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Citations de Cyrille Javary (114)


Wu Ding, sous le règne duquel fût brûlée la carapace qui nous a servi d'exemple au chapitre précédent, était un souverain si fameux qu'il reçut par la suite le nom de culte d' "Ancêtre Illustre". C'est un personnage que la tradition lettrée connaissait bien : ses dates sont précises (1324-1265) et ses exploits sont cités dans différents textes classiques. Son épouse également est connue. Elle se nommait Fu Hao et sa tombe a été retrouvée aux environs de la ville d'Anyang, près de l'emplacement de l'ancienne capitale des Shang. Chef de guerre pour son époux, commandant à des milliers d'hommes, Dame Fu Hao était enterrée avec tout son arroi de général, témoignage de l'estime dans laquelle pouvaient être tenues les femmes à cette époque-là.
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A la question de savoir pourquoi la même offrande à la même entité spirituelle était parfois agréée et parfois pas, les Shang ont inventé cette réponse hardie : Celle-là a été faite au moment adéquat, et celle-ci à contretemps. La réussite du sacrifice ne dépendait plus uniquement de l'humeur fantasque de l'entité spirituelle ou de la qualité des offrandes, mais principalement du moment du sacrifice. Voilà qui allait bouleverser complètement l'appréhension que l'on pouvait avoir de l'ensemble de l'opération liturgique. Car dès lors que l'on situait ailleurs que dans le ciel le point focal de l'ensemble, il devenait logique de regarder à l'envers la corrélation globale entre l'approbation d'un sacrifice , son efficacité, et les craquelures (ndr : sur les os brûlés, objets de divination originels) qui en témoignaient. Remontant le déroulement du temps ( ce que nous appelons le raisonnement par récurrence), les Shang se sont aperçus alors , si par l'examen des formes des craquelures il est possible de vérifier a posteriori qu'une offrande a été agréée, c'est parce que, réalisé au bon moment, ce sacrifice était agréable a priori. Ils en tirent une conclusion grosse de conséquences : n'étant commandée ni par la qualité des offrandes, ni par le bon vouloir des dieux, mais par son adéquation avec le moment, l'efficacité du sacrifice existe donc "antérieurement" à sa réalisation.
Voilà qui allait changer radicalement le point de vue sur les affaires spirituelles. En effet, dès lors que l'avenir d'une entreprise et le sacrifice offert pour sa réussite cessent d'être liés par une relation de cause à effet, ils deviennent des manifestations équivalentes, des aspects solidaires d'une réalité momentanée.
Et ce peuple pragmatique en tire aussitot le corollaire suivant : plutôt que d'aller recueillir après coup les marques de l'adéquation d'un sacrifice, en tisonnant les cendres tièdes, ne serait-il pas plus raisonnable, et plus économique, de chercher à s'en assurer AVANT d'immoler les victimes ?
Ce n'est pas seulement une modification dans le déroulement de la liturgie qui s'instaure avec l'idée de cet examen préalable, c'est un retournement complet de son sens. L'examen des craquelures, naguère complément de la cérémonie religieuse, va en commander maintenant la réalisation. [...]

