Citations de Diane Meur (103)
Tout ça ne va nulle part ? Et votre vie à vous, vous savez où elle va ? Laissez moi raconter comme je peux, c'est déjà assez difficile.
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C'est parfaitement invraisemblable; mais la réalité le fut à peine moins.
C'est la force et la beauté s'inclinant devant l'humour et l'intelligence; c'est le triomphe de l'esprit sur les chicanes et l'appareil des grands. p.87
Et c’est seulement en mars 2013, lors d’un bref retour à Berlin, que j’ai compris que je n’écrirais pas le roman vécu de ma recherche sur les Mendelssohn, dont je serai le seul personnage de fiction, puisque je ne connais pas d’avance ma propre vie (façon de vous dire que j’ignore absolument où, quand et comment finira ce livre). Un personnage trottant en bottes de sept lieues dans un parc temporel de deux ou trois cents ans, bondissant en avant, en arrière, ou en diagonale sur l’échiquier de la terre, car le « Mendelssohn-Komplex » couvre quatre des cinq continents
"Avec d'autres je ne te conseille pas de parler d'Anouher au lit.", quelles autres ? Il était en colère. Pour elle, il était évident qu'il irait avec d'autres, sans doute parce qu'elle, c'est ce qu'elle ferait. C'est ce que faisait les gens de Sir : ils vous montaient comme une mule, quand il leur plaisait d'être portés, et vous laissaient au relais suivant pour prendre une mule plus fraîche. Ils avaient beau lui reprocher son odeur et ses ongles sales, les brutes c'étaient eux.
Et, pendant qu'Ordjeneb s'ébahit de la présence en sa mémoire de ce qui n'est plus et, en son imagination, de ce qui n'est pas encore, finissant par se demander ce que sont au fond le passé et l'avenir, et si être, exister, sont bien les mots qui leur conviennent, c'est à nous de regretter que, trop modeste, il ne partage pas ces réflexions avec son maître le scribe. Quels développements ce dernier ne leur apporterait-il pas ?
Lui que le passé préoccupe tant, un passé très lointain, bien sûr, dont personne n'a plus de mémoire directe, accessible seulement par de savants recoupements de sources et des calculs sur le mouvement des astres, il est probable qu'il se dirait à son tour : Où est-il ce passé-là, qu'est-il devenu, existe-t-il encore ?
“Mais Sir, où est donc Sir ? Nulle trace de ses remparts, nulle trace de son orgueilleux saillant sur la plaine subjuguée, rien. Car la ligne inchangée des crêtes environnantes finit par nous le faire admettre : Sir est là, sous nos pieds.”
“Et maintenant, pensa Asral en jetant à la ville un dernier regard plein d’attentes et d’une certaine appréhension – maintenant il va falloir qu’il leur explique tout ça.”
Il faudrait que, se levant du milieu de la foule, un inspiré adjure : "Gens de Sir, vous avez changé. Quoi que vous croyiez peut-être, le temps des fondateurs, le temps d'Anouher est révolu. Tout ce qu'ils ont planté ou posé est devenu sacré pour vous, intangible, et vous en concluez que le temps n'avance plus, que rien ne change ni ne bouge. Mais de ce changement, n'êtres-vous pas la preuve? Chaque année rend vos règles plus rigides, chaque année vous fige davantage dans le souvenir de ce passé. Et cette pétrification n'est-elle pas un processus, un devenir, cela même, en d'autres mots, que vous prétendez bannir? Retourne, peuple de Sir, reviens à toi avant qu'il ne soit trop tard!"
Mais celui qui tiendrait cette harange devant le haut palais, les gardes l'éloigneraient comme un énergumène. Au Marché de la porte des Buffles, les passants le feraient taire en lui disant : Nos n'aimons pas ta chanson.
