Citations de Colette Nys-Mazure (204)
Un soleil pâle fait briller les ardoises, les vitres, les pavés. Aline, sur le chemin, les poches alourdies de trois livres et Pierre d'un album qui gonfle le cartable ; il le lui confie pour marcher en équilibre sur le bord du trottoir.
Lorsqu'il revient vers elle, Aline sort Xingu et le brandit sous les yeux de l'enfant rieur.
- Tu vois, ça, c'est mon passeport.
- On va le dire à Papa ce soir.
Dans un coin de la pièce, une bibliothèque généreuse ; elles s'accroupissent devant la lettre W. La jeune femme passe le doigt sur la série des Wharton.
- J'ai commencé en anglais quand j'étais étudiante ; maintenant je deviens paresseuse, je lis les traductions.
L'aube a cette virginité des possibles, l'ardeur de ce qui peut être.
Il n'y a peut-être pas de petites choses, seulement des choses vécues petitement.
Elle entre en lecture comme d'autres en méditation,toute centrée vers le dedans, attentive au texte comme aux blancs; jouissant à la fois de l'histoire et de son écriture,du jeu de relations entre les personnages, des lieux où se déchiffre l'auteur.Elle se divise et se multiplie,souffre et aime, cherche et joue.
Qu'est-ce qu'un poème dans la marche du monde ? peut-on encore écrire des poèmes après les horreurs des camps d'extermination et les génocides ? Interrogations légitimes. Chaque homme qui naît recommence l'histoire, et la poésie, comme toute forme d'art, accompagne, éclaire, soutient son existence tout en creusant le mystère de l'être au monde.
Un jour où le soleil sera très clair,
Un jour où tu auras cru désarmer les ombres,
C’est ce jour-là précisément
Qu’Elle fera son premier signe.
Et tu resteras les doigts joints
Sur la vie encore délectable
Et ton sourire survivra
À l’espoir qui l’avait fait naître.
Elle n’aura pas soufflé mot,
Tu n’auras frôlé que Sa robe :
Un coup de nacre sur les doigts,
Une fatigue singulière,
Et l’annonce d’un lendemain
Dépourvu de toute mémoire.
(Louis Dubrau)
Nos bouches boivent
la chair à la chair
nos bras carguent des ombres
indociles
nos mains s’attardent
sur nos rêves
terreuses
De son long glaive
un dernier rayon
éventre la neige
et nous givre
d’aube
(Jean Botquin)
Je me redis l'aphorisme de René Char : "Quand on a mission d'éveiller, on est le premier à faire sa toilette dans la rivière. Le premier saisissement et le premier enchantement sont pour soi." Effectivement, avant d'y entraîner mes écrivains, j'ai plaisir à repérer les lieux et les oeuvres. J'éprouve un sentiment de plénitude dans ce musée au bord du jardin sous le soleil.
Chanter un hymne d'amour si doucement que les grondements du monde s'arrêteront.
Donner avec son coeur sans forcément attendre de retour.
Voir l'étincelle de bonheur dans les yeux de mes proches.
Au fond, vous ne racontez pas des choses extraordinaires, mais vous rendez l'ordinaire extraordinaire.
Sans doute, sommes-nous plus soucieux de donner des racines à nos enfants que de leur ouvrir les ailes.
Je lis. Je pallie les limites dérisoires de ma petite vie. Par auteurs, par héros interposés, j'expérimente mille formes d'existence, je me démultiplie. J'approfondis. Je comprends la folie d'un autre. Je pénètre dans des milieux qui me resteront toujours étrangers ou fermés. Rien ne m'est impossible. Je lis. Lire c'est délirer.
croire chaque matin que la merveille peut surgir :
la vie n'est-elle pas surprenante ?
Dresser une table de fête. même s'il y aura casse de verres en cristal et taches sur la nappe accordée à la vaisselle de Tournai, crée une cérémonie. La beauté célèbre le sacré de toute rencontre, la grâce d'être ensemble. Celle-ci surgit aussi en marchant par la campagne ou les rues, en croisant un visage étranger ou connu, à l'écoute d'une musique échappée d'une fenêtre entrouverte. Des moments inattendus, telle cette lecture à voix haute d'une page poétique par l'une de nos petites-filles ou cette bonne nouvelle inespérée. Rendre grâce pour ces présents. Oui, disponibilité et reconnaissance envers ces innombrables cadeaux du quotidien.
Partir au lever du jour
s'en aller sur la pointe des pieds
respiration retenue
sans déranger personne
Refermer la porte
ne pas se retourner
sur les lieux
les êtres fraternels
Mais s'ouvrir à ce qui vient
à la rencontre
de qui s'en va
délestée ravie
Maman a souri en m'envoyant un baiser du bout des doigts. Elle est sacrément belle et j'aime quand mes copains l'aperçoivent. L'un d'eux a soupiré.
- Ta mère, alors !
- Elle s'appelle Elsa. Je ne la prête pas.
Je vous écris sous l'oeil indifférent des nuages qui glissent d'une bord de la fenêtre à l'autre et entraînent un instant bref sur leurs couleurs en métamorphose. Je vous écris pour dessiner un arbre écarquillant le ciel.
Je vous écris dans la saveur renouvelée de l'écriture des autres, la lecture gourmande, des mots qui sourdent, jaillissent avec une ardeur inespérée.
J'écris à l'instant.
GIBOULEUSE
8
Me voici
avec mes mots
sans cesse émerveillés
cailloux au fond des poches
de la paille encore dans les cheveux