Les conséquences de ce tournant, modifiant durablement les rapports que les anciens Chinois entretiennent avec leurs dieux, vont engager la civilisation du Fleuve Jaune vers une conception de la spiritualité assez déconcertante puisqu'il faut se résoudre à la qualifier de "laïque", ou "d'énergétique". [...]
Une déité dont on peut prévoir les réponses perd beaucoup de son prestige métaphysique. En plaçant le problème sur l'axe du temps, les Chinois piègent leurs dieux, ils les enferment dans un système plus global. En déplaçant le problème de l'opportunité du sacrifice (implorer comme il faut) vers l'opportunité de l'entreprise (agir au bon moment), ils s'ouvrent à la possibilité de concevoir un univers qui n'est plus soumis à l'arbitraire religieux, mais qui fonctionne de manière raisonnable, comme un réseau de concordances énergétiques. Cela ne s'est pas fait en un jour, bien sûr, mais l'élan donné par l'auguration préalable sera déterminant. Les siècles qui suivront ne seront que le développement de ce point de vue particulier dans lequel va s'ancrer le désintérêt poli que depuis lors les Chinois manifestent à l'encontre des questions transcendantales.
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Ni texte révélé comme la Bible ou le Coran, ni parcours médité comme le Livre des Morts tibétain, encore moins poème épique comme l'Iliade ou le Ramayana, ou méthode logique comme celle de Descartes, le Yi Jing est le livre de la vie qui passe.
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Là où notre oeil occidental regarde un idéogramme comme une forme stable, immobile, l'esprit chinois voit surtout une succession de tracés, de mouvements graphiques produisant une configuration éphémère, l'ombre d'un mouvement immobile.
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Les mots sont les outils avec lesquels on pense, et l'on pense différemment selon qu'on écrit avec des mots formés de signes dénués de sens et placés les uns à la suite des autres (les lettres) ou avec des idéogrammes constitués de dessins schématiques disposés de façon à tenir chacun dans un espace identique.
Le raisonnement analytique, ce fondement de la vertu occidentale qui nous a donné la science et la philosophie, doit beaucoup à notre façon d'écrire. Il nous semble évident que tout le réel, les objets physiques, le corps humain, le fonctionnement des entreprises, puisse être ramené à un nombre restreint de composants élémentaires pour être analysé, puisqu'il en est ainsi de tous les mots avec lesquels nous pensons. Rien de tel en chinois. On l'a vu, on ne peut pas épeler un idéogramme, c'est un tout, un agrégat dont la construction est souvent rétive à notre forme usuelle d'analyse.
Cette logique analytique, qui est pour nous la logique tout court, est si étrangère aux Chinois qu'ils n'ont même pas de mot pour la nommer.
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Jean-François Billeter poursuit : [...]"Pour l'esprit chinois, le sacré ne naît pas de la fusion de deux réalités opposées, mais de l'harmonisation d'énergies complémentaires qui s'accomplit dans l'univers, dans le corps social et dans le corps individuel."
On aura reconnu dans cette dernière phrase la perception fractale de l'auto similarité de structure dans l'organisation de la nature, de la société et de l'individu. Comme le dit encore Simon Leys : "dans la conception chinoise, chaque individu contient simultanément des éléments Yin et Yang. Il peut dès lors accomplir sa propre plénitude dans l'isolement."
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Les Chinois ont compris que "rien d'immobile n'échappe aux dents affamées des âges." Aussi choisissent-ils de fléchir devant l'impact du temps pour mieux le neutraliser. La réflexion de Segalen part d'une observation concrète : l'architecture chinoise emploie des matériaux périssables, elle se dégrade rapidement et requiert de fréquentes reconstructions. De cette constatation technique, il tire une conclusion philosophique : les Chinois ont transféré le problème. L'éternité ne doit pas habiter l'architecture, elle doit habiter l'architecte. La nature transitoire du bâtiment est une offrande faite à la "voracité du temps, et c'est au prix de ce sacrifice que le constructeur assure la permanence de son dessein spirituel".
Cette impression de continuité qui s'enracine dans la nuit des temps procure à l'esprit chinois une sorte de sentiment d'éternité, qui lui est d'une grande aide aux moments de misère et une grande tentation aux moments de succès. On peut en mesurer l'aune en le comparant à celui qui assaille Paul Valéry au lendemain de la première guerre mondiale : "Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles."
La grande majorité des Chinois vivent leur culture comme une réalité insubmersible, même si, à l'instar du cycle des années, elle peut avoir ses mortes saisons - mais qui sont toujours, comme aujourd'hui, suivies de somptueuses renaissances printanières.
Les iconoclastes de la Révolution culturelle ont finalement provoqué un choc en retour. Leurs excès ont amené les Chinois à prendre la mesure de leur patrimoine culturel.
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Paysans expérimentés, les Chinois cultivent les céréales sur leur sol depuis que celles-ci font partie du patrimoine de l'humanité, il y a huit ou dix mille ans. Pareille continuité, sans équivalent dans l'histoire du monde, enracine le mode de penser des Chinois dans une permanence culturelle spécifique. De cette pérennité sédentaire est par exemple née une valorisation de la classe paysanne qu'on ne retrouve pas dans les autres sociétés anciennes. La hiérarchie sociale chinoise traditionnelle comprend quatre niveaux : tout en haut, les lettrés-fonctionnaires à cause de l'importance de l'écriture, juste après viennent les paysans, ensuite seulement les soldats et enfin les commerçants.[...]