Ce que je voulais dès le départ:tisser de la toile, fabriquer de mes doigts un filet à envelopper le monde, avec de larges mailles pour gagner en étendue, mais aussi des mailles fines et serrées, pour que le poisson ne passe pas à travers, pour que jamais plus rien ne se perde, ne s’oublie, ne disparaisse au fil de l’eau et sans laisser de trace.
Les villes les plus puissantes ont été fondées sur le sang d'un mort ; les édifices les plus durables ont, quelque part dans le plein de leurs murs, des ossements.
Tu es multiple jusqu’à la monstruosité. Et cependant, pour qui te voit de loin, tu es une et unie, un seul grand corps de pierre dont tes habitants sont les atomes, tous distincts, mais tous toi-même, tu aimes à le penser. » (p. 29)
« Nous pensons être fidèles à Anouher en conservant ses mots, mais c’est lui être plus fidèle que de changer ses mots pour garder sa pensée. » (p. 65)
« Tu as prononcé une phrase dont le sens et l’intention se trouvent hors d’elle, et qu’il faut compléter en pensée. » (p. 39)
Wioletta me reste pour l’heure aussi opaque qu’à sa mère, et je me rends compte qu’elle m’est opaque depuis près de deux ans sans que j’y ai pris garde. Car il fut bien un temps où je la perçais à jour comme les autres, où j’entrais de plain-pied dans ses secrètes rêveries. Elle a dû employer toutes ses forces (et elle en a : les femmes de cette époque apparaissent souvent comme des sacrifiées, de faibles jouets entre les mains des mâles. C’est vrai, mais c’est aussi que leur force n’a pas le loisir de se traduire en action et se déploie toute entière vers l’intérieur, faisant d’elles des championnes de la résistance passive, voire de l’autodestruction) à se replier sur elle-même pour préserver son secret. (p. 264)
Jusqu’ici, j’avais toujours eu l’impression d’être une de ces maisons de poupée sans façade où l’oeil peut plonger innocemment jusqu’au fond de chaque pièce. Maintenant il me semble que tout s’est cloisonné. Les nombreuses portes qu’on ouvrait et refermait auparavant sans y prendre garde, chacun a eu l’occasion de s’interroger sur leur épaisseur, de les repousser soigneusement avant d’engager quelque conciliabule, voire – eh oui, on aurait tort de croire ce passe-temps réservé aux domestiques – d’y coller une oreille pour surprendre ce que murmurent deux tiers qui se croient à l’abri. Cela explique que, même moi, qui d’habitude sais tout, j’ai quelquefois suivi de fausses pistes ou omis de voir ce qui se passait sous mes yeux.
Et moi aussi, j’ai ressenti dans mes fibres cette atmosphère de menace, de mystère et aussi d’espérance. Oui, d’espérance : je suis persuadé qu’en chaque homme, si attaché qu’il soit à l’état présent des choses, sommeille un goût caché pour la secousse qui change le monde et infléchit les vies. Cette secousse encore indistincte, j’affirme que tous, ici, la désiraient sans forcément se l’avouer, comme le corps finit par désirer le coup qu’il sait inévitable, ou comme la pucelle finit par désirer la blessure qui fera d’elle une épouse ou une déchue, mais du moins autre chose. (p. 167)
le pouvoir corrompt les aspirations les plus pures, les plus naturelles de l'homme, qui sont de vivre en paix, d'être nourri par son travail, de parler et transmettre la langue qui est la sienne.
les gens heureux sont des indifférents et des placides
Être inférieure, au fond, n'est pas sans avantages. On attend si peu de vous !
Oui, elle aura eu ce qu’elle voulait : Jozef. Il va de soir qu’elle perdra vite ses illusions sur la noblesse d’âme de son mari et sur son attachement pour elle : il n’est ni bon comme elle l’avait pensé, ni loyal, ni probe. Avec les mois, les vertus dont elle le parait tombent comme autant d’écailles, elle ne le voit plus tel qu’il est : beau, méchant, volontaire. Et son amour se teinte d’amertume et de honte, même s’il reste présent.