Once upon a time in Hollywood…
Edgar Morin est le philosophe de la pensée complexe. Le sociologue français, presque centenaire en 2019, a bien mieux compris que les pédagogues officiels la nécessité de penser complexe. De lier les choses entre elles, de ne pas séparer les matières pour fabriquer des esprits à casiers, dont nous sommes les victimes, mais pour fluidifier la pensée.
Ce qui frappe, ce sont les centres d’intérêts de Morin : il a la curiosité de tout. La preuve avec cet essai, que je relis avec plaisir, sur les stars (du coup j’ai mis plein d’étoiles dans ma note, pour les stars…).
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Les stars de cinéma sont une mythologie. Pareils aux dieux antiques, les stars font l’objet d’un culte, demi dieux accédant, après leurs travaux herculéens sur grand écran, au panthéon d’Hollywood, aux Champs Elysées de Beverly Hills.
D’abord mystérieuses, inaccessibles, « so Greta Garbo », les stars, avec l’avènement du cinéma parlant et la massification du cinéma comme loisir, deviennent tiraillées par des exigences contradictoires. Être unique, raffinée, un modèle et tout à la fois simple et si proche du commun des mortels.
La dialectique de la star ne peut se faire sans son pendant. Un dieu n’existe qu’à mesure qu’il est adoré. Qui sacrifie encore au culte de Demeter aujourd’hui ?
Le fan(atique) est donc l’adorateur, le reflet qui fait briller la star. Le phénomène d’identification, le modèle, d’adoration quasi-désintéressée est similaire à la pratique d’un croyant.
« A star is born ». Mais pour joindre les deux maillons de cette chaine, le Dieu et son fidèle, il faut un conducteur : le clergé (c’est mon interprétation de ce que Morin avance). Les studios hollywoodiens créés et entretiennent le culte.
On lance une star au regard du nombre de courriers de fans qu’elle reçoit. On invente de toute pièce une personnalité, des hobbies, des intrigues et des romances. Comme peut-être, je dis cela prudemment, dans d’autres cultes, on a un peu l’impression que le prêtre (le producteur) fabrique un Dieu qui sera adoré par les fidèles et dont il percevra la majorité des dons et gains…
“- Faites-moi une vedette
- budget habituel ? ”
« La star-mania ». Les fidèles sont en quête de nourriture spirituelle, en témoigne le courrier des fans, et l’auteur d’ajouter qu’il est à peine exagéré que de dire que le cinéma est fait pour les adolescents. Une enquête sociologique montre que les adolescents sont d’abord amoureux des stars. Les quelques courriers de la « fan mail » de Luis Mariano reproduits par Morin nous montre que la star, oracle de Delphes, grand frère bienveillant, objet de culte, reçoit moultes offrandes et peut répondre sur absolument tous les sujets, vie amoureuse, professionnelle, philosophie etc…
“Nul n’est vraiment athée qui fréquente les salles obscures”
La star-marchandise est également un nouveau type d’acteur. Là où le théâtre amplifiait l’émotion, la technique cinématographique, les sons et lumières, permettent une « mezzo-vocce », le murmure, on soustrait plus qu’on ne multiplie. La lumière, le décor, qui étaient accessoires au théâtre deviennent prépondérant, au détriment de l’acteur de cinéma.
« La beauté est actrice de cinéma ». Si bien que l’on considère que n’importe qui peut tourner au cinéma, les hommes du peuple du cinéma soviétique ou bien les personnalités qui jouent leur propre rôle. Les acteurs se vivent parfois comme les pantins, les mimes du réalisateur. Pour parvenir à ses fins, nous avons tous déjà entendus quelques anecdotes troublantes de tournage, le metteur en scène peut gifler pour faire pleurer, chatouiller pour faire rire, voire même pousser au crime (Dernier Tango à Paris…).
