L'horrible-madame-mémé est moche comme tout.
Elle sent le vieux gant de toilette et elle est grosse comme une allumette.
Elle ne sourit jamais, surtout pas quand elle nous voit arriver.
Il n'y a pas longtemps, j'ai découvert qu'elle est la maman de mon père !
Et même que son prénom c'est Marie-Chantal et pas "mémé".
Mais moi, en secret, je l'appelle l'horrible-madame-mémé.
Je déteste le premier dimanche du mois.
C'est comme si la maison entière devenait folle ce jour-là.
Je crois qu'un jour, maman deviendra trop-belle-mademoiselle-mamie. Elle sera vieille, c'est sûr, mais quand même jolie. Elle me préparera des lasagnes et des clafoutis et elle remplira mon assiette en disant :
- Tiens, mange, mon chéri !
- Ensuite, j'opterai probablement pour le pavé de biche sauce forestière. C'est un régal.
Un régal à 36 euros. Pour le prix, c'était une biche connue, genre la maman de Bambi.
- Allez, carpe diem !
Bravo. L'argument massue. Je déteste cet adage, tant il a été usité par des sombres abrutis et vulgarisé jusqu'à l'os. De nos jours, il n'est pas impossible de croiser un type au bronzage aussi artificiel que ses charmes, porter sur ses pectoraux glabres en lettres latines cette sublime locution de la même langue. Le play-boy de bazar ignore en toute certitude qu'elle est tirée d'un poème du grand Horace.
Il sert de prétexte et de slogan à ceux qui se perdent dans des plaisirs éphémères. Traduit sous "profite du jour présent", on entend souvent la nouvelle génération s'en gargariser et glapir : "Il faut prooofiiiiteeer ! Carpe diem !". Pourtant, à l'origine, ces deux mots mots signifient "Cueille le jour". Il a pour mission le réveil, la prise de conscience de l'aspect éphémère de la vie, mais surtout, il est une injonction à la mener en cherchant des plaisirs sensés, disciplinés et valeureux. Tout l'inverse des déglingués en slips flashy et colliers fluos qui se pètent la cervelle à coups de buvards sur les plages d'Ibiza.
Certaines merveilles de la poésie antique ont été injustement et gratuitement égratignées, écorchées, pour ne pas dire salopées par l'évolution de la société. Merci, "Le cercle des poètes disparus"...
Si l'on ne peut plus rire de la religion, de la politique, des perversions sexuelles, des pauvres et des handicapés, que reste-t-il ? Je connais peu d’histoires drôles sur les endives et les tables de chevet..