AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Derek Walcott (39)


L’AMOUR APRÈS L’AMOUR

Le temps viendra

où, avec allégresse,

tu t’accueilleras toi-même, arrivant

devant ta propre porte, ton propre miroir,

et chacun sourira du bon accueil de l’autre

et diras : assieds-toi. Mange.

Tu aimeras de nouveau l’étranger qui était toi.
Donne du vin. Donne du pain. Redonne ton cœur
à lui-même, à l’étranger qui t’a aimé

toute ta vie, que tu as négligé

pour un autre, et qui te connaît par cœur.

Prends sur l’étagère les lettres d’amour,

les photos, les mots désespérés,

détache ton image du miroir.

Assieds-toi. Régale-toi de ta vie.
Commenter  J’apprécie          350
Je laisserai passer les nuits,
je laisserai le soleil se lever,
je le laisserai passer comme un flambeau sur un mur
où se dessine à demi effacé,
pierre s’effaçant après pierre,
le visage d’une jeune femme étonnée, ses lèvres, ses cheveux noirs
partagés par une raie selon le premier style pompéien.

Et que puis-je écrire pour elle
sinon que lorsque la douleur nous stupéfie,
que nous secouons la tête violemment d’un côté à l’autre,
pour dire à certaines choses : « jamais », « jamais plus »,
plus de foi ni d’espérance, rien que la charité,
la charité donne à l’espérance et à la foi de bien plus puissantes ailes.
Commenter  J’apprécie          120
Même quand le printemps viendra avec sa pluie de pointes,
avec sa glace salie fondant en flaques noires,
le monde aura vieilli d'une saison sans être plus sage.
Commenter  J’apprécie          120
Vallée Cul de Sac

I

Un rai de soleil sur une
échoppe à flanc de coteau
donnait à ces strophes
leur forme guindée.

Si mon ouvrage est béni,
si cette main est aussi
précise, aussi honnête
que celle du charpentier

chaque charpente, bandée
sur ses angles, renverrait
l'écho de cette bâtisse
de bois blanc

à mesure que les consonnes
tombent de mon rabot
dans le créole parfumé
de leur veine natale ;

chutant d'un tréteau
elles ont roulé à mes pieds,
les C, les R avec une racine
française ou africaine occidentale

provenant d'un dialecte compact,
ses feuilles que personne ne lit
tombent pourtant sur la langue
de leur route natale,

mais attirés vers
ma ficelle jalonnent
des planches biseautées
de pin blanc,

comme du schiste grommelant,
des arbres rafraîchissent la mémoire
en exhalant leurs arômes :
bois canot, bois campêche,

chuintant : Ce que tu attends
de nous n'arrivera jamais,
tes mots sont de l'anglais,
ils viennent d'un arbre différent.
Commenter  J’apprécie          90
Derek Walcott
Le Golfe scintille, terne comme le plomb.
La côte du Texas scintille telle une monture de métal.
Je n’ai de maison tant que l’été au crâne bouillonnant
bout pour le jour où au nom du Seigneur
les braises seront empilées sur la tête de tous ceux ayant le fouet et la flamme pour évangile.
Siècle après siècle, les morts n’enseignent rien. 
Commenter  J’apprécie          70
Nous expliquons que c'est le clair de lune mutin sur les vagues,
que ce sont des calembredaines de pêcheurs, que les coupures faites par le sel dans les paumes
de leurs mains les ont rendus fous, mais tous croient que
c'est Abaddon, que ce qui se dresse sur la digue détrempée,
les ailes nervurées et frémissantes comme un bâtard mouillé,
aussi droit qu'une pastengue, c'est une mante et non le diable ;
mais le plus jeune répète d'une voix inhumaine et
enrouée pareille à la houle qui se retire péniblement
du rocher ulcéré de bulots : "Si ce n'est pas lui, alors
pourquoi les nuages aux capes noires s'agrippent-ils à la lune
et étouffent-ils ses hurlements pareils à ceux d'une folle ?"
Des yeux aussi sauvages que des boulots au-dessus de la cuiller levée.
Commenter  J’apprécie          60
Le dix-neuvième siècle, telle une lampe torche,
irradiait son halo, la nuit dernière, sur les planches d'une table de cuisine.
Les pieds de lampe à terre, la fumée de sa mèche dépérissait et brûlait,
en roussissant le plafond de l'esprit comme un roman de Hardy.
Commenter  J’apprécie          60
LE CRAPEAU
Si vous regardez dans la lune,
Bien qu'il n'y ait pas de lune ce soir,
Il y a un homme, non, un garçon,
Ecrasé par le fagot
Qu'il a jeté sur son épaule
Un petit chien sur les talons.
C'est Ti-Jean le chasseur,
Qui s'en va chercher du bois
Chez le vieil homme de la forêt
Celui qu'on appelle Papa Bois.
Parce qu'il a damé le pion au diable,
Dieu l'a installé dans ces hauteurs
Pour qu'il soit le bras droit du soleil,
Pour qu'il éclaire les ténèbres maléfiques,
Mais ne sais rien de tous cela comme l'oiseau
Je m'en vais commencer le conte.
Commenter  J’apprécie          60
Un matin la Caraïbe fut découpée
par sept premiers ministres qui achetèrent la mer en coupons -
un millier de milles aigue-marine garnies de dentelle,
un million de mètres de soie citron vert
un mille de violet, des lieues de satin céruléen -
ils la vendirent avec bénéfice aux consortiums,
les mêmes consortiums qui avaient loué les eaux
pour quatre-vingt dix-neuf ans en échange de cinquante navires,
lesquels la débitèrent à leur tour aux ministres
au commun compte bancaire, lesquels la revendirent
grâce aux pubs pour la Communauté économique des Caraïbes,
et ainsi tout le monde posséda une parcelle de mer,
certains en firent des saris, certains des madras ;
le reste fut offert à de blancs paquebots de croisière
plus hauts que la poste ; alors les bagarres commencèrent
dans les Cabinets pour savoir qui avait vendu en premier
l'archipel en vue de cette chaine de magasins d'îles.
Commenter  J’apprécie          50
Je n'avais rien sur quoi marquer
d'une encoche le progression de mon travail
que l'horizon, aucun langage
que les hauts-fonds dans la longue marche