La star, mythe et objet devient ce qu’on appelle aujourd’hui un « influenceur ». La chemise sur peau nue, sans tricot de peau, de Clark Gable eu un impact économique qui poussa le syndicat des bonnetiers à demander le retrait de la séquence. Les rouges à lèvres laqués des stars encouragent les femmes élégantes, les cheveux de James Dean révolutionnent les salons de coiffure, à l’avant-garde, la star dispute la « fashion police » aux traditionnelles maisons de haute couture qui avaient jusqu’alors l’empire jusque sur la longueur de la jupe.
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Le star-system, époque de l’euphorie, va décroitre dans les années 60. Morin met cette chute en perspective avec la consommation culturelle des masses qui redéfinit le bonheur non pas comme état de fait subissant des agressions extérieures identifiées, le héros contre l’ennemi, mais qui devient problème inhérent. Ce n’est pas à dire que l’âge d’or du cinéma était parfait mais il fallait donner une image plus lisse, plus manichéenne, les amours homosexuels de Marlène Dietrich, James Dean, Rock Hudson, Montgomery Clift ou encore Marlon Brando étaient cachées, de même que les dépressions, les excès des Joan Crawford, Humphrey Bogart, Richard Burton, Judy Garland ou Bette Davis.
A présent, Les acteurs sont tourmentés, ce ne sont plus des héros lisses et faits d’un seul bloc, on glisse vers la problématique du bonheur. Cela reflète les tourments de la bourgeoisie et des classes moyennes accédant à un mode de consommation, de loisirs, du couple loin de celui du cinéma, d’individualité qui ne suffit plus.
Si la mort spectaculaire de James Dean reste un accident du « golden age », le suicide de Marylin Monroe entre davantage en résonnance avec l’état général de déperdition du star-system. Désormais les dépressions sont connues, les villas et les parties californiennes ne sont plus une norme sociale agréable mais des paradis artificiels. Les stars restent divinités mais ne sont plus modèles. On se délecte de leurs malheurs, les grecs avaient Homère pour les scandales des Dieux, nous avons les « Commères » de France Dimanche et Ici Paris dans les années soixante. Les révoltes étudiantes et les hippies, la télévision, la musique participent également à faire dégringoler l’influence économique et culturelle du cinéma, les Bogart et Grant sont morts, sans héritiers.
« A new star-t. » Mais des ferments de cette décadence, arrive un nouveau cinéma. En Italie, la « Dolce Vita » de Fellini immortalise et tourne en dérision la vie matérielle et ses tourments, en France, la nouvelle vague voit l’ascension de réalisateurs et de films à petits budgets sans stars se rapprochant même de la littérature (Resnais fera appel à Duras pour « Hiroshima Mon Amour »), le cinéma new-yorkais underground voit le jour. Désormais Godard et Hitchcock sont plus connus que leurs vedettes, les acteurs d’« Easy Rider » sont issus de la contre-culture, James Bond est plus connu que Sean Connery etc. Si les étoiles d’hier, à l’image de Lauren Bacall, sont balayées, certaines arrivent à faire une transition, passant des super-productions aux films d’auteurs, comme Richard Burton et Elizabeth Taylor immortalisant leurs excès et leurs malheurs dans « Who’s afraid of Virginia Woolf ».
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Pour le plaisir du cinéma, de la sociologie et de plein d’autres sujets liés pour un panorama complexe mais accessible, on a plaisir à lire l’auteur sur Ava Gardner repoussant les limites de la sensualité féminine, James Dean, l’icône de la star complète et Chaplin, « Charlot » ou l’accession du comique au rang de star. Morin passionné, passionne. Jane Fonda disait « rester toujours intéressé c’est bien plus important que d’être intéressant » et bien je crois que Morin arrive à faire et être les deux !
La réflexion, de l’aveu même de l’auteur dans sa préface pour une édition postérieure à l’originale (préface des années 80 et original de 1957), reste à mener tant les mutations sont à l’œuvre. Ainsi me suis-je permis quelques références à des films en écho avec le propos du livre.
On peut penser à un prolongement de la réflexion dans les années 2000, où, grâce aux réseaux sociaux, tout le monde est une star…
Qu’en pensez-vous ?
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