ressemblait à sa tante Alice. Ça arrivait à tout le monde. Et il ne rajeunissait pas. C’était normal à son âge d’oublier de petites choses.
Il ne devait pourtant pas y avoir de rats dans ce caveau où on met-tait les patates et les oignons, sinon la vermine dévorerait tout. Mais les grains étaient entreposés ailleurs. Peut-être que les rats n’aimaient pas les pommes de terre et pénétraient la nuit dans le caveau. Ils lui mangeraient les orteils, le bout du nez, les oreilles, les lèvres, puis les insectes s’introduiraient dans ses plaies et il pourrirait.De toute manière, personne ne le croirait.
Ils vont se reprendre un jour, promit Spencer. Ils ont eu des problèmes pendant la guerre de 14-18. Ça ne les a pas empêchés de revenir en force vingt ans plus tard. Maudits Alliés qui ont tout gâché. C’est impensable que des gars d’ici soient allés là-bas se battre contre eux. Ils n’ont rien compris ? Ils veulent que leurs enfants se marient avec des dégénérés ? Si c’était la volonté de Dieu, ce serait écrit dans la Bible.
Si Karl Spencer n’avait pas fait un cauchemar qui l’avait tiré de son lit le cœur battant et le front moite, peut-être qu’il ne se serait pas réveillé quand la voiture de M. Simpson s’arrêta devant la maison dans un crissement de pneus. Il perçut simultanément le grincement de la porte d’entrée, puis la voix de son père, celle de M. Dean et le rire de Ken Simpson, rauque, entrecoupé de quintes de toux. De la fenêtre entrouverte de sa chambre, il sen-tait la fumée de sa cigarette.
- Tu es si loin et si proche en même temps...
Il lui lécha la main pour l'approuver ; il était en Egypte, sous la XXIIe dynastie, et à Paris en 1997. Il avait vécu l'Occupation et la première Exposition universelle, l'un des passages de la comète de Halley, une traversée éprouvante vers un pays giboyeux, il avait connu les étals de graines, d'épices, d'olives, les bouts de viande séchée et les bancs de poisson du quartier de Galatasaray. Il se souvenait aussi d'une longue chevauchée contre une tunique à croix rouge et d'une femme qui cueillait de la mandragore et de la valériane. Il aimait presque autant la valériane que le papyrus.
L'écorce grège sentait moins fort qu'à Bubastis et la texture du papyrus lui semblait plus lisse qu'autrefois, mais comment savoir ? Il y avait si longtemps qu'il était mort sur son lit de papyrus tressé où Néfertari et ses fils l'avaient couché après s'être rasé les sourcils en signe de deuil.
Julius Rancourt fixait la roulette en serrant les dents. Il fallait que la boule s'arrête sur le 19. Le 19. Il fallait qu'il remporte la mise. Il ne pouvait en être autrement. Le 19.
J’ai le droit de faire ce que je veux avec mes ongles. Je vais essayer toutes les couleurs si ça me tente. La prochaine fois, ils seront noirs. Ce n’est pas elle qui va m’empêcher de…
Elle ne pouvait pas avoir souhaité que sa fille ne revienne jamais. Une bonne mère ne peut pas avoir ce genre de désir. Même quand son enfant la déteste. Même quand c’est réciproque.
que je sais aux enquêteurs pour les aider à le retrouver. Ce n’est pas le moment d’avoir des secrets, de mettre des gants blancs. Les histoires de famille, c’est toujours compliqué. Deux jours dehors… Qu’est-ce qu’elle fout, cette gamine ? Avec qui ?
Oui, tout pouvait arriver n’importe où. Elle avait appréhendé assez de criminels dans sa carrière pour être convaincue que le mal existait partout, mais elle ne pouvait s’empêcher de penser que la métropole était plus dangereuse que la capitale, qu’il y avait des gangs de rue, la mafia, des trafics plus importants.
Leurs jumelles ressemblaient de plus en plus à des femmes, mais n’en avaient pas la maturité. Il y aurait sûrement un mâle pour remarquer leurs poitrines plus généreuses, leurs longues jambes, l’éclat de leur teint. Elles plairaient aux hommes. Elles verraient une certaine lueur s’allumer dans les regards qu’ils poseraient sur elles, et elles s’en délecteraient, en joueraient, apprenties sorcières trop naïves.
Elle faisait des efforts pour soigner son apparence, se coiffait, se maquillait même si elle avait l’impression que toute féminité l’avait quittée à la naissance des jumelles, comme si elles se l’étaient appropriée avant d’être expulsées de son corps. Pourquoi s’entêtait-elle à bien paraître ? Elle savait parfaitement que ce n’était pas pour elle que Martin maintenait son poids, c’était pour donner l’image d’un homme dynamique, performant, d’attaque. Un homme pour qui on pouvait voter.
Avec ses cheveux courts, on voit mieux la délicatesse des traits d’Alizée, son teint de porcelaine. Et c’était sa décision, son désir. On ne peut pas continuer à tout décider pour elle. Elle veut se distinguer, c’est normal.
C’est normal d’avoir des secrets. Tout le monde a des secrets.