Pour une connaissance de la connaissance : en finir avec la préhistoire de l'esprit humain
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Fasciné par la complexification croissante des sciences et du savoir, par l'information exponentielle nous parvenant chaque jour des quatre coins du monde, je me suis tourné vers cet ouvrage d'Edgar Morin, court en pages mais riche en idées.
Reconnaissons tout de suite les limites inhérentes à cet essai. Premièrement, il s'agit d'une introduction, il ne faut donc pas s'attendre à un exposé exhaustif, critique et complet de la pensée d'E. Morin. Deuxièmement, comme le précise l'auteur, penser le complexe n'est pas tant une idée solution, une idée « recette » apportant clé en main un ensemble d'outils à même de décrire le réel, qu'une idée défi, se donnant pour mission d'étudier l'histoire de la complexité, dans sa volonté de rendre compte de la réalité complexe et plurielle des phénomènes. Troisièmement, l'auteur pèche parfois par un manque certain de pédagogie. Certaines idées sont énoncées, sans même la moindre explication (théorème de Gödel, expérience d'Aspect), supposant de notre part une solide culture générale et scientifique, notamment en mécanique quantique. Ceci n'est pas une généralité puisqu'on retrouve généralement un court développement quelques pages plus loin. Enfin, cet ouvrage n'apporte pas vraiment d'explications pratiques sur la méthode d'une pensée complexe, l'auteur ne faisait qu'ébaucher ces concepts dans un chapitre, nous renvoyant à sa somme livresque, « La Méthode ».
Ces limites mises à part, l'essai s'avère passionnant et extrêmement exigeant. De son propre aveu, l'auteur est mi-philosophe, mi-scientifique. Cela se ressent : l'ouvrage alterne entre propos scientifique pointus sur les dernières découvertes scientifiques (théorie du Tout, mécanique quantique, relativité générale) et exposés philosophiques/structuralistes (sujet/objet, théorie des systèmes, des organisations, cybernétique, etc.). Nul besoin d'avoir de compétences préalables tant l'auteur arrive brillamment à vulgariser ces théories tout en les remaniant pour illustrer sa démarche. La prose est digne des meilleurs essais publiés et quiconque s'accroche au texte suivra sans beaucoup de peine une pensée rigoureuse et fonctionnant par grandes étapes.
Quant au propos en lui-même, en voici un petit aperçu. Selon E. Morin, depuis le dualisme de Descartes au XVIIe siècle, un schisme s'est produit entre sciences et philosophie : la science n'a non seulement plus aucun contrôle sur ses débouchés techniques, jusqu'aux pires dérives du XXe siècle, mais elle ne se pense pas non plus elle-même, n'entretient pas de véritable réflexion sur sa démarche (hormis l'épistémologie, mais elle serait insuffisante selon Morin). L'auteur pense que ce constat est dû non pas à des erreurs heuristiques, factuelles mais à des erreurs dans l'organisation de la pensée, qui face à la diversité du réel préfère couper, réduire, compartimenter au lieu de se montrer plus subtile en associant ou distinguant. Sans compte d'autres « commandements de la pensée », évitant l'écueil simplificateur : prise en compte de la relation observateur/observation, objet/environnement, etc. L'auteur entend donc étudier cette complexité.
Le premier chapitre introduit la démarche, le deuxième étudie les bouleversements introduits par la notion de complexité dans l'histoire des sciences et la façon de penser scientifiquement le complexe (du circuit fermé à l'auto-éco-organisation), le troisième ébauche la façon de penser la complexité. Les chapitres 4 et 5 se montrent très décevants, appliquant bêtement cet outil au monde de l'entreprise et de l'action, sans aucune réflexion supplémentaire. Le sixième et dernier chapitre, transcription d'un entretien entre l'auteur et des universitaires se montre intéressant, l'auteur expliquant sa démarche personnelle et apportant des critiques à son travail.
En conclusion, voilà un ouvrage passionnant, rigoureux et exigeant, qui vous apportera une nouvelle grille de lecture du monde, celle de la complexité.
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