Nous verrons en première partie comment cette continuité sédentaire, privilégiant toujours le pragmatisme sur l'abstraction, a conditionné un rapport particulier avec le temps, avec l'invisible, avec l'espace et avec la nature en général. Puis comment cet enracinement a produit un rapport particulier avec le changement, posé comme seule assise stable de toute stratégie raisonnable et efficace, point de vue qui, avec le système Yin/Yang, se concrétisera dans une perception par flux plus que par essences et qui sera explicité par une écriture analogique sans équivalent dans aucune autre civilisation.
La troisième partie portera sur les particularités qu'induit justement ce système non alphabétique d'écriture. Dans un quatrième temps, on observera comment, de la combinaison de ces différents facteurs, est né un rapport inédit avec une forme de spiritualité, une sensibilité plus proche du chamanisme ancien que des religions depuis lors écloses sur le continent eurasien, ce qui se manifeste par une "magie" aujourd'hui toujours très présente dans la vie quotidienne.
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La Cité Pourpre enracine sa splendide cohérence dans la volonté de son commanditaire comme dans la mentalité de ses concepteurs : démontrer en trois dimensions l’importance que tient, à la croisée du politique et du symbolique, la fonction d’harmonisation dévolue au souverain. Plus qu’un palais, la Cité Interdite est une idée, une construction de l’esprit vaste comme une ville.
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(…) le nirvana ne pouvant véritablement être défini que négativement, comme l’extinction d’une flamme, son écriture avec des signes issus d’images concrètes posait un délicat problème. Comment représenter un feu qui ne brûle pas, une lumière qui s’éteint ? La solution trouvée ne manque ni d’élégance ni d’efficacité. Apparemment, l’expression en trois caractères choisie pour écrire nirvana, 涅盤那 niè pán nà, semble s’être attachée à une simple transcription phonétique du mot sanskrit. C’est effectivement le cas pour le troisième mot (那 nà), déterminatif neutre souvent utilisé dans des transcriptions phonétiques. Ça l’est déjà un peu moins pour le second (盤 pán), dont le sens usuel actuel tourne autour des idées de bassin, assiette, plateau, etc., mais qui évoque aussi le fait d’être replié sur soi, lové, enroulé. Mais c’est surtout avec le premier idéogramme que se révèle la subtilité de ce choix ; le caractère 涅 niè a en effet pour sens propre « teindre en noir ». L’assemblage de ces trois caractères évoque donc le nirvana comme ce bassin matriciel dans lequel on se love pour s’y teindre en noir comme une flamme qui s’éteint.
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Il n’y a en Chine qu’un seul ciel et il ne représente ni un dieu ni un lieu. L’idéogramme qui le désigne, 天 tiān, le dit sans ambages. Il s’écrit à partir du caractère désignant l’être humain, 人 rén (les deux pieds écartés bien posés sur le sol). De cette mince silhouette dérive l’idéogramme évoquant la grandeur, 大 dà, qui représente ce même être humain écartant les bras (le trait horizontal), mimant le geste universel évoquant l’idée de grandeur. Pour en arriver au ciel, 天 tiān, il suffit de surmonter le caractère 大 dà d’un trait horizontal, évocateur d’une limite. Voilà qui définit le ciel comme la limite supérieure de la grandeur, définition que chacun peut constater de visu (rien sur terre n’est plus grand que le ciel) et qui convient aussi bien au ciel qu’au Ciel, car elle pose un rang, pas une nature.
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Que les Chinois aient utilisé l'imprimerie à caractères mobiles quatre siècle avant que Gutenberg ne la mette au point en Europe, est aujourd'hui un fait admis même s'il n(est pas toujours reconnu.
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La valeur bénéfique du huit. Tout ce qui porte un numéro est, en Chine, régit par la valeur symbolique des chiffres. C'est pourquoi, dans la vie moderne, numéros de téléphone, plaques minéralogiques de voitures, etc., sont vendus aux enchères. On devine alors que les numéros comportant un maximum de huit puissent être particulièrement prisés.
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La consonnance, à ce jour inexpliquée, entre la prononciation du chiffre quatre et du mot "mort" 死, si, vaut à ce nombre une assez mauvaise réputation. On en trouve un exemple dans le nom qui fut attribué - bien sûr après leur arrestation - au groupe formé par Jiang Qing, la dernière femme de Mao, et qui fut responsable des pire cruautés lors de la seconde partie de la Révolution Culturelle : 四人帮, si ren bang, la "bande des quatre".
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Entre eux deux, ce n'est pas le trois qui est représenté, comme l'aurait imaginé Pythagore en suivant sa logique additive : 2+3 = 5, non c'est le quatre, la ronde des saisons, la croix des orients. Comme nous venons de le voir à propos de ce nombre, le quatre manifeste ici la matérialisation du ciel/terre, le battement Yin/Yang au niveau humain. Mais alors, où donc la symbolique propre au cinq se niche-t-elle dans l'idéogramme qui l'écrit ? Au beau milieu au centre de caractère.
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Il ne faut pas voir dans la bienveillance Confucéenne une sorte d'amour universel qui s'appliquerait sans discernement. Il s'agit plutôt d'un sentiment fort et parfois héroïque : "Seul quelqu'un de plein d'humanité sait bien aimer et bien haïr."
Quand on est pénétré du sens de l'humain, on aime ce qu'il y a de bon chez les gens et on déteste ce qu'ils ont de mauvais.

Cultiver la bienveillance et le devoir d'humanité, ce n'est pas aimer tout le monde ; il y a dans la vie des choses et des gens qui sont détestables et que l'on doit détester.

Un Confucéen n'est pas un bisounours. Il ne porte pas sur le monde un regard éthéré et aseptisé. Comme tout un chacun, un Confucéen est sujet à des réactions spontanées de compassion comme de hérissement.

Un jour que Zigong, son disciple raisonneur, lui demandait ingunément : "Un Confucéen accompli peut-il haïr ?", Confucius lui a vertement répondu : "Mais bien sûr qu'un être accompli peut haïr. Il déteste tous ceux qui débinent les défauts des autres. Il déteste les inférieurs qui calomnies leurs supérieurs ; il abhorre ceux qui sont impulsifs et entêtés ainsi que ceux dont le courage n'est pas modéré par des mœurs civilisées, les plagiaires qui se font passer pour savants, les insolents qui se font passer pour courageux, les délateurs qui se font passer pour des gens vertueux".
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L'étude, telle que l'entend Confucius est fondamentalement l'affinement par chacun de sa capacité à perfectionner son comportement en société. Et cela dans le projet final de parvenir, autant que faire se peut, à faire baisser le niveau d'agressivité dans les relations entre les humains.
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Ne pas saisir l'occasion de l'erreur commise pour en prendre conscience, s'en désoler ou s'en culpabiliser, au lieu d'en profiter pour avancer, voilà la véritable faute.
La seule faute que l'on doit se reprocher n'est pas d'avoir commis une faute, mais de ne pas en avoir profité pour s'améliorer.
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Par sa simple répétition rythmique, le rite produit un effet d'entraînement moral. Grâce à l'intériorisation du rituel, l'honnêteté peut devenir une seconde nature. Sans avoir besoin de lois et de châtiments, elle incitera à agir mieux.

"Sans la tempérance que procure le rituel, politesse et respect deviennent flatteries laborieuses, prudence réservée devient timidité peureuse, audace et bravoure deviennent rebellions séditieuses, droiture et franchise deviennent intolérances injurieuses."
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En effet, il suffit de regarder la graphie de ce chiffre 二 pour s'percevoir que le trait le plus grand du signe est équivalent en taille à celui qui écrit le un,, 一. Quand au petit trait en haut, il ne peut pas être vu comme "enfanté", par le un, parce que , si c'était le cas, il ne serait pas placé au-dessus de lui; mai en dessous.
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