pour rentrer chez moi, aussi ai-je tiré toute l'aide
que ma jeune main droite pouvait trouver
dans le varech couvert d'une croûte de sable
des littératures lointaines.
Commenter  J’apprécie          50
Et je dis à l'ancêtre qui m'a vendu, et à l'ancêtre qui m'a acheté : je n'ai pas de père, ne veux pas d'un tel père, mais je peux vous comprendre, toi, le fantôme noir, toi le fantôme blanc, quand tous deux vous chuchotez le mot "histoire".
Commenter  J’apprécie          40
Demain, Demain

Je me souviens des villes que je n'ai jamais vues
précisément. Venise veinée d'argent, Leningrad
avec ses minarets entortillées de caramel. Paris. Bientôt
les Impressionnistes feront apparaître le soleil de l'ombre.
Oh ! et les allées de l'Hyderabad pareilles à un cobra délové.

Avoir aimé un horizon est une insularité ;
ça obstrue la vision, ça rétrécit l'expérience.
L'esprit est volontaire, mais l'esprit est sale.
La chair se consume sous la lingerie saupoudrée de miettes,
élargissant le Weltanschauung par le biais de magazines.

Un monde est de l'autre côté de la porte, mais il est bien inquiétant
de se tenir près de ses bagages sur une marche froide tandis que l'aube
rosit le briquetage et avant que vous ne commenciez à le regretter,
le taxi arrive avec un coup de klaxon, en longeant
la bordure du trottoir comme un corbillard - et vous montez dedans.
Commenter  J’apprécie          40
Certes, certes, messieurs, j'ai vu le monde.
L'écume éclabousse le hublot et la vision se brouille.
Commenter  J’apprécie          30
Mon Flight ne franchirait-il jamais le flux
de cette mer intérieure au-delà des sonores récifs
des extrêmes Bahamas, je serai content
si ma main a donné voix à la douleur d'un peuple.
Déplie la carte. Il y a plus d'îles en ce lieu
que de pois dans un plat d'étain, de toutes tailles,
un millier, ami, rien que dans les Bahamas,
montagnes ou brousse avec des cayes de corail,
et de ce beaupré, je bénis toutes les villes,
l'odeur bleue de la fumée, derrière, sur les collines,
l'unique route étroite qui en descend, déroulant son fil
vers les toits en bas ;
Commenter  J’apprécie          30
Je ne suis qu'un nègre rouge qui aime la mer,
j'ai reçu une solide éducation coloniale,
j'ai du Hollandais en moi, du nègre, et de l'Anglais,
et soit je ne suis personne, soit je suis une nation
Commenter  J’apprécie          20
Le théâtre était partout, nous environnait, dans la rue, autant que dans les cuisines, à l'heure des lampes, mais rien de tout cela n'avait reçu l'onction solennelle de la culture.
Commenter  J’apprécie          10
Des îles vertes, comme des mangues en saumure.
Que ce sel si violent guérisse ma blessure,
à moi, dans ma fraicheur de voyageur des mers !
Commenter  J’apprécie          10
Hectares de feux synonymes, batteries noires
et terminaux enroulés de trafic s’éteignant d’un coup. Le lever de soleil
rougissait le lac d’acier. En bas, à la fenêtre d’hôtel

d’un automne canadien, une jeune serveuse polonaise, coiffure
garçonne et yeux mouillés comme du charbon nouveau, lui servait
du café, les érables par la vitre aussi jaunes que du jus d’orange.

Son poignet de porcelaine s’inclina, remplissant son regard à ras-bord.
Il espérait que son adoration la troublerait ; les souliers mesurés
rasant les tables nues, ses mains alignant les plats

en de méticuleux entrechoquements. Comme si on lui avait tapé deux fois
sur l’épaule pour ses papiers, elle se retourna avec ce sourire
nerveux de l’immigrante fraîchement débarquée qui erre au bord des larmes.

Un dimanche polonais l’enfermait. Une place Baroque, son âge
patrouillé par de jeunes soldats, le drapeau de leur régime en ruine
jadis vif comme du rouge à lèvres, les consonnes d’une langue

écrasées sous la semelle de leurs bottes. En son sein, le cri
d’une bouilloire quittant la gare, puis les fermes ouatées
chevaux et saules hochant derrière la vitre d’un train,

les queues dans la bruine. Puis, les formulaires
où son nom débordait des marges, puis une photo de passeport
où son visage apeuré attendait, pendant qu’elle en ouvrait la porte.

Elle faisait partie de cette fiction sans pitié, si ordinaire aujourd’hui,
qu’elle en avait transporté son hivernale beauté au Canada,
bordant ses cils de l’ombre bleue de la neige,

et faisant étinceler comme les couverts ses pommettes creusées
dans l’espoir d’une vie nouvelle. À la caisse,
elle se dressait droite comme un bouleau sur l’autel, et, tout doucement,

la neige drapait sa dentelle de mariée sur l’aile luisante du corbeau.
Son nom se fondait dans le mien comme des flocons sur une rivière,
ou un étang noir dans lequel le vent aurait secoué des bouteilles de lait.

Dressée devant moi, l’addition à la main, je tentai de lire l’éclat
des lettres de cuivre sur son chemisier. Sa peau, ombrée de soie,
piquetait comme l’hiver dans la campagne avant la première neige.

La neige illuminait les nappes, le poivre, les dômes de sel, les pignons
de la serviette, réduisant Varsovie au silence, plumant sans bruit Cracovie ;
puis, l’aile du corbeau passa à nouveau entre les tables blanches.

Il y a des jours où, aussi simple que soit le futur, nous n’allons pas vers
lui mais quittons plutôt une partie de la vie, dans un hall dont les ascenseurs
nous divisent et nous enferment, boutons illuminés montrant

exactement où nous allons, pendant qu’une jeune serveuse polonaise
vide un cendrier, et nous sommes attirés par cette fenêtre
dont les cordons, si nous les tirons, élargissent un vide.

Nous ouvrons d’un coup sec les rideaux gris métal et les poulies qui crissent
révèlent dans le silence non l’automne à Toronto
mais une ville dont la langue a été saisie par sa police,

cette autre servitude dans laquelle Nina Quelque chose est née,
là où, sous les cheminées-canons, la fumée contient sa voix
jusqu’à ce qu’elle s’élève avec les siennes. Zagajewski. Herbert. Miłosz.
Commenter  J’apprécie          10
L’amour après l’amour


Le temps viendra
où, avec allégresse,
tu t’accueilleras toi-même, arrivant
devant ta propre porte, ton propre miroir,
et chacun sourira du bon accueil de l’autre

et diras : assieds-toi. Mange.
Tu aimeras de nouveau l’étranger qui était toi.
Donne du vin. Donne du pain. Redonne ton cœur
à lui-même, à l’étranger qui t’a aimé

toute ta vie, que tu as négligé
pour un autre, et qui te connaît par cœur.
Prends sur l’étagère les lettres d’amour,

les photos, les mots désespérés,
détache ton image du miroir.
Assieds-toi. Régale-toi de ta vie.
(Raisins de mer, 1976)

(Traduit de l’anglais – Sainte-Lucie – par Claire Malroux)
---

Love After Love
The time will come
when, with elation
you will greet yourself arriving
at your own door, in your own mirror
and each will smile at the other’s welcome,

and say, sit here. Eat.
You will love again the stranger who was your self.
Give wine. Give bread. Give back your heart
to itself, to the stranger who has loved you

all your life, whom you ignored
for another, who knows you by heart.
Take down the love letters from the bookshelf,

the photographs, the desperate notes,
peel your own image from the mirror.
Sit. Feast on your life.
(Sea Grapes, 1976)
-----
Commenter  J’apprécie          10
Si les hommes payent pour leurs péchés, mon Général,
Vous pensez que l'Histoire échappera à ses crimes ?
Commenter  J’apprécie          10



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Derek Walcott (42)Voir plus

Quiz Voir plus

Graines de cheffes

Comment s'appelle le personnage principal ?

Cici
Lila
Rose

10 questions
3 lecteurs ont répondu
Thème : Graines de cheffes de Lily LamotteCréer un quiz sur cet auteur

{